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GORRESPONDAJNGE
DU
CHEVALIER DE SÉVIGNE
ET DE
CHRISTINE DE FRANCE
DUCHESSE DE SAVOIE
MAÇON, PROTAT lUEIlES. IMPBIMEURS.
CORRESPONDANCE
DU
CHEVALIER DE SÉVIGNÉ
ET DE
CHRISTINE DE FRANCE
DUCHESSE DE SAVOIE
PUBLIÉE
PO LU L\ SOCIÉTÉ DE l'iIISTOU: E DE FRANCE
Jean LEMOIjNK et Frédéuic SAULNIEll
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
H. LAUUENS, SUCCESSEUR
LIBRAIRIE DE LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, N^ (j
M DCCCC XI
355
S;
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à-
EXTRAIT DU REGLEMENT.
Art. 14. — Le Conseil désij^ne les ouvrages à publier, el
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé d'en surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans lautorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable portant que le travail
lui a paru mériler d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que la Cor-
respondance DU CHEVALIER DR SÉVIGNÉ ET DE CHRISTINE
DE France, duchesse de Savoie, préparée par MM. Jean
Lemoine et Frédéric Saulnier, lui a paru digne d'être publiée
par la Société de l'histoire de France.
Fait à Paris, le 30 décembre 1911.
Signé :
LÉON LECESTRE.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France.
NOËL VALOIS.
mTRODUCTION
Le chevalier do Sévigné n'est pas un inconnu, quoique sa
nièce, la spirituelle marquise, ne lui ait fait qu'une bien petite
place flans son œuvre épistolaire. Quand on étudie de près et
dans les pièces officielles Thistoire des guerres d'Allemagne et
dllalie sous le règne de Louis XIII et pendant la minorité de
Louis XTV. on appivud qu'il s'y distingua par sa bravoure,
son élan intrépide et ses qualités militaires. On sait mieux
encore, par les mémoires, chroniquos et pamphlets contempo-
rains, qu'il prit une part personnelle aux mouvements de la
Fronde. Ce n'est pas qu'il y brilla comme colonel du régiment
de Corinthe ; mais la défaite un peu ridicule qu'il subit — la
première aux Corinthiens, dit-on alors — n'est imputable qu'a
la troupe trop récemment formée et tout à fait novice qu'il
commandait. Et, pour peu qu'on se soit plû aux correspon-
dances et aux récits jansénistes, on n'a pu ignorer que. dans
la dernière partie de sa carrière, il édifia, par son ardeur et son
humilité, Port-Royal de Paris et Port-Royal-des-Champs, qu'il
fut compté parmi les pénitents les plus dévoués, les plus géné-
reux, les plus pieusement dociles aux directions de ces Mes-
sieurs et des Mères Angélique et Agnès Arnaukl. Le parti dont
il épousa les doctrines et partagea les épreuves l'en récompensa
en l'inscrivant dans ses mémoriaux et ses nécrologes. Mais rien
II INTRODUCTION.
ne faisait soupçonner qu'il eût joué, pendant la Fronde, un
autre rôle que celui d'ami enthousiaste de son allié, le coadju-
teur de Paris, qui fut ensuite cardinal de Retz, attisant les
haines contre « le Mazarin », portant aux nues le prélat
révolté, toujours disposé à lui prêter son concours et à tirer
l'épéepour sa cause, la seule juste à ses yeux, la seule dont le
succès assurât certainement la prospérité et la gloire de la
France. Cette cause, nous le savons aujourd'hui, il trouva
moyen de la servir par sa plume : il fit office de bon Fron-
deur en informant, à son point de vue. de la politique du jour
et de ce qui se passait à la Cour, une princesse qu'il admirait
passionnément et à laquelle il voulait plaire. Parla correspon-
dance que nous publions, à laquelle se mêlent quelquefois des
confidences d'époux tendrement épris, on jugera de son honnê-
teté, de sa bonne foi, de son désintéressement : son zèle pour
ses amis, son souci consciencieux de la vérité, sa passion pour
les intérêts de la Maison de Savoie, son horreui' pour la domi-
nation mazarine éclatent à chaque page. Nous pouvons désor-
mais, grâce à ces feuillets si heureusement retrouvés, présen-
ter sous tous ses aspects ce personnage vraiment sympa-
thique par sa sincérité et sa bonté. Il nous semble qu'on lira
avec plus de fruit ses lettres à Madame Royale, lorsqu'on le
connaîtra bien et qu'on sera initié aux phases consécutives de
sa vie ^ .
1. Les notices consacrées par les Jansénistes à la mémoire du
chevalier de Sévigné ne constituaient pas de véritables biogra-
phies, non plus que les pages par lesquelles des écrivains, à
l'occasion des lettres de la mère Agnès Arnauld, ont réveillé son
souvenir, au siècle dernier. C'est en 1865, pour la première fois,
que cette figure intéressante a été esquissée tout entière par
M. Saulnier, dans les Mémoires de la Société académique de Brest.
Il l'a retracée encore, en 1885, plus exacte et avec plus de
détails, à l'aide de documents nouveaux, dans la Bévue de Bre-
I>TR0DUCTION. m
I.
Renaud de Sévigné — plus tard René-Renaud — naquit au
château des Rochers, près Vitré, le 26 mai 1007 ^ Il apparte-
nait à l'une des plus anciennes maisons de Bretagne, qui
devait son nom patronymique à la terre seigneuriale de Sévi-
gné en Cesson, auprès de Rennes ; elle la possédait de temps
immémorial et la consei-va jusqu'à l'extinction des mâles dans
la dernière branche aînée, au xviii' sièvde^. Sans refaire l'his-
toire de cette famille, nous rappellerons brièvement qu'elle
avait sa place dans laristocratie bretonne dès le xi" siècle, et
quelle a pu. lors de la réformation de la noblesse de Bretagne
ordonnée par Louis XTV en 1668. faire ses pi-euves de père
tagne et de Vendée qui se puJjliait ù Nantes. Ce second essai, sous
le titre de Notre Oncle de Sévigné, commençait une série d'études
sur Les Sévigné oubliés ; il restait forcément incomplet, puisque
l'auteur n'a connu que plus tard les correspondances conservées
aux Archives de Turin et d'autres pièces inédites. M. J.Lemoine,
empruntant à ces dernières sources si précieuses ainsi qu'aux
autres ses éléments d'information, a pu faire connaître enfin
toute la vie de ce personnage, étudiée dans son milieu, dans sa
famille, dans son époque et dans .toutes ses phases : Le chevalier
de Sévigné a été inséré très récemment dans le Correspondant
m"** des 10 et 25 septembre 19H). Dans notre introduction, en
nous aidant de ces différents travaux et de quelques documents
non encore utilisés, nous avons tenté, sous une autre forme, de
tracer une biographie exacte du correspondant de Madame Royale
de Savoie.
t. Voir l'acte de son baptême, célébré le 20 septembre 1607
ci-après. Appendice, II, p. 262.
2. Il y avait, en Gevezé, à quatre lieues de Rennes, une autre
terre seigneuriale du même nom qu'on a quelquefois confondue
avec celle de Cesson et qui n'a jamais appartenu aux Sévigné.
IV INTRODUCTION.
en fils jusqu'au commenoemeuL du xrv" siècle — (reiz(? ou
quatorze générations et trois cent cinquante ans de chevale-
rie. Sa fortune et ses services militaires la mirent en relief, et
le rang qu'elle tenait lui pprmil de s'allier à de grands noms.
La marquisede Sévigné, dans la lettre si connue, du 4 décembre
1668, à son cousin Bussy-Rabutin. releva avec orgueil ce passé
flatteur et insista avec complaisance sur ces brillantes alliances
depuis les Rohan, les Clisson. les du Guesclin, les Montmo-
rency jusqu'aux Vassé et aux Rabutin '. Deux branches se
formèreiil à la fin du xV siècle: Jacques de Sévigné. ligueur
déienniiié. représentait seul Tainée. cent ans plus tard, et
mourut sans postérité, en 1599, ayant pour unique héritière
Marie, sa sœur, mariée depuis l.*)84. à leur parent, Joacliim
de Sévigné, baron d'Olivet. aine delà branche cadette. Ce der-
nier, ligueur déclaré comme son beau-frère, fut un des maré-
chaux de camp nommés par le duc de JMercœur ; mais il se
soumit à temps, et TIenri IV le décora du collier de Saint-
Michel. La nouvelle branche ainée dont il devint le chef
recueillit, par suite de son mariage, tous les biens de l'an-
cienne, les terres et seigneuries de Sévigné. des Rochers, de
Champiré-Baraton et d'autres situées en Bretagne, avec tous
leurs fiefs, rentes féodales et droits honorifiques. Deux fils
et deux filles, nés de cette union, survécurent à leur père :
c'est de son fils puiné que nous nous occupons-.
Joachim de Sévigné mourut aux Rochers, le 19 mai 1612.
1. L'arrOt de maintenue rendu par la Chambre de réformation,
à Tiennes, le 7 novembre 1670, i! ■■•lara les comparants nobles,
issus d'ancienne extraction noble et leur permit les qualités de
chevalier et d'écuyer (Bi])lioth. nat. mss. fr. n° 8319, p. 30(i).
2. Un talileau généalogique que nous avons dressé donne
quelques détails sur la proche famille du chevalier (Appen-
dice. II.
J.\T!U)lMCTION. V
laissant mineurs dos Piilfints quiiiio, décision de justice rendue
sur avis de parents plaça sous la tutelle de leur mère, le
3 août suivante Le chevalier navait alors que cinq ans : sa
sœur aillée était déjà mariée à Claude de La Cressonnière; son
autre sœur se maria depuis ; son IVèro aîné. Charles, baron
d'Olivet. de neuf an? plus Agé que lui. épousa en 1621 , ^lar-
guerite Grognet de Vassé, fille d'une Gondi, et devint ainsi
l'allié d'une famille puissante — alliance qui certainement
influa beaucoup sur laltilude que prirent, pendant la Fronde,
son frère et son fils Henri, l'époux de M"" de Rabutin-Chantal.
Destiné sans doute des son jeune âge au métier des armes,
René-Renaud de Sévigné fut admis, le 28 décembre 1G22,
comme chevalier de 7ninorité dans l'ordre de Saint-Jean de
Jérusalem et commença son apprentissage de la vie militaire-.
Disons tout de suite qu'il n'était pas appelé à être riche, puis-
qu'il n'avait d'autre perspective que de partager avec ses sœurs
le tiers de l'héritage de leurs parents, le surplus appartenant à
l'ainé. Vers 1633, ce dernier, héritier principal et noble, lui
donna pour son partage dans la .succession échue de leur père
et dans celle à venir de leur mère encore vivante la terre et
seigneurie deChampiré-Baraton en Anjou : ce nom reviendra
sous notre plume ^. Il était à cette époque, et dès 1630. capi-
taine au régiment de Normandie, Tun des plus glorieux de
l'ancienne armée. Les annales de ce corps d'élite, la Gazette de
France, les mémoires d'Henri de Campion, son compagnon
1. Archiv. de Maine-et-Loire {Dossier Crespy), E. îl.V.l.
2. On trouve cette date avec rindication des quartiers généa-
logiques dans le Catalogue des chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean
de Jérusalem de la vénérable Langue de Finance du prieuré d'Aqui-
taine... copié sur les registres de la dite langue à Malte, ms. in-f",
p. 478 (Bihlioth. de l'Arsenal, n» 3679).
3. Voir notre note sur la terre de Champiré, Appendice XII,
p. 301.
VI INTRODUCTION.
(larmes et lieutenant au même régiment nous ont conservé le
souvenir de faits où sa bravoure s'est brillamment affirmée * .
T.a guerre de Trente ans. si tenace, si étendue, si meurtrière, lui
on offrit plu? d'une occasion : c'est ainsi que pendant la cam-
pasne de Francbe- Comté, en 1638. le 18 juin, à la tête du
premier bataillon de Normandie, il força les retranchements
du duc de Lorraine au-dessus de Poliçmy et y pénétra avec
tant de foueue qup, les ennemis durent les abandonner, en y
laissant deux canons et un drapeau : le 28 du même mois, à
Tassautmême de Poliemy. il fut crrièvement blessé. En 1640.
le 14 septembre, devant Turin, ayant reçu l'ordre de reprendre
cinq redoutes que le prince Thomas de Savoie avait surprises
à la pointe du jour, il se mit à la tête de cinquante mousquetaires
(M. sous Ip feu violent des ennemis, sauta dan? Tune des
redoutes, en poussant le cri célèbre de ralliement : Vive Nor-
mandie! Ce coup de vigueur eut plein succès, et Ip? ouvrasses
furent évacués. L'année suivante, le 8 septembre, il reçut une
blessure en montant à l'assaut de Coni. En 1642. ce fut lui
qui apporta au Roi la nouvelle de la prise de Nice de la Paille,
dans le Montferrat : la Gazette de France, qui en fit part à ses
Ipcleur? '26 septembre', annonça en même temps que le che-
I. Histoire de t'infanterie franeaise. par Ip général Susaae (édi-
tion in- 12). n, 410 Pt suiv. — Répertoire de la Gazette de France,
par Ip M'« dp Grangpp dp Surprères. lY. col. ?80 Pt 281, aux noms
dp S(''vif/né et Séviqny. — Mémoires d'Henri dp Campion. noTivellp
édition par C. Morpau. Paris. 18.^7. in-16. L'autPiir y fait un
peu la chroniqup du régimpnt de Normandie, pd donnant des
exemples de la remarquable solidité de cette troupe si bien com-
mandée, et rapporte notamment ce qui se passa, en 1639, au
siège de Salées, en Roussillon, où les régiments envoyés à l'as-
saut, trouvant une résistance aussi énergique que meurtrière, se
replièrent de toutes parts, sauf celui de Normandie qui continua
d'avancer en bon ordre.
INTRODUCTION. VII
valier était promu maréchal do bataille a l'annei.' dllalie.
Le 18 décembre suivant, revenu à son poste périlleux, il se dis-
tingua au siège de Tortone.
A côté de ces traits qui font honneur à sa bravoure, les his-
toriens de Port-Royal en rapportent un autre à léloge de sa
bonté. Après la prise d'une ville qu'on ne nomme pas. il heurta
du pied une petite fille de trois ou quatre ans que ses parents
tués ou mis en fuite avaient abandonnée sur un fumier :
obéissant à une inspiration de son cœur, il l'emporta dans son
manteau et la fit élever dans un couvent où il paya sa pension
et où elle fit plus tard ses vœux ^ — acte de charité d'autant
plus louable que les soldes militaires, comme on le sait, se
payaient fort irrégulièrement.
D'éminenls écrivains qui ont parlé de M. de Sévigné, à pro-
pos de Port-Royal, n'ont vu dans cette recrue du parti qui ne
savait pas le latin et ne l'apprit qu"à plus de cinquante ans
pour pouvoir comprendre les offices de l'Eglise, qu'un ancien
soldat venu pour se délasser, dans un milieu tout diflerent, de
la licence et de la grossièreté de la vie qu'il menait : ne suffi-
sait-il pas de célébrer son passé de bi-avoure et de bonté ^"P Pour
compléter le portrait, il faut ajouter que le chevalier était un
esprit très ouvert et très cultivé, formé par ce qu'on appelle-
rait aujourd'hui « un programme d'études modernes ». Il ne
reçut dans son enfance que l'instruction nécessaire pour être
admis dans l'armée ; mais il ne cessa, dès sa jeunesse, de la
développer par le travail intellectuel et des lectures variées et
sérieuses. L'inventaire de son mobiliei'. dressé au moment de
1. Mémoires pour servir à nii.stoire de Purl-Roijul. par Fontaine,
IV, 226 et s.
2. Cousin, Madame de Sablé (éd°° de ISti.ji, iu-i2, 227 et s. —
Sainte-Beuve, Causeries du lundi, XIV, 159 et s. (Article sur les
Lettres de la mère Agnès Arnauld).
VIII INTRODUCTION
son mariage, a passé sous nos yeux chez le notaire qui en con-
serve la minute : il révèle que le chevalier possédait une col-
lection assez nomhreuse de livres bien choisis en tout genre
qu'il tenait même à accroître. Une de ses lettres informa la
duchesse de Savoie qu'il était allé le jour même acheter des
ouvrages italiens et espagnols à la vente que le Parlement
faisait faire de la ))ibliothèque du cardinal Mazarin ;12 Janvier
IG52). Un témoignage précieux sur ce point est fourni pai' un
passage intéressant des Mémoires d'Henri de Campion, qui
nous reporte au temps de la campagne de Franche-Comté ^ :
Pendant ce repos, j'avais mes livres qui faisaient une partie
de la charge de ma cliarretle. auxquels je m'occupais assez sou-
vent, tantôt seul et la plupart du temps avec trois de mes amis
du régiment (de Normandie), gens spirituels et fort studieux. Le
chevalier de Sévigné, Breton et capitaine du corps, en était un :
homme d'un esprit studieux qui avait beaucoup de lecture et qui,
depuis son enfance, avait toujours été dans la guerre ou à la
Cour... Après avoir raisonné ensemble sur les sujets qui se pré-
sentaient, sans dispute ni envie de paraître aux dépens les uns
des autres, l'un de nous lisait haut quelque bon livre dont nous
examinions les plus beaux passages pour apprendre à bien vivre
et à bien mourir, selon la morale qui était notre priucijiale
étude.
Les livres ne furent passes seuls maîtres : ce fut, à la Cour,
où il venait dans les intervalles de ses campagnes, qu'il com-
pléta son instruction, sa connaissance des hommes et son
expérience. On ne peut douter iiu'il n'oljserNàt attentivement
ce qui se passait, particulièrement dès le début de la régence si
troublé(5 d'Anne d'Autriche : il y suivil, avec une cui-iosilé
éveillée, la lutte des ambitions, le jeu des intrigues politiques
ou galantes. L'opinion (ju'il se forma sur les affaires puliliqtics
I. Mniiuirci, p. (ST.
INTRODUCTION. IX
cl siii- ciuix qui ) jouaient un iVdc fut certainement influencée
par laseendanl qu'cxerra sur lui le futur cardinal de Retz,
par sa vive intelligence et sa i)arole lacile. L'alliance créée
entre leurs maisons par le mariage de Charles de Sévigné con-
Iriliua à entraîner dans son orbite quelques-uns de ses alliés ;
ses séductions personnelles tirent le reste. Le chevaliei" se
trouva à Paris en 1611, Tannée même où labbé de Gondi.
nommé dés Tannée précédente, prit possession de sa coadju-
torerie, et il rerut Tliospitaliié chez lui, au petit arcbevêdié.
ainsi ciue le mentionne une procuration qu'il donna à un man-
dataire pour le représenter au contrat du mariage du marquis
de Sévigné, son neveU; avec M"" de lîabutin-Cbantal. Les
pourparlers commencés au mois de mars traînèrent en lon-
gueur : un duel où le tùlur mari tut blessé et d'autres causes
retai'dèrent l'accord détinitif. llenaudde Sévigné. rappelé à l'ar-
mée d'Italie, ne put y apposer sa signature : son porteur de
pouvoirs eut ordre de s'en rapporter à l'avis du Coadjuteur '.
Promu maréchal de camp, le 1*'" mai 161G, il servit en cette
(jualité, Tannée même, à la prise de Piombino. et au siège de
Crémone, en 1647 : il était encore en Italie en 1648, fatigué,
non de servir — depuis vingt ans il avait pris pari à toutes les
campagnes, — maisTaJjandonoù on laissait les truii];es Dourries
à grand'peine, sans argent, autre que celui que les généraux
empruntaient sur leur vaisselle et leurs pierreries, le découra-
geait ; il avait connu Le Tellier, intendant de Tarmée : il recou-
I. Procuiation du IGniai 1644 reçue par deux notaires du Clià-
telet. — Ces instructions furent aussi celles que Renaud de Sévi-
gné de Montmoron, conseiller au parlement de Bretagne, curateur
du marquis de Sévigné. donna au même mandataire. Jehan
Lemoyne, Sï'de la Maisonneuve. secrétaire du Roi, par sa procura-
tion du 26 juin 1644 iBertelot, notaire royal à Rennes). Ce dernier
signa le contrat en juillet suivant.
X INTRODUCTION,
mt à lui lorsque celui-ci fut devenu ministre, avec une entière
franchise, ne lui cachant ni ses impressions, ni sa manière de
voir : il lui écrivit plusieurs fois, notamment le 8 août 1648,
pour lui demander de le sortir d'une façon ou de l'autre de la
misère où il était. LeTellier le rappela à Paris : ce fut, malheu-
reusement pour lui, la fin de sa carrière militaire ^ La Fronde
y grondait, et il s'y engagea à la suite du Coadjuteur, de son
neveu et de quelques amis — lui. le brave officier général,
sous le drapeau de la guerre civile.
If.
Pendant qu'il guerroyait au delà des Alpes, son service et
les commandements dont il fut pourvu lui donnèrent l'occa-
sion d'entretenir des relations personnelles avec Madame
Royale, — Christine de France, sœur de Louis XIII, duchesse
] . Voir ses lettres à Le Tellier que nous publions [Appejidice, IV,
p. 263). — Ces documents montrent tout ce qu'il y avait en lui
d'indépendance et de fierté naturelle : ainsi, très intimement lié
depuis longtemps avec le président Barillon, un des magistrats
les plus remuants du Parlement de Paris, plusieurs fois exilé dès
I G.jl , et considéré comme assez dangereux pour que Mazarin le fit
arrêter, le 29 mars 16-45. et conduire au château de Pignerol, le
chevalier n'hésita pas, étant dans ces parages, à courir à son appel,
à le visiter et à l'assister dans la maladie dont il mourut quelques
jours ai^k-ès (30 août 1645). Le bruit courut à Paris, dans le groupe
des opposants ([ue le premier ministre l'avait lait empoisonner,
tant on s'imaginait que celui-ci avait intérêt à sa mort. Sans
crainte d'avoir déplu, M. de Sévigné, dans les termes les plus
francs, rendit immédiatement compte à Le Tellier de ce (ju'il avait
fait (pages 263 et 264).
ÏNTRODUCTlON. XI
régente de Savoie <. Cette princesse, mariée en 1619, à Victor-
Amédée, duc de Savoie, resta veuve, en 1637, chai-gée de la
régence du duché. De deux fils quelle avait, le second, Charles-
Emmanuel II, succéda à l'aîné dès 1638, et, devenu majeur,
conserva à sa mère la direction du gouvernement. La tâche de
celle-ci fut lourde, et, sans rechercher si sa conduite morale
fut exempte de reproches, il faut reconnaître qu'elle ne faillit
pas à ses devoirs de régente ^. Elle lutta éncrgiquement contre
les Esi)agnols qui envahirent ses Etats et, dans sa capitale
même, contre les frères du feu duc qui contestaient son auto-
l'ité. Richelieu vint à son secours ; seulement elle dut accepter
quune armée française continuât à occuper fortement le Pié-
mont et eût une garnison dans la citadelle de Turin. Après la
mort du grand cardinal, l'Espagne reprit ses incursions et
assiégea plusieurs places, entre autres celle de Casai qui avait
une notable importance et dont la résistance ne pouvait être
indéfinie, malgré le courage et le ténacité des Français qui la
défendaient.
Par ailleurs, il n';y avait à opposer aux ennemis que des
eflectifs réduits, difficilement nourris et rarement payés.
Tel élait letat des choses en Italie quand le chevalier rentra en
1. Christine ou Chrestieane, fille d'Henri lY et de Marie de
Médicis, née au Louvre, à Paris, le 10 février IGOG, y fut mariée le
10 février 1619 à Victor- Amédée, duc de Savoie, qu'elle perdit à
Verceil, le 7 octobre 1637, et mourut à Turin, le 27 décembre 1663,
ayant eu cinq enfants, deux fils et trois filles.
2. Une note des papiers de Conrart (tom. XI) la dépeint grossiè-
rement débauchée, cruelle, tyrannique, injuste, hypocrite [Cabi-
net historique, XXII (1876), 85 et 94). Ce n'est pas le jugement
définitif de la postérité sur cette princesse qui a exercé le pouvoir
tlans des circonstances très difficiles et a eu beaucoup d'ennemis.
On tirera des conclusions bien différentes du grand travail de
M. G. Claretta {Storia délia RegenzadiCristina di Francia, duchessa
diSavoia, Torino, 1868-1869, vol. in-8).
b
XII INTRODUCTION.
France, laissant à Madame Royale le souvenir d'un otïicici'
intrépide, loyal, intelligent, dévoué à ses intérêts, admirateur
passionné des qualités viriles de cette femme supérieure, enfin
iligne d'une entière confiance. Dans les entretiens qu'il avait
souvent avec elle, il abordait toutes les questions politiques et
militaires qui la préoccupaient : sa correspondance avec Le Tel-
lier en fait mention, et l'on y voit qu'il se portait garant vis-à-
vis de lui de son absolue loyauté envers la France. Ces conver-
sations touchaient iiécessairemiînt à d'autres sujets, lorsqu'il
revenait de la Cour, où il faisait provision d'observations inté-
ressantes et d'anecdotes piquantes. Il était un correspondant
tout trouvé pour le jour où elle aurait besoin d'être informée
par un ami de Paris, à l'esprit curieux, avisé et pénétrant. —
fùt-il franchement et ardemment partial, — des événements, des
intrigues et des bruits dont il inipoilait qu'elle fùtinstruite.
Le chevalier revint à Paris à la fin de 1648 : Olivier Le
Fèvred'Ormesson dina avec lui, le 20 décembre, chez la jeune
marquise de Sévigné : il y parla de la situation désespérée de
Casai et de sa reddition prochaine * . De graves troubles se
préparaient : le Coadjuteur, dont l'ambition visait au plus
haut, travaillait depuis plusieurs mois, par ses intrigues et ses
largesses, à devenir l'idole de la populace parisienne, avec la
pensée de s'en servir en temps utile pour se faire proclamer le
maitre de la capitale : le prélat avait, selon l'expression du
chansonnier iNIarigny. « vendu sa crosse pour une fronde ».
lîenaud de Sévigné, tout acquis d'avance à cette nuance de
l'opposition, se joignit à lui à la suite de son neveu, et n'eut
l»as longtemps à attendre pour affichei' ses préférences. On
apprit, le6 janvier suivant, des le matin, que. la nuit précé-
dente, la Pleine emmenant le Roi et suivie d'une partie de la
1. Journal, 1, 578.
INTRODLCTIO.X. XIII
Cour, (luiLlant Paris clandestinement, s était rendue à Saint-
C'.('rinain-(Mi-La)0, où elle établissait le siège du gouvernement:
ce fut un grand émoi dans la population, parmi les Frondeurs.
Aime d'Auti'iche invita un grand nombre de personnages de
mnr(iue à venir sans retard la rejoindre, et. parmi ceux-ci, le
Coadjuteur. {[u\ promit d'y aller, avec lintention formelle de
n'en rien faire. Il joua la comédie de la soumission par un
faux départ : après avoir vertueusement repoussé les instances
qu'on lui fit de tous côtés pour le retenir, il monta ostensi-
blement en voilure pour prendre la route de Saint-Germain ;
mais des gens à lui arrêtèrent sa marche, battirent ses domes-
tiques, renversèrent son carrosse : des femmes du Marché-
Neuf « pleurantes et hurlantes » le rapportèrent chez lui sur
un étal. Contraint et forcé en apparence, il resta à Paris et se
contenta d'exprimer à la Reine et à Monsieur le Prince sa dou-
leur d'avoir si mal réussi dans sa tentative : « La première,
écrit-il dans ses Méritoires, répondit au chevaher de Sévigné,
qui lui porta ma lettre, avec une hauteur de mépris. Le second
ne put s'empêcher, en me plaignant, de témoigner de la colère.
La Rivière éclata contre moi par des railleries, et le chevalier
de Sévigné vit clairement que les uns et les autres étaient
persuadés, qu'ils nous auroient dès le lendemain la corde
au cou. »
Paris n'avait guère à craindre un siège en règle ; mais l'ai'-
mée royale qui n'était pas assez nombreuse pour l'assiéger,
pouvait attamer la ville en l'empêchant de se ravitailler. Il fal-
lait y aviser : les ducs d'Elbeuf, de Brissac et de Bouillon
levèrent chacun un régiment pour assurer la sécurité des con-
vois de denrées et de bestiaux. Le Coadjuteur, à leur exemple,
en forma un de cavalerie, levé des deniers pubhcs, dont il con-
fia le commandement à son allié le chevalier et auquel il donna
le nom de son dirche\èché in par libus, avec cette devise : ///.
XIV INTRODUCTION,
corda inimicorum régis*. Le régiment de Corinlhe lui 1 objei
de tous ses soins : « Il s'étoil efforcé de le rendre bon : il le
voyoit souvent en bataille et le tournoit. bien monté, avec deux
pistolets à l'arçon de sa selle pour lui inspirer de la bra-
voure'^. »
Le moment vint de faire appel aux services de cette troupe
si peu exercée. Le jeudi, 28 janvier, dans la soirée, M. de
Sévigné sortit de Paris, avec cent cinquante hommes de cava-
lerie — on a aussi dit trois cents — et plus de cent hommes
d'infanterie du régiment de Bouillon, pour aller i-ecevoir un
convoi de vivres qui devait se rénnir à Longjumeau. Il se diri-
gea vers cette localité, laissant en passant au pontdAntony. pour
assurer son retour par cette route, son infanterie, qui s'y barri-
cada dans une maison d'assez bonne défense. Ses mouvements
n'échappèrent pas à la vigilance de Philippe de Olairambault.
comte dePalIuau. mestre de camp général de la ca\alerie légère,
qui commandait l'armée l'oyale. Ce qu'une reconnaissance bien
conduite lui apprit, lui dicta ses dispositions. Il fit deux hgnes
de sa cavalerie, prit la tête de la première, mettant son infante-
rie à la droite, et donna le commandement de la seconde ligne
à M. de Vallavoire. mestre de camp du régiment de cavaleiie
du cardinal Mazarin : arrivé au pont d'Antony. il fit attaquer
par son infanterie celle du régiment de Bouillon, qui refusa de
se rendre et résista de son mieux ; le feu fut mis à la porte de
la maison dans laquelle elle était barricadée ; (juinze des défen-
seurs ayant été tués dans l'attaque, le reste se iTudit à discré-
tion, avecles officiers et un sergent.
Lorsque le comte de Palluau se fut assuré des prisonniers,
1. Dubuissoij-Aubenay, Journal des guoirs civiles, p. 1-29.
2. Nicolas Goulas, Mémoires publiés par la Soeiété de l'histoire de
France, III, 2'i.
INTRODUCTION. \V
il marcha vers Longjumeau. M. de Sévigné revenait avec le
convoi, soixante charrettes et chariots chargés de farine et cent
pourceaux gras ; sa cavalerie était rangée en escadrons sur le
pavé ; M. de Palluau, à la tête de trois escadrons, la chargea
si vigoureusement qu'il la renversa et la mit en pleine déroute:
deux officiers et cinquante cavaliers tués, trente faits prison-
niers, cent cinquante chevaux et tout le convoi pris, tel fut le
résultat de cette rencontre. Le hrouillard permit au reste des
cavaliers parisiens de se sauver ^ . Quant au chevalier, il
échappa par miracle à la mort ou à la capture ; son cheval
l'ayant jeté dans un fossé, la cavalerie royale lui passa sur le
corps. On le crut tué : de Paris on l'envoya chercher dans un
carrosse ; il revint chez lui meurtri, mais non hlessé. Il y avait
fête ce jour-là dans la capitale ; c'était le haptème du fils de
M""" de Longueville que la Ville tenait sur les fonts baptis-
maux à Saint-Jean-en-Grève ; on y commenta l'événement.
Le Coadjuteur l'annonça lui-même à la séance du Parlement,
avouant la mort de vingt de ses cavaliers et la débandade des
autres ^.
A Saint-Germain, on fut très joyeux de ce succès dont le
récit assurément grossi y fut publié, dès le 30 janvier. On y rit
de l'aventure du régiment de Corinthe, et ce fut peut-être au
cercle de la Reine qu'on l'appela « la première aux Corin-
thiens », bon mot qui fit fortune '■. La défaite de la cavalerie
1. Nous avons résumé le compte rendu de cette affaire, pièce
très rare imprimée le lendemain à Saint-Germain : La défaite
d'une partie de la cavalerie du régiment de Corinthe et de celui d'in-
fanterie du duc de Bouillon, au Pont Ajitoni et sur le chemin de
Paris à Longjumeau, avec la prise d'un convoi de 60 charrettes
chargées de farine. 100 chevaux et autre butin 1649, in-4<»,
8 pages.
2. DuLuisson-Aubenay, ibid.
3. Guy Jolv. Mémoires (éd. de Genève. 1779. 2 vol. in-iî), I, 61.
XVI INTRODUCTION.
parisienne fil l'objet de quelques lignes dans une dépêche de
Brienne à lambassadeur de France à Turin : il y mentionna
que le chevalier de Sévigné s'était sauvé et qu'on avait pris
seulement deux capitaines prisonniers. On peut croire que le
chevalier, qu'on savait bien connu à la Cour de Savoie, ne fut
pas nommé sans intention ^ La Gazette même de Turin, en
confirmant, le 15 février, la défaite des Corinthiens, appi'it à
ses lecteurs qu'ils étaient commandés par le chevalier de Clie-
vigni (5ic),qui se sauva par miracle 2.
A Paris, en haut lieu, la vérité fut connue : mais les gazettes
et autres pubh cations, qui s'adressaient à la masse des lecteurs,
nu ne soufflèrent mot de cette déroute ou, par un procédé dont
le secret ne se perdra jamais, transformèrent .les fuyards en
soldats héroïques, presque en vainqueurs. Aussi, on lut. le
29 janvier, dans la Suite et troisième nrriccc du Courrier
Français apporianl toutes les nouvelles, que la nuit précédente,
cent soixante cavaliers du régiment de Corinthe, étant sortis de
Paris, furent rencontrés par six cents cavaliers et cent arque-
liusiers à pied des troupes mazarines : « Ils se battirent si
vaillamment qu'il en demeura sur la place plus des leui's que
de cette petite troupe conduite par le s"" du Sévigny qui ramena
1. Archives du ministère des Affaires étrangères. — Correspon-
dance de Turin, vol. 44 (lG'i9-1650).
2. Succesi del mondo, Gazette del signor Antonio Soccini, petit
in-f<* (Bibliothèque nationale de Turin, IV, 10). — Voir Le cavalier
desmonté (Paris, Vve Pépingué et Est. Mauroy, 1649, in-4° de
S pages) : Un volontaire de l'armée du Parlement faisant partie
d'une troupe envoyée pour protéger un convoi destiné au ravi-
taillement de la capitale y fait le récit de sa mésaventure : « J'y
allai, dit il, avec allégresse, mais je revins en fort mauvais
équipage. » Il fut renversé de cheval, et toute la cavalerie enne-
mie lui passa sur le corps. Le nom du régiment de Corinthe ne
se trouve pas dans cette brochure ; mais cola ressemble singuliè-
rement à la défaite des Corinthiens.
INTHOUUCTION. XVII
ses gens en sûrolé dans la ville, avec quelques paysans qui y
apportèrent des vivres'. » Envers, le gazelier Saint-Julien,
mentit moins effrontément -.après avoir parlé du baptême du fils
de M""' d(^Lonirucvillc, il continua ainsi :
La nuit devant (ju'il eut son nom.
Les cliL'vau- légers de Corinthe,
Crens à l'épreuve de la crainte,
Sur le chemin de Lonpjumeau,
Rencontrèrent, sous un ormeau,
Cent deux hommes d'infanterie
Et six cents de cavalerie,
Hommes qui n'étoientpas pour nous,
Sur lesquels, et boute à grands coups.
Donna notre petite troupe.
Qui pousse, qui bat et qui coupe.
Qu'on pousse, qu'on coupe et qu'on bat.
Qui livre et reçoit le combat
Et fait joliment sa retraite,
La partie étant trop mal faite,
Sévigny commandant pour nous 2.
Cette version, moins éloignée de la vérité et fournissant une
explication honorable de rinsuccès, trouva naturellement faveur
chez la marquise deSévigné, mal informée ou désireuse de sau-
ver la réputation mihtaire deson oncle. LorsqueLe Fèvred'Or-
messon,qui avait appris, le 30 janvier la défaite et ouï direquele
chevalier avait été tué, courut aux nouvelles chez la jeune
femme, celle-ci lui raconta qu'étant sorti de Paris avec cent
quatre-vingts chevaux, il avait été attaqué par « cinq cents che-
vaux et huit cents mousquetaires » ; qu'après la première
1. 1649, in-4o, p. 5.
2. Quatrième courrier français, iraiJiiil fidèlement en vers bur-
lesques, 1649, in-4°, p. 4. — Voir aussi l'édition moderne des (7our-
riers de la Fronde (18-57, 2 vol. in-1-2. IL 6).
XVIII INTRODUCTION.
charge, « ses gens s'en étoientfuis,ct, son cheval s'élanLabaLlu,
toute la cavalerie lui avoit passé sur le corps, dont il étoit tout
moulu, sans autre blessure * ».
Même à Paris, malgré tout, il y eut des rieurs pour la mésa-
venture du régiment de Corinthe ; le Coadjuteur n'en prit pas
son parti, et cet incident ne figura pas dans ses Mémoires. La
renommée du chevalier en souffrit, si le public, qui finit par
savoir ce qui était arrivé, a jugé, comme Goulas, « qu'il étoit
brave à la vérité, mais peu expérimenté capitaine^ ». Mais, en
réalité, la considération dont il jouissait dans le cercle de ses
relations n'en fut en rien diminuée : on comprit qu'une troupe
nouvellement levée devait fatalement être battue par l'armée
royale composée de soldats exercés et aguerris. Quant à M. de
vSévigné, il resta attaché de cœur au Coadjuteur et dévoué à la
cause de la Fronde dans laquelle il sengagea de plus en plus :
il la croyait juste. Il avait signé, dès le 15 janvier, le traité con-
clu entre les généraux, qui s'obligeaient, par un serment i-eli-
gieux, « à faire tout ce qui sera nécessaire pour l'exécution de
l'arrêt rendu le 7 du même mois, par le Parlement par lequel le
cardinal Mazarin a été déclaré perturbateur du repos public » ,
promettant d'ailleurs leur obéissance comme fidèles sujets du
Roi et de la Pieine régente ^ Néanmoins, pendant près de deux
ans, on parla peu de lui: il fut compris, en mars 1649, dans
une amnistie comprenant vingt-deux personnes, et proposé par
le Coadjuteur, en janvier 1650, pour une indemnité de vingt-
deux mille livrps. Quelques mois après, le marquis de Sévigné,
i. Journal, I, 544. — On lit à la page suivante que, le lundi
jer février, le chevalier qui était en état de sortir, vint le voir.
2. Mémoires, III, 24.
3. Mathieu Mole, Mémoires publiés par la Société de f histoire de
France, III, 327.
INTRODUCTION. XIX
son neveu, quiavait fait sapaixavec laCour, obtinlle brevet de
maréchal de camp ' .
Dans cette dernière année, des préoccupations plus person-
nelles le détournèrent momentanément do la politique active :
il eut à négocier les préliminaires de son mariage. Le 20 dé-
cembre 1649, les registres mortuaires de Saint-Sulpice de
Paris avaient enregistré Tinhumation de « M. de La Vergne,
maréchal des camps et armées du Roi, capitaine de la Marine
et lieulenant de M. le duc de Richelieu au gouvernement du
Havre- » : un an après, jour pour jour, sa veuve signa le con-
trat de sa seconde union avec le chevalier de Sévigné. Elisabeth
ou Isabelle Péna^, fille de François Péna, médecin du roi, d'une
famille de noblesse provençale qui avait marqué au parlement
d'Aix et s'était en partie transplantée à Paris et en Normandie,
avaitépousé, en 1633, Marc Pioche, écuyer, sieur de La Vergne,
veuf lui-même. De trois filles nées de ce mariage, deux étaient
entrées en religion : l'ahiée, Marie-Madeleine, destinée à être
une des femmes célèbres du xvii'^ siècle, sous le nom de M"""
de La Fayette, vivait avec elle. Ce convoi fut, pour la société
parisienne et pour la Cour, un événement notable que le gaze-
tier Loret signala en ces termes à ses lecteurs :
Madame, dit-on, de La Vergne,
De Paris et non d'Auvergne,
Voyant un front assez uni
Au chevalier de Sévisni,
1. C'est ce brevet du 8 juillet 1650 qui est reproduit dans nos
pièces justificatives { Appendice. Yl,i^. 268).
2. Biblioth. Nationale, mss. fr., n° 32.594.
3. Elle est nommée tantôt '(Elisabeth >\ tantôt « Isabelle » dans
les actes paroissiaux : dans le contrat de mariage du 20 décembre
1650, elle est appelée « Elisabeth » et elle a signé « Isabelle » qui
est le nom inscrit dans l'acte de son inhumation.-
XX INTRODUCTION.
Galant homme et de belle taille
Pour aller à la bataille,
D'elle seule prenant aveu,
L'a réduit à rompre son vœu,
Si bien, qu'au lieu d'aller à Malte,
Auprès d'icelle il a fait halte
lîn qualité de son mary.
Qui n'en est nullement marry.
Cette afiaire lui semblant bonne.
Mais cette charmante mignonne
Qu'elle a de son premier époux
En témoigne un peu de courroux.
Ayant cru, pour être fort belle.
Que la fête seroit pour elle.
Que l'amour ne trempe ses dards
Que dans ses aimables regards ;
Que les filles fraîches et neuves
Se doivent préférer aux veuves
Et qu'un de ces tendrons charmants
^ aut mieux que quarante mamans '
C'était montrer 1res clairemeiil que le chevalier, quoique
quadi'agéaaire. était encore fort séduisant, et annoncer indis-
crètement que M""-" de LaVergne, avant ses dix-sept ans, aurait
pris pour elle les attentions qui s'adressaient à sa mère, celle-
ci d'ailleurs « fort belle- ». El ajoutons que M"" de La Vergue
apportait une fortune à ^L de Sévigné qui en avait besoin, un
hiMol rue de Vaugirard, d'autres propriétés, des rentes consti-
tuées, et avec un important mobilier, une bibliothèque consi-
dérable, celle du défunt, dans laquelle Fart, militaire, les ma-
1. La Muze historique, janvi-; IGôl. — Ni le gazetier ni
aucune pièce du temps, que nous sachions, n'a donné la date de
la bénédiction nuptiale qui n dû suivre de près la signature du
contrat.
•2. Lettre du baron de Grésy à Madame Royale, Appendice, X\ ,
n° -i.
i.N'iiîom CTio.N. XXI
lliéiualiqiios, les beaux-arts, riiistoire et les belles lettres élaienl
largement représentés : voilà ce que révèle Tinventaire dressé
après le décès de ]M. de La \'erfrne et le contrat de mariage
que nous publions^ assurait au futur, comme don de survie,
on pleine propriété, une part d'enfant dans la succession delà
future, avec le choix laissé à ses enfants d'abandonner au mari
survivant l'usufruit de toute la fortune mobilière et injjnobi-
lière. M""^ de La Fayette, seule héritière de sa mère, ayant opté
dans ce dernier sens, le chevalier resta jusqu'à sa mort en j)os-
session d'une très belle aisance.
Cette union faisait en outre participer M. de Sévlgné à la
haute protection dont une grande dame avait honoré sa femme
et M. de La Vergue. Cedernier avait été le gouverneur d' Armand-
Jean de Maillé de Bré/.é, fils du maréchal de France de ce nom
et neveu du cardinal de Richelieu, et devint un des familiers de
Marie-Magdeleine de A'ignerot, dame de Combalet. nièce de
l'illustre ministre, faite duchesse d'Aiguillon en 1638. qui lui
confia l'intendance de sa maison 2. Elle fut la marraine de sa
fille aînée qu'elle suivit toujours avec intérêt ^. Elle continua
sa bienveillance à la veuve remariée; sa grande signature s'étale
au-dessous de celle du Coadjuteur au bas du contrat de mariage
de 1650. De son côté le chevalier avait un lien d'alliance avec
Marie-Françoise du Guémadeuc, mère du duc et du marquis
de Richelieu, ses neveux : nous verrons plus loin avec quel
empressement, à l'occasion de ce dernier, il s'employa pour
rendre service à la duchesse.
1. Appendice, YI, p. 261).
2. D'abord capitaine au régiment de Picardie, puis capitaine
entretenu sur l'état de la Marine, il dut à ses relations d'être lieu-
tenant au gouvernement du Havre et promu maréchal de camp.
3. Ce fut la duchesse d'Aiguillon qui obtint sans doute pour
M>i« de La Vergue le poste de demoiselle d'honneur de la Reine,
que la jeune fille garda de IG.jO à 1655.
XXII INTRODUCTION.
Une fois marié, Tancien chevalier de Malte jugea que la for-
tune qu"il devait à son mariage, ses relations et son grade mili-
taire comportaient un litre nobiliaire. Il fallait lintervention de
la puissance publique pour ériger une terre en dignité ; mais le
Roi. Fusage et la société sanctionnaient les titres personnels
que des membres de la noblesse, grandis par leurs alliances,
leurs richesses ou leurs emplois, accolaient à leur nom, de leur
propre autorité, pour confirmer et soutenir leur nouvelle situa-
tion. C'était ainsi qu'Henri de Sévigné, fils du baron d'Olivv'ît.
peu avant d'épouser ]\I"'= de Rabutin-Chantal, s'était titré mar-
quis sans que nul protestât. Il était chef de la branche aînée ;
aussi son oncle, comme cadet, aurait pu se contenter du titre
decomte; ce futsansdoute pour plaire à sa femme que lui aussi
se titra marquis, afin qu'elle fût marquise comme sa jeune
nièce. Nous en trouvons la preuve dans les pièces que nous
publions: mais les mémoires contemporains, l'acte d'inhuma-
tion de M™^ de Sévigné. les actes relatifs à la succession de son
mari sont muets sur ce point : aussi nous conservons à René-
Renaud de Sévigné son ancien titre, sous lequel il est connu de
la postérité '.
Il y eut donc pendant quelque temps une nouvelle marquise
de Sévigné — « l'ancienne « . comme on disait, pour la distinguer
de l'autre. — qui ouvrit sa maison à de nombreux amis qu'atti-
raient les grâces de la dame du logis ; l'abbé Costar et Scarron
lui adressaient des lettres qui ont été imprimées, ce dernier
parle dans lune d'elles « des beaux esprits et des beaux hommes
qui faisoient chez elle de grosses assemblées ». Les charmes de
sa fille, dont l'instruction avait été soignée, n'étaient sans doute
I. Nous signalons cependant un reçu notarié d'arrérages de
rentes sur les Aides, du 30 janvier 1664. donné par « Arnault
(5tc)-René de Sévigné, chevalier, marquis rie Sévigné » (Biblioth.
nationale, Pièces originales, vol. '?. 699. dossier 59.942. n" •2\\.
INTRODUCTION. XXllI
pas étrangers à cet empressement ; mais on peut croire quelle-
même ne manquait ni d'esprit ni d'agrément dans sa conversa-
tion; on pourra la juger par ce que nous avons retrouvé de sa
correspondance avec Madame lîojalo et par ce que son mari
dit délie dans sa lettre ci-après du 1" décembre 1651 à laquelle
la duchesse de Savoie a répondu avec tant de bonne grâce. L<>
cardinal de Retz la dépeint « bonne personne, hoimèle Jemnie,
vaniteuse, assez naïve et fort empressée ». Cette appréciation,
peu bienveillante dans la pensée qui la dictée, jtourrail avoir
quelque poids venant de lui, car il a beaucoup fi-équenlé sa
maison et a été à même de l'étudier de près. Son jugement ne
fut-il pas intluencé par des ressentiments personnels "? Il lui
tint peut-être rancune de la résistance inébi-anlable que M"*^ de
la Loupée qu'il rencontrait souvent chez M""= de Sévigné, en
1651, opposa, à cette époque, à une entreprise galante, con-
duite cependant avec un grand art. Cette jeune fille, amie in-
time et la plus proche voisine de W^'' de La Vergue, qu'elle
voyait constamment, lui semblait dune conquête facile: il com-
ptait pour y parvenir sur l'attachement du chevalier, l'habitude
qu'il avait dans sa maison et ce qu'il savait de l'adresse de sa
femme, — c'est lui qui le dit cynicjuement dans ses Mémoires.
L'échec complet qu'il subit lui tut très sensible. Ce ne fut pas
tout : étant détenu, en 1654, au château de Nantes, il y reçut
la visite de M""" de Sévigné et de sa fille : M"" de La Vergue,
qui lui plaisait beaucoup, lui témoigna une grande froideur ;
il pensa que peut-être elle n'avait pas d'inclination pour lui et
qu'aussi sa mère et sou beau-père l'avaient depuis Paris pré-
munie contre ses propos galants, en lui révélant ses incons-
tances et ses fréquentes amours. Il se consola de sa cruauté,
l. Catherine-Henriette d'Angennes. plus tard comtesse
d'Olonne, que la chronique médisante n'a pas épargnée.
XXIV INTnODLCTIO.
(lil-jl; mais s'en coiisola-L-il sans en vouloir a la mère avisée
et prudente?
Quoi qu'il en soit, le chevalier trouva le bonli<Hir dans cette
union, qui ne datait que de quelques semaines lorsqu'un évé-
nement inattendu le frappa dans ses affections de famille : son
neveu, le marquis de Sévigné, prodigue et libertin, qui s'épre-
nait si facilement des femmes des autres et négligeait la sienne
parce qu'elle était à lui. fut entraîné à croiser le fer. le 4 février
16.5 1 , avec le chevalier d'Albret, qui le blessa mortellement. Marie
de Rabutin-Chantal restait veuve à vingt-cinq ans. avec deux
jeunes enfants, — son lîls Charles, et sa fille Françoise-Mar-
guerite, qui fut M^Me Grignan. — dont le plus âgé n'avait pas
quatre ans et demi. L'assemblée des parents se réunit devant
un juge du Chàtelet, au mois d'avril suivant, pour pourvoir à
la tutelle des mineurs ; leur mère fut élue tutrice, et l'on dési-
gna, selon le vœu delà loi, leur grand-oncle paternel. Renaud
de Sévigné, seigneur de Cbampiré, l'un des plus proches dans
la ligne paternelle, pour être leur subrogé-tuteur ou curateur *.
La marquise eut pour l'aider dans la reconstitution de sa for-
tune, que les prodigalités de son mari avaient sensiblement
diminuée, à Paris, le concours dévoué et infatigable de son
oncle l'abbé de Coulanges, en Bretagne, à l'occasion, celui d'un
\\n\\ cousin de la branche cadette, le conseiller Renaud de
Sévigné de Moutmoron; le chevalier s'acquitta aussi conscien-
cieusement des obligations qui lui incombaient. Il sut défendre
on outre intrépidement l'honneur de sa nièce. Lorsque celle-ci,
I . Ceux qui ii'ussistènuit pas personnellement à cette assemhlco
s'y firent représenter : c'est ainsi que Jean-François de Gondi.
archevêque de Paris, grand-oncle des mineurs du côté de leur
aïeule iiaternelle, donna procuration notariée, le 7 avril I(i51, à un
mandataire chargé d'all(>r à sa iilace élire tutrice leur mère, et
subrogé tuteur le chevalier de Sévigné.
INTRODUCTION. XXV
l'année suivante, après lexpiration de son grand deuil, fut ren-
trée à Paris, elle ouvrit de nouveau sa porte aux visiteurs
aimables qui firent assaut de soins et d'attention: mais la paix
ne irL'na pas toujours entre ceux-ci. Un jour de juin 165:?, le
duc de Rohan-Chabot et le marquis de Tonquedec, ses alliés,
échangèrent chez elle des propos assez vifs, et M""" de Kohan
s'en mêla, en jetant quelques impertinences à la jeune veuve.
Les amis de la marquise prirent fait et cause pour elle contre
Kohan. et le chevalier, se croyant insulté dans la personne de
sa nièce, lui envoya un cartel, ainsi que lannonça le gazetier
Lorel :
Le cliovalipr fie Sévigny,
Ayant un dépit infini
Par l'action peu révérento
Qu'on fit chez sa belle parente.
Voulait faire, le jour de Saint-Jean.
Appeler Monsieur de Rohan '.
D'après Conrart qui en parle dans ses Méritoires, ce dernier
accepta le cartel, et tous deux se rencontrèrent hors de la ville
où, au moment où ils allaient se battre, ils furent arrêtés par
un exempt du duc d'Orléans, qui les confia chacun à un garde;
l'alTaire en resta là. Le gazetier la raconta autrement : le duc
de Rohan. arrêté au (ommencement dun précédent duel avec
le marquis de Tonquedec et surveillé par un garde, n'aurait pu
tromper sa vigilance qui :
A rendu jusques ici vaines
Ces tentatives, soins et peines,
Tant de lui que de l'appelant
Que l'on dit être un vert galant.
La provocation du chevalier neut pas d'autres suites.
1. La Muze historique, 25 juin 1(J52.
XXVI INTRODUCTION.
Revenons à l'année 1651, au commencement de laquelle, il
signa, à côté de son neveu, le traité conclu avec les représen-
tants des Princes incarcérés au Havre. Il restait, malgré tout,
invariablement attaché à la jtersonne et à la cause du Coadju-
teur. toujoui's prêt à marcher auprès de lui et à le soutenir,
comme il le fit lors des démêlés de son ami avec Monsieui- le
Prince. Les Mémoires du cardinal de Retz le nomment parmi
les gentilshommes qui se partagèrent les hommes et les postes
pour garantir la sécurité de Paris contre un coup de main de
Condé; deux jours après, il accompagnait le prélat qui, avec
trente ou quarante curés de la capitale, conduisait la procession
de la Grande Confrérie; il put voir, sur le parcours, le carrosse
du prince la rencontrer et s'arrêter, et celui-ci en descendre et,
aventure assez plaisante ^. recevoir à genoux la bénédiction
archiépiscopale.
III.
Nous arrivons au moment oii le chevalier a accepté la tâche
d'informer la duchesse de Savoie de tous les événements poh-
tiques et militaires qui se croisent à cette époque de la Fronde
où la guerre civile sévil de tous côtés, où les intrigues et les
compétitionsdes chefs départi sont de plus en plus inquiétantes
pour la monarchie ; la première lettre que nous avons de cette
époque est du 21 septembre ; c'est à partir du 24 novembre que
commence pour nous celle chronique pleine dinlérèt. ce jour-
nal hebdomadaire qui, jusqu'à la fin de décembre 1652;don-
1. C'est ainsi que la qualifie le cardinal de Reiz. — Voir sur
ces incidents ses Mémoires (éd. Cluimpi)lliou-Figeac, III, '214,
231 et 232).
INTRODUCTION. XXVU
liera a Madame lîoyale la physionomie de la situation, qu'elle
a besoin de bien connaître pour loi'ientalion de sa politique,
— cequise passe, quelleestla faction qui a des chances de triom-
pher'. Son ambassadeur, qui entretient avec la Cour des rela-
tions officielles, la met au courant de ce qu'il voit, de ce (j[u"il
apprend et de ce qu'il devine; mais les lettres du chevalier
sont un précieux élément de contrôle, d'autant plus qu'il est
l'ami du Coadjuteur, du futur cardinal qui. pourvu de la
pourpre, peut, à un moment donné. s'ini])oser à la Cour et
devenir premier ministre, arbitre de la politique extérieure.
Aussi, tout en se maintenant avec Mazarin et avec la Reine sur
le pied des relations les plus amicales, elle en a de non moins
amicales avec leur adversaii-e, soit directement, soit surtout
par l'intermédiaire du chevalier, son ami et admirateur, qui
travaille à son élévation, dont le succès le comblera de joie, et
dont l'échec définitif sera pour lui un effondrement.
Nous n'avons rien appris des pourparlers à la suite desquels
il devint le correspondant attitré de ^Madame Royale ; c'est pro-
bablement lui qui, la sachant avide de nouvelles, s'offrit à rem-
plir cet office avec le dévouement et le désintéressement qui le
caractérisent. Les lettres de la duchesse que nous reproduisons
et certainement celles dont les minutes manquent encore, mais
dont nous avons la trace, l'en remercièrent, presque chaque
fois, avec effusion. M"'^ de Sévigné écrivit aussi à Madame
Royale, non seulement pai- devoir de déférence, pour lui « rendre
ses très humbles services ». mais en outre, sur sa demande.
1. Nous signalons avec regret que les premières chroniques
n'ont pas été conservées. Les remerciements que Madame Royale
a adressés au chevalier, le 17 novembre, les 2 et 9 décembre 1651,
se réfèrent à quatre lettres de celui-ci, dont trois nous manquent,
celles des 3, 10 et 17 novembre ; celle du 2-i novembre a seule été
retrouvée.
XX VIII IM'ltODUCTION.
pour suppléer son mari parti en exil : de ce commerce épislolaire,
les archives de Turin ne conservent que trois lettres publiées
ci-après : les autres eussent été intéressantes à lire *. La cor-
j'espondance du chevalier a pourprincipal mérite dètre lœuvre
dun homme consciencieux et véridique qui, laissant aux autres,
c'est lui-même qui Tavoue à la duchesse, « le partage de bien
écrire », ne visait qu'à « celui décrire sincèrement et vérita-
blement ». Il peut être, sur certains points, naïf, confiant, cré-
dule, mais ce qu'il dit avoii- vu de ses yeux et entendu de ses
oreilles, on ne saurait douter qu'il ne l'ait vu ou entendu ^
Prenant au sérieux son rôle d'informateur de Madame Royale,
il n'hésite pas à lui faire part de nouvelles encore secrètes
qu'il confie à sa discrétion, à la condition de pas laisser traîner
sa lettre « sur la table d'argent de son cabinet rond ». sur
laquelle il avait « eu l'honneur d'y lire maintes relations ». ce
qui montre en outre, sur quel pied de confiance et d'estime il
avait été reçu à la Cour de Turin ^.
Pendant quatorze mois, le chevalier de Sévigné ne prit,
pour ainsi dire, aucun repos. La tâche qu'il avait assumée le
tint toujours en éveil, l'esprit tendu, l'oreille aux écoutes, les
yeux ouverts pour ne rien perdre des conversations instruc-
tives, des bruits utiles à recueillir, des comédies sous lesquelles
se cachaient tant de fourberies, des nouvelles de la Cour et de
celles de Paris, ainsi que de la province, — émeutes de la rue,
séances du Parlement, guerre civile. Il fallait qu'il suivît dans
leur jeu tous les acteurs principaux de cette grande scène : la
Reine et Mazarin, que celui-ci fût près d'elle ou au loin; le
duc d'Orléans, ce premier prince du sang de qui le Coadjuleur.
1. Lettres de Madame Royale, 18 janvier et 8 février 1653,
pages 234 et 235.
2. Lettre du 22 avril 1652, p. 95.
3. Lettre du !» janvier 1652, p. 46.
IMT.O DICTION. XXIX
le Pai'lement et nombre de Frondeurs attendaient le coup d'au-
dace qui les rendraient maîtres de la situation et forcerait le
ministre abhorré à une retraite déiînitivc; la Grande Mademoi-
selle, dont son père avait peur et qui agissait au gré de ses
caprices ; le prince de Condé, qui a déjà traité avec TEspagne et
que son ambition et sa fierté blessée mèneront si loin ; le duc
de Lorraine, et les autres princes, et les agents d'intrigues et
d'accommodement. Il avait aussi à mettre la duchesse au cou-
rant (les faits, gestes et démarches de celui qui, dans sa pensée,
devait nécessairement remplacer Mazarin à la tète des affaires,
et qu'il présentera toujours sous le jour le plus favorable,
sauf cependant lorsqu'il le soupçonnera d'intentions qui blessent
ses principes. Et chaque semaine, généralement le vendredi,
rassemblant ses souvenirs, ses notes, les renseignements
venus de ses amis, les feuilles volantes les plus récemment
parues, il eut à composer une chronique plus ou moins longue,
selon rimportance et l'abondance des nouvelles ; il ne se prive
pas d'y insérer, outre des protestations de dévouement à la
liaison Royale de Savoie, ses appréciations personnelles, ses
jugements sur les hommes et sur les faits ; la duchesse qui
connaissait l'intensité de ses haines et de ses passions poli-
tiques, sut bien certainement ce qu'elle en devait prendre ; des
médisances mondaines et des anecdotes piquantes y trouvaient
])lace de temps en temps, pour égayer son auguste correspon-
dante. Celle-ci, à qui « l'ordinaire » du jour môme ou un cour-
rier d'occasion apportait la lettre de son fidèle chroniqueur,
entretint son zèle et son ardeur pai- des réponses reconnais-
santes, gracieuses, tlatteuses pour lui, pour sa femme et i)our
son ami. Et le secret de ces relations resta si bien gardé que
les écrits contemporains n'y firent pas même une allusion ; le
cardinal de Retz, qui y collabora par ses informations, jugea
inutile d'en parler dans ses Mémoires, et Mazarin, s'il en fut
informé, apprécia peut-être que c'était sans importance.
\XX INTRODUCTION
Nous n'aiialj serons pas celle correspondance; ce serait; à
propos du chevalier de Sévigné, refaire Thistoire de la Fronde
pendant ces quatorze mois. Nous nous arrêterons seulement à
quelques faits auxquels, sans parler de ceux qui le concernèrent,
son attention et son intérêt s'attachèrent plus particulière-
ment, et tout d'ahord à la promotion du Coadjuteur au cardi-
nalat, résultat, longtemps douteux, de longues et lahorieuses
négociations; elle fut faite le 19 février 1652 et, dès le 28. un
courrier expédié par le Grand-Duc de Toscane en porta la nou-
velle à Paul de Gondi qui s'empressa d'eu faii'e informer le
chevalier : « J"en ai une très grande joie, écrivit celui-ci à
Madame Royale, parce que cela l'attachera dans le service du
Roi ^» La vérité était que cette dignité lui donnait plus de
chances dohtenir le poste qu'il visait, s'il demeurait vacant ol
si le nouveau promu réussissait à s'imposer ; Mazarin. qui
voyait cela, aussi bien que lui et ses amis, fut dès ce moment
résolu à employer tous les moyens pour annihiler son ennemi
ou pour rabattre. Quant au chevalier, il fut heureux du triomphe
de son ami, heureux aussi des félicitations si chaleureuses
dont la duchesse de Savoie se hâta, à la première heure,
d'honorer le cardinal de Retz 2. Laissons de côté un incident
protocolaire soulevé par un secrétaire de Tambassade à Paris,
au sujet de la forme de la lettre officielle adressée par le Car-
dinal au duc de Savoie pour lui notifier sa promotion : il s'en
expliqua avec l'ambassadeur lui-même et l'incident i'ul (•los•^
Dans les mois qui suivirent, il n'y eut pas d'événement déci-
\. Lettres des 1" et 15 mars 16.')?, pages 76 et 79.
2. Lettres de Madame Royale au clun aller. 6 avril 16.r2, p. 04,
et au cardinal de Retz. Appendice, XIV, a°* 2 et i.
3. Lettres du chevalier, 2G avril, 3 et 10 mai 1652, pages lOi,
114 et 118. — Lettre de l'abbé d'Aghé à Madame Royale, 3 mai
1652, Appendice, XÎU, p. 308.
INTRODUCTION. XXXI
sif pour la pacification du royaume ; mais les nouvelles ne
manqueront jamais : faits lamentables de guerre civile ; une
émeute parisienne ; le Parlement de plus en plus séditieux ; son
iransfcrement à Pontoise où les magistrats fidèles au Roi for-
mèrent le Parlement royaliste ; lutte à coups d'arrêts entre les
deux Compagnies ; tentatives répétées d'accommodement des
Princes avec la Cour et annonces prématurées de traités qui
ne furent jamais conclus; désaccord grave entre Monsieur et
Monsieur le Prince, qui d"autre part poursuivit de sa haine le
cardinal de Ptctz ; départ de Mazarin : trahison du prince de
Condé qui prend les armes contre sa patrie. Tout cela occupa
vivement les esprits, sans préjudice des nouvelles mondaines,
telle que celle du retour en France du duc de Guise, de ses
amours avec M"^de Pons et de son refus de reconnaître la com-
tesse de Bossu pour sa femme. Le chevalier s'efforça d'être un
chroniqueur le mieux informé possible ; il continua son rôle
de minutieux historiographe de tous les mouvements de Paul
de Gondi. pour qui, après la question du chapeau, vint celle
du bonnet. Le nouveau cardinal, de peur d'un piège, n'osait
pas sortir de Paris et aller à la Cour, mais comme le Roi
répondit toujours par des refus lorsqu'il lui demanda la per-
mission de recevoir le bonnet d'une autre main que de la
sienne, il se décida, au mois de septembre, à se rendre à Com-
piègne oi^i eut lieu la cérémonie, en même temps que la récep-
tion d'une députation du clergé au cours de laquelle il fit une
harangue pour solliciter le Roi de revenir à Paris ; le chevalier,
qui avait tenu à accompagner son ami, en fut ravi^ Ce dernier
1. Lettre du 20 septembre 1652. p. 179. — Le chevalier n'a pas
fait l'éloge du discours de remerciement du cardinal soit qu'il ne
l'ait pas entendu, soit qu'il l'ait jugé sans importance, comme
étant de pure forme : c'est la harangue prononcée par son ami à la
tête de la députation du clergé de Paris qu'il a admirée.
XXXII INTRODUCTION.
partageait alors ses sollicitudes entre la France et le Piémont,
où les Espagnols assiégeaient limportante place forte de Casai
quune garnison française livrée à ses seules ressources défen-
dait énergiquement ; il était fatal qu'elle succombât, malgré
l'héroïsme de ses défenseurs, si elle n"était pas secourue à
temps. Ce fut pour le correspondant de Madame Royale dans la
dernière phase du siège et lors de la reddition de la forteresse,
Toccasion de témoigner de sa passion pour les intérêts de la
Savoie et daccuser la politique mazarine de honteuse indiffé-
rence ' .
Il faut arriver au -21 octobre pour voir s'éclaircir l'horizon
politique. Ce jour-là. le Roi rentra à Paris « avec toute l'au-
torité qu'il eût pu avoir dans un autre temps », aux applaudis-
sements delà population parisienne revenue de bien des rêves '-.
Il y eut une amnistie, mais les plus remuants parmi les membres
du Parlement et les partisans les plus dévoués des Princes
en furent exceptés et durent s'éloigner. M"^ de ]vIontpensicr
n'alla pas à l'armée, comme on le croyait, et se réfugia à la
campagne ; son père, à la suite d'un traité, se retira dans son
château de Blois, malgré les conseils du cardinal de Retz qui
était fort intéressé à ne pas rester seul, sans un appui, vis-à-
vis de la Cour. La Fronde était donc décapitée.
Ce fut peu après que le chevalier eut à mettre sa bonne
volonté au service de la duchesse d'Aiguillon dont un neveu,
le marquis de Richelieu, venait de faire un mariage qui la
révoltait : légalement assisté, il avait épousé, avec l'assenli-
mcntde la Reine, M""" de Beauvais. fdle de sa première femme
de chambre. M""" de Beauvais, maltraitée dans la correspon-
1. Lettres des 18 et 25 octobre 1652, pages 191 et 195. — LPttre
de Madame Royale du 23 octobre 1652. p. 194.
2. Lettre du 25 octobre 1652, p. 195.
INTRODUCTION. XXXIIJ
claiice (le M. de Scvignc, avait la double lare dune détestable
réputation sous le rapport des mœurs et d'une origine modeste.
Le jeune marquis enlevé par sa tante et conduit à Rueil. au
sortir de léglise, puis chapitré par le chevalier, laissa, quoique
très amoureux de sa femme, son autoritaire parente disposer
de lui ; elle l'envoya en Italie, espérant que les séductions de la
Cour de Turin le dégoûteraient de son alliance et le détermine-
raient à demander la nullité de son union. ]\I. de Sévigné le
recommanda chaleureusement à deux reprises aux bontés de
^ladame Royale, et, si l'amour du marquis triompha de tous
les obstacles, ce ne fut pas de sa faute '.
A cette même époque où il recevait de la duchesse de Savoie
les lettres les plus cordiales, une question de protocole faillit
supprimer les rapports personnels qu'il avait avec l'ambassa-
deur de son fds. L'abbé d'Aglié l'avait prévenu que, selon ses
instructions, il ne devait plus donner la main à aucun maréchal
de camp. Le chevalier qui estimait qu'il était par « ses quali-
tés de naissance, d'honneur et de prérogative » d'un rang supé-
rieur aux maréchaux de camp, fut froissé de ce procédé et cessa
ses visites ; mais voulant, sans céder sur la question protoco-
laire, continuer ses relations avec l'ambassadeur qui l'aidaient
fort à biai remplir sa tâche de chroniqueur de Madame Royale,
il fit proposer à l'abbé d'Aghé deles reprendre, sur le pied d'éga-
lité, à titie privé. Cette solution laissa intactes les prétentions
de l'un et «"e l'autre et termina l'incident-.
Une question plus grave le préoccupa. La situation du car-
dinal deRez restait indécise: celui-ci voulait qu'un traité lui
donnât des garanties et assurât à quelques amis des avantages
qui fussent a récompense de leur dévouement. A la Cour, on
1. Lettres les 15 et 22 novembre 1652, pages 207 et 210.
2. Lettres te l'abbé d'Aglié {Appendice, XIII, p. 305).
XXXIV INTRODUCTION.
ne s'y refusait pas, mais la conclusion se faisait attendre, à
cause de l'absence de Mazarin dont on annonçait le retour et
qui ne revint qu'en février 1653. Le chevalier voyait bien — sa
correspondance en fait foi — qu'on se méfiait de son ami. Le
cardinal, bien que prévenu quil se perdait, n'avait voulu ni
se réconcilier franchement avec son rival ni accepter Tambas-
sade de Rome. En réalité, on le considérait comme un adver-
saire toujours dangereux, quoique sa conduite fût correcte. Le
Roi et la Reine le recevaient avec des égards rassurants et
semblaient rechercher ses conseils ' : rien ne pouvait lui faire
soupçonner, non plus qu'à son ami. qu'ils oseraient attenter à
sa personne et qu'ils dissimulaient, sous des dehors gracieux,
le projet, déjà formé dans leur esprit, d'en finir avec lui par un
acte de violence. La surprise fut d'autant plus grande.
IV.
Le 19 décembre, vers midi, le cardinal de Retz qui venait de
passer une heure, sans aucune défiance, avec le Roi et la Reine,
fut arrêté, au Louvre même, et conduit le même jour, vers
quatre heures, au château de Vincennes. Le baron de Grésy
qui, d'ailleurs, ne lui est pas favorable, écrivit, le S7, que ce
coup de force n'avait pas soulevé l'émotion populaire ju'on pou-
vait craindre : mais il va sans dire qu'il émut et irnta violem-
ment ses amis, entre autres le chevalier qui, en informant
Madame Royale de cet important événement, ne «acha pas sa
colère. Son exaspération fut telle qu'elle lui suggéra une idée
presque monstrueuse qu'il ne voulut pas comrainiquer lui-
1 . Lettres des l^"" et 29 novembre 1652.
INTRODUCTJON. XXXV
même à la duchesse : il en chargea M. de Grésy qui la lui
résuma (27 décembre). Il ne s'agissait rien moins que de déter-
miner Madame Royale, s'il était vrai, comme le bruit en cou-
rnit. ([u'elle eût signé un traitéavec l'Espagne, à unir les armes
des deux États contre la France, défaire coopérer à l'invasion
du royaume par les armées espagnoles le prince de Condé, les
gouverneurs des places frontières, amis ou partisans du pri-
sonnier et d'autres personnages, avec l'espoir de mettre le
pays en feu. tout cela en réalité pour ouvrir à son ami les
portes du château de Vincennes. La duchesse n'avait pas traité
avec l'Espagne, le mirage s'évanouit et le cardinal resta en
prison ; ses amis trop zélés, dont on redoutait les intrigues et
les manœuvres, avaient déjà reçu des lettres d'exil.
Le chevalier, dont le dévouement à la cause du prisonnier
n'était ignoré de personne, eut ordre de quitter Paris dans les
vingt-quatre heures, et de se retirer chez lui à la campagne ;
en faisant part à Madame Royale de cette fâcheuse nouvelle
(25 décembre), il affirma que son seul chagrin était de ne pou-
voir plus lui envoyer d'informations ; il lui tut très dur de
quitter sa femme, son hôtel confortable, sa bibliothèque, ses
habitudes, ses nombreuses relations pour aller, à soixante
lieues de là, s'enterrer au début de l'hiver dans une demeure
longtemps inhabitée. Il partit le 26.
La Reine fit dire à M™^ de Sévigné que l'ordre du Roi ne la
concernait pas. Elle resta donc chez elle, rue de Vaugirard,
recevant ses amis, écoutant ce qui se disait, chargée par son
mari de recueillir le plus de renseignements possible pour les
transmettre à Turin par l'intermédiaire du baron de Grésy.
La correspondance de celui-ci avec sa Cour apprend qu'il lui
fit plusieurs visites jusqu'à ce qu'il partit lui-même : il fré-
quenta son salon, surtout aux heures où elle faisait défendre
sa porte à d'autres, il lui remettait les lettres de Madame Royale
XXXVI INTRODUCTION.
adressées à elle ou au chevalier, recevait ses informations et se
chargeait des paquets qu'elle avait à envoyer à la duchesse.
Elle ne tarda pas à aller rejoindre à Gharapiré l'exilé qui était
un peu malade et la réclamait; nous savons par M. de Grésy
qu'elle dut arriver près de lui le 20 ou le 27 février'.
Les détails nous manquent sur le voyage du chevalier,
comme sur celui de sa femme, comme aussi sur le séjour des
époux dans le vieux château féodal fort noir et délahré —
vieille maison fortifiée, entourée de douves et de fossés, ho rdée
d'un côté par une rivière, close de murs et de tourelles, com-
muniquant avec la campagne par deux ponts-levis. Ce château
en partie ruiné à la fin du xvif siècle disparut au xviii" -.
Les doléances des exilés ne sont pas venues jusqu'à nous.
Le chevalier dans ses lettres très espacées à Madame Royale se
garda hi en de se plaindre^ ; il ne déplora son éloignement de
Paris que parce qu'il le privait de lui rendre « ses respects
avec assiduité » et lui communiqua de loin en loin les nouvelles
qu'on lui écrivait. Le cardinal de Retz l'occupait beau-
coup ; on lui parlait de propositions qui lui étaient faites et
il s'indignait à la pensée qu'il pouvait les agréer : « Pour moi.
dil-il. il mourra plutôt que de les accepter » i3 août 1653).
Plusieurs mois se passent et les derniers courriers lui
apprennent qu'il a vraiment « donné sa coadjutorerie pour sor-
tir de prison » ; il eût juré jadis qu'il n'en était pas capable.
« Mais, ajoute-l-il en faisant part decel)ruit à Madame Royale,
comme les grands seigneurs ne se piquent pas de la probité
1. Appendice, XV, n°s 17-2.'».
2. Voir la note sur la terre de Champiré {Appendice, XII.
p. 301).
'.]. Toutefois, en datant df'u.\ de ces lettres, en tGô3, l'une « de
ma solitude » (13 juin), l'autre « de mon désert » (3 août), il lui fît
discrètement deviner combien Champiré était une triste demeure.
liNTRODlCTION. XXXVIl
et de la délicatesse dont les simples gentilshommes font i)rofes-
sion, j'ai grand peur quil ne préfère sa liberté à son liunneur »
(22 février 1654). Il revient à Tidée qu'il avait voulu, en
décembre 1652, suggérer à la duchesse et se pei'sua(i(> que si
elle avait été réalisée, le ro.yaume ne serait pas où il en est. rt
il exhale eu invectixes sa haine contre Mazarin.
Le 21 mars 1654, le cardinal succède à son oncle sur le
siège de Paris et sent sous ses pieds un terrain plus solide pour
la résistance parce qu'ayant pris d'avance ses mesures, il a pu,
à la première minute pour ainsi dire, entrer en possession par
procuration ; les agents de l'autorité royale sont arrivés trop
lard pour s'y opposer. Il est légalement, indiscutablement, le
pasteur de l'archidiocèse qu'il gouvernera par ses vicaires géné-
raux : il ne cessera de l'être que par sa mort ou sa démission,
à moins qu'on ne puisse ol)tenir sa déposition. On commence
par essayer de l'amener à se démettre. Le chevalier croit à
l'explosion d'une nouvollc Fronde; les informations affluent à
Champiré : d'après elles, le cardinal aurait dit qu'il mourrait
archevêque de Paris. Quatre jours après, autre nouvelle : sa
liberté est prochaine ; le chevaher ne sait ciue croire et que
penser ; il ne veut pas blâmer ouvertement le cai'dinal qui
est son ami, ni non plus le louer, étant trop sincère pour cela.
«La plus commune opinion, écrit-il, c'est qu'il a bien fait,
l'événement le justifiera... L'on amène le prisonnier à Nantes
qui n'est qu'à treize lieues d'ici, j'aurai la liberté de le voir,
et. par conséquent, je saurai ses raisons « ;6 avril 1654;.
Le nouvel archevêque avait en effet signé sa démission qui
fut envoyée à Rome ; en attendant que le Saint-Père l'accep-
tât — condition sine quâ non de sa mise en hberté. — on trans-
féra le cardinal au château de Nantes, sous la garde du maréchal
de La Meilleraye : il put y recevoir librement ses amis. Ses
Mémoires relatent la visite qu'il reçut de M"'^ de Sévigné et de
XXXVIII INTRODUCTION.
sa fille : nous lavons mentionnée ci-dessus ; il n'est question
que de M"*" de La Vergue dans les lignes qu"il y consacre. Il
est muel sur celle que le chevalier lui fit et dont celui-ci ren-
dit compte à Madame Royale, sans faire connaître s"il était
accompagné dans ce voyage de sa femme et de sa belle-fille,
sans non plus lui révéler les explications de son ami, tout en
déclarant qu'il les trouvait justes '24 avril). Innocent X refusa
d'accepter cette démission où le prélat avait vu le moyen de
sortir de prison, sauf, une fois libre, à la révoquer ; il no
resta plus au prisonnier qu'.à attendre les résolutions que le
refus du pape suggéreraient à Mazarin ou à tenter une évasion.
Il s'arrêta à ce dernier parti, et des parents, des amis et des
familiers s'y employèrent avec tant de zèle et d'intelligence
qu'elle réussit. Le cardinal s'échappa du château le 8 août eî
huit jours après arriva à Belle-Isle où quelques-uns de ses
proches et le chevalier débarquèrent avec lui : celui-ci lui avait
prêté son concours dès la première heure et ne l'avait pas quitt<'-
pendant cette fuite très mouvementée. Lorsque le fugitif se fut
embarqué, le mois suivant, pour l'Espagne d'où il se rendit à
Rome, son ami et les ducs de Retz et de Brissac, fort inquiets
des conséquences de leur complicité, attendireutdans File que le?
sollicitations de leurs puissants protecteurs eussent obtenu pour
eux des mesures de clémence. Le cardinal relate dans ses
Mémoires tous les détails de son évasion, il n'y laisse pas échap-
per un mot de reconnaissance sincère pour ceux dont l'assis-
tance, qui n'était pas sans risques, avait assuré le succèsde cette
aventure : « Le chevaUer de Sévigné, dit-il après avoir narré son
séjour à Belle-Isle. homme de cœur, mais intéressé, craignoit
qu'on ne lui rasât sa maison... >>. et après avoir reproché au
duc de Brissac de désirer en finir, il ajoute : « Je navois pas
moins d'impatience qu'eux de les voir hors dune affaire à
laquelle ils n'étoient engagés que par amour pour moi. )^ Voilà
liSTllODl CTION. XXXIX
luuLlc ?uu\eiiii' que le grand aiubilieux, dérii tluiis se» liauls
espoirs, conservait, vingt ans après, de l'ami et de l'allié qui
s'étaient dévoués pour lui ' ! Nous n'avons pas à le suivre plus
loin, car nous ne le rencontrerons plus dans la biographie du
chevalier : lorsqu'il se décida après huit années d'une exis-
tence errante et mouvementée, à donner sa démission de l'ar-
chevêché de Paris et à s'accommoder avec le Roi. rien ne le
rapprocha plus de son ancien ami qui avait renoncé aux vani-
tés de ce monde et ne s'occupait que de son salut, sous la direc-
tion de Port-Royal ■'^.
M""® de Sévigné, qui avait, avec sa fille ^. partagé cette
année l'exil de son mari, relata à Madame Royale l'évasion du
cardinal, en le justifiant d'avoir manqué à sa parole (26 août).
N'ayant plus rien à faire en Anjou, elle retourna à la Cour
pour Y mettre en mouvement toutes les personnes dont la
haute influence pouvait être utile au chevalier : elle deman-
dait instamment qu'on lui permitde revenirà Paris, mais ne put
l'obtenir ; tout ce qu'on accorda à ses sollicitations fut la per-
mission pour lui de quitter Belle-Isle en sûreté et de rentrer au
lieu de son exil ; il en fut de même d'ailleurs pour les ducs de
Retz et de Brissac qui durent se rendre dans des maisons de
campagne '4 décembre). Le chevalier qui comptait sur un meil-
1. Mémoires (même édition I, IV, 211-220.
2. Les archives de Turin conservent quelques lettres du car-
dinal postérieures à l'époque de la Fronde, notamment celle qu'il
a écrite en italien au duc de Savoie, le 27 février 16G2. pour lui
annoncer son accommodpment avec la Cour Très Chrétienne.
3. Le séjour de M'i« de La Vergne au lieu d'exil de son beau-
père est attesté par la correspondance de l'abbé Costar qui doit
dater de 1654. Il lui écrivait du Mans — l'Anjou et le Maine se
touchent — et la louait de se passer si aisément de Paris, de n'être
pas enchantée de la Cour et de faire des vœux pour pouvoir rap-
procher Champiré du Mans, ou Le Mans de Chamjjiré.
XL INTRODUCTION.
leur résultat, revint donc sans obstacle à Champiré don il
écrivit avec beaucoup d'amertume à Madame Royale : « Votre
Altesse l^oyalevoit ou que mes amis ont peu de crédit, ou ont
manqué de volonté pour me faire aller à Paris. Je vous ai- oui
faire de si beaux discours de morale que je ne craindrai point
de la supplier de faire réflexion sur l'infidélité des amis de
Cour » (22 janvier 1655). Cette remarque ne s'adressait pas à
la duchesse à laquelle il était passionnément reconnaissant des
marques d'intérêt que, depuis son départ pour l'exil, elle n'avait
cessé de lui faire parvenir, ainsi qu'à sa femme.
C'est sur ces lignes mélancoli(iues qu'est close la correspon-
dance du chevalier; s'il la continuée, les lettres qu'il a adressées
ultérieurement à Turin n'y ont pas été conservées. La der-
nière de celles qu'on y a gardées de M""= de Sévigné (1" jan-
vier 1655), annonce le retour de son mari dans son « désert de
Champiré » où elle tâchera, dit-elle, de Taller trouver dès
qu'elle aura donné quelque ordre à leurs « misérables af-
faires ». Elle n'} fait aucune allusion au grand événement qui
devait la retenir à Paris jusqu'à ce qu'il fût accompli : la
belle Marie-Madeleine de La Vergne allait, six semaines plus
tard, devenir comtesse de La Fayette, nom sous lequel elle a
conquis sa célébrité d'écrivain si distingué et de si fidèle amie
de la marquise de Sévigné et de La Rochefoucauld. Son beau-
l>ére demeura seul à Champiré. pendant que sa femme s'absor-
bait dans les préliminaires et les préparatifs du mariage qui
fut célébré en Saint-Sulpice de Paris le 15 février suivant.
L'exil du chevaher dura encore longtemps ; il ne reste aucune
liMce de l'emploi qu'il fit de ses longs loisii'S, ni des corirspon-
dances qu'il entretint peut-être avec Turin, certainement avec
Paris. Voulut-il être renseigné sur le séjour à Rome du cardi-
nal de Retz pendant les deux annécsque celui-ci y passa, années
d'intrigues et de luttes? Sut-il qu'il avait appolé près de lui.
INTRODUCTION. XLI
pour grossi I- son état-major, un jeune abbé de Sé\igné ? Nous
ne savons rien de lui jusqu'au second mois de l'année suivante ;
une cruelle épreuve Tattendait : une maladie, sur laquelle nous
ne sommes pas renseignés lui enleva sa femme. M"'' de Sévi-
gné, quil avait probablement conduite à Angers pour le >roin
de sa santé, mourut dans cette ville et y fut inhumée, dans la
paroisse Saint-Maurille, le 2 février 1656 '. Il restait seul, sans
enfants : toute ambition politique lui était désormais refusée.
Ses idées prirent un autre cours, et, de la Fronde, il alla à
Port-Royal .
V.
Il n'est pas surprenant que le chevalier, de retour à Chani-
piré en janvier 16.55, revenu de bien des illusions, touchant de
plus près le néant des ambitions humaines, puis, l'année sui-
vante, frappé cruellement par la mort de M'"^ de Sévigné,
instruit par de sérieuses lectures, ait songé à finir chrétienne-
ment sa vie : il y en a bien des exemples au xvii" siècle. Le
début de cette œuvre de transformation intériouro or-t resté
ignoré ; elleétait déjàbien avancée lorsqu'il écrivit, le3 novembre
1656, à dom Luc d'Achéry, le savant bénédictin de Saint-Ger-
raain-des-Prés, une lettre qui révèle toute la part que ce reli-
gieux y avait prise. Après avoir fait, dans les termes les plus
humbles, le tableau de ses chutes et de ses l'elèvements, en
affirmant ses bonnes l'ésolutions et sa reconnaissance envers
Dieu, il termina ainsi : « J'espère, avec laide de Dieu, mache-
miner vers Paris, un peu après la Toussaint. Je soubaiterois
1. Appendice. VII, p. 274.
XL 1 INTRODUCTION.
avec passion avoir li'ouvé mie humeur sorlable à la mienne
pour établir une société permanente. Demandez ce bon ren-
contre-là à Dieu, car il faut que ce soit lui qui fasse celle liai-
son ^ . »
II était donc sur le point de rentrer à Paris où il espérait
trouver cette société qu'il clierchait pour assurer sa persévé-
rance et guider ses progrès : ce fut Port-Royal qui la lui four-
nit. Les documents jansénistes sont muets sur les premières
relations qu'il eut avec ce parti dont les membres les plus esti-
més étaient, dès 1650. fort liés a^ec le coadjuteur. Celui-ci
ne songeait nullement à se convertir : il voulait faire, de sa
liaison avec ces hommes austères et de leur appui moral, un
levier pour ébranler l'État, selon l'expression de Mazarin ^; son
ami a pu les rencontrer chez lui elles connaître. I! eut certaine-
ment à celte époque des rapports mondains avec deux membres
de la famille Arnauld — ceux-là n'étaient pas des plus aus-
tères — quil revit à Paris, après son exil. Labbé Antoine
Arnauld rappelle, dans ses Mémoires fort agréables, qu'étant en
visite chez le chevalier, en 16Ô7. il vit la marquise de Sévigné
pour la première fois : elle arrivait « dans le fond de son car-
rosse tout ouvert, au milieu de Monsieur son fds et de Made-
moiselle sa fille, tous trois tels que les poètes représentent
Latone, au milieu du jeune Apollon et de la petite Diane ' ».
1. Cette lettre se trouve tout entière reproduite au tome I^"" de.s
Lcllres de 31"^^ de Scvignr (édition Régnier), à la suite delà notice
de M. Paul Mesnard.
2. Voir le mémoire développé sur les relations entre le cardi-
nal de Retz et les jansénistes, par M. Chantelauze, inséré par
M. Sainte-Beuve, au tome V de Pori-ifoya/ (édition de 1G67, in-l:2).
Appendice, 526-G05.
3. Mémoires (Collection Petitot et Montmerqué, XXXIY. 3J4).
— Antoine Arnauld, abbé de Chaumes (1616-16981, fils aîné de
Robert Arnauld d'Andilly.
INTRODUCTION. XLIII
Bien des années après, la marquise, écrivanl à M""" de Gri-
f nan, réveilla le souvenir dune rencontre qui parait se placer
à la même époque, sinon le même jour : « Monsieur de
Pomponne se souvient dun jour où vous étiez petite fille chez
mon oncle de Sévigné ^ . »
Ce ne furent sans doute ni l'abbé Arnauld ni M. de Pom-
ponne qui conduisirent M. de Sévigné à Port-Royal; peu
importe d'ailleurs par qui il y lut amené ou qu'il y soit allé de
lui-même. Il prit le temps de réfléchir, car ce ne fut qu'à la
fin de 1659 ou au commencement de 1660. semble-t-il, qu'il
fit des démarches pour être admis dans ce groupe religieux
dont la haute spiritualité et la rude austérité l'attirèrent, au
lieu de le rebuter ; il remit le soin de sa conscience au sévère
Singlin et se plaça sous la direction officieuse de la vieille
abbesse, la mère Angéfique Arnauld, qui mourut l'année sui-
vante et le légua à sa sœur, la mère Agnès qui ne fut pas
moins habile à trouver le chemin de son cœur et à s'assurer
sur son esprit une influence dominante, tout en paraissant
s'effacer derrière le directeur en titre. Leur action s'exerça par
des lettres qui ont été imprimées, auxquelles malheureuse-
ment manque la contre-partie ; on ne peut que deviner par la
correspondance des deux abbesses ce que le chevalier leur
écrivait: c'est assez cependant pour juger avec quelle docilité
il acceptait leurs douces réprimandes, combien il était recon-
naissant de leurs encouragements et combien il admirait leur
sainteté. Dès le commencement, il manifesta ce dernier senti-
ment à la mère Angélique de la façon la plus naïve ; comme
on lui avait ordonné de dire le chapelet, il lui demanda de lui
1. Lettre du 15 janvier 1674 (même édition). — Simon Arnauld,
M's de Pomponne (1618-1699), homme d'État, frère cadet de
l'abbé.
d
XLIV INTRODUCTION.
donner le sien qui devait avoir, pensait-il, une vertu supérieure.
Ne pouvant pas déférer à son désir, elle le satisfit en lui adres-
sant un autre chapelet. La môme lettre apprend qu'il lui
exprimait aussi ses sentiments par des présents, de Targpnt,
des parfums : on y lit encore qu'il était un peu repoussé par la
froideur de Singlin, qu'elle lui dit être préférable à une fausse
j)aix (13 novembre 1660) K
Sa direction, par suite de sa mort, dura peu de temps ; celle
de la mère Agnès se prolongea plus de dix ans. Il n'était pas
pour elle un étranger, car elle correspondait avec lui depuis
près de dix-huit mois, lorsque sa sœur lui légua, avec le gou-
vernement de Port-Royal, le soin de certaines âmes qu'il ne
fallait pas perdre de vue. Elle n'eut donc qu'à continuer une
œuvre à laquelle elle avait travaillé et à la continuer avec plus
d'autorité : elle s'acquitta de sa tâche avec tant de délicatesse, de
prudence et une fermeté si douce qu'elle maintint jusqu'à la fin
son empire accepté avec respect, ou, pour mieux dire, sollicité
avec une déférente confiance et une constante admiration : il
mettait quelquefois son humilité à l'épreuve en la qualifiant de
sainte, mais elle savait répondre adroitement à ces embarras-
sants comphments, comme elle savait aussi [le remercier des
nombreux présents, témoignages de sa reconnaissance. Lorsque
ce « cher frère», comme elle l'appelait quelquefois, habitué à
se faire obéir de ses inférieui's quand il était à l'armée, mani-
festa un jour de l'impatience, parce que Philippe de Cham-
paigne, à qui il avait commandé pour la communauté un tableau
du Bon Pasteur — allégorie qu'il affectionnait — ne se pres-
1. Lettres (le la mère Marie-An(j(li(iue Arnauhl [V<[\\'^\\\, 174?-
1744, 3 Yul. in-l?, III, 394). — Jacqueline-Marie-Augélique
Arnauld, dite mère Angélique (1591-1()C)1), iirofesse dès 1600. —
Le recueil imprimé de ses lettres n'en compte que neuf adressées
à M. le marquis de Sévigné [sic) en IGOO et IGOl.
INTRODUCTION. XLV
sait pas de l'achever, elle le gourmaiida en lui rappelant qu'il
avait « fort aimé à être le maitre' ». Nous ne pouvons ici
qu'indiquer les lignes générales de cette direction et renvoyer
pour la mieux connaître, ainsi que celui ([ui s"y soumettait,
aux lettres de la mère Agnès reproduites à la fin de cette pu-
blication ou au recueil complet de sa correspondance 2.
Dès son admission dans cette société qui apparaissait à ses
jeux comme une résurrection de la primitive Eglise, il voulut
que sa vie se passât désormais à côté d'elle, dans l'enceinte
même du monastère de Paris : il s'y fit bâtir, à côté de M"'''
de Sablé, une maison « fort propre » qui revint plus tard aux
religieuses de Port-Royal. Aussitôt qu'il put y entrer, il aban-
donna son hôtel de la rue de Vaugirard, qu'il loua à M. et à
M""*" de La Fa} ette, et ne quitta plus son nouveau logis que
pour aller finir ses jours à Port-Royal-des-Champs. Il en avait
à peine pris possession qu'il reçut le 25 juillet 1661 la visite
domiciliaire du lieutenant civil qui lui enjoignit, le l''''août sui-
vant, d'en faire murer la porte donnant dans la cour du monas-
tère. Il eut aussi sa part des mesures de rigueur par lesquelles
lepouvoir royal espérait vaincre ou voulut punir la résistance
des religieuses : ce fut un lien de plus entre lui et celles qu'il ne
lui venait pas à l'idée de considérer comme des révoltées et dont
il admirait la ténacité. Pendant les années suivantes, il alla
1. Lettres de la mère Agnès Arnauld, publiées par M. P. Fau-
gère (Paris, 1858, 2 vol. in-8°). — Jeanne-Catherine Arnauld
dite mère Agnès (1593-1671). — L'intérêt de cette correspondance
alors inédite a été signalé par M. P. Varin dans La Vérité sur
les Arnauld (Paris, 1847, 2 vol. in-8°), II, 310-327 : les lettres au
chevalier de Sévigné y sont particulièrement notées (p. 319) ;
elles sont au nombre de quatre-vingt-une dans l'édition de M. Fau-
gère. — Voir aussi l'article de M. Sainte-Beuve sur cette corres-
pondance dans les Causeries du lundi ( l''^ édition |, XIV, 148.
2. Appendiee, VIII, pages 275-293.
XLVI IMRODLCTIO>".
quelquefois à Port-Royal-des-Cliamps. mais il conserva sa rési-
dence à Paris où sa présence était utile pour faire passer là-bas
des avis et des renseignements. Mais lorsqu'un acte de laulo-
rité eût séparé entièrement les deux monastères, il fît le gr^ind
sacrifice de quitter le voisinage de ces murs et de ce clocher qui
lui étaient devenus chers : leur vue seule, lorsqu'il vint une
fois à Paris, après une grave maladie, acheva de le guérir'.
Son exemple ne réussit pas pour décider M"^ de Sablé à faire
courageusement le même sacrifice : pour elle, ce qui lui coû-
tait, c'était d'affronter les émanations des terrains marécageux
qui entouraient l'autre monastère, sa peur de la mort était
telle qu'elle ne put s'y résoudre : elle resta à Pai'is. malgré de
pressantes lettres du chevalier qui . après avoir essayé de la ras-
surer en lui faisant voir qu'il se portail très bien, en lui affir-
mant que d'ailleurs Dieu ne pouvait « rien refuser aux saintes
qui habitent au désert », lui cita d'effrayants passages des Écri-
tures sur la nécessité de la pénitence (1" et 12 septembre 1669 -.
Ce fut en 1 669 qu'il vint demeurer dans les dehors de Port-
Royal-des-Champs. dont les constructions étaient délabrées. A
Paris, il avait laissé un souvenir de sa générosité, une cha-
pelle dite « chapelle de M. de Sévigné » bâtie ou réparée à ses
frais. En arrivant dans sa nouvelle résidence, il annonça l'in-
tention de faire rebâtir le cloître : on commença à travailler dès le
mois de mai 1670. et le 6 août suivant, la première pierre en fut
solennellement posée. Les relations jansénistes rapportent qu'il
eut la permission d'y suivre les processions du Saint-Sacre-
1. Sainte-Beuve a donué un précis très complet de cette
phase de riiistoire des jansénistes dans son Port-Royal (3« éd.),
V, 109 et s.
2. Y. Cousin, Madame de Sable (éd. de 1865, in-lî), î^T-^SQ. —
Les lettres du chevalier et celle de M^^e de Sablé y sont repro-
duites.
INTRODUCTION. XLVII
ment, un cierge à la main, à la suite des ecclésiastiques. Ses
dernières années s'écoulèrent, partagées entre les exercices de
piété et les lectures recommandées par ses directeurs ^ , occupées
par des correspondances et certainement aussi par le soin de
ses aft'aires qu'il ne pouvait pas entièrement négliger, dans l'in-
térêt même de ses amis qui profitaient largement de sa fortune
ou plutôt de celle de sa femme. Une transaction avec M°"= de
La Fayette et son mari — celle qu'autorisait 1o contrat de
mariage de 1650. — remplaça le don de sui'vie en pleine pro-
priété qu'il lui accordait par un usufruit portant sur toute la
succession de M"° de Sévigné. Il se trouva donc liche : il avait
un mobilier luxueux, une belle argentei-ie qu'il sacrifia bientôt,
un carrosse et six chevaux qu'il conserva plus longtemps pour
l'utilité de ces Messieurs et particulièrement de M. de Sacy.
Enfin il se réduisit, pour accroître la part des pauvres, à
n'avoir plus que son carrosse auquel, moyennant six cents
livres par an, il faisait atteler deux chevaux, deux fois par
semaine, et encore en usa-t-il très peu lui-même. Une grande
partie de son revenu passait en aumônes, sans parler des
cadeaux qu'il envoyait aux religieuses. Dans les pages que
Fontaine a consacrées à sa mémoire, il y a d'intéressants détails
sur cet ancien officier, Frondeur, duelliste, « Corinthien »,
transformé en humble et pieux pénitent; elles fixent bien le
souvenir qu'avait gardé de lui le groupe de Port-Royal ^. Les
adversaii'es du parti ne se sont guère occupés du chevalier ^
1. Il ne faut pas oublier le fait relaté par ses biographies de
Port-Royal que, n'ayant pas appris le latin dans sa jeunesse et
voulant comprendre le texte des offices de l'Église, il se mit, à
l'âge de cinquante-sept ans, à l'étude de cette langue morte,
étude qui dut lui prendre beaucoup de temps.
2. Appendice. XI, p. 297.
3. Le P. René Rapin, dans ses Mémoires, publiés par M. Aubi-
XLVIII INTRODUCTION.
Ses rapports avec sa famille se ressenlirenl iialiii-ellemeiil
de sa vie nouvelle. On le voit, avant 16G0, donner à sa belle-
fille un témoignage de bonne amitié en tenant son second fds
sur les fonts de Saint-Sulpice, avec la duchesse dAiguillon ' ;
leurs inévitables règlements d'affaires ne firent naître,
croyons-nous, aucun procès. Quant à leurs relations uUé-
rieureS; nous les ignorons. On en sait un peu plus sur celles
que la marquise de Sévigné a conservées avec lui. Lors du
mariage de M""^ de Grignan, elle tint à ce que le grand-oncle
honorât le contrat de sa signature : le notaire la relata sur
l'acte du 27 janvier 1669.
La grande admiration quelle professa pour Port-Royal est
bien connue; elle se manifesta plutôt de loin, quoiqu'elle visi-
làt quelquefois le monastère, ainsi qu'en témoigne une lettre
delà mère Agnès ^. Le chevalier désirait amener sa petile-
nièce à plus de ferveur, lui adressait des livres de piété et ser-
monna même sa mère à ce sujet, avec tant d'insistance que
celle-ci perdit patience: « Les meilleures choses, écrivit-elle à
sa fdle, sont dégoûtantes quand elles sont jetées à la tète. Ah !
le l)eau sujet de faire des réflexions ! Votre oncle de Sévigné
craindra bien pour votre salut jusqu'à ce qu'il ait compris
cette vérité ^. » Ce mouvement d'humeur n'altéra pas ses sen-
neau (Paris, 1865, 3 vol. in-8"), mentionne le « bonhomme Sévi-
gny » parmi les adliérents du parti qui s'étaient, fait bâtir des
maisons dans le dehors, autour de l'église (I, 173) : une autre
fois il rapporte que le même « bonhomme », un jour de fête
religieuse à Saint- Jacques-du-Haut-Pas, en mémoire de Saint-
Cyran, le 28 octobre 1668, a reçu à dîner le célèbre Aruauld qui
y avait officié et à qui on « fit un grand régal » (IIL -481).
1. Armand-Renaud de La Fayette, baptisé le 18 septembre
1659, a été le « marquis de La Fayette » dont la branche s'est fon-
due au xvme siècle dans la maison de La Trémouille.
2. Lettre du 9 septembre IQQi {Correspondance, IL 184).
3. Lettre du 27 mai 1672 (édition Régnier).
INTRODUCTION. XLIX
timenls pour les PorL-Royalistes : une excursion quelle fit
dans le voisinage lui donna l'occasion de visiter l'abbaye, ce
dont elle ne manqua pas d'informer M""" de Grignan : « Je vis
aussi mon oncle de Sévigné, mais un moment. Ce Port-Royal
est une Tliébaïde, c'est un paradis, c'est un désert où toute la
dévotion du christianisme s'est rangée » (27 janvier 1G74).
Le silence que garde sa correspondance sur de nouvelles
visites fait présumer qu'elle ne revit plus le chevalier. Le vieil-
lard, éprouvé, pendant son séjour à Paris, par de graves mala-
dies que mentionnent les lettres de la mère Agnès, souffrit
peut-être plus que d'autres de l'humidité de l'air à Port-Royal-
des-Charaps : une dernière atteinte qui fut mortelle l'emporta,
le 16 mars 1676, dans sa soixante-neuvième année ^ Etroite-
ment uni de cœur et d'àme aux habitants du monastère, il
avait demandé, par son testament, la grâce de ne pas être
séparé d'elles dans la mort. Suivant son désir, le 18 du même
mois, il fut inhumé dans le cloître qu'il avait fait reconstruire;
les regrets affectueux qu'il laissait se traduisirent en prières et
en pieux honneurs funèbres ^. Les religieuses lui érigèrent, au
heu de sa sépulture, un tombeau sur lequel une inscription
latine composée par Hamon, l'un des plus renommés solitaires,
rendit longuement hommage, sans oublier ni sa noblesse, ni
ses glorieux services militaires, à la sincérité de sa conversion,
à sa persévérance et à ses vertus. Il appartenait désormais à
L Comme beaucoup d'hommes et de femmes de son temps, le
chevalier n'était pas exactement renseigné sur la date de sa
naissance ; il se croyait ou on le croyait plus jeune de trois
ans : l'inscription gravée sur son tombeau le dit mort dans sa
soixante-sixième année.
2. Nous publions le compte rendu détaillé qui fut rédigé à ce
moment dans le journal manuscrit de Port-Royal {Appendice, X,
p. 295).
L INTRODUCTION.
l'histoire de Port- Royal : les jansénistes ne perdirent aucune
occasion, surtout au xviii^ siècle, de signaler son nom à la
vénération de leurs contemporains ^
M"" de Sévigné, informée tout de suite de cet événement, se
contenta den faire part à sa fdle comme de quelque chose
d'insignifiant : « Joubliais de vous dire que notre oncle de
Sévigné est mort : Madame de La Fayette commence présente-
ment à hériter de sa mère » (22 mars 1676!. Dans une lettre
du 19 mai suivant, elle lui annonça qu'il lui reviendrait cinq
à six cents pistoles (dix à douze mille livres) de cette succes-
sion ; et ce fut tout. Quant à M""" de La Fayette, il est permis
de penser que la satisfaction dentrer en possession, après
vingt ans d'attente, de la fortune dont son beau-père avait
l'usufruit, domina chez elle tout autre sentiment.
Le testament du chevalier, daté du 1^'" mars 1674, dont il
confia l'exécution à l'un des plus fidèles et dévoués agents
de Port-Royal, M. Hilaire, économe du monastère ■■^, ne dut
étonner personne : il porte la marque de son évolution reli-
gieuse. De son avoir mobilier, sauf quelques legs particuliers,
il ne fît qu'une masse, dont la valeur réalisée en argent fut
1. Aux ouvrages mentionnés en note au n» XI de Y Appendice,
p. 297, nous ajouterons le Nécrologe de Notre-Dame de Port-Roijal-
des-Champs, 17î3, in-i", p. 115, qui reproduit l'inscription d'Ha-
mon, et un Almanach de pratique pour 113k, calendrier janséniste
(petit in-12 étroit, imprimé aux Granges près Yersailles), qui. à
la date du 16 mars, relate la vie et la mort du chevalier.
2. Cet agent de toute confiance ne devait rendre compte do
son mandat qu'à l'abbesse et à M. de Sacy : connu seulement
sous ce nom, il s'appelait en réalité Gharles-Hilaire Piel, sgr de
Buontier. Nous le voyons comparaître en sa qualité, le 20 février
1680, devant un notaire du Ghâtelet de Paris à un acte relatif à
la fondation à Grugé de la rente de cent livres ordonnée par le
testament de la nièce de ^M^edeLa Fayette (/îcin/c de l'Anjou, 18.52,
n, 327).
INTRODUCTION. LI
attribuée aux religieuses, pour être par leurs mains distribuée
aux pauvres. Quant à la terre de Champiré, son seul bien de
famille, il n'en frustra pas ses bériliers, mais il la greva, par
le même acte, de deux charges, principalement de la dette dont
sa succession serait tenue vis-à-vis de M""' de La Fayette, lors
du règlement des comptes de l'usufruit *. Et le testament ne
mentionnait pas une autre charge établie sur la même terre,
une rente annuelle de trois cents livres, créée au profit des reli-
gieuses, dont il fallut assurer le service après sa mort 2. Nous
ignorons la date des actes qui l'ont créée, comme aussi de ceux
qui concernent la maison de Paris. Tout compte fait, ses héri-
tiers, au nombre de huit, un neveu, quatre petits-neveux et
trois arrière-petits-neveux, eurent à se partager un mince héri-
tage.
Ce n'est pas le chevalier de Sévigné qui a imprimé à son
nom l'éclat dont il brille ; mais la gloire de sa nièce ne saurait
entièrement éclipser sa modeste personnalité. Il était et il res-
tera dans l'histoire de son siècle une figure d'ordre secon-
daire, que son œuvre de chroniqueur défendra de l'oubli. Nous
venons d'en retracer les traits les plus saillants, et nous
croyons qu'elle ne peut que gagner à une étude consciencieuse.
Les impressions qui se dégagent des pages qui précèdent et
des documents qui suivent, doivent, selon nous, être très favo-
rables à sa mémoire. Sans rechercher si ce vaillant soldat, si
1. Yoir pour Ips détails le texte du testament {Appendice, IX,
p. 295) et notre note sur la terre de Champiré {Id., XII, p. 301).
2. Elle est mentionnée en termes précis sur une note non
datée ni signée, émanant certainement du notaire, jointe à la
minute de l'acte de vente de la terre de Champiré du 20 février
1687 (Archives d'IUe-et- Vilaine, minutes Bretin) : les acquéreurs
ayant refusé d'en prendre le service à leur charge, il n'en fut
pas question dans l'acte ; mais les héritiers durent, d'une façon
quelconque, l'assurer à leurs frais.
LU INTRODUCTION.
cet « homme de cœur », comme l'apprécie le cardinal de Retz,
a toujours bien placé son admiration, s'il a bien ou mal fait de
s'engager dans la Fronde, à la suite du coadjutcur, et de don-
ner ses dernières années à Port-Royal, on a le devoir de rendre
hommage à son sentiment élevé de Ihonneur du gentilhomme
et à ses autres qualités morales parmi lesquelles domine la
sincérité la plus droite et la plus loyale. 11 l'ut sincère dans son
patriotisme et dans ses vues politiques, comme dans les juge-
ments qu'il porta sur ses contemj)orains. quoique empreints de
partialité et dictés par la passion ; sincère dans ses amitiés,
sincère dans sa conversion, sincère dans sa piété et dans son
liumble docilité de pénitent, c'est sincèrement qu'il se dévoua
aux. causes qui lui semblaient justes et à ceux qui les person-
nifiaient, et c'est tout cela qui assure à sa correspondance avec
la duchesse de Savoie le caractère d'honnêteté et de véracité
qui en fait la principale valeur.
VI.
La correspondance de M. de Sévigné avec Madame Royale
présente un double intérêt historique. Elle apporte d'une façon
générale, une contribution utile à l'histoire de la Fronde et à
celle des relations de la France avec le duché de Savoie : elle
complète aussi ce que l'on savait du cardinal de Retz et de ses
intrigues pendant l'année 1652 ; plus spécialement encore, elle
ajoute à la biographie du chcvn'ior beaucoup de faits restés
ignorés, mais les pages qui précèdent les ont suflisammenl
mis en relief pour qu'il n'y ait pas à y insister ici.
Les documents inédits que nous reproduisons mettent à la
disposition des historiens futurs de cette période de troubles
I.NTHOIUCTION. LUI
une suite de témoignages contemporains produits par un
témoin digne de foi. Ce nest pas que les sources d'informa-
tion fassent défaut : elles sont au contraire abondantes ; on ne
peut guère les prendre toutes pour guide sans les soumettre à
un examen critique minutieux. Les mémoires, par exemple, qui
foi-menl toute une attrayante littérature, émanent en partie de
personnages qui ont pris une, part active et souvent iinj)oi-
lante aux événements, eî sont, par conséquent, susi)ecls de
complaisance pour eux-mêmes et de malveillance injuste pour
les autres. Il y a dinnombra])les mazarinades fort curieuses à
consulter comme signes des temps et baromètres deTopiniou,
mais dont la plupart sont mensongères. La Gazette, la Ynize
historique de Loret. le Journal des Guerres civiles, œuvre pos-
thume de Dubuisson-Aubenay, sont pleins de nouvelles, comme
les lettres du chevalier : celles-ci cependant ne font pas double
emploi avec ces publications. Bien des faits qu'il y raconte
sont aussi narrés ailleurs, cela va sans dire ; il faut noter que
quand il s'agit d'événements à sensation ou de journées tra-
giques, comme il y en a eu en 16.5 "2. dont Tambassadeur de
Savoie ne peut manquer d'informer avec détails Madame
Royale, il se contente dune simple mention ; en revanche, sa
satisfaction est grande quaiid il est à même d'iiislruire la
duchesse de ce qui est encore secret et de ce qui se trame dans
lombre. Et que de bruits il enregistre ! Et que d'intrigues et
de compétitions il met en lumière ! On se rend bien compte, en
le lisant, de l'incohérence, de la confusion, de l'anarcliie qui
régnent dans les divers partis entre lesquels, à cette époque, se
divise la Fronde ; la fin approche. On peut se fier à ses infor-
mations : elles sont exactes et ont une valeur historique parce
qu'elles ont été recueillies consciencieusement et données en
toute sincérité. Restent ses appréciations personnelles qu'on
n'est pas obligé d'accepter aveuglément, surtout lorsqu'elles
LIV INTRODUCTION.
jugent Mazarin. II est souvent question dans sa chronique des
affaires du duché de Savoie, des incursions espagnoles, de la
défense et de la prise de Casai ; aussi y a-t-il beaucoup à gla-
ner, pour rhisloire de France comme pour celle du Piémont,
laiil dans les lettres de M. de Sévigné que dans celles de
Madame Royale et dans les documents diplomatiques qui font
partie de nos Appendices.
L'aulre inlérêl historique que présente particulièrement la
correspondance du chevalier porte sur un point qu'on ignorait
de la biographie du cardinal de Retz : elle révèle que ce dernier
ne dédaigna pas d'employer ses services pour intéresser
Madame Royale à ses hautes ambitions. Il fallait convaincre
celle-ci que. s'il devenait premier ministre, tout changerait de
face en Italio. pour le plus grand avantage du duché de Savoie ;
le chevalier ne s'y épargna pas : il parla constamment à la
duchesse de son ami et du dévouement sans bornes qu'il pro-
fessait pour elle, la tenant au courant de ses actes publics et
politiques, de son attitude et des procédés de la Cour à son
égard. Quant au cardinal . il collabora aux lettres deM.de
Sévigné. en lui fournissant des informations et en lui suggé-
rant ce qu'il voulait ([u'on sût de ses intentions et de ses pro-
jets. Voilà ce que ses Mémoires ont passé sous silence.
vn.
La correspondance que nous éditons a été découverte aux
Archives de Turin, dans le fonds dénommé Archivio di Stato.
Les lettres du chevalier (1648-1655) moins une \ et celles de sa
1. Cellp (lu 31 mars IC53. qui a une autre origine.
INTRODUCTION. LV
femme ( 1 654-1655) sont conservées dans la série des « Lettres de
particuliers » [Lettcre di parikolarï). Celles de Madame Royale,
extraites des registres de minutes de sa correspondance, et celles
de labbé d'Aglié (1651-1652) et du baron de Grésy ^1652-1653
qu'on trouvera aux Appendices [n"' XIII et XV), proviennent
de la série dite Lellere minulri ; enfin celles du cardinal de
Retz sont empruntées au même fonds d'État. Les regrettables
lacunes que nous avons dû signaler au cours de noire travail
dans la correspondance principale seront-elles jamais comblées?
Nous voudrions recouvrer quelques lettres qui nous en
manquent et que nous savons avoir été écrites par M. de Sévi-
gné avant le 24 novembre 1651 et après le 25 décembre 1652,
comme par sa femme en 1651, et de 1652 à 1655. Nous n'avons
non plus qu'une partie des minutes de Madame Royale. La
perte de ces intéressants ùocumenls s'explique, soit par la
négligence des secrétaires de la duchesse, soit mieux encoie
parles déplacements que les archives de la Cour de Savoie ont
subis depuis le xvii'= siècle. Si une lettre du chevalier pai'venue
à destination, ainsi qu'en témoigne la mention inscrite sur la
pièce même parle secrétaire, se trouvait à Paris, en 1886, dans
la riche collection d'un amateur d'autographes, on admettra
facilement que d'autres papiers ou documents ayant la même
origine ont pu, à la faveur de quelque désordre, s'égarer ou
être soustraits. Cela permet d'espérer que d'heureux hasards en
feront, tôt ou tard, découvrir d'autres. Quant aux originaux des
missives de Madame Royale que M. et M""^ de Sévigné rece-
vaient avec tant de fierté reconnaissante, on ignore ce qu'ils
sont devenus.
Les lettres originales du chevalier qui ont passé sous nos
yeux aux Archives de Turin, au nombre de soixante-huit, sont
écrites sur du papier de format petit in-4". L'écriture ressemble
à la plupart de celles de ce temps ; elle serait assez facile à
LVI INTRODUCTION.
liic. n'cLaienl les noms propres souveuL eslropiés, les abrévia-
lions et les incorrections dorlhographe : c'était d'ailleurs fort
urdinaii'e à cette époque. On en pourra juger par une curieuse
li'tlre du 1" décembre 10.51 qui est, à titre de spécimen, Ipx-
tuellenient reproduite aux Appendices (n° XIII). Les trois
seules lettres que nous ayons de]M""' de tSévigné et les minutes
de ia ducliesse appellent les mêmes remarques. Ces textes, dans
notre édition, sont ramenés à peu près à l'orthographe mo-
derne.
Sauf les deux premières lettres du chevalier, sa correspon-
dance et celle de sa femme ne sont pas signées * ; on ne peut
du reste s'y tromper, le secrétaire de Madame Royale ayant
eu soin de mentionner de sa main presque toujours au-dessous
de la dernière ligne ou au dos, avec le nom du correspondant,
la date de la missive et quelquefois celle du jour de la récep-
tion - ; une fois (7 juin 1652), il y a ajoute : « Advis de Parh »
et une autre fois \i^ août 1654) : « Advis d'un amxj ». Sur
cette dernière lettre, comme sur celle du '2h août 1648,
Madame Royale a écrit elle-même: « Saint-Thomas. répondre^^K
Sur celle du 16 août 1652 dans laquelle le chevalier lui annon-
(viit la mort de « M. de Valois », jeune enfant du duc d'Orléans,
1. Mentionnons toutefois une lettre datée « de ma solitude,
13 juin IGôlj )i, souscrite de l'initiale S.
2. On lit sur la lettre du 24 novembre 1651 : « J/'' le t7iev" de
Souvigny » : mais celle du 1«'" décembre '1651, comme les sui-
vaiUes, porte : « Marquis de Sévigné «.Le correspondant de Madame
iloyale s'était plaint, dans cette lettre même, de ce que son nom,
sur les adresses des lettres qu'il recevait d'elle, était écrit « Soa-
vigng », au lieu de « Sévigné » : il y déclarait eu outre qu'eu
France les chevaliers n'étaient pas mariés et que par conséquent
ce titre ne lui appartenait pas.
3. Ce nom rappelle qu'un marquis de Saint-Thomas était, en
1G79, secrétaire d'État de l'autre Madame Royale, veuve de son
iils.
INTRODUCTION. LVU
on Irouve d'dle quelques lignes autographes, en partie indé-
chiffrables : « Pour ra/fairc de mon frcrc avec M avec le
Courier à paris envoie à Mons'^ mon frère. »
Un certain nombre de ces plis ont conservé la feuille blanche
sur laquelle est inscrite l'adresse : « A ^Madame Royale. A
Turin ». Il en est dont les cachets de cire et les lacs de soie qui
assuraient la fermeture subsistent encore ; les empreintes varient,
ainsi que les couleurs de la cire et des lacs. Sur deux lettres du
chevalier des 1*"" et 8 décembre 1651, ce sont deux faisceaux
de torches enflammées réunis par un entrelac et un nœud, et
autour, celle légende : « Vi, {lamma, sic cita parcs ». symboli-
sant ainsi l'intimité de son union ; sur d'autres, ce sont, soit
des entrelacs, soit une couronne, soit une fois (6 avril 1654)
deux sceaux reproduisant les armes des Sévigné : « Écartelé
de sable et d'argent ». Sur deux lettres de M"" de Sévigné, on
trouve des entrelacs surmontés d'une couronne de marquis.
Avant de clore cette introduction, nous tenons à affirmer le
souvenir reconnaissant que nous gardons de MM. les Archi-
vistes de Turin : nous sommes heureux de pouvoir les remer-
cier ici du gracieux empressement qu'ils ont mis, non seule-
ment à nous communiquer les documents dont nous connais-
sions l'existence, mais encore à rechercher pour nous dans
leur riche dépôt toutes les autres pièces historiques ([ui pou-
vaient les éclairer ou les compléter. Ils auront contribué pour
leur part à l'intérêt que présentera cette publication.
CORRESPONDANCE
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ
ET DE CHRISTINE DE FRANCE
DUCHESSE DE SAVOIE
I.
RE.\E-RE.\A1 D DE SEVIGNE A CHRISTINE DE FRANCE,
DUCHESSE DE SAVOIE, DITE MADAME ROYALE.
Du Camp de Gruniel \ le 25 août 1648.
Madame Royale,
Le respect que j'ai toujours eu pour Votre Altesse
et la passion que j'ai pour ses intérêts m'obligent de
lui témoigner le sensible déplaisir que j'ai de la perte
qu'elle fait en la personne de M. le marquis Ville-.
Votre Altesse Royale est si généreuse et si recon-
noissante des services que l'on lui rend qu'il est
1. Grumello, ville d'Italie, voisine de Crémone.
2. Le marquis Guide Villa, lieutenant général de la cavalerie
piémontaise, avait été tué d'un coup de canon sous les murs
de Crémone le jour précédent. Une lettre du colonel Monti à
la duchesse de Savoie du 25 août 1648, publiée par M. Cla-
rctta, donne sur les circonstances de cet événement les détails
les plus précis G. Claretta, Storia del regno e dei tempi di
Carlo Einanuele II, duca di Savoia, I, 29).
1
2 CORRESPONDANCE
inutile de lui parler du zèle qu'il avoit toujours eu
pour Votre Altesse Royale et celui de Son Altesse
Royale voire fils. Mon seul dessein aussi en ce ren-
contre est d'assurer Votre Altesse Royale que je
n'omettrai aucun soin pour la conservation de la
cavalerie de Son Altesse Royale et que je rechercherai
toute ma vie, avec une passion très ardente, les occa-
sions de lui témoigner qu'il n'y a point d'homme au
monde qui soit avec tant de zèle et de respect,
Madame, de Votre Altesse Royale, très humble, très
obéissant et très fidèle serviteur,
Le Chev. de Se vigne.
II.
M. DE SE VIGNE A MADAxME ROYALE.
A Paris, ce 21 septembre (1651), à cinq heures du soir.
.l'ai appris avec une joie extraordinaire que Votre
Altesse Royale avoit recouvré sa santé, que je souhaite
passionnément qui lui continue un siècle très parfaite.
J'ai informé très parliculièrement M. deSénantes'
de tout ce qui se passe ici pour en rendre compte
1. François de Havart, marquis de Sénantes, iîls cadet de
Nicolas, seigneur de Sénanles, et de Madeleine de Sallun, avait
d'abord été gentilhomme de la maison de Gaston d'Orléans ; il
passa ensuite en Piémont, où il devint mestre de camp d'un
régiment du duc de Savoie, maréchal de camp en 164G, puis
lieutenant général et capitaine des gardes du corps de Madame
Royale. Il avait un frère aine, Nicolas, mort colonel de cava-
lerie et d'infanterie, qui était entré comme lui au service de
Savoie [Mémoires du comte de Som'igny, publics pour la Société
de l'Histoire de France par L. de Contenson, t. II, p. 6).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 3
à Votre Altesse Royale, et je l'ai supplié de reee-
voir les commandements de Votre Altesse Royale
et de me les faire savoir, la pouvant assurer qu'elle
n'en honorera personne qui soit avec tant de respect
et avec tant de passion de Votre Altesse Royale,
Madame, le très humble et très obéissant et très
fidèle serviteur,
RR. DE SÉVIGNÉ.
m.
MADAaiE ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
18 novembre 1651.
Monsieur le chevalier de Souvegny. Je ne veux
pas laisser partir cet ordinaire sans vous remercier
de la peine que vous avez pris de m'écrire par celui
qui est arrivé de France la semaine dernière. Ce soin
obligeant que vous voulez avoir pour me complaire
me confirme dans les particuliers sentiments d'estime
et de gratitude que j'ai pour votre personne et fera
que, dans toutes les rencontres, je tâcherai de vous
témoigner que je suis bien véritablement, etc.
IV.
31. DE SÉVIGiVÉ A MADAME ROYALE.
Paris, 24 novembre 1651.
J'ai reçu la lettre dont il a plu à Votre Altesse
Royale m'honorer du 9'"® du courant. Si M. l'Am-
4 CORRESPONDANCE
bassadeur' avoit été visible, j'aurois eu l'honneur
de le voir dès aujourd'hui afin de recevoir plus par-
ticulièrement les ordres que vous lui aviez envoyés.
Je supplie très humblement Votre Altesse Royale de
croire que j'ai pour elle tout le respect dont un
homme est capable et une véritable inclination et
si passionnée de lui rendre toute sorte de services
et d'obéissances très humbles que je ne trouverai
jamais rien de difficile lorsque je pourrai lui per-
suader cette vérité.
Je laisse à la relation imprimée de vous instruire
de ce qui s'est passé au combat de Cognac ^ ; il n'y a
rien de particulier qui n'y soit, fors que Monsieur
le Prince faisoit l'enragé sur le bord de la rivière et
que ceux qui étoient auprès de lui eurent mille peines
de l'empêcher qu'il ne se jetât dans un bateau pour
aller secourir ses gens. Cette déroute lui a fait un tort
qui ne se peut concevoir ; mais ce sera bien pis à
présent que toute l'armée du Roi a joint le comte
d'Harcourt.
M. le duc d'Orléans a toujours empêché que l'on
1. L'abbé d'Aglié, ambassadeur de Savoie en France de 1651
à 1655.
2. Le combat de Cognac avait eu lieu le 15 novembre. Les
troupes des Princes qui attaquaient la ville étaient campées
sur les deux rives de la Charente. De fortes pluies ayant amené
la rupture du pont qui joignait les deux rives, le comte d'Har-
court en avait profité pour attaquer et tailler en pièces la partie
de l'armée des Princes campée sur la rive droite. On publia
alors une relation particulière de ce siège intitulée : Le véritable
Journal de ce qui s'est passé pendant le siège de Coignac, et
comme quoi il a été levé en présence de M. le Prince, le 15
novembre 16oI-
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 5
n'ait vérifié la déclaration contre Monsieur le Prince ' .
Aujourd'hui il a fait un grand discours au Palais. Il
a dit que c'étoit la Reine qui vouloit faire déclarer
ce prince criminel, afin de le pousser dans la néces-
sité de s'accommoder avec le cardinal Mazarin et
qu'il savoit assurément que mondit seigneur le Prince
prendroit ce parti si le Parlement le condamnoit,
qu'il prieroit la Compagnie de lui donner quinze jours
et qu'il promettoit d'accommoder l'affaire dans ce
temps-là. Il a demandé aussi que l'on délibérât sur
cette affaire avant que de délibérer sur la déclaration ;
mais il a passé au contraire et a été arrêté que, mardi
prochain, sans remise, l'on délibèreroit sur les deux
choses à la fois. Je crois néanmoins que la chose ne
se terminera pas encore ce jour là, une des créatures
de Monsieur le Prince m'ayant dit qu'il avoit quelque
pensée de présenter requête afin de récuser le Premier
Président^, disantqu'il ne peut pas être juge puisqu'il
a scellé la déclaration ; nous verrons si cette chicane
réussira.
Le bruit couroit que le cardinal Mazarin étoit
près d'entrer en France ; mais cela est faux ; ce n'est
pas qu'il n'en ait la pensée et que ses confidents ne
le flattent pas de cette espérance.
Je crois que vous avez su que la reine de Suède
1. Une déclaration, datée de Bourges le 8 octobre, déclarait
criminels de lèse-majesté les princes de Condé et de Conti,
Madame la Princesse, la duchesse de Longueville, les ducs
de Nemours et de La Rochefoucauld et tous ceux qui les assis-
teraient si dans un mois ils ne reconnaissaient leurs fautes et
ne rentraient dans leur devoir.
2. Mathieu Mole, premier président depuis 1641 et garde
des sceaux depuis le 3 avril 1651.
6 CORRESPONDANCE
avoit fait faire quelques propositions aux États de ce
pays-là de se démettre de la royauté, mais que, voyant
que l'on la vouloit prendre au mot au contraire de
ce qu'elle s'étoit imaginé, elle s'en veut dédire. Un
homme de ce pays là m'a dit aujourd'hui que les
États ne le vouloient pas souffrir et qu'il pourroit
bien y aA^oir guerre civile en ce pays-là.
Le voyage du Roi en est un peu retardé ; ses bons
serviteurs souhaitent qu'il ne revienne point qu'il
n'ait mis ses ennemis à la raison.
M. DE SEVÏGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 1" décembre 1651.
Il y a quelques jours que M. le duc d'Orléans avoit
envoyé un de ses gentilshommes nommé Verde-
ronne ^ à la Cour pour supplier le Roi de surseoir
l'enregistrement de la déclaration contre Monsieur
le Prince. Cette nuit, il est arrivé un courrier du Roi
au maréchal de l'Hospital-, qui lui commande d'al-
1. Charles de l'Aubespine, seigneur de Verderonne, maître
des requêtes, avait été fait chancelier de Monsieur à la place
de M. Le Coigneux en 1635. En 1650, il avait été envoyé par
Monsieur auprès de l'archiduc d'Autriche, gouverneur des
Pays-Bas, en vue d'entamer des négociations avec 1 Espagne, et
en 1651 député en Espagne au sujet de la mise en liberté du
duc de Guise [Mémoires de Nicolas Gaulas, I, 253 et III, 256;
Lettres de Mazarin, IV, 261).
2. François du Hallier, dit le maréchal de l'Hospital, créé
maréchal de France en 1643, avait été nommé gouverneur de
Paris en 1650.
DU CHEVALIER DE SEVIGNE. 7
1er au Parlement et de dire que Sa Majesté se plaint
du délai que cette Compagnie a apporté en cette
affaire, qu'il a amplement informé le sieur de Ver-
deronne des raisons qu'il a pour ne pas accorder à
son oncle ce qu'il lui demandoit sur ce sujet et qu'il
en demeurera satisfait.
Le sieur de Verderonne devoit aussi demander au
Roi s'il trouveroit bien que M. de Chavigny ^ allât
trouver Monsieur le Prince pour travailler à un accom-
modement ; je ne sais point quelle réponse l'on lui
aura faite ; il faut attendre son retour pour l'ap-
prendre. Les politiques de ce pays ne croient pas
que l'on l'accorde.
M. le duc d'Orléans a été ce matin au Palais et a
prié la Compagnie d'attendre le retour du sieur de
Verderonne avant que de délibérer. L'on a donné
jusques à demain ; mais, comme ledit sieur ne sera
pas venu, je me persuade que la chose sera remise à la
semaine prochaine. L'on m'a assuré que M. le duc
d'Orléans ne fait pas toutes ses démarches par amitié
qu'il ait pour Monsieur le Prince, ains au contraire
qu'il le hait beaucoup, mais qu'il le craint encore
plus et par-dessus tout il ne peut se résoudre de se fier
à la Reine, disant qu'elle l'a trompé plusieurs fois.
Votre Altesse Royale voit que je n'en suis pas de
même et que j'ai une entière confiance en sa bonté,
puisque je ne lui cache rien. Le zèle et la passion
1. Léon Bouthillier, comte de Chavigny, né en 1608, secré-
taire d'Etat en 1632, surintendant des finances en 1635 et
ensuite ministre des Affaires étrangères. Il prit pendant la
Fronde une part des plus actives aux négociations entre la
Cour, le duc dOrléans et Condé et mourut le 11 octobre 1632.
8 CORRESPONDANCE
que j'ai de la servir m'oblis^eront à en user toujours
ainsi.
Le mauvais temps a empêché que notre armée
n'ait encore pu joindre tout à fait M. le comte
d'Harcourt. Ce sont les dernières nouvelles que j'aie
eues de la Cour, et que le Roi ne partira pas d'où il
est que Ton ne voie si Monsieur le Prince veut donner
bataille ; on fera tous les efforts possibles pour l'y
obliger. On me vient de dire qu'il marche pour
secourir La Rochelle et M. d'Harcourt pour l'en
empêcher ; il ne se faut pas trop arrêter à tous ces
bruits. C'est trop parler de guerre. Quelques gazettes
de Poitiers portent qu'il y a plusieurs galanteries à
la Cour ; mais celle qui y fait plus d'éclat, c'est de
M™" de Beauvais ^ , qui a un œil de verre et plus de
soixante ans, avec M. de Yardes ~, fils de feu M"^ la
comtesse de Moret ^ et un des plus beaux gentils-
1. Catherine-Henriette Bellier, née vers 1615, avait épousé
en 1634 Pierre de Beauvais, dit le baron de Beauvais, écuyer,
lieutenant général de la Prévôté de iHôtel. Première femme
de chambre de la reine Anne d'Autriche, elle a laissé une grande
réputation de galanterie. D'après Saint-Simon et Primi Vis-
conti, elle aurait eu le pucelage du jeune roi, ce qui expli-
querait la faveur dont elle jouit toute sa vie à la Cour. M. de
Sévigné la vieillit beaucoup, puisqu'en réalité elle n'était âgée
au plus que de trente- six ans en décembre 1651, et non pas
de soixante ; son dernier fils avait alors un peu moins d'un an.
2. François-René du Bcc-Crespin, marquis de Vardes, maré-
chal de camp en 1640, lieutenant général en 1654, gouverneur
d'Aigues-Morles en 1060, disgracié en 1665 à la suite de la
découverte du complot qu'il avait formé avec le comte de Guiche
et la comtesse de Soissons pour perdre M"*^ de La Vallière,
mort en 1688.
3. Jacqueline de Bueil, comtesse de Moret, une des maî-
tresses de Henri IV, avait épousé René du Bec-Crespin, mar-
quis de Vardes.
DU CHEVALIER DE SEVIGXE. V
homme*; de son temps. La dame est première
femme de chambre de la Reine et fort riche.
L'on croit ici qu'il y a deux princesses qui veulent
épouser le duc d'York : c'est M""" de Longueville et
M""" de Chevreuse '.M. le Coadjuteur, (jui en peut
savoir des nouvelles, m'a assuré que la dernière n'y
pensoitpas : en effet ce seroit mieux le fait de l'autre,
qui a des biens excessifs. J'ai été plusieurs fois chez
M. l'abbé d'Aglié ; mais il a toujours été malade ;
j'en ai eu beaucoup de déplaisir, puisque cela m'em-
pêche de recevoir plus particulièrement les com-
mandements de Votre Altesse Royale. Il faudroil
qu'ils fussent bien difficiles à exécuter si je n'en
viens pas à bout.
Je supplie très humblement Votre Altesse Royale
de dire à son secrétaire que les chevaliers en France
ne sont pas mariés el que je suis marié et que je
m'appelle Sévigné, au lieu de Souvigni\ c'est qu'il
y a des personnes ici qui ont ce dernier nom, et
ainsi il se pourroit faire des équivoques '.
1. Suivant le témoignage de M''"^ de Montpensier, le projet
du mariage du duc d'York avec M"'^ de Longueville fut agité
en même temps que celui de son propre mariage avec le
futur Charles II, et elle ne cache pas qu'elle se montra nette-
ment opposée à ce projet [Mémoires de Mademoiselle de Mont-
pensier, édit. Chéruel, I, 332).
2. La confusion entre les mots de Sévigné ou de Sévigny et
celui de Souvigny s'explique par le long séjour qu'avait fait en
Italie un Français, Jean Gangnières. sieur de Souvigny, devenu
lieutenant général des armées du roi. Il avait été lieutenant du
roi à la citadelle de Turin après la prise de cette ville en 1640
[Mémoires du comte de Souvigny, t. I, p. 1 et suiv.). — Les trois
premières lettres de la duchesse de Savoie que nous reprodui-
sons sont adressées à « Monsieur le chevalier de Souvegny ».
10 CORRESPONDANCE
Si la femme que j'ai épousée ^ avoit l'honneur d'être
connue de Votre Altesse Royale, je crois qu'elle auroit
quelque bonté pour elle. Le récit que je lui ai fait
de vos grandes vertus lui a donné une si grande
vénération pour Votre Altesse Royale qu'elle a une
passion extraordinaire de lui rendre toutes sortes de
très humbles obéissances et respects. S'il métoit
permis d'en dire du bien, je l'assurerois qu'il y a peu
de femmes en France qui aient l'esprit meilleur ni
plus solide.
VI.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
2 décembre 1651.
Monsieur le chevalier de Souvegny. Les deux der-
niers ordinaires m'ont rendu vos lettres et je me
sens conviée à vous remercier de l'assiduité de vos
soins qui sont autant de témoignages de votre affec-
tion. Je vous prie de croire que j'en fais tout l'état
qu'elle mérite et que ce me sera une particulière satis-
faction quand j'aurai lieu de vous donner des
marques de mon estime et de paroitre aussi vérita-
blement que je suis, etc..
1. René-Renaud de Sévigné avait épousé, par contrat du
20 décembre 1050 (Arcli. nat., Y 188, fol. 46), Elisabeth ou
Isabelle Pena, lille de François Pena, médecin ordinaire du
Roi ; elle était veuve de Marc Pioche de La Vergne, qu'elle avait
épousé en février 1633 ; elle mourut à Angers le 2 février
1656. Il en est parlé dansllnlroduction.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. W
vn.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, le 8 décembre 1G51),
Samedi dernier, M. le due d'Orléans étant allé
au Parlement pour prolonger la vérification de la
déclaration, il amusa le tapis jusques à ce que
dix heures eussent sonné, et au même temps, il se
leva avec tant de précipitation qu'il sortit sans
saluer la Compagnie, ce qui la choqua si fort qu'a-
près un grand murmure elle résolut que le lundi
ensuivant l'on ne sortiroit plus sans achever la
délibération K
Le lundi, M. le duc d'Orléans envoya son cham-
bellan au Parlement, qui dit que Monsieur ne pou-
voit pas être juge de cette délibération, puisque le
Roi l'avoit fait arbitre du mécontentement de Mon-
sieur le Prince. L'on passa donc outre, et elle fut
vérifiée au Parlement ; il n'y eut que trente-six
voix pour Messieurs les Princes. L'on y ajouta que
l'on ne pourroit pas achever leur procès qu'en pré-
sence du Roi et dans le Parlement. Devant que l'assem-
1. En présence des efforts des gens du Roi pour faire enre-
gistrer la déclaration contre Monsieur le Prince, « M. d'Orléans,
écrit Dubuisson-Aubenay, a demandé à voir les registres des
années 1615 et 1616 pour voir comme tout s'était passé en
l'affaire du prince de Condé, ce qui a consommé l'heure jus-
qu'à dix, que M. d'Orléans étoit hors de sa place et se prome-
noit par la chambre » 'Journal des guerres c/c^7es de Dubuisson-
Aubenay, II, 135).
12 CORRESPONDANCE
blée se séparât, il fut résolu que demain l'on travaille-
roit à la continuation du procès du cardinal Mazarin.
La Cour même en a fait faire les propositions dans le
Parlement par les gens du Roi afin d'ôter tout pré-
texte aux partisans de Messieurs les Princes. Cela
n'empêche pas néanmoins qu'ils ne fassent courir
le bruit que force troupes qui se lèvent sur les
commissions du Roi se font pour rétablir le cardinal
Mazarin, et qu'il en fournit l'argent. Autant que j'ai
pu pénétrer, l'on ne peut s'imaginer que la Reine le
fasse revenir, et, si elle le fait, je la tiens bien mal con-
seillée, vous pouvant assurer qu'elle se perdra sans
ressource. Le monde croit qu'elle passera par des-
sus toute considération et que jVL le Coadjuteur lui
a promis de la servir pour rétablir cet homme ;
mais je sais de lui-même qu'il ne lui a pas pro-
mis ; ains au contraire, il lui a dit qu'elle se per-
droit si elle le faisoit revenir à présent et qu'il le
frondera plus que jamais. Il a seulement promis de
faire son possible auprès de Monsieur pour adoucir
son esprit et le faire consentir à lui donner une
place de sûreté.
Il a couru un bruit que Damvillers ^ étoit en
l'obéissance du Roi ; mais cette nouvelle n'est pas
confirmée. Elle portoit que les soldats avoient tué
1. Damvillers, chef-lieu de canton de l'arr. de Montmédy
(Meuse). A la date du 3 décembre, Dubuisson-Aubenay notait
également le bruit suivant pour le démentir aussitôt après :
« Avis que la garnison de Damvillers s'étoit, comme l'an passé,
saisie du commandant et même Tavoit tué, puis crié : « Vive le
Roi » et envoyé vers Sa Majesté. — Faux » [Journal des guerres
civiles de Dubuisson-Aubenay, II, 136).
DU CHEVALIEH DE SÉVIGNE. 1 •'>
le souverneur. Présenlment les tours de La
Rochelle sont toutes au Roi, les soldats de la der-
nière ayant jeté leur capitaine dans la mer pour
obtenir leur grâce K Les simples soldats montrent
l'exemple aux officiers et ont une chaleur très grande
pour le service de leur prince. L'on dit que Mon-
sieur le Prince en est au désespoir, et cela le fait
résoudre de combattre. Pour moi, je ne crois pas
qu'il le fasse parce que je ne crois pas qu'il le doive.
Néanmoins, les lettres de la Cour du 2 portent que
M. le comte d'Harcourt a passé la Charente et que
les deux armées sont en présence l'une de l'autre ;
il sera difficile qu'elles se séparent sans combat.
Après la politique et la guerre civile, l'amour ;
Mademoiselle se divertissant souvent avec le roi et
la reine dWngleterre, l'envie a pris à cette Majesté
de se marier et en a fait faire quelques propositions
à Mademoiselle, quiledit à Monsieur, lequel repartit
qu'il ne pouvoit pas y consentir en l'état qu'étoit
le roi d'Angleterre ; la Cour en a eu quelque petite
alarme ^.
1. La Rochelle était alors occupée au nom des Princes par
Louis Foucault, comte du Daugnon, maréchal de France en
1653, qui accablait les habitants d'impôts de toutes sortes.
Le 27 novembre, Barthélémy de La Rochefoucauld, baron
d'Estissac, à la tète de six cents gentilshommes du pays et des
bourgeois de la ville, forçait la garnison à se retirer dans trois
tours dont deux furent prises aussitôt, et la troisième un peu
plus tard par le comte d'Harcourt (Chéruel, Histoire de France
sous le ministère de Mazarin, I, 43-45).
2. Mademoiselle parle longuement dans ses Mémoires de ce
projet de mariage qui, mis en avant par Henriette de France
et vivement souhaité par le jeune prince d'Angleterre, aurait
14 CORRESPONDANCE
L'on a été fort longtemps à déchiffrer quelque
lettre de M™* de Longueville à la marquise de Sablé
où l'on croyoit qu'il y eut de grandes machinations
contre l'Etat ; mais enfin l'on a trouvé que cette
princesse faisoit confidence à l'autre que M. de
Nemours lui avoit fait une déclaration d'amour ' ;
cela pourra diviser les chefs de ce parti. L'on m'a
assuré que cette princesse et l'autre du même
parti ayant fait faire à Bordeaux un magnifique théâtre
pour y faire représenter des comédies, un desjurats
avec le peuple l'ont mis en mille morceaux, disant
qu'il falloit prier Dieu et non pas se réjouir.
Le Roi étant au bal, le petit Monsieur en dansant
s'embarrassa dans les jupes d'une dame, qui le firent
tomber, dont la petite Beauvais ~, fille de la première
femme de chambre, se prit à rire avec un si grand éclat
que Monsieur, frère du Roi, lui donna un soufflet. Tx
Roi a voulu qu'il ait eu le fouet, s'en étant fait une
alHiire d'Élat.
échoué devant la mauvaise volonté du duc d Orléans et les
résistances de la Cour [Mémoires de Mademoiselle de Mont-
pensier, édit. Chéruel, I, p. 324-333).
1. C'est pendant le voyage qu'ils firent avec la princesse de
Condé du Berry à Bordeaux en octobre 1651 qu'éclata la pas-
sion du duc de Nemours pour M'"'^ de Longueville, bientôt
suivie d'une rupture éclatante de la part de La Rochefoucauld.
D'après V. Cousin, le désir de gagner à son frère un allié précieux
et la satisfaction de triompher de M'^*= de Chàtillon, qu'elle n'ai-
mait pas, furent les deux raisons qui inspirèrent dans cette cir-
constance M™*" de Longueville (V. Cousin, Madame de Longue-
ville pendant la Fronde, 86-89).
2. M. de Sévigné a dtijà parlé plus haut (p. 8) des galan-
teries de M"" de Beauvais. M'"^ de Beauvais dont il est ques-
tion ici est sans doute la même qui devait épouser quelques
DU CHEVALIER DE SÉVIONÉ. 15
Un nommé Varin, maître de la Monnoie ', a\ant
marié sa fille avec un boiteux fort riche contre sa
volonté, elle s'est empoisonnée huit jours après ;
elle a t'ait mille reproches à son père en mourant.
M. de Nantouillet 2, celui qui a eu l'honneur
d'être connu de Votre Altesse Royale, un moment
après être couché, vit entrer dans sa chambre un
sien ami intime, nommé ïupigny, qu'il y a long-
temps qui est mort. Il vint s'asseoir sur son lit et
lui dit : « N'aie point de peur ». Nantouillet lui dit :
« J'en ai un peu ; mais je te prie, dis-moi où tu es, et
ce qu'on fait en l'autre monde ». Il lui répondit :
mois plus tard le marquis de Richelieu et pour laquelle, s'il
faut en croire la Muse Instorique de Loret du 4 février 1652,
sa mère ne rêvait alors rien moins que le glorieux emploi de
demoiselle d'honneur de la Reine :
Un des plus violents souhaits
De dame Catau de Beauvais
Seroit que sa charmante lîllc,
Qui tout de bon est fort gentille,
Parvint au glorieux bonheur
D'être une des filles d'honneur ;
Mais la chose n'est pas aisée,
Car à cela s'est opposée
Avec grande aigreur et iierté
La cruelle communauté.
1. « Varin, de la Monnoye » figure dans les rôles des taxes
levées à Paris, en 1649, par ordre du Parlement pour l'arme-
ment et l'entretien des troupes chargées de la défense de la
ville et s'y trouve taxé à 2000 livres pour l'armement et à
300 livres par mois pour l'entretien (Dubuisson-Aubenay, II,
320).
2. Il est sans doute le même que le marquis de Nantouillet
qui fut tué au combat de la Porte Saint-Antoine, le 2 juillet
1652, en combattant dans les troupes royales.
16 CORRESPONDANCE
« Cela m'est défendu ; mais je t'apparoîtrai encore
deux fois, l'une pour le donner conseil dans une
grande affaire qui l'arrivera, et l'autre deux jours
avant que tu meures ». Après cela, il lui dit adieu.
Nantouillet dit qu'il le vouloit embrasser et que
l'autre lui dit : « Cela m'est défendu ». Au même
temps, Nantouillet se lève, va trouver Senas, neveu
de M. de Saint-André ' et lui conte la chose. Pour
moi, je crois qu'il dormoit, ou que quelqu'un lui a
voulu faire peur ; car ils trouvèrent une place où il
disoit que son ami mort s'étoit assis.
Les agents de Monsieur le Prince ont envoyé force
canailles au logis de M. le Premier Président pour
lui faire peur ; mais ce ferme vieillard fit ouvrir
toutes ses portes, leur demandant ce qu'ils vouloienl.
Sa hardiesse les étonna et les fit retirer ^. L'on a
1. Charles de Gérente, marquis de Senas, qui mourut en
1697 brigadier des armées, était fils de Justine du Puy-Mont-
brun, sœur d'Alexandre, marquis de Saint-André, lieutenant-
général de ÎSivernais en 1048, qui avait servi en Piémont, et
qui devint par la suite généralissime des troupes de Venise.
2. Une foule composée d'environ trois cents personnes de
la lie du peuple s'était d'abord portée au Luxembourg, deman-
dant la paix et la diminution des impôts. De là, elle se rendit
à l'hôtel du Premier Président. Le maréchal de Schônberg,
colonel-général des Suisses, fît fermer les portes de la cour ;
mais le Premier Président, dit Dubuisson-Aubenay, « les fit
ouvrir afin que de cette populace qui voudroient entrassent ;
et lui se tint en une fonèlre, parlant à M. du Plessis-Gué-
négaud, secrétaire d'État... et à d'autres sans s'émouvoir ».
(Dubuisson-Aubenay, II, 137). « Toutes lesquelles choses,
déclare Talon [Mémoires, p. 452), furent faites et exécutées
par les amis de Monsieur le Prince ; mais ce fut du consente-
raentdc M. le duc d'Orléans. »
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE. 17
aussi tiré un coup de pistolet dans le cairosse du
premier surintendant des finances K
Il y a force gens à la Cour qui s'entremettent d'ac-
commoder Monsieur le Prince ; mais je ne crois pas
que la chose soit mûre. Je n'ai pu encore voir
M. l'Ambassadeur, à cause de sa maladie. Je m'ima-
gine qu'il envoie tous les imprimés à Votre x4.1tesse
Royale ; ainsi je ne les envoie pas.
La reine de Suède a mandé à Mademoiselle qu'elle
vouloit venir voir la France, sans être connue, et
qu'elle la prioit de lui donner la maison d'une de ses
amies. Elle lui a destiné celle de M™® de Choisy, de
Caen -, femme du chancelier de Monsieur. Si elle
vient, nous aurons bien des rois et des reines à Paris.
J'attends avec impatience les commandements de
Votre Altesse Royale .
1. Charles, marquis, puis duc de La Vieuville, ancien surin-
tendant des finances, disgracié en 1623 et rétabli en sep-
tembre 1651 dans cette charge qu'il exerça seul jusqu'à sa
mort en 1653.
2. Jeanne-Olympe Hurault de Belesbat, arrière-petite-fîlledu
chancelier de l'Hospital, mariée à Jean de Choisy, chancelier
du duc d'Orléans, mère de l'abbé de Choisy. M™^ de Choisy
était une des femmes les plus intrigantes de son temps, entre-
tenant des correspondances suivies avec la reine de Pologne,
la reine Christine de Suède et la duchesse de Savoie. Dans
le rôle des taxes imposées en 1649 par ordre du Parlement,
M. de Choisy est taxé à 2000 livres Dubuisson-Aubenay,
II, 321). On l'appelait de Caen parce que son mari avait été
receveur général des finances à Caen et pour la distinguer des
autres Choisy. L'hôtel dont il est question était situé rue des
Poulies et fut pris en 1657 pour l'agrandissement du Louvre.
18 CORRESPONDANCE
vm.
MADAiME ROYALE A M. DE SÉVIGAÉ
9 décembre 1651
Monsieur le chevalier de Souvegiiy. Je vous
remercie du soin que vous avez pris de me donner
de vos nouvelles par votre lettre du 24 du mois
passé. Je vous prie de me les continuer souvent et
d'être assuré que je conserve bien chèrement le
souvenir de l'obligeante inclination que vous avez
pour celle qui sera toujours avec une affection par-
ticulière, etc..
IX.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, le 15 décembre 1651.
.T'ai vu M. l'Ambassadeur qui m'a fait entendre les
intentions de Votre Altesse Royale : je l'ai assuré
que j'avois une passion très forte de servir la mai-
son royale de Savoie et une inclination très forte
pour la personne royale de Madame et que, si je
n'en venois à bout, ce seroit faute de pouvoir ou
de lumière, qu'il pouvoit remédier à ce dernier en
me faisant connoître les intérêts de son maître afin
que je lui pusse donner les avis que je pourrai
découvrir lui être utiles.
Il me parla de mon ami qui, m'étant venu voir le
lendemain malin, m'assura qu'il mourroit plutôt que
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 19
de manquer aux choses qu'il m'avoit promises sur
le sujet de Votre Altesse Royale et que je n'en pou-
vois trop dire : ce sont ses propres termes. Il ne
reste donc rien plus pour ma satisfaction entière,
sinon qu'il soit dans un poste où il ait plus de pou-
voir, la pouvant assurer que je ne souhaite rien au
monde avec tant d'ardeur que de lui donner des
preuves certaines de mon zèle pour son très humble
service, etc.
L'on donna avant hier un arrêt contre le Mazarin,
dont je ne vous parle point, étant certain que
M. l'Ambassadeur l'aura envoyé, puisqu'il est impri-
mé ^ Il y eut dans l'assemblée un conseiller pen-
sionné de Monsieur le Prince qui, enragé de voir
M. le Coadjuteur opiner si fortement contre le Car-
dinal, voulut invectiver contre ledit sieur le Coadju-
teur disant qu'il y avoit des gens d'église qui se ser-
voient de mauvais moyens pour s'élever aux dignités,
ce que ledit sieur ne pouvant souffrir, il l'inter-
rompit contre les formes, ce qui obligea aussi ledit
conseiller à le nommer aussi contre les formes en l'ac-
cusant et l'autre en lui donnant des démentis dans
les formes ~. Le bruit des enquêtes termina le diffé-
rend, et l'arrêt fut donné, comme vous verrez.
1. L'arrt't donné, déclare Dubuisson-Aubenay, suivant les
conclusions des gens du Roi, tendait à députer vei's le Roi pour
le prier de maintenir sa déclaration du 6 septembre précédent
et empêcher le retour du cardinal Mazarin [Journal des guerres
civiles de Dubuisson-Aubenay, II, 140).
2. C'est le sieur de Fleury-Machault, conseiller aux Requêtes,
qui, une première fois en termes généraux, mais pourtant très
clairs, et une seconde fois nommément, dénonça l'ambition et
les intrigues du Coadjuteur [Œuvres du cardinal de Retz, lY,
59; Dubuisson-Aubenay, II, 139).
20 CORRESPONDANCE
Le dernier combat de Monsieur le Prince a beau-
coup diminué la réputation de son parti et ses
troupes aussi. Le château de Dijon s'est remis dans
le service du Roi ^ ; mais la nouvelle de Damvillers
est fausse.
L'on continue quelques négociations avec Mon-
sieur le Prince et l'on m'a assuré que M. de Gra-
mont le va trouver.
Le bruit court aussi que Saint-Germain Beaupré ^
traite pour son frère du Daugnon et que l'on parle
de lui donner le bâton de maréchal de France pour
ce dernier, et pour un de leurs frères l'évêché de
Poitiers, vacant depuis quelques mois ^. Je vous prie
toujours de faire différence des bruits qui courent
et des choses que je vous mande d'autre manière. Je
ne doute point que Votre Altesse Royale ne soit
dans la curiosité où est toute la France de savoir si le
Cardinal reviendra. Toute la cabale de Monsieur le
Prince publie qu'il est déjà entré ; ce bruit étant
avantageux pour leur parti, jugez ce que produiroit
l'effet. La Reine souhaite son retour ; lui-même le
désire avec passion et ses amis particuliers aussi ;
mais, avec cela, je ne crois pas qu'elle ose le faire
revenir, puisque au même temps toute la France se
rangeroit du parti de Monsieur le Prince. J'ai de
1. Le château de Dijon avait été repris par les troupes du
Roi le 8 décembre.
2. Henry Foucault, marquis de Saint-Germain-Beaupré,
mestre de camp d'un régiment d'infanterie en 1644, maréchal
de camp en 1649, mort en 1678.
3. L'évêché de Poitiers resta vacant quelques mois encore :
c'est Antoine, cardinal Barberini, qui y fut nommé.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 21
mon opinion beaucoup de gens que l'on tient très
savants dans les affaires présentes ; l'événement fera
voir qui a mieux jugé.
Je viens d'apprendre d'un homme qui sort d'avec
moi que, la Cour ayant refusé à M. le duc d'Orléans
que M. de Chavigny allât trouver Monsieur le Prince
pour négocier, l'on lui avoit accordé le maréchal
d'Estampes ^ En effet, Monsieur le fait partir
demain matin ; il va droit trouver Monsieur le Prince
sans passer à la Cour ; mais M. [de] Damville ^ y
retourne, qui doit porter le duphcata des dépêches
dudit maréchal.
M. de Beaufort avoit envoyé un gentilhomme en
Cour demander les prises qu'ont faites certains cheva-
liers françois ; l'on les lui a refusées.
Les États de Bretagne ont donné au Roi un mil-
lion quatre cents mille livres ; le Roi a évoqué à sa
personne les différends du Parlement et des États de
cette province-là.
La marquise de Cœuvres mourut hier ; c'étoit la
femme du fils aine du maréchal d'Estrées qui a aussi
pensé mourir ; mais il se porte mieux.
1. Jacques d'Estampes, né en 1590, d'abord connu sous le
nom de marquis de La Ferté-Imbault, enseigne des gendarmes
de Monsieur en 1610, capitaine de sa compagnie des gendarmes
en 1626, lieutenant général des armées en 1645, maréchal de
France en 1651.
2. François-Christophe de Lévis-Ventadour, après avoir
servi dans la plupart des opérations contre les protestants sous
Louis XIII, avait été nommé premier écuyer du duc d'Orléans
en 1640, maréchal de camp en 1646 et créé duc de Damville
et pair de France en 1648.
22 CORRESPONDANCE
X.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE
Ce 15 décembre (1651), à 9 heures du soir.
Un de mes amis sort de chez moi, qui m'a dit
savoir de très bonne part que le Cardinal a si for-
tement écrit à la Reine que l'on la trahissoit sur son
sujet et que ses meilleurs amis le fourboient aussi
sur le sujet de son retour, et qu'il la supplioit de
trouver bon qu'il se rendît auprès d'elle, et que tout
son monde étoit prêt. Cet ami m'a ajouté qu'il
eroyoit qu'elle y avoit consenti ^ et qu'ainsi il ne fai-
soit nul doute que le Cardinal n'entrât en France au
premier jour ; que même un de ses amis l'avoit
assuré que le rendez-vous des troupes que le Cardi-
nal a levées, tant François qu'Allemands, avoientleur
rendez-vous^, que le Prince Palatin doit comman-
1. Dès le 2 décembre, Millet écrivait à Mazarin, par ordre
d'Anne d'Autriche : « La Reine... veut que vous veniez. »
(Chéruel, Histoire de France sous le ministère de Mazarin, I,
73.) D'autre part, le cardinal Mazarin écrivait de Dinant au
maréchal du Plessis, le 11 décembre : « Il est tout à fait
nécessaire que le Roy m'escrive une lettre contresignée par
un secrétaire d'Estat par laquelle il m'ordonne que, sans autre
réplique, je me rende auprès de sa personne et luy mène les
troupes que j'auray mises sur pied... Si laReyne prend la peine
de parler comme il faut à M. de 'Brienne, il fera sans doute la
lettre de bonne grâce... » [Lettres de Mazarin, IV, 534.)
2. Les mots avaient leur rendez-vous, sur 1 original, sont
écrits à une autre page ; c'est une fin de phrase que M. de
Sévigné croyait avoir commencée à la page précédente où une
autre phrase commencée n'est pas finie.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE. 23
der cette armée. Le même homme dit qu'auprès du
Cardinal il y a déjà une grosse cour. Pour moi, je
persiste en mon opinion, à cause des grands maux
que je sais qui en arriveront. J'ai pourtant cru à
propos d'en donner avis à Votre Altesse Royale et
que M. Le Tellier va faire la charge. Ma femme qui
revient delà ville me le vient de dire.
XL
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE
22 décembre 1651.
Depuis le dernier ordinaire nous avons appris
qu'il n'y avoit rien de si véritable que le Cardinal
Mazarin avoit pris toutes les mesures pour revenir
en France ; mais celles qu'il avoit prises pour cela
ne lui ayant pas toutes réussi, son retour, grâce à
Dieu, est un peu retardé. Je souhaite avec tous les
bons François que ce soit pour toujours.
Les troupes qu'il eroyoit avoir des ducs de T^une-
bourget de Mecklembourg lui ont toutes manqué par
les intrigues des Espagnols, et les françoisesquel'on
lève pour lui ont grand peine à sortir du néant.
Entre temps cela, le maréchal de l'Hospital a mandé
à la Reine que si elle faisoit revenir le Mazarin, qu'elle
verroit Paris et le Parlement tout en feu. Le garde
des sceaux, quiavoitété mandéavec tout le Conseil, a
supplié la Reine de considérer combien le Parlement
troublera Paris et donnera lieu aux ennemis de Sa
Majesté d'y semer la révolte, surtout si elle avoit la
pensée de faire revenir le Mazarin, et qu'il ne parti-
24 CORRESPO>DANCE
roit point que par un second commandement M. le
Coadjuteur,qui est venu céans ce matin, m'a juré
qu'il avoit écrit à la Reine de proprio pugno ^ que
ceux qui lui donnoient le conseil de faire revenir cet
homme, non seulement éloient ennemis de l'État,
mais encore plus de Sa Majesté et que la puissance
du Roi ne lui pouvoit pas garantir qu'elle ne pérît
avec lui ; enfin, il m'a dit que ce qu'il avoit fait pen-
dant la guerre de Paris n'étoit rien auprès de ce qu'il
feroit si le Cardinal revenoit. Il ne fait nul doute
que Monsieur le Prince ne consente à ce retour et
ne soit d'accord avec la Cour -.
Tous les gouverneurs des provinces ont tous
mandé les mêmes choses, et avec tout cela l'on croit
que la Reine veut le retour et que cet homme veut
revenir. S'il le fait, comme j'en veux douter jusques
à ce que je le voie, c'est le plus méchant homme de
la nature, puisqu'il veut ruiner le plus florissant
royaume du monde, sans se faire aucun bien. M. le
1. De proprio pugno, de sa propre main.
2. Dans ses leUres à l'abbé Charrier, où, suivant la remarque
de Chantelauze, se trahissent fidèlement ses pensées les plus
intimes, le Coadjuteur exprime à plusieurs reprises la fâcheuse
impression que lui cause ce retour de Mazarin et, suivant le
sentiment de M. de Scvigné, en tire des conclusions sur une
prétendue entente entre le Cardinal et le parti des Princes :
« Sans ce maudit retour du cardinal Mazarin, écrit-il le
18 décembre 1651, Monsieur le Prince étoit confondu ; il ne le
sera peut-être pas moins, étant d'accord avec lui »; et le
ô janvier suivant : « A l'égard de Monsieur le Prince, il étoit
perdu sans réserve si ce maudit homme n'eiit pas entrepris de
revenir, et c'est ce qui fait croire à beaucoup qu'il faut néces-
sairement qu'il v ait quelque réunion entre les Princes et le
Mazarin. » [Œuvres du cardinal de Retz, VIII, 1\-12.)
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 25
Garde des sceaux a dit qu'il remettioil les sceaux,
si cela étoit.
M. le maréchal d'Estampes est allé à la Cour, contre
ce que je vous avois mandé par ma dernière, et
même porte ordre dans ses instructions de revenir
si le Roi n'accorde ce que M. le duc d'Orléans
demande, qui est que la Reine ôte d'auprès d'elle
ceux qui lui persuadent de faire revenir le cardi-
nal Mazarin, et que, si elle lui veut promettre
de ne le point rappeler, qu'il obligera Monsieur le
Prince de s'accommoder dans un mois, ou sinon
qu'il s'engage de se déclarer son ennemi.
Voilà la vraie face des affaires présentes, à quoi
j'ajouterai que M. le duc d'Orléans court fortune de
se voir trompé pai* Monsieur le Prince. Mais, si cela
est, M. le Coadjuteur est résolu de n'abandonner
jamais mondit sieur le duc d'Orléans, lequel a juré
de faire tout ce qui se peut faire contre cet ennemi
public. J'oubliois de vous dire que M™* de Lon-
gueville a fort négocié avec cet homme et que Mon-
sieur son frère fait semblant de n'en rien savoir.
L'on dit que le Roi ayant écrit au cardinal Maza-
rin et que, demandant l'avis du maréchal de Villeroy,
il lui demanda si la chose étoit faite. Sa Majesté dit
qu'oui, mais que c'étoit la Reine qui Tavoit voulu.
Le maréchal lui repartit qu'il ne lui vouloit rien
dire, mais qu'il supplioit Sa Majesté d'en parler à
M. de Châteauneuf et que, le Roi l'ayant fait, ce
vieillard lui dit : « Sire, en rappelant cet homme.
Votre Majesté met sa couronne en danger ^ ». Je ne
1. Châteauneuf s'opposait auprès de la Reine au retour pré-
maturé de Mazarin sous prétexte que ce retour fortifierait le
26 CORRESPONDANCE
VOUS donne pas cela pour certain, mais bien que le
Roi a été informé de la haine publique envers le Car-
dinal. La Reine n'en est pas contente, non plus que
du procédé de M. de Châteauneuf qui, à ce qu'on
dit, quittera si l'autre vient.
Je suis ravi de faire quelque chose qui soit
agréable à Votre Altesse Royale. Je puis assurer que
je continuerai jusqu'au dernier soupir de mon
cœur.
xn.
M. DE SÉVIGNÉ A INLADAME ROYALE.
A Paris, ce 29 décembre 1651.
Par ma dernière, je vous ai mandé que M. le
maréchal d'Estampes étoit allé à la Cour et les choses
qu'il y devoit demander et aussi que M. le duc [de]
Damville le précéderoit de quelques jours pour
pressentir les sentiments de la Reine. Il a fait
réponse à M. le duc d'Orléans qu'il lui avoit été
impossible d'empêcher le retour du cardinal Maza-
rin, mais qu'il supplioit Son Altesse Royale décon-
sidérer qu'il ne falloit pas pour cela que le Roi ni
l'État en pâtît, et le Cardinal est à Sedan, s'il n'est
plus avant dans le royaume.
Vous voyez, à mon grand regret, que ce n'est pas
parti de Condé et jetterait dans les bras de celui-ci les parle-
ments et la plus grande partie des anciens Frondeurs. D'après
des déclarations postérieures du duc d'Orléans à Le Tellier,
Viileroy était sur ce point d'accord avec Châteauneuf. iChéruel,
Histoire de France sous le ministère de Mazarin, I, 69-71.)
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 27
là le chemin de la paix. Aujourd'hui on a fulminé
au Parlement contre ce retour avec toute la violence
que l'on se peut imaginer de gens aussi animés
qu'ils sont. Comme c'est une chose publique, je ne
la manderois pas à Votre Altesse Royale sans qu'il
y a toujours quelques particularités que tout le
monde ne sait pas ' . 11 y a plusieurs chefs dans l'ar-
rêté de la Compagnie. Le premier est que demain
il partiroit un président et deux conseillers du Par-
lement pour aller faire des plaintes à Sa Majesté de
l'infraction de la déclaration qu'il avoit lui-même
fait vérifier le jour qu'il avoit été déclaré majeur, lui
remontrer les désordres du royaume et la perte très
infaillible de son État, s'il suivoit plus longtemps
les pernicieux conseils que l'onlui donnoit, et entre
autres sur le retour du cardinal Mazarin ; que lesdits
députés ne s'adresseront qu'au Roi ;
En second lieu que défenses seroient faites à aucun
officier ni membre du Parlement de sortir de Paris,
sur peine de privation de leur charge, sous quelque
prétexte que ce soit ;
Que le Cardinal étoit criminel et sa tête mise à
prix pour la somme de cent cinquante mille livres qui
seroient pris sur sa bibliothèque, et, [ au cas] où elle
ne suffiroitpas, que l'on saisiroit tous les autres effets
dudit Cardinal, et, s'ils ne suffisoient pas encore, sur
1. On trouve l'exposé de cette séance ainsi que l'arrêt du
Parlement dans la brochure suivante : « Relation de ce qui s est
passé au Parlement, toutes les Chambres assemblées, le ven-
dredi 29 décembre 165i, ensemble l'arrêt contre le cardinal
Mazarin et ses adhérents » (Paris, Imp. V Guillemot, 1651,
in-4»^
28 CORRESPONDANCE
les biens les plus clairs de ceux qui suivroient le-
dit cardinal Mazarin ; commandement à tous les
peuples de prêter main forte aux gens de guerre
pour s'opposer aux passages des rivières, rompre
les ponts pour empêcher l'entrée de cet homme ;
que, si c'est un criminel qui tue ledit Cardinal, il
sera absous de tous les autres crimes et ne lairra pas
d'avoir l'argent, non plus qu'un étranger, bella
botta ^ pour un INapolitain;
Que M. le duc d'Orléans se serviroil de toute
l'autorité royale et la sienne afin de s'opposer à la
susdite entrée, et pour cet effet qu'il étoit sup-
plié d'y employer tous ses serviteurs et amis ; que
l'on donnera tous les arrêts nécessaires pour le loge-
ment de ses troupes ; qu'il les logeroit aux lieux les
plus à propos pour la sûreté de Paris, et bref que
l'on autoriseroit toutes les actions de Son Altesse
Royale qui concerneront la sûreté publique et la cause
commune ;
Que l'on écriroit à tous les parlements du royaume,
et que l'on leur envoieroit copie dudit arrêt et qu'on
les prieroit de s'unir avec celui-ci contre l'ennemi
public.
Voilà, Madame, tous les points que j'ai pu remar-
quer ; si, dans l'imprimé, l'on y change quelques
mots, cela se pourra bien, mais non pas du sens.
Votre Altesse Royale pardonnera à un homme qui
n'est pas du Palais.
J'ai fort entretenu M. le Coadjuteur et je puis vous
assurer que tout ce que j'ai mandé à Votre Altesse
r
1. Bella botta ^ beau coup.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE. 29
Royale sur ce sujet est très vrai, qui est qu'il sera
toujours ennemi de M. le cardinal Mazarin tant qu'il
sera en France, qu'il sera toujours serviteur de
M. le duc d'Orléans et inséparable de ses intérêts, et
je sais que Son Altesse l'aime autant qu'il ait jamais
fait. M'"" de Chevreuse a quitté Paris et n'y revien-
dra pas. Cela la convainc d'être mazarine ; cela
est cause aussi que beaucoup de gens ont soup-
çonné que M. le Coadjuteur étoit dans les mêmes
sentiments car il étoit accusé d'être amoureux de
la fille ; mais ils se trompent pour le premier, et
même ils se sont séparés assez mal, du moins il me
l'a dit ^ et qu'il étoit assez malheureux poui' être
abandonné de ses meilleurs amis parce qu'ils
avoient leur compte ; néanmoins qu'il sera ferme
1. D'après Guy Joly (t. I, p. 285 et 286), le refroidissement
qui s'était produit dans les relations du Coadjuteur et de la
duchesse de Chevreuse tenait à deux causes principales : la
duchesse accusait le Coadjuteur de se laisser trop influencer
par la Princesse Palatine, alors que de son côté le Coadjuteur
reprochait à la duchesse de Chevreuse d'avoir fait de l'abbé
Foucquet son principal agent à la Cour. Quant à M"® de
Chevreuse, son intimité avec le Coadjuteur était alors connue
de tous. Lorsqu'elle mourut presque subitement quelques mois
plus tard, « le cardinal de Retz, dit Joly, reçut cette nouvelle
avec tant d'indifférence que cela fit de la peine à ceux qui
savoient la manière dont il avoit vécu avec elle ». — « M"* de
Chevreuse, a écrit le cardinal de Retz dans ses Mémoires,
n'avait que de la beauté, de laquelle on se rassasie quand elle
n'est pas accompagnée. Elle n'avoit de l'esprit que pour celui
qu'elle aimoit, mais, comme elle n'aimoit jamais longtemps, l'on
ne trouvoit pas aussi longtemps qu'elle eut de l'esprit. » Le car-
dinal lui reproche encore de l'avoir abandonné pour l'abbé
Foucquet [Œuvres du cardinal de Retz, IV, 226-230).
30 CORRESPONDANCE
jusqu'au bout ; qu'il est au désespoir que la Reine
ne l'eût pas voulu croire ; qu'il l'avoit avertie cent
fois du malheur qui lui arriveroit si elle faisoit reve-
nir cet homme. Dieu veuille que le malheur ne tombe
pas sur les innocents !
Nous avons mille fois souhaité ledit sieur et moi
que la bonne Reine ressemblât à Votre Altesse
Royale. Pour moi, j'en donnerois une main et m'es-
timerois encore trop heureux de pouvoir respirer
sous la plus aimable princesse de l'Europe. J'espère
de sa bonté qu'elle me pardonnera la liberté qu'a
pris ma femme de lui écrire : elle est si charmée de
l'honneur que Votre Altesse Royale lui a fait qu'il
est impossible de la tenir. Pour moi. toutes les
grâces que vous nous faites ne nous surprennent
point, connoissant les grandes qualités dont le ciel
a pour\Ti si abondamment Votre Altesse Royale. Je
la supplie encore très humblement qu elle ail la
bonté de ne faire voir mes lettres qu'à ceux à qui
elle se fie tout à fait à cause des particularités.
Je viens de voir une lettre que M. de Châteauneuf
fait écrire à un de ses amis intimes et lui mande
les mêmes termes. Je ne puis répondre à votre der-
nière à cause que j'ai été saigné deux fois pour une
défluxion que j'ai; j'ai un peu d'émotion ; mais j'es-
père que les remèdes empêcheront la fièvre de
venir ; je souhaiterois que l'État ne fût pas plus
malade.
Nous sommes ici dans la plus grande consternation
du monde, et il ajoute ' que hors ^TM. de Mercœur 2,
1. M. de Châteauneuf, dont il est question dans le passage
précédent.
2. Louis, duc de Mercœur puis de Vtndôme, petit-fils de
t)U CHEVALIER DE SÉVIGN'É. 31
de Miolans ', Vardes -, l'amant de l'œil de verre ^ et
un serviteur particulier de Votre Altesse Royale^, que
tout ce qui est auprès du Roi a la mort peinte sur le
visage. Enfin tous les véritables François et qui
aiment plus le Roi que leur intérêt ont le poignard
dans le sein de cette affaire et j'enrage que le dernier
que j'ai nommé soit accusé d'être un des auteurs de
ce conseil. Comme je sais que Votre Altesse Royale
aime fort Monsieur son frère, je crois qu'elle ne me
blâmera pas de le servir dans ce rencontre. Je quit-
terois la France avec joie si je pouvois employer ma
vie pour témoigner à Votre Altesse Royale le respect
et la passion que j'ai pour sa personne.
xni.
MADAME ROYALE A. M. DE SÉVIGNÉ
30 décembre 1651.
Monsieur le marc[uis de Sévigné. J'ai reçu avec une
singulière satisfaction votre lettre du 8 de ce mois.
Henri IV, avait épousé l'année précédente LaureMancini, nièce
de Mazarin, et était tout dévoué aux intérêts du Cardinal.
1. Henri Mitte, comte de Miolans, fils du marquis de Saint-
Chamond; il mourut en 1665.
2. Le 1'^'' décembre 1651, Mazarin écrivait de Dinant au
maréchal d'Hocquincourt que le marquis de Vardes lui avait
offert de faire une bonne et prompte levée pour compléter son
régiment [Lettres de Mazarin, IV, 526).
3. Madame de Beauvais qui était « borgnesse », dit Saint-
Simon. Voyez ci-dessus, p. 8.
4. Il s'agit sans doute ici du prince Thomas de Savoie. Maza-
rin écrivait à son sujet à Millet le 20 novembre 1651 : « M. le
32 CORRESPONDANCE
Elle contient diverses particularités qui, mêlant le
sérieux avec le divertissement, la rende[nt] plus
agréable, quoique je vous puisse assurer que tout ce
qui vient de votre part est reçu de moi avec une
égale estime qui prend son prix de celle que je fais
de votre mérite. Je vous prie d'en être persuadé et
que je suis aussi véritablement qu'on peut être, etc..
XIV.
MADAME ROYALE A M-"" DE SÉVIGNÉ *
6 janvier lô52.
Madame la marquise de Sévigné, H n'y a point
d'apparence que ce qui est si puissamment uni puisse
souffrir aucune division et que des esprits bien faits
comme le vôtre et celui de M. le marquis de Sévigné
soient susceptibles d'une passion qui n'est pas légi-
time ; l'envie n'aura donc point de force auprès de
vous, et moi, partageant mon affection entre de[uxl
d'une si parfaite intelligence, je prétends de joindre
davantage vos volontés dans le commun désir que
vous aurez de m'aimer également. Ce sera une
prince Thomas a son bon sens, et, comme il est entièrement
attaché à la Rcyne et autant mon amy qu'il ne l'est point de
M. le Prince, je crois que Sa Majesté luy doit témoigner toute
confiance et faire cas de ses conseils » [Lettres de Mazarin,
IV, 515) .
1. Les lettres de M'"'^ de Sévigné auxquelles a répondu
Madame Royale par les lettres des 6 et 13 janvier 1652,
18 janvier et 8 février 1653 que nous reproduisons, n'ont pas
été retrouvées aux Archives de Turin.
DU CHEVALIER DE SE VIGNE. 33
louable émulation et qui me conviera toujours davan-
tage de mon côté à la sincère et véritable correspon-
dance que vous devez attendre de celle qui estime
parfaitement votre mérite et qui est, Madame,
votre, etc.
XV.
M. DE SÉVIGiNÉ A MADAME ROYALE
12 janvier 1652.
Je suis très glorieux de pouvoir faire quelque chose
qui soit agréable à Votre Altesse Royale ; je lui obéis
avec joie, puisque c'est avec une inclination très
forte, et je le fais avec toute sûreté, puisqu'il n'y a
point dans l'Europe de princesse si généreuse qu'elle.
Votre Altesse Royale me commande de lui dire
mes sentiments ; je ne me sens pas assez fort pour
les séparer du corps de ma lettre ; mais elle verra
dans les nouvelles que je lui écrirai de mon chef
sans mettre : l'on dit. Je souhaiterois être mieux
informé afin de pouvoir mieux satisfaire sa curiosité,
n'ayant pas de plus grande satisfaction que de lui
pouvoir plaire. Et, afin de ne la point faire attendre
les choses les plus importantes, je les mettrai les
premières .
La Reine, ayant une passion très grande de faire
revenir en France le cardinal Mazarin, a cru ne le
pouvoir mieux faire que dans le temps que tout y
éloil dans la dernière confusion et dans le dernier
désordre, croyant que cela ne pouvoil pas empirer
3
34 c;oRKESPO^■DA^•CE
son marché, en quoi sans doute elle se trompe bien
fort.
Avant que de prendre les dernières résolutions
sur ce sujet, elle envoya ici un nommé Bart€t *
prendre les avis de M™* de Che\Teuse et de M, le
Coadjuteur.La première lui dit que la Reine ne devoit
encore penser à ce retour et que les choses n étoient
pas encore en cet état.
Le dernier lui parla bien plus fortement et repré-
senta tous les inconvénients qui en arriveroient, et
les avantages qu'elle avoit déjà emportés sur Mon-
sieur le Prince et ceux qu'elle étoit prête de rem-
porter. Toutes ces raisons ne satisfirent point la Reine
et elle s'emporta fort contre eux, et, quoique la pre-
mière eût promis de servir pourtant toujours Sa
Majesté, elle ne laissa de dire que c'étoit une traî-
tresse, et c'est ce qui a obligé cette dame de reve-
nir à Paris ; néanmoins je crois qu'elle garde tou-
jours quelque mesure avec la Cour, le sieur de
Laigues ^, son favori, à qui elle a fait donner la
charge de capitaine des gardes de Monsieur, frère du
Roi, y étant allé depuis que le Cardinal est en France.
Je crois même que M. le Coadjuteur n'est pas tout
à fait brouillé avec la Reine ; toutefois, sans préju-
dice de l'attachement qu'il a pour M. le duc d'Or-
1. Isaac Bartet était 1 un des agents les plus fidèles et les
plus intelligents de Mazai'in. Le Coadjuteur, dans ses Mémoires,
ne fait aucune mention de cette démarche de Bartet auprès de
lui.
2. Geoffroy, marquis de Laigues, capitaine des gardes du
duc d'Orléans. Il était en relations suivies avec le cardinal de
Retz qui parle souvent de lui dans ses Mémoires. — Voir ci-
après la lettre du 15 novembre 1652.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 35
léans, pour lequel il choquera toute la terre, et en
effet, il y est obligé, puisque Son Altesse Royale n'a
jamais voulu l'abandonner, quelque instance qu'en
ait faite Monsieur le Prince et tous ses serviteurs
qui sont ennemis dudit, je crois que ce dernier sera
bientôt raccommodé avec M. de Beaufort, M. le duc
d'Orléans le voulant ainsi. Il veut aussi que ce pré-
lat se raccommode avec Monsieur le Prince ; mais il
a fait voir à Son Altesse Royale que ce ne pouvoit être
une réconciliation entière, mais qu'il ne lairroit pas
de s'unir contre l'ennemi commun ; voilà après quoi
je crois que l'on travaille. Monsieur le Prince a écrit
à Monsieur qu'il croyoit que Son Altesse Royale sera
présentement persuadée qu'il avoit toujours eu rai-
son de dire que le cardinal Mazarin vouloit revenir.
C'est une marque que Monsieur n'étoit pas tout à
fait dans ses sentiments et qu'ainsi la Reine a eu
tort de leur donner un sujet légitime de s'unir plus
fortement ; néanmoins, mon opinion est que Mon-
sieur le Prince s'accommodera avec la Cour et que
M. le duc d'Orléans en sera trompé.
Le détail de ce qui s'étoit fait au Parlement vous
pourra faire conjecturer assez clairement le reste de
l'état des choses, tant générales que particulières.
Hier, les chambres s'assemblèrent sur une requête
qu'un clerc présenta contre un conseiller nommé
Portail \ disant qu'il avoit fait friponnerie en la vente
1. Paul Poi'tail, reçu conseiller au Parlement de Paris le 3
mars 1623. Le conseiller Portail, auteur à^V Histoire du temps,
du Discours sur la députation du Parlement à Monsieur le
prince de Condé, de la Défense du Coadjuteur, fut un des meil-
leurs libellistes de la Fronde [Œuvres du cardinal de Retz,
II, 559-502, III, 330;.
:16 CORRESPONDANCE
des livres du cardinal Mazarin. Il fut dit que la requête
seroit communiquée aux gens du Roi, afin défaire le
procès à ce coquin qui avoiteu l'efFronterie d'accuser
un de ces Messieurs. Outre cela, on cria fort contre
un conseiller de la Grand'Chambre, disant qu'il avoit
poussé ce coquin à présenter cette requête pour
empêcher la vente de la bibliothèque, et il fut ordonné
que, si aujourd'hui midi l on n'en trouvoit trente mille
écus, l'on la vendroit en détail, ce qui s'exécute, et
j'y ai été après dîner pour en avoir d'italiens et
espagnols ^ M. le duc d'Orléans se plaignit aussi
que l'on publioit une lettre que l'on disoit être du
cardinal Mazarin à lui et qu'elle n'étoit point con-
forme à celle qu'il en avoit reçue ; il fut arrêté que
défenses seroient faites à tous colporteurs, sus peine
du fouet, de plus rien vendre sous ce nom.
Comme on finissoit cette délibération, il entra un
gentilhomme de Monsieur le Prince, nommé de
1. Le dimanche, 7 janvier, les commissaires pour la vente de
la bibliothèque de Mazarin s'étant réunis, Gabriel Xaudé, le
bibliothécaire, « les harangua, déclare Dubuisson-Aubenay, leur
disant s'il étoit raisonnable qu'eux, gens de lettres, ruinassent
en trois jours un trésor des lettres amassé par dix-sept ans
avec tant de soins et de dépenses... » Cependant, dès le len-
demain, on en vendit pour 1500 livres ; le 9, le sieur Gilbert
Vialet, trésorier général de France à Moulins, présenta requête
pour être reçu à acheter la bibliothèque en bloc; le 11, le
même Vialet porta plainte de ce que M. Portail, conseiller
aux Enquêtes et l'un des commissaires, lavait la veille « traité
de Mazarin et mis sa personne en danger du peuple ». La vente
continua pendant tout le mois de janvier, étant, écrit Naudc
<' une désolation la plus étrange et la plus horrible que Ton ait
jamais vue » [Journal des Guerres civiles de Dubuisson-Aube-
nay, II, 148-119; Chéruel, Histoire de France sous le ministère
de Mazarin,}, 101-103 .
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 37
Sale * ; on le fit asseoir et couvrir ; puis il donna une
[lettre] dudit prince pour la Compagnie, par laquelle
il l'assuroit des mêmes choses dont il avoit assuré
Alonsieur, qui est de s'employer lui et ses troupes et
tous ses biens contre l'ennemi de l'État, et de plus
qu'il les prioit de prendre créance à ce que diroit ce
gentilhomme de sa part. Il lui fut dit d'exposer sa
créance, ce qu'il fit par écrit, ayant eu peur de l'ou-
Mier. L'on l'a lue, et il y avoit de plus que dans la
lettre que l'entrée du Cardinal justifioit assez ses
actions et qu'il les supplioit de lui faire justice sur
une requête que l'auteur présenteroit de sa part, les
fins de laquelle sont qu'il les supplie de surseoir les
poursuites que l'on doit faire contre lui après le mois
passé, attendu qu'il étoit prêt de se mettre dans son
devoir, lorsque le Cardinal sera hors de France, qui
est son ennemi. Il dit, dans le narré de sa requête,
que la venue de cet homme justifie assez son procédé.
Comme l'on vouloit opiner, un capitaine d'infan-
terie du régiment de Languedoc, qui esta Son Altesse
Royale, entra dans l'assemblée, qui dit qu'il étoit
en garnison dans Pont-sur-Yonne, qu'ayant été
averti que le cardinal Mazarin venoitpour y passer,
il avoit rompu le pont et s'étoit mis en défense
avec sa compagnie pour l'en empêcher, mais que les
habitants ayant eu peur d'être pillés, ils s'étoient
1. Gel officier est également appelé de Sales par Orner Talon
et La Sale par Guy Joly. Le Coadjuleur rapporte qu'ayant
demandé à M. Talon pourquoi le Parlement avait consenti à
entendre cet envoyé de Monsieur le Prince, il lui fut répondu :
« Nous ne savons plus tous ce que nous faisons; nous sommes
hors des grandes règles » [Œuvres du cardinal de Retz, IV, 74).
38 CORRESPONDANCE
mis contre lui et forcé de se rendre ^ ; que l'on l'avoit
mené au maréchal d'Hocquincourl, qui commandoit
ce corps-là ; qu'il y avoit vu MM. de Navailles, Bar,
Quincé et deux autres lieutenants généraux-; qu'il
V avoit \ai un conseiller du Parlement prisonnier,
nommé Bitault ^, qui lui avoit donné charge de dire à
la Clompagnie qu'allant pour exécuter les arrêts de la
Compagnie avec son camarade Coudray-Geinier^,
1. Le cardinal Mazarin, bien reçu par Fabert a Sedan le
24 décembre, avait continué sa marche pour rejoindre la Cour;
le 2 janvier 1652 il passait près de Reiras ; il était le 3 à Eper-
nay, le 6 et le 7 à Arcis-sur-Aube, le 8 à Mérv-sur-Seine et le
9 à Pont-sur-Yonne où les conseillers Bitault et Géniers du
Coudray, députés par le Parlement et aidés de quelques troupes
du duc d'Orléans, essayèrent vainement de l'arrêter. Le pre-
mier fut fait prisonnier et le second réussit à s'enfuir. D'après
les Mémoires de 3/"^ de Montpensier, le capitaine qui apporta
cette nouvelle au Parlement s'appelait Morangé. ÎN ayant avec
lui que cent mousquetaires de Languedoc pour défendre le
passage de l'Yonne, il aurait résisté longtemps et « fait en cette
rencontre une très belle action » (Mémoires de 3/"*^ de Mont-
pensier, I, 334'.
2. Philippe de.Montault, plus tard duc de Navailles et maré-
chal de France, était alors gouverneur de Bapaume, et Guy de
Bar, gouverneur de Doullens. Le cardinal de Mazarin avait en
outre auprès de lui, .loachim de Quincé, lieutenant général,
François-Marie, comte de Broglie, gouverneur de LaBassée, et
Jean de Schulemberg, comte de Mondejeu, gouverneur
d'Arras.
3. François Bitault, reçu conseiller au Parlement de Paris
le 24 mars 1623. Lors de la rentrée du Roi à Paris en octobre
1652, il fut du nombre des conseillers exceptés de la déclara-
tion d'amnistie et condamnés à quitter la capitale dans un délai
de trois jours.
4. Jacques Géniers du Coudray, reçu conseiller au Parle-
ment de Paris au mois d'avril 1639, était conseiller en la pre-
mière Chambre des Enquêtes. Contrairement à ce qu'annonce
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE. 39
beau-frère de celui qui est nommé pour ambassadeur
en Piémont, ils avoient été attaqués, lui pris et l'autre
que l'on ne savoit s'il étoit mort. Nous avons su qu'il
s'est sauvé. Cela causa grande rumeur, empéclia que
l'on ne pût achever la délibération de la requête.
Cela a été bien ce malin : l'on a accordé tout d'une
voix les fins de la requête de Monsieur le Prince et
l'on a dit que l'on recevra la déposition du capitaine
pour ensuite poursuivre ceux qu'il nommeroit se
trouver avec le cardinal Mazarin. Il faisoit état d'aller
à Gien ou à La Charité; mais il a su que Monsieur
y avoit mis deux régiments ; ainsi l'on m'a assuré
qu'il va à Saumur.
Les dernières nouvelles de Poitiers portent que le
garde des sceaux y est arrivé, qu'il est mal à la Cour
pour n'avoir pas voulu sceller la justification du
Cardinal. Il n'y a rien de plus certain que tout le
monde y enrage contre le retour du cardinal Mazarin,
prévoyant bien que c'est la ruine de l'État et des par-
ticuliers. Avec cela, il n'y en a pas un qui ne sacrifie,
comme un coquin, et l'un et l'autre pour ses intérêts
particuliers. Je n'envoie point à Votre Altesse Royale
les copies de toutes les lettres dont je lui parle, car
elles sont publiques. Je crois n'avoir rien oublié de
ce qui vous peut faire connoître la face de nos affaires.
Avec tout cela, je crois que le mal ne sera pas si grand
que la menace, si du moins l'opinion des illuminés
ici M. de Sévigné, aucun ambassadeur ne fut envoyé à Turin
en 1652, Ennemond Servien, ancien président de la Chambre
des Comptes de Dauphiné, lequel n'avait aucun lien de parenté
avec le conseiller Géniers du Coudray, ayant été seul ambassa-
deur de France à Turin de 1648 à 1676.
40 CORRESPONDANCE
arrive que le Cardinal ne peut s'établir et qu'il s'en
ira ou périra. Ainsi soit-il.
Je crois que M. de Beaufort commandera les troupes
de Mgr le duc d'Orléans, s'il veut, sinon ce Sera
le maréchal d'Estampes.
L'on m'a assuré que Na vailles a des lettres de duc,
que M. le Premier Président quittoit les sceaux, que
l'on les donnoit à M. Le Tellier et la charge de celui-
ci à Champlâtreux, fils du Premier ; mais,jusquesici,
c'est favola.
Le Cardinal n'a avec lui que de la cavalerie et des
dragons.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
13 janvier 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, je nesaurois assez
me louer de votre diligence et de votre affection.
J'ai reçu les deux lettres que vous avez pris la peine
de m'écrire cette semaine et l'autre. Je crois que
comme les conjonctures présentes vous fourniront
plus de matière de me faire savoir de vos nouvelles,
qu'aussi ne perdrez-vous l'occasion de me faire part
de ce qui sera plus curieux. Je vous en prie derechef
instamment et de croire que je suis et serai toujours
véritablement, etc..
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 44
XVII.
MADAME ROYALE A M-»* DE SÉVIGNÉ.
13 janvier 1652.
Madame la marquise de Sévigné, les marques de
votre affection que j'ai lues dans la lettre que vous
avez pris la peine de m'éerire me la rendent si chère
que je ne vois rien qui puisse approcher de son prix
que celle de M. le marquis de Sévigné : aussi
vous puis-je assurer que, quand cette étroite liaison
que je remarque entre vous ne se rencontreroit pas
partout ailleurs comme elle est, je la trouverois tou-
jours égale dans le rang que vous tenez tous deux
en mon estime et du désir que j'ai de vous faire con-
noître que je suis, etc....
xvm.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, le 19 janvier 1652.
Je crois savoir aussi bien la vérité des choses que
les autres; néanmoins j'avoue que, parmi tant de
différents intérêts, il est difficile de discerner les
bonnes nouvelles de celles qui ne le sont pas. Le
bruit qui court nous annonce très souvent les choses
qui arrivent ; mais le plus souvent aussi il est menteur ;
42 CORRESPO>'DANCE
c'est pourquoi il se peut faire que Votre Altesse
Royale aura appris les nouvelles que je lui écrirai
par d'autres que par moi.
Comme, par exemple, il y a déjà longtemps que
l'on croit que M. de Longueville se soit offert à M. le
duc d'Orléans, et néanmoins il y a très peu qu'il l'a
fait : je le tiens d'un fort bon auteur. L'on dit aussi
que Priolo est à la Cour ^ , qui traite pour lui. MM. les
ducs et pairs s'assemblent tous les jours pour fronder
la principauté de MM. de Bouillon que le Roi leur
veut donner, et même les maréchaux des logis de Sa
Majesté ont ordre de mettre sur les logis qu'ils leur
marqueront comme ils font aux autres princes-. M. le
duc d'Orléans avoit envoyé un trompette au maréchal
d'Hocquincourt pour lui demander le conseiller qu'il
a pris prisonnier ; mais, ne l'ayant pas voulu rendre,
le Parlement s'assembla mardi et résolut que l'on
sommeroit encore une fois M. d'Hocquincoui'l de le
rendre, à faute de quoi lui et sa postérité en demeu-
reroient responsables.
Si l'on vous mande que M. le duc d'Orléans ait
signé aucun traité avec Monsieur le Prince, ne le
croyez pas ; quand cela sera, je crois que je le saurai
1. Benjamin Priolo, secrétaire du duc de Longueville. Maza-
rin écrivait à SI. de Lionne dès le 6 juin 1G51 : u II faut que la
Reyne caresse tous les grands et les unisse... et qu'Elle tasche,
se prévalant de la mauvaise satisfaction que Ion dict que M. de
Longueville a de M. le Prince, de l'engager à Elle. Je croy
qu Elle l'y trouvera disposé et Prioleau pourra servir utile-
ment en cecy » [Lettres de Mazai'in, IV, 244].
2. C'est-à-dire ce qu'on appelait le pour : voyez les Mémoires
de Saint-Simon, éd. Boislisle, V, 357.
DL CHEV.VLIEK DE SÉ VIGNE. 43
des premiers ' . Le sieur de Gaucourt ^ est ici qui né-
gocie puissamment pour cela. Jusques à présent, nous
ne voyons encore rien, si ce n est une très grande
animosité contre le retour du Clardinal et une très
forte résolution de s'opposer de toute sa force à son
rétablissement.
M. de Ruvisfnv '^ arriva mercredi au soir en cette
ville et parla hier au matin de la part du Roi à M. le
duc d'Orléans et lui dit les mêmes mots que Sa
Majesté lui avoit commandé de lui dire, qu'il n'avoit
pas pu refuser au cardinal Alazarin la permission de
se venir justifier et de lui amener un secours con-
sidérable ; qu'il lui auroit plus tôt donné avis de la
résolution qu'il avoit prise de le laisser revenir en
France sans qu'il savoit l)ien qu'il s'y opposeroit ;
mais, puisque c'étoit une chose faite, qu'il le prioit
1. C'est le duc d'Orléans qui prit l'initiative des négociations
avec Condé, ainsi qu'en témoigne un mémoire adressé à celui-
ci par M. de Fontrailles et daté de Pons le 10 janvier 1652
[Histoire des princes de Condé par le duc d'Aumale, VI, 506).
C'est le 24 janvier 1652 que le traité entre le duc d'Orléans et
Condé fut définitivement conclu par Joseph de Gaucourt, au
nom du premier, et par le comte de Fiesque pour Condé. Les
deux princes s'engageaient k ne déposer les armes qu'après
l'expulsion de Mazarin et à convoquer les Etats-Généraux.
2. Joseph-Charles, dit le comte de Gaucourt, mort en 1684.
« Ce M. de Gaucourt, écrit le cardinal de Retz, estoit hommede
grande naissance, car il estoit de la maison de ces puissants et
anciens comtes de Clermont en Beauvoisis, si fameux dans nos
histoires. Il avoit de lesprit et du savoir-faire, mais il s'estoit
trop érigé en négociateur » [Souvenii's du règne de Louis XIV
par le comte de Cosnac, II, 23).
3. Henri de Massue, sieur de Ruvigny, marquis de Bonne-
val, né en 1610, lieutenant-général en 1652 ; il fut délégué
général des synodes protestants.
44 CORRESPONDANCE
d'envoyer ses troupes dans les quartiers d'hiver qui
leur étoient destinés, et que s'il en avoit levé de nou-
velles, qu'il vouloit qu'on les cassât. Cette dernière
clause l'a si fort choqué qu'il lui a lépondu sur le
champ que, sans le respect qu'il portoit à la lettre du
Roi, il lui auroit témoigné trouver mauvais qu'il se
fût voulu charger de lui faire un discours aussi imper-
tinent que celui qu'il lui avoit fait. Ruvigny lui a
reparti qu'il n'avoit recherché cette commission et
que, s'il eût pu, il s'en fût excusé ; sur quoi. Monsieur
ajouta : «La Reine veut perdre le Roi, son fils, en lui
faisant perdre son Etat ; mais, après le Roi et Monsieur
son frère, il n'y a personne qui ait si grand intérêt
que moi qui suis son oncle ; c'est pourquoi je veux
lui dire que je m'opposerai de toute ma puissance et
que j'y périrai avec tous mes amis ou je l'en empê-
cherai. »
Tous les serviteurs trouvent que la Reine a eu tort
de faire faire à Monsieur un discours si sec, et ils
croyoient qu'ils dévoient nouer une négociation.
M. de Nemours' est arrivé sur le midi chez M. le
duc d'Orléans : il a été poursuivi par les troupes du
Mazarin entre-ci et Briare, et, pour s'en sauver, il a
été contraint d'en passer le canal. Je ne sais pas
encore le sujet de son voyage ; mais je crois que c'est
1. Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, ne en 1624,
avait épousé en 1643 Elisabeth de Vendôme, sœur du duc de
Beaufort. Il arriva à Paris le 19 janvier au soir, se reridanl en
Flandre pour prendre le commandement des troupes que les
Espagnols donnaient à Condé. Le Coadjuteur explique longue-
ment les craintes que ce voyage causait au duc d'Orléans, lequel
redoutait que ces troupes fortifiassent trop Monsieur le Prince
[Œuvres du cardinal de Retz, IV, 77-85).
DU CHEVALIER DE SEVIGNE. -l.>
pour tâcher de i'aiie signer Monsieur. La dernière
union avec M. le Premier est pour ajuster les autres
traités de la ligue.
Ruvigny, à son arrivée, a fait courre le bruit que
cinq ou six des meilleurs régiments de Monsieur le
Prince auroient été défaits ; mais l'on n'en sait rien.
Les députés du Parlement furent fort bien reçus de
Leurs Majestés. Le Roi leur dit que le Cardinal ne
venoit pas pour se mêler d'affaires, mais seulement
pour se justifier. L'on les a renvoyés fort sèchement,
et l'on m'a assuré qu'ils revinrent fort mal satisfaits.
Pour M. le garde des sceaux, il a calé la voile et
a donné les mains au retour du cardinal Mazarin.
C'est ce que vous en devez croire. Le bourgeois en
fait un plaisant conte que la Reine lui ayant assuré
que M. le Cardinal ne revenoit pas à la Cour pour se
mêler d'affaires, il lui avoit répondu en levant les
deux mains en haut, comme c'est sa coutume : « Hé !
Madame, hé ! qu'en voulez-vous donc faire ? » Se
non è ifero, etc.
C'est très grand dommage que cet homme ait fait
cette bassesse : il étoit illustre sans cela ; mais il faut
qu'il dise ce que dit Adam : « Seigneur, c'est le fils
que tu m'as donné ». Car c'est la passion du Premier
Président de faire la fortune de ses enfants ' . Je ne
1. La tendresse de Mathieu Mole pour ses enfants était pro-
verbiale. Loret la notait quelques semaines plus tard à l'occa-
sion de la mort de son fils, l'évêque de Baveux :
Ce père, tout blanc de vieillesse,
Ayant toujours de la tendresse
Pour tous les enfants qu'il a faits
Ouoy qu'ils soient honnestement laids,
(Loret, Muze historique^ I, 230).
46 CORRESPONDANCE
la trouve pas aussi excusable que celle de plaire à
une femme.
M. de Chavigny ^ est si bien avec M. le due d'Or-
léans que l'on croit qu'il débusquera M. le Coadju-
teur ; pour moi, je ne le crois pas. L'on dit que le
Cardinal lui a offert [le poste] de secrétaire d'État de
la guerre et la survivance pour son fils, et qu'il a
refusé.
M. de Châteauneuf ne quittera la Cour, non plus
la Cour que le Garde des sceaux : sacro santo inté-
resse"- gouverne tout le monde.
Si Votre Altesse Royale veut que je lui fasse une
briève réflexion, je la conjure de ne la point laisser sur
la table d'argent de son cabinet rond sur laquelle j'ai
eu l'honneur d'y lire maintes relations ; à cette con-
dition, je commencerai par nommer tous les acteurs
de la comédie, qui sont le Roi, la Reine, le Cardinal.
M. le duc d'Orléans, Monsieur le Prince et ses
adhérents, M. le Coadjuteur et AP^ de Chevreuse,
M. de Beaufort et M"'^ de Montbazon. Le Roi fera
tout ce que la Reine voudra, la Reine fera tout ce
que le Cardinal voudra, et le Cardinal, pour s'établir,
donnera à M. le duc d'Orléans, pour le gagner, le
Roi à une de ses filles et tout le royaume à Monsieur
le Prince.
1. Léon Bouthillier, comte de Chavigiu , avait toujours exercé
une grande influence sur l'esprit du duc d'Orléans et sur celui
de Condé. Mazarin écrivait à labbé Fouoquet le 6 avril : « M. de
Chavigny, avec ses adhérens, gagne pays furieusement, et,
avec l'assistance de Monsieur le Prince, viendra à bout de tout »
[Lettres de Mazarin, V, 72).
2. Sacro santo interesse, l'intérêt sacro-saint.
DU CHEVALIER DE SEVIGNE. 4/
Le premier ne s'y fiera pas par son humeur el
pai'ce que sa fille n'est pas en âge nubile, et qu'ainsi
il passeroit pour dupe et qu'il meurt de peur de la
prison.
Le second ne s'y fiera pas pour aller à la Cour se
faire arrêter comme la première fois. Je ne fais nul
doute néanmoins que, si l'on lui fait son compte
assez avantageux pour qu'il soit en état de se
défendre contre le Roi, toutes les fois qu'il voudra
lui diminuer sa puissance, je crois, dis-je, qu'il s'ac-
commodera et fera connoître à M. le duc d'Orléans
qu'il n'a pu faire autrement.
Pour le troisième, comme il est assuré que Monsieur
le Prince ne lui pardonnera jamais V je doute qu'il
se puisse réconcilier avec lui, puisque celui-ci croi-
roit que l'autre ne le feroit que pour ne plus savoir
quel parti prendre ; et ainsi il ne feroit nulle diffi-
culté de le tromper et de le perdre, tellement que
je crois que, s'il peut faire en sorte que M. le duc
d'Orléans ne signe point de ligue offensive et défen-
sive avec Monsieur le Prince, qu'il ne le fasse. De
plus, je crois qu'il n'est pas mal à la Cour, mais
non pas avec le Cardinal. Pour M""^ de Chevreuse,
elle a vu Son Éminence en Picardie ; peu de gens le
savent. Pour M. de Beaufort, il est fort intéressé
pour la dame ; aussi elle lui fera faire ce que bon
L L'inimitié du Coadjuteur et de Condé était alors au plus
haut point. Celui-ci écrivait à Machault le 4 janvier : « Pour le
Coadjuteur, il faut le décrier auprès de Monsieur, ...le décrier
dans le Parlement et dans le peuple et tesmoigner à Monsieur
que je ne le puis souffrir » [Histoire des princes de Condé, par
le duc d'Aumale, VI, 505). ,
48 CORRESPONDANCE
lui semblera. Voilà la face du théâtre, vous en juge-
rez mieux que moi.
Cependant Mademoiselle ne laisse pas que de
jouer tous les soirs au eolin-maillart avec le roi
d'Angleterre * : dernièrement quelqu'un disoit à
cette Majesté qu'il commençoit à bien parler Fran-
çois ; il répondit qu'il ne falloit point s'en étonner,
puisqu'il avoit un maître et une maîtresse Françoise.
Néanmoins, la demoiselle n'y pense plus : elle a
d'autres pensées plus solides. Comme il n'est pas
ordinaire aux grandes princesses de bien écrire, je
vous envoie un manifeste qu'elle a fait sur ce que
M™" de Fouquesolles - Taccusoit de lui avoir manqué
d'amitié, après lui avoir promis de l'aimer toujours.
1. Loret écrivait le 14 janvier :
Au logis de Mademoizelle
La compagnie est toujours bell»-
Le monarque anglais, chaque jour,
Y fait le mieux qu'il peut sa cour
...Et tous les soirs presque on y joue
A ce jeu plaisant et gaillard
Qu'on appelle colin-maillard.
2. Jeanne Lambert d'Herbigny, marquise de Fouquesolles,
avec qui Mademoiselle avait été extrêmement liée et dont celle-
ci a cité le nom plus d'une fois dans ses Mémoires. En 16.')2,
leur liaison datait dune dizaine d'années, et Mademoiselle
semblait alors très refroidie à son égard. Elle a écrit sa vie,
probablement pour expliquer ce refroidissement, et c'est peut-
être cela que M. de Sévigné appelle un manifeste ; il en
existe une copie dans les manuscrits de Conrart (t. XII, 1375.
Biblioth. de l'Arsenal). Surnommée la « trésorière des
pauvres », M""® de Fouquesolles fut condamnée par contumace
à une prison perpétuelle en 1667, pour s'être approprié près
de sept cent mille livres qu'elle avait été chargée de distribuer
en aumônes. — V. Mémoires de M^^^ de Montpensier, I, 55 et
II, 33; Historiettes de Tallemant des Héanv, IV, 421.
DU CHEVALIER DE SE VIGNE. 49
Il ne faut pourtant pas s'étonner si Mademoiselle
a tant d'esprit, puisqu'elle est nièce de Votre x\llesse
Royale qui est le plus grand génie que nous ayons
dans l'Europe. .Te pense que je n'ai rien oublié et
qu'elle aura sujet de contenter sa curiosité.
XIX.
MA.DAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
20 janvier 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, les nouvelles
dont vous me faites part sont toujours des plus
curieuses et des plus véritables et dont je fais le
plus d'état, non seulement pour cette considéra-
tion, mais pour la singulière estime que je fais de
votre mérite et de votre affection qui paraît au soin
que vous prenez de me les continuer. Je vous
remercie de tout cœur et suis de même, etc..
XX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE
Le 25 janvier 1652.
Je mandai par ma dernière à Votre Altesse Royale
que je ne croyois pas que Monsieur le Prince eût été
battu ; il est vrai que cette nouvelle étoit venue si à
propos qu'il y avoit grande apparence qu'elle étoit
inventée. Néanmoins, elle ne l'est pas comme vous
verrez par la relation ; je ne voudrois pas répondre
50 CORRESPONDANCE
qu'elle ne fût un peu amplifiée; mais il est toujours
certain que Monsieur le Prince s'est retiré sur la
Dordogne et même Ton dit jusques à Bordeaux*.
S'il n'a pas tant perdu de monde que la Cour
publie, l'artifice est inutile, puisque cela n'a pas
empêché le Parlement de donner aujourd'hui un
arrêt aussi vigoureux contre le cardinal Mazarin,
comme si Monsieur le Prince eût été victorieux. Il
est imprimé, aussi bien que la relation dont je vous
parle ; mais je ne les envoie pas à Votre Altesse
Royale parce que je crois que M. l'Ambassadeur le
fait.
M. le cardinal Mazarin avoit écrit une lettre à
j^jme fl' Aiguillon -, avec défense qu'elle fût vue de
M. le duc d'Orléans, par laquelle il disoit n'avoir
d'autre dessein que de se justifier, et puis se retirer
où il plairoil au Roi lui commander ; elle l'a mon-
trée ; il en eut de la joie ; mais la harangue de Ruvi-
gny a tout gâté.
1. Condé avait été battu par le comte dHarcourt à Saint-
André-de-Cubzac sur la Dordogne, le 16 janvier 1652, et forcé
de repasser la rivière.
2. Marie-Madeleine de V igncrod, dame de Combalet, duchesse
d'Aiguillon, nièce du cardinal de Richelieu, avait été, comme
nous l'avons indiqué, la pi'incipale protectrice de M. et M™* de
La Vergne et la man*aine de la future comtesse de La Fayette.
M. de Sévigné la mentionnera encore plus d'une fois soit à
l'occasion de ses négociations avec Condé et Chavigny, soit au
sujet du mariage du marquis de Richelieu, son neveu, avec
M"^ de Beauvais. A cette date, elle n'inspirait encore à la
Cour qu'une confiance très limitée et Mazarin écrivait à Tabbé
Foucquet, le 11 janvier : « J'appréhende bien que le crédit de
Chavigny, assisté de M°*^ d'Aiguillon et de Fontrailles, ne pré-
vaillc auprès de S. A. R. et qu'on ne la porte à faire la aer-
nière liaison avec M. le Prince » \^Le tires de Mazarin, V, 4-5).
DU CHEVALIER DE SÉVIGMi. 51
M. de Chavigny a eu une lettre de cachet qui lui
commande de se rendre auprès du Roi ; mais il s'est
excusé sur l'extrémité de maladie où est son père ;
c'est plutôt le peu de sûreté qu'il y avoit pour lui
qui l'empêche d'obéir. L'on dit que c'est le Coadju-
teur qui lui a fait donner cette lettre ; toutefois, je
sais que cela n'est pas.
Le 26.
Monsieur le Duc avoit envoyé deux gentilshommes
à M. de Longueville pour le convier de signer la
ligue ' ; sa réponse a été qu'il demandoit deux jours
pour s'y résoudre et qu'au préalable M. d'Orléans
eût signé, ce qui fut fait la nuit du jeudi en la forme
qui s'ensuit : que Monsieur le Prince promet de
s'unir inséparablement avec Son Altesse Royale
pour chasser le Cardinal hors du Royaume, qu'il
promet aussi de se rendre en son devoir aussitôt
que ledit Mazarin sera ou mort ou chassé, et qu'il
renonce à tout intérêt particulier de quelque nature
qu'il puisse être ; moyennant quoi, mondit sieur
duc d'Orléans s'oblige de ne point abandonner mon-
dit sieur le Prince, renonçant toutefois de se servir
1. Le même bruit se trouve mentionné par Loret dans sa
Gazette du 11 février :
On dit partout en cette ville
Que Monseigneur de Longueville
Est par Gaston sollicité
De se ranger de son côté ;
Que pour l'avoir de sa cabale,
Sa susdite Altesse Royale
Dépêche vers lui plusieurs gens...
52 CORRESPONDANCE
ni d'Espagnols, ni d'aucun autre ennemi de la France
pour venir à bout du dessein qu'il a de chasser le
Cardinal, s'engageant l'un et l'autre de ne se point
accommoder avec la Cour que cela ne soit et sans
leur commun consentement.
M. le Coadjuteur, nonobstant tout cela, est fort
bien avec Monsieur \ vous assurant que celui-ci n'a
rien fait sans sa participation, comme vous pouvez
voir par la modification dudit traité. Il n'est pas du
tout accommodé avec Monsieur le Prince, et ainsi il
ne paraît point dans ces traités ; mais il est attaché,
comme je vous ai déjà mandé, avec Son Altesse
Royale, lequel l'aime d'autant plus qu'il voit toute la
cabale du prince déchaînée contre lui, mondit sei-
gneur connaissant bien que c'est le seul homme qui
soit à lui. L'on vous aura peut-être mandé que M. de
Chavigny gagnoit l'esprit de Son Altesse Royale au
préjudice du Coadjuteur ; mais cela n'est pas. Son
Altesse le croyant fourbe et à Monsieur le Prince.
Quelque mine que fasse M. le duc d'Orléans et
quelque chose qu'il ait signé, il est toujours sur ses
gardes et il avoue tous les jours à de ses domestiques
qui ne sont pas de la cabale du Prince qu'il sait
1. Le Coadjuteur écrivait à l'abbé Charrier, le 19 janvier :
« L'entrée du Mazarin en France a fait ici de nouvelles affaires.
M. le duc d'Orléans semble tourner du côté de M. le Prince et
se vouloir présentement unir avec lui. .. Quant à moi, je périrai
plutôt que de me raccommoder avec ce traître. Pour cela, je
n'en suis pas moins bien avec Monsieur, au contraire, je vous
assure que j'y suis toujours au meilleur état du monde et qu'il
ma considéré comme celui qui doit empêcher M. le Prince,
duquel il se défie fort, de lui mettre le pied sur la gorge »
(Œuvres du cardinal de Retz, VIII, 77).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 53
bien qu'il en a été trompé peu de jours après l'avoir
sorti de prison. Voilà donc l'état de la maison de
Son Altesse Royale divisée par les partisans du
Prince, ceu\ qui ne sont qu'à lui, et aussi les amis du
Cloadjuteur. Il y en a des plus sages de ces premiers
qui voudroient bien que ce dernier fût de leur parti
et disent que Monsieur le Prince y seroit assez dis-
posé, à cause que la haine qu'il a n'empêche pas qu'il
ne l'estime, mais que c'est Madame de Longueville
qui ne peut souffrir ce prélat, parce qu'il a vilipendé
M. de La Rochefoucauld et qu'il l'appela poltron en
plein Parlement ' : elle met donc dans l'esprit de
Messieurs ses frères une aversion pour lui effroyable.
Un des confidents de Monsieur le Prince a dit à un de
mes amis que mondit sieur de La Rochefoucauld étoit
mal avec ladite dame et que, si cela étoit, il se van-
teroit de faire le raccommodement : toujours, je suis
certain que mon homme ne fera point de bassesses
et qu'il ne s'y fiera que de bonne sorte, ayant été
trompé par trois fois. Tout ce que j'écris d'aujour-
d'hui est du plus fin secret ; mais je n'en aurai
jamais pour Votre Altesse Royale puisque mon
unique ambition est de lui plaire. J'ajoute que mon
ami fait ce qu'il peut pour faire venir ici le duc de
Lorraine ; si cela étoit, il ne craindroit plus ses
ennemis dans l'esprit de Monsieur.
1. D'après Guy Joly, le Coadjuteur, étant un jour entré en
contestation au Parlement avec La Rochefoucauld, lui aurait
dit : « Ami la Franchise, je suis prêtre et tu n'es qu'un pol-
tron : c'est pourquoi nous ne nous battrons point pour cette
affaire » (Mémoires de Guy Joly, I, 241).
54 CORRESPONDANCE
XXI.
INIADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
28 janvier 1652.
Monsieur le marquis deSévigné, je prends tant de
plaisir à lire vos relations que les plus longues me
semblent toujours les plus belles, comme celle que
j'ai reçue du 12 de ce mois. Si je ne tirois quelque
peine de celle que vous prenez pour m'obliger, je
souhaiterois d'avoir souvent de semblables et si par-
ticuliers avis des choses plus importantes qui se
passent dans ces conjonctures ; mais je ne veux rien
exiger de votre amitié que ce que vous pourriez
m'en écrire sans incommodité ; cependant je vous
prie de me croire véritablement, etc..
xxn.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 2 février 1652.
Dans le traité qui a été signé entre M. le duc
d'Orléans et Monsieur le Prince, il se remarque
quelques circonstances assez considérables. Ce der-
nier avoit demandé trois choses, dont l'autre n'en a
accordé qu'une, qui est qu'ils ne pourroient s'ac-
commoder l'un sans l'autre; et celles qu'il a refusées,
c'est qu'ils ne poseroient point les armes que la
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE. 55
paix générale ne fût faite et qu'il ratifieroit le traité
que celui-ci avoit fait avec les Espagnols.
Il est trop certain que, sans la venue du cardinal
Mazarin, le Prince étoit perdu et que toute la France
seroit présentement plus soumise sous l'empire du Roi
qu'elle n'a jamais été et M. le duc [d'Orléans] se fût
déclaré pour lui contre l'autre ; mais l'on commence
de voirie changement que cela apporte aux affaires;
car encore que Monsieur le Prince soit retiré à Bor-
deaux et le Roi maître de la campagne, le Langue-
doc ne laisse pas de prendre les armes pour Son
Altesse Royale. M. de Rohan, gouverneur d'Anjou,
s'est aussi déclaré et s'est rendu maître d'Angers,
du Pont-de-Cé et de La Flèche; enfin, partout où l'on
ne craindra pas la puissance de l'armée du Roi, ils
seront du parti contraire ; et ce qui fait que le peuple
de Paris ne témoigne pas tant de chaleur à prendre
les armes, ce n'est pas qu'ils n'aient autant de haine,
mais c'est que, le gain de leur trafic manquant, leurs
familles souffrent, et cela leur fait souhaiter le retour
du Roi, quand même il ramèneroit l'objet de leur
haine ; et, pour preuve de ce que je dis et que leur
cœur est ulcéré, je puis assurer Votre Altesse Royale
qu'il n' y a point de maison dans Paris ni autre Heu
où il y ait quatre hommes ensemble où l'on n'y
déchire la Reine avec les dernières indignités : je
dis même ceux qui sont les plus affectionnés pour
le Roi ; et, ce matin, étant allé faire ma cour à Mon-
sieur, il s'est approché d'un conseiller auprès de qui
j'étois et nous a dit que la Reine avoit fait aller le
Roi au-devant du plus infâme coquin de l'Europe.
M. de Longueville n'a pas encore signé, et j'ai
56 CORRESPONDANCE
nouvelles de Rouen que la Cour l'a remis à huit jours
après l'arrivée du cardinal Mazarin pour répondre
aux propositions que Priolo va faire de sa part.
Tout ce que l'on sait de Poitiers, c'est que le Car-
dinal y est arrivé dimanche dernier ^ . Un hruit court,
mais sans fondement jusqu'à cette lieure, que jNIM. de
Châteauneuf et de Yilleroysont arrêtés-. Il doit arri-
ver un courrier ce soir. S'il arrive, Votre Altesse
Royale en saura des nouvelles plus assurées.
J'ai reçu celles qu'il a plu à Votre Altesse Royale
de m'éerire du 13 et du 20 du passé. Tous les
humbles services que j'ai la volonté de lui rendre
ne mériteroient pas la moindre des bontés qu'elle
me témoigne, si ce n'est qu'elle ait celle de la rece-
voir pour l'effet. Je ferai tous mes efforts pour m'in-
former de ce que Votre Altesse Royale désire savoir.
Tout ce que j'en ai pu apprendre, c'est que depuis
que l'homme est arrivé à la Cour, l'on a remarqué
que la Reine a toujours fait connoitre plus claire-
ment le désir qu'elle avoit du retour du Cardinal,
et l'on avoit toujours cru qu'il commanderoit son
1. Mazarin, après un arrêt de plusieurs jours à Pont-sur-
Yonne, avait continué sa route pour rejoindre la Cour. Le 17 jan-
vier il était à Gien, le 20 à Aubigny, le 23 à Loches et arrivait
le 28 janvier, à Poitiers, où il était reçu avec enthousiasme par
la Reine, le jeune Roi et toute la Cour.
2. Il fut en efFet un moment question d'arrêter Château-
neuf qui demanda de son propre mouvement à se retirer. Aussi,
écrivait Mazarin à l'abbé Foucquet le 10 février, « paroissant
par là que son esprit n'éloit pas bien disposé, Sa Majesté
auroit pris quelques autres résolutions à son égard, s'il n'avoit
promis de demeurer à Tours et n'en partir sans permission «
[Lettres de Mazarin, V, 40). — Quant à Villeroy, il ne fut pas
inquiété et accepta la suprématie du Cardinal.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ . 57
armée. Si nous n'étions point à cent lieues de la
Cour, j'en saurois bientôt la vérité.
M. de Nemours est arrivé de Flandre et il forme
un corps d'armée qui sera assez considérable. M. de
Beaufort doit partir dans peu pour aller se mettre à
la tète des troupes de Monsieur, qui ne sont pas
encore en grand nombre ; mais il en fait faire en
Languedoc qui se mettront sur pied ; car il a donné
de l'argent pour cela.
Le maréchal de Turenne est parti d'ici pour aller
à la Cour ^ Pour dire la vérité, les généraux qui
savent leur métier sont de ce côté ; l'on dit que
celui-là va achever de prendre Montrond, un château
de Berry-.
L'on travaille depuis trois jours pour accommo-
der M. le Coadjuteur avec Monsieur le Prince ; mais
l'on désire qu'il donne un écrit par lequel il se
déclare contre le cardinal Mazarin, et il dit qu'il
n'a que faire de se déclarer par écrit, qu'il l'a fait
assez hautement et dans le Parlement et à Monsieur.
Les partisans de Monsieur le Prince poussent Son
1. Turenne arriva à Poitiers le 1'^'^ lévrier 1652, étant resté
à Paris, explique-t-il dans ses Mémoires, un mois de plus qu'il
n'eût désiré, pour l'aire aboutir au Parlement les affaires du duc
de Bouillon, son frère [Mémoires du maréchal de Turenne, édit.
de la Société, I, 176-177).
2. Montrond ou Saint-Amand-de-Montrond, place forte du
Berry appartenant au prince de Condé. Celui-ci y avait mis
le marquis de Persan qui la défendit contre les troupes royales
commandées par le comte de Palluau ; le siège durait depuis le
mois d'octobre 1651. Ce n'est pas Turenne qui prit Montrond :
cette place se rendit au comte de Palluau au mois d'août 1652.
Voir ci-après la lettre du 6 septembre 1652.
58 CORRESPONDANCE
Altesse Royale là dessus pour lui faire connoître que
ledit sieur a traité avec le Cardinal. Les apparences
sont un peu de leur côté et pour parlement {sic)
sincèrement, je crois qu'il a du moins traité avec
la Reine ; mais, s'il découvre que la Cour prolonge la
nomination des cardinaux, je crois qu'il prendra son
parti, ce qui me semble assez difficile à cause que
l'on le pressera si fort qu'il faudra ou qu'il se
déclare contre ou qu'il montre son foible, et, s'il
prend ce dernier parti, il se perdra, la Cour ne le
considérant qu'à cause de Monsieur, et, s'il le quitte,
ils le perdront comme un homme qui a forcé la
Reine de chasser une fois le cardinal Mazarin et qui
a fait garder le Roi dans Paris ^ Ce renseignement
demande le secret.
XXIII.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
3 février 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, je me confesse
toujours plus obligée du soin que vous prenez de
m'envoyer de vos nouvelles. Celles du 19 du passé
1. La phrase suivante de Guy Joly exprime assez exacte-
ment la conduite de la Cour et de Mazarin à l'égard du Coad-
juteur pendant cette période : « Ce n'est pas que la Reine et
le Cardinal se confiassent extrêmement au Coadjuteur ; mais
ilsavoient si bien reconnu son crédit dans tout ce qui s'étoit
passé qu'ils comprirent que c'étoit pour eux une espèce de
nécessité de se servir de lui pour empêcher une révolution géné-
rale » [Mémoires de Guy Joly, I, 255).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 59
me sont d'autant plus chères qu'elles me donnent
des marques particulières de votre confiance et du
désir que vous avez de ma satisfaction. J'en rece-
vrai une très singulière de vous pouvoir témoigner
en toute sorte de rencontres le gré que je vous
en sais et la parfaite volonté que j'ai de vous faire
connoître par des effets que je suis, etc..
{De la main de Madame Royale.) J'ai trouvé
l'écriture faite par ma nièce ' fort belle ; mais il ne
faut point de justification aux princes avec des per-
sonnes qui sont au-dessous d'eux et de qui les
actions sont remarquées sur le théâtre du monde,
toutes bien justes comme les fait ma nièce, qui
n*agiroit guère bien si elle n'agissoit mieux que moi.
Aussi lui cédé-je en tout. Si votre femme veut
prendre la peine de m'écrire ces petites nouvelles
pour vous en donner tant moins, elle m'obligera
beaucoup.
XXIV.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 9 février 1652.
Je pense vous avoir écrit que M. le Coadjuteur
avoit refusé les propositions que l'on lui avoit faites
pour rentrer aux bonnes grâces de Monsieur le
Prince, et, quoique je vous les aie mandées, il ne sera
pas inutile d'en faire une récapitulation afin de
1, Mademoiselle de Montpensier. Allusion au manifeste de
ceUe princesse contre M"^^ de Fouquesolles dont il est question
dans la lettre du 19 janvier 1652.
60 CORRESPONDANCE
mieux informer Votre Altesse Royale de toute cette
négociation qui est sans doute assez considérable
dans toutes ses circonstances.
L'on lui avoit donc proposé d'aller trouver le
nonce, lui déclarer qu'il ne vouloit être cardinal
que par la voie de M. le duc d'Orléans et qu'il y
renonceroit tant que le Mazarin seroit en France,
et ils vouloient aussi qu'il écrivît la même chose au
Pape ; de plus, qu'il montât en chaire pour prêcher
contre le retour du cardinal Mazarin et qu'il aban-
donnât M'"^de Chevreuse.
Je vous ai donc mandé qu'il les avoit refusées
en faisant eonnoître à M. le duc d'Orléans que
Monsieur le Prince n'avoit dessein de le recevoir en
l'honneur de ses bonnes grâces qu'en apparence, et
pour le perdre avec plus de facilité, etc., mais qu'il
aimoit mieux périr par une violence ouverte que
non pas en passant pour dupe. Et sur ce que Son
x\ltesse Royale lui répondit que cette division portoit
préjudice aux affaires du parti et étoit cause que,
n'agissant pas de concert, les choses ne réussiroient
pas comme ils désiroient, il répliqua que pour lui
faire voir qu'il ne prétendoit pas que sa personne
servit de prétexte à certains esprits méchants et inté-
ressés, pour persuader cela à Son Altesse, qu'il le
supplioit très humblement de dire à ces Messieurs-là
qu'il vouloit les faire de son conseil et qu'il offroit
de ne s'y point trouver et discuter toutes les choses
que l'on y auroit résolues contre le cardinal Maza-
rin ; que Son Altesse savoit bien qu'il avoit absolu-
ment refusé la nomination au cardinalat par autre
voie que la sienne ; qu'il l'avoit déclaré à la Reine
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 64
avant qu'elle partît ; que Son Altesse même avoit la
bonté de tenir un abbé à Rome pour en solliciter
le chapeau et qu'ainsi le pape n'en pourra douter ;
que, pour prêcher, il le fera lorsque sa conscience le
lui ordonnera et lorsque l'on voudra faire périr le
peuple que Dieu lui a commis ; qu'il estime fort les
bonnes grâces de Monsieur le Prince, mais pas au
point de faire des lâchetés pour les avoir.
Enfin les agents de Monsieur le Prince, voyant
qu'il n'avoit pas voulu donner dans ce panneau,
dirent à Son Altesse Royale que Monsieur le Prince
se contenteroit que le Coadjuteur lui écrivît qu'il lui
demandoit l'honneur de ses bonnes grâces et pardon
de ce qui s'étoit passé, ce que celui-ci a refusé, assu-
rant Monsieur qu'après avoir été trompé quatre fois,
il ne s'y fieroit plus, que, pourvu que Son Altesse
Royale l'honorât de sa protection, qu'il se console-
roit de tout, et qu'il le serviroit très fidèlement ; il
y a trois jours que cela se passa. Et hier au matin
M. le duc d'Orléans dit au Coadjuteur qu'enfin ces
Messieurs^ qui faisoient tant les affectionnés avoient
refusé de se trouver dans son conseil et qu'il vo-
yoit par là leur intention, que l'on lui avoit dit
que ces Messieurs-là (sic) faisoient courir le bruit
qu'il l'abandonneroit s'il n'écrivoit cette lettre, mais
qu'il avoit dit tout haut qu'il ne le feroit jamais si
le Coadjuteur ne devenoit Mazarin et qu'au même
cas, il abandonneroit sa propre femme-. Celui-ci le
1. En marge : Ces Messieurs, le chancelier et M. de Chavi-
2. Le Coadjuteur écrivait k l'abbé Charrier le 9 février : « Je
62 CORRESPONDANCE
remercia fort : il vint hier au soir chez moi et me
dit qu'il venoit de voir Monsieur, qui l'avoit encore
fort assuré qu'il le croyoit tout à lui et que, tant que
cela seroit, il l'aimeroit toujours.
Je crois que si les longues relations sont agréables
à Votre Altesse Royale, celle-ci ne lui déplaira pas;
elle a trop de bonté et de circonspection pour un
homme qui n'a point au monde de plus grande
passion que d'obéir à l'honneur de ses commande-
ments et qui n'aura jamais de peine à les exécuter,
pourvu qu'il soit assez heureux pour lui plaire. Je
continue donc sans crainte de lui être ennuyeux,
la pouvant assurer qu'il y a peu de personnes à
Paris qui sachent le vrai particulier de ce que je lui
écris.
Le lendemain que le (Cardinal fut arrivé à la
Cour, l'on changea la résolution qui avoit été prise
au Conseil où étoitM. de Chàteauneuf, ce qui donna
sujet à celui-ci de demander son congé, que la Reine
lui accorda. Il fit un discours au Roi par lequel il
lui rendoit raison de l'état où étoient ses affaires
lorsqu'il étoit entré dans le Conseil et l'état où il
les laissoit.
Le maréchal de Villeroy ^ n'en a pas fait ainsi ;
suis toujours fort bien avec M. le duc d'Orléans. Les gens de
M. le Prince l'ont fort pressé de faire mon accommodement avec
M. le Prince ; mais n'ayant pas voulu, il n'en vit pas plus mal
avec moi et leur a nettement déclaré que nonobstant cela,
il ne romproit jamais avec moi quoiqu'ils l'en importunassent
fort » [Œuvres du Cardinal de Retz, VIII, 88-89).
1. Nicolas de Neufville, marquis puis duc de Villeroy, né en
1598, mort en 1685, avait été nommé gouverneur de Louis XIV
et maréchal de France en 1646 et ministre d'État en 1649.
DU CHEVALIER DE SÉVlGiNÉ. 63
l'on dit même qu'il a négocié auprès de la Reine
qu'elle commandât au Cardinal de rentrer au Conseil ;
car il avoitjoué la farce depuis son retour; mais elle
est finie. Son Éminence a fait fort mauvaise mine
aux commandeurs de Souvré • et de Jars^ et dit
qu'il témoigneroit son ressentiment à tous ceux qui
avoient été contre lui.
En revanche, il récompense fort bien ceux qui
l'ont servi en son retour, du moins il a assez bien
commencé en la personne de M. d'Hocquincourt :
il lui a donné la survivance du gouvernement de
Péronne poiu^ son fils et y joint celui de la \i\\e de
Ham ; de plus, il a donné à un de ses enfants
l'abbaye de Corbie qui, en temps de paix, vaut
soixante-douze mille livres de rente. L'on dit aussi
qu'il promet à tous ceux qui lui ont rendu quelque
assistance de les faire ducs. Et à ce propos, l'on
conte qu'un gentilhomme, faisant bruit dans sa
chambre de ce qu'on ne Tavoit pas payé de quelque
argent qu'il avoit avancé, il lui dit : Taci, taci^ ti
1. Jacques de Souvré, fils de Gilles de Souvré, marquis de
Courtenvaux et maréchal de France, gouverneur de Louis XIII.
Commandeur de l'Ordre de Malte, il fut nommé grand-prieur de
France en 1667 et mourut en 1670. Parlant de Mazarin, M. de
Souvré écrivait effectivement à Chavigny : « La réception qu'il
m'a faite a été fort froide » (Chéruel, Histoire de France sous
le ministère de Mazarin, I, 109).
2. François de Rochechouart, chevalier de Jars, comman-
deur de l'Ordre de Malte, mort en 1670. Il avait été mêlé aux
intrigues de Marie de Médicis contre Richelieu, exilé en
Angleterre après la Journée des Dupes, ensuite ai'rêté et enfermé
à la Bastille en 1632, condamné à mort, puis gracié l'année sui-
vante.
64 CORRESPONDA.NCE
farô diica'^. Si cela n'est pas vrai, il n'est pas mal
inventé.
La Cour est arrivée à Saumur. M. de Rohan est
fort repentant de s'être déclai'é si tôt ; de l'heure que
j'écris, il est accommodé-. M. de Beaufort est parti
pour aller assembler les troupes de M. le duc d'Or-
léans, afin de l'aller secourir, mais comme il n'y
peut être d'un mois et que l'autre sera accommodé,
je ne pense pas qu'il aille jusque-là, n'étant pas si
fort et assez bon capitaine pour résister aux troupes
du Roi. Il attendra, ainsi que je le crois, la venue
de M. de Nemours qui amène cinq mille hommes
eft'ectifs, la plupart espagnols ; quand ces deux corps
seront réunis, ils seront assez considérables. Ce
prince est très estimé et croit conseil ; si l'autre en
faisoit ainsi, ils pourroient faire quelque chose de
bon ; mais c'est le plus présomptueux et ignorant
homme du monde.
Le cardinal Mazarin commence de faire des tours
à son ordinaire : il envoya hier un arrêt du Conseil
par lequel le Roi commande que l'on retranche le
paiement des rentes sur la Maison de Ville. Le Parle-
ment s'assembla hier même et a donné un arrêt par
lequel il ordonne que la déclaration seroit exécutée.
1. Taci, taci, ti farà duca : Tais-toi, tais-toi, je te ferai duc.
2. Henri Chabot, seigneur de Sainte-Aulaye, devenu duc de
Rohan par suite de son mariage en 1645 avec Marguerite
de Rohan, était gouverneur d'Anjou. Mazarin écrivait à
l'abbé Foucquet le 31 janvier : « Leurs Majestés vont faire le
voyage d'Angers en toute diligence pour tascher d'estouffer
dans sa naissance l'émotion qu'y excite M. le duc de Rohan,
lequel s'est desjà porté à tous les excès imaginables... » [Lettres
de Mazarin, V, 34).
DU CÎIEVALIER DE SÉVIGNÉ. 65
que tous les arrêts donnés en faveur des rentes le
seroient aussi, que défenses seroient faites à tous
les maîtres des requêtes de n'exécuter aucune com-
mission extraordinaire qui ne soit auparavant véri-
fiée en la Compagnie ; qu'il seroit pareillement défen-
du à tous les receveurs particuliers de se dessaisir
des fonds qui sont destinés au paiement desdites
rentes, sur peine d'en répondre, eux et leur posté-
rité. C'est le suiintendant [Ce comjnencement
de phrase qui termine la &^ P^g^ ^^ ^^^ lettre
ne se continue pas à la page suivante.]
Cette faute ôte le moyen à ceux qui veulent ser-
vir le Roi de le faire ; car ce sont gens qui ne
veulent ni ne peuvent abandonner les intérêts des
peuples. Le Parlement de Rouen donna avant-hier
un arrêt que l'on feroit des remontrances au Roi
par écrit sur l'importance qu'il y avoit d'éloigner le
cardinal Mazarin ; cela étonnera la Coiu", car ils
faisoient état d'y aller pour justifier Son Eminence.
J'ai vu une lettre de proprio pugno du duc de
Lorraine à M'"" la duchesse d'Orléans, sa sœur,
par laquelle il lui mande que ce fourlie de Mazarin
l'avoit voulu séduire en lui faisant croire que M. son
mari étoit d'accord avec lui, mais que, puisqu'elle
l'assuroit que cela n'étoit pas, qu'il l'assuroit de lui
envoyer cinq cent mille écus et ses troupes pour
exterminer ce monstre de la Chrétienté, qui avoit
jusquesici empêché la paix générale. Je prenois cela
pour comptant ; mais mon ami me dit hier qu'il
faisoit les mêmes offres à la Cour. Je trouve cela
horrible qu'un homme de la race de Godefroy de
Bouillon soit sans foi et sans probité.
66
CORRESPONDANCE
L'on m'a assuré que M, de Longueville ne signera
point le traité. Il n'y a rien de plus vrai que sa
femme a rompu avec M. de La Rochefoucauld,
celui-ci ayant témoigné grande jalousie de M. de
Nemours K L'on m'a assuré que Son Eminence avoit
raillé M. de Vardes de son intrigue avec M'"" de
Beauvais, lui disant des choses assez piquantes
et qui sentoient l'homme jaloux.
Si pendant l'absence de M. l'ambassadeur il se
présentoit quelque occasion de rendre mes très
humbles services à Votre Altesse Royale et à la mai-
son royale de Savoie, je me tiendrois le plus glorieux
de tous les hommes si elle avoit la bonté de m'assu-
rerdecet emploi, la pouvant assurer que, si je n'ai
la capacité, j'ai l'affection et la fidélité aussi grandes
qu'aucun des sujets de Son Altesse Royale, son
fds.
{Sur une feuille volante.) M. le duc [de] Damville -
vient d'arriver comme je ferme mon paquet ; il porte
quelques paroles de négociation, mais l'on ne peut
1. M. de Sévigné avait déjà noté à la date du 25 janvier
1652 ces dissentiments entre M. de Longueville et La Roche-
foucauld, dissentiments que celui-ci a longuement exposés dans
ses Mémoires. Il montre d'ailleurs que la coquetterie, plus
qu'une véritable passion, fut la principale cause qui rapprocha
pendant quelque temps M""^ de Longueville et le duc de
Nemours (V. Cousin, Madame de Longuei'ille pendant la Fronde,
p. 84-90).
2. Mazarin écrivait à l'abbé Foucquet le 31 janvier :
« Nonobstant les responces que S. A. R. a faictes à M. de
Ruvigny, on fait estât de faire partir demain Damville afin de
parler à Monsieur de la part du Roy et de la Reyne et tascher,
par toutes sortes de moyens, de le ramener » {Lettres de
Mazarin, V, 33).
DU CHEVALIER DE SKVIGNÉ. 67
pas encore savoir quelles elles sont. J'ai grand peine
de croire que cela puisse réussir s'il est vrai que
la Reine soit résolue de garder le cardinal Mazarin,
Son Altesse Royale étant résolue de ne pas le souf-
frir en France, tellement que, s'ils persistent, il fau-
dra pour avoir la paix que l'un ou l'autre périsse.
XXV.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
10 février 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, cette lettre vous
donnera avis de la réception de la vôtre du 24 du
mois passé '. Elle m'a été très agréable, comme
seront toujours à l'avenir les autres que vous pren-
drez la peine de m'écrire, vu même que vous aug-
mentez l'estime que j'en dois faire par des circon-
stances considérables dans la présente conjoncture ;
aussi ne perdrai-je jamais l'occasion de vous témoi-
gner le gré que je vous en conserve et comme je suis
véritablement , etc . . .
XXVI.
M . DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
16 février 1652.
Je mandai, vendredi dernier, à Votre Altesse
Royale, que M. [de] Damville ne faisoit qu'arriver et
1. La lettre à laquelle répond Madame Royale était d'abord
datée du 24, d'où l'erreur du secrétaire de la princesse, qui n'a pas
vu qu'une surcharge du 4avait changé 24en25. Cette lettre est
donc, en réalité, du 25 janvier.
68 CORRESPONDANCK
qu'ainsi je ne pouvois pas lui mander la proposition
qu'il apportoit de la Cour. J'ai su depuis, de l'original
même, qu'il avoil offert à Monsieur, de la part de
la Reine, la carte blanche, pourvu qu'il voulût souf-
frir le cardinal Mazarin en France, et qu'elle le
conjuroit de considérer l'état où il alloit mettre le
royaume en l'en voulant chasser. Son Altesse Rovale
s'est servie des mêmes arguments pour obliger la
Reine de chasser le Cardinal, disant que le Roi avoit
plus d'intérêt que lui en la conservation du
royaume et que, pour faire voir qu'il n'avoit point
d'autre intérêt que le bien public, il offroit la carte
blancheàla Reine, si elle vouloit éloigner pour toujours
Son Eminence et que même il sortiroit du royaume
pour trois ans, si ce n'étoit pas assez de sortir de
Paris ; que l'on pouvoit juger de son affection envers le
Roi et la passion qu'il a pour l'État de refuser de si
grands avantages, comme il les pouvoit espérer
d'une proposition aussivagueque celle de M. [de] Dam-
ville. Il fut hier au Parlement leur en dire le détail
et leur rendre compte de celte négociation. 11 fut
donné arrêt par lequel l'on informeroit contre la vio-
lence de M. de Rohan, qui a arrêté le lieutenant gé-
néral d'Anjou. Cela semble faire contre le parti ;
mais c'est que ces Messieurs craignent la représaille
contre quelqu'un de leur corps.
Le Roi a fait alla(|uei' le fauboiu'g d'Angers, et il a
été emporté ; le fils dxi maréchal d'Hocquincourt ',
qui commande l'armée, \ a été tu('\ et le fils du maré-
i. .Tacques de Monchy, seigneur dinquessen, fils de Charles
de Monchy, maréchal d'Hocquincourt, et dEIéonore dEtainpes.
DU CHEVALIER DE SK VIGNE. 69
chai de Graneev blessé '. Je les tiens présenlement
dans la ville, ee peuple étant le moins belliqueux du
royaume '-. Peut-être M. l'ambassadeur, qui esta Sau-
mur, où le Roi est demeuré, vous en mandera des
nouvelles plus particulières ; jVn ai eu de quelqu'un
qui me mande que lesallaiies sont fort brouillées à
la Cour et que ceux dont nous désiriez savoir des
nouvelles y sont fort bien connus, étant tout à fait
adhérents du cardinal Mazaiin.
Enfin, le raccommodement du Coadjuteur avec
Monsieur le Prince est tout à fait rompu, et Son
Altesse Royale a consenti qu'il demeurât en l'état
qu'il est avec ce prince, le Coadjuteur lui ayant fait
connoître qu'il ne ciovoit pas être moins utile et
moins serviteur de Son Altesse Royale pour ne l'être
pas de l'autre. Ce bruit ou plutôt mille bruits ont
couru que Monsieur lui en vouloit mal ; mais cela a
si peu paru que Son Altesse l'a mené une fois au bal
chez Mademoiselle, et lundi, comme il sortoit du
palais d'Orléans, un capitaine des gardes de Mon-
sieur, accompagné de ses gardes, l'arrêta et lui dit
qu'il avoit charge de le mener dans une chambre,
1. Jacques Pvouxel, comte de Grance\' et de Médav} , cheva-
lier des ordres du Roi, maréchal de France en 1651. Il avait
épousé en premières noces en 1624 Catherine de Monchy, sœur
du maréchal d'Hocquincourt. Le fils du maréchal de Grancey
blessé à Angers est Pierre llouxel de Médavy, comte de Grancey,
né en 1626, maréchal de camp en 1651, lieutenant-général en
1653. Il avait accompagné le cardinal Mazarin depuis sa ren-
trée en France jusqu à son arrivée à Poitiers.
2. Ces opérations ont été lobjet d'une étude détaillée dans
l'ouvrage de M. Debidour : T.n Fronde Angevine (Paris, 1877).
Le duc de Rohan capitula le 28 février.
70 CORRESPONDANCE
ce qui fut vrai, mais ce fut dans celle où se repré-
sentoit la comédie ; enfin, il me paroît mieux que
jamais.
M. le duc d'Orléans a donné ordre aujourd'hui à
l'abbé Charrier ^ qui sollicitoitde sa partie chapeau
du Coadjuleur, de s'en revenir, celui-ci l'en ayant
prié, afin de faire taire les partisans des princes ; ça
feroit voir qu'il n'est pas dupe. Avec cela, si vous me
demandez s'il est bien à la Cour, je vous avouerai
que je ne l'y crois mal, non pas qu'il n'ait toujours
désapprouvé le retour du cardinal Mazarin, mais en
cela il est du nombre de ceux qui y ont été con-
traires, parce qu'ils croient qu'il ne peut demeurer en
France sans en causer la ruine entière, et ils ne
sont pas haïs de la Reine parce qu'elle croit que, s'ils
pouvoient être d'une autre opinion, ils en seroient.
Dieu est le maître de tout ; mais seulement humai-
nement l'on ne prévoit aucune apparence d'accom-
modement. La passion que j'ai pour la maison royale
de Savoie me rendra soigneux de vous avertir de
tous les événements extraordinaires.
M. de Nemours étoit hier à Ribemont ^ avec le
corps qu'il commande.
1. Guillaume Charrier, né à Lyon en 1605, abbé de l'abbaye
de Chaage au diocèse de Meauv, était le principal agent du
Coadjuteur à Rome pour le cardinalat. La correspondance
adressée par le Coadjuleur à ce personnage et découverte par
M. Chantelauze, a été la principale matière de l'étude de ce
dernier, intitulée : Le Cardinal de Retz et l'affaire du Chapeau
(Paris, 1877).
2. Le manuscrit porte Riblemont ; c'est Ribemont, chef-
lieu de canton de l'arrondissement de Saint-Quentin, dépar-
tement de l'Aisne.
DU CHEVALIER DE SÉ VIGNE. 71
Mademoiselle fit mardi une grande débauche avec
Monsieur son père et des dames et demoiselles de
la Cour : il y en eut deux qui en prirent un peu
plus qu'il ne falloit jusques à rendre compte, et
Mademoiselle fut un peu plus gaiequ'à son ordinaire.
[En marge, en face des trois derniers alinéas :
Cela sent la prétention à la royauté de Hongrie ^)
XXVII.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
[Sans date — 17 février au plus tard].
Monsieur le marquis de Sévigné, l'état présent des
affaires vous fournit autant de matière à m'écrire
que j'ai de sujet de désirer la continuation de vos
lettres. J'ai reçu celle du 2 de ce mois avec une
très particulière satisfaction, et les témoignages que
je reçois de votre confiance font une des plus agréables
circonstances que j'y remarque. Je crois que les
résolutions que prendra M. votre ami peuvent por-
ter quelques conséquences considérables à l'état des
choses, et vous me ferez plaisir de m'en tenir avertie.
L'on m'écrit de Rome que le Pape a la disposition
qu'il témoignoit ci-devant pour lui donner le cha-
peau de cardinal. Je crois que la pourpre ne lui
sauroit donner plus d'éclat qu'il en reçoit de sa vertu
et de son mérite. Je suis, etc..
1. Cette phrase doit être prise dans un sens proverbial.
72 CORRESPONDANCE
XXVIII.
M. DE SÉYIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, le 23 février 1652.
Depuis vendredi, le Parlement s'est assemblé trois
fois pour s'unir avec les autres compagnies souve-
raines et pour se défendre du mal dont elles étoient
menacées par un arrêt du Conseil qui vouloit que
l'on retranchât quelque chose des rentes et quelque
partie des gages des officiers ; mais le Conseil du Roi,
voyant les inconvénients qui pouvoient arriver
de cette union, ont {sic) envoyé un arrêt du Conseil
tout conforme au dernier du Parlement, dont je vous
envoie copie, portant défense aux receveurs de ne point
détourner desfondsdestinés au payement des rentes
sur l'Hôtel de Ville K Avec cela, les créatures de la
Cour ont empêché jusques ici cette assemblée dans
la Chambre de Saint-I^ouis,qui est le lieu où se sont
fabriquées les frondes du temps passé, qui nous ont
apporté tant de brouilleries et de confusion.
1. M. de Sévigné a déjà noté plus haut, à la date du 9
février, les dispositions du Conseil pour suspendre le paiement
des rentes et les efforts du Parlement pour y remédier. Sui-
vant le cardinal de Retz, le principal objet des assemblées du
Parlement, du 15 janvier au 15 février, fut de « lancer des arrêts
pour le rétablissement des fonds destinés au paiement des
rentes de 1 Hôtel de Ville, que la Cour, selon sa louable cou-
tume, retirait aujourd'hui pour mottre la confusion dans Paris
et remettait le lendemain, de peur de l'y mettre trop grande »
[Œitvrea du cardinal de Retz, IV, 96l
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 73
Demain, le Parlement doit encore s'assembler,
et ils menacent fort ; M. le duc d'Orléans s'y doit
trouver.
M. [de] Damville est toujours ici et il voudroit bien,
avant que de s'en aller, emporter quelque proposition
qui pût plaire à la Heine ; mais je lui ai ouï dire
qu'il n'y avoit nulle espérance ; je le sais aussi d'ail-
leurs, et que Monsieur ne consentira jamais que le
Cardinal demeure. De plus, mon ami est tout à fait
dans ce sentiment, quelque bruit que l'on fasse cou-
rir au contraire ; ainsi je suis assuré qu'il faudra
qu'il délogée.
J'ai vu une lettre d'un homme de la Cour qui
parle ainsi : « J'ai été contraint de casser ma table, les
vivres étant ici fort chers et l'argent m'ayant manqué,
ce qui nous a obligé, MM. les chevaliers de Guise ^, de
Jars, de Souvré, de Roquelaure et plusieurs autres
disgraciés pour avoir été contraires au retour du
cardinal Mazarin, de vivre ensemble'' ; mais nous ne
sommes pas guère plus mal avec SonEminence que ceu x
qui lui ont servi ; car il leur fait fort mauvaise mine
1. Rogoï' de Lorraine, fils de Charles de Lorraine, duc de
Guise et de Henriette-Catherine, duchesse de Joyeuse, né en
1624, mort le 6 septembre 1653.
2. M. de Sévigné a déjà parlé du mauvais accueil fait par
Mazarin, dès son arrivée à la Cour, aux commandeurs de Souvré
et de Jars 'p. 63^. Dans la lettre du premier à Chavigny,
que nous avons déjà citée, Souvré ajoutait en parlant de Maza-
rin : « Il n'a point voulu voir Roquelaure et est plus fier que
jamais. » Ce chevalier de Roquelaure est Antoine, frère cadet
de Gaston, qui fit profession à Malte en 1626 et mourut en
décembre 1660; il a son historiette dans Tallemant des Réaux,
t. V. 13. 377.
74 CORRESPONDANCE
et se plaint de ce qu'ils lui ont mandé des choses
qui ne sont pas vraies. » Il a couru force bruit de la
prise d'Angers, mais ils se sont trouvés faux ; je crois
pourtant qu'il tombera, M. de Beaufort n'étant pas
assez fort pour le secourir et n'v pouvant pas être
assez à temps.
Pour M. de Nemours, l'on dit à Luxembourg qu'il
est à Saint-Quentin; s'il est vrai, ce que l'on me vient
de mander de Picardie, il aura peine de passer.
C'est qu'il y a six cents gentilshommes du Vexin ré-
solus de s'y opposer et font état de se jeter dans
Mantes pour cet effet. L'on tient mon ami auteur
de la ligue de ces gentilshommes K M. d'Elbeuf - a
assemblé aussi les gentilshommes et les communes
de la frontière qui sont fort aguerris, et s'est jeté dans
Ham. L'on tient qu'il a bien près de quatre mille
hommes, avec quelques troupes que l'on joint. Si cela
est, il y a peu d'apparence que mondit sieur puisse
joindre; àl'opposite, Tondit que le prince de Ligne
esl dans le Boulonnois, qui empêche M. le maréchal
d'Aumont de pouvoir assembler tpielques troupes
qu'il levoit en ce pays-là.
Pour Monsieur le Prince, s'il est viai ce que ses
partisansen disent, il est maître de toute la Guyenne,
et les autres disent que c'est le Roi.
J'ai reçu la lettre qu'il a plu à Votre Altesse Royale
dem'écriredu 3 de ce mois. Ma femme est si glorieuse
1. Le cardinal de Retz ne fait, dans ses Mémoires, nulle
mention de la part qu'il aurait prise à celte action des
gentilshommes du Vexin.
2. Charles II de Lorraine, duc d'Elbeuf, pair de France, né
en 1596, gouverneur de Picardie, mort en 1657.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 75
de l'honneur qu'elle lui fait de lui commander
quelque chose que cela l'a presque guérie d'un mal
très violent qui l'oblige de se baigner deux fois le
jour; aussitôt qu'elle aura eu un peu de relâche, elle
lui obéira avec une joie et un zèle de lui plaire tout
extraordinaires, et moi, tant qut- je vivrai, je lui ren-
drai toute sorte de respects très humbles et très
obéissants.
XXIX.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
24 février 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, je ne dois pas
laisser passer cet ordinaire sans vous remercier,
comme je fais avec affection, des nouvelles que
vous m'avez données par s otre lettre du 9 de ce mois.
L'absence de notre ambassadeur me les rendra
d'autant plus chères qu'elles suppléeront à ce que
je pourrois apprendre par son moyen pendant son
séjour à Paris. Aussi je veux espérer que vous conti-
nuerez à m'obliger en cette rencontre et que vous
me croirez véritablement, etc..
XXX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce l^"" mars 1652.
Je m'imagine que Votre Altesse Royale aura plus
tôt su que nous la promotion de M. le Coadjuteur
76 CORRESPONDANCE
au cardinalat, puisque tous les courriers de Rome
passent par Turin pour venir à Paris ^. Le duc de
Florence lui a envoyé un courrier exprès, qui est
arrivé à une heure après minuit et lui en a appris les
premières nouvelles desquelles il m'a envoyé donner
part par un gentilhomme. J'en ai une joie liés
grande, sachant que cela l'attachera davantage dans
le service du Roi et ôtera tout prétexte à ses ennemis
de l'accuser de mazarinisme pour y parvenir. Je
puis encore tout de nouveau assurer Votre Altesse
Royale qu'il n'en est point entaché, mais au con-
traire qu'il servira Monsieur dans le dessein qu'il a
de chasser ledit cardinal Mazarin, mais qu'il servira
la Cour très puissamment contre Monsieur le Prince ;
car il est résolu de périr si l'on vouloit pousser la
Reine, après qu'elle aura chassé le cardinal Maza-
rin, pour l'en empêcher, afin de satisfaire aux obli-
gations qu'il lui a. M. le duc d'Orléans a eu une
joie de cette nouvelle qui ne se peut exprimer.
Je me promenai liiei-, toute l'après-dînée, avec le
nouveau cardinal, dans le parc des Chartreux, tous
deux seuls. Il étoit bien éloigné de l'opinion qu'il le
dût être si tôt ; il me dit des choses si curieuses et
si belles que je voudrois pouvoir voler auprès de
Votre Altesse Royale pour les lui dire ; je me vante-
rois de la divertir très agréablement une heure
durant.
Angers n'est pas encore pris; mais on a piis une
1. C'est le 19 février qu'eut lieu la promotion du Coadju-
tcur au cardinalat. 11 en reçut la nouvelle le 28 février par
un courrier que lui dépêcha aussitôt Ferdinand II, grand-duc
de Toscane.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 77
île sur la rivière, gardée par les habitants, qui empê-
choit le canon qui venoit de Nantes d'y arriver ;
mais il est présentement en batterie. La résolution
avoit été prise de lever le siège, et le cardinal Maza-
rin se vouloit mettre à la tête de l'armée du Roi
pour combattre celles de M. de Nemours et de
M. de Beaufort. Celle du premier de ces princes doit
arriver ce soir auprès de Mantes pour passer la
Seine. M. le duc de Sully ' s'est jeté dedans avec
ses amis pour lui ouvrir les portes ; mais M. Digby,
maréchal de camp des armées du Roi % y marche
aussi avec huit cents chevaux pour se jeter dedans
afin d'empêcher le passage ; cela dépendra de la
bonne volonté des habitants. L'on me vient d'assu-
rer que M. de Turenne a fait changer la résolution
du cardinal Mazaiin et fait continuer celle du siège,
qui sera une afl'aire de quatre ou cinq jours après la
batterie faite. Le Roi a envoyé une lettre de cachet par
laquelle il demande au Parlement de délibérer sur
l'entrée des ennemis ; ils ne l'ont encore pu faire, à
cause des cabales qui y sont.
Le dessein du Roi, c'est de former un corps, le
plus considérable qu'il pourra, et de venir, après la
prise d'Angers, combattre l'armée de MM. de
Nemours et de Beaufort.
En l'absence de M. l'ambassadeur, si je pouvois
1. Maxirailien de Béthune, duc de Sully, maréchal de P'rance
en 1634, était gouverneur de Mantes. Accusé d'avoir livré
passage aux Espagnols par le pont de Mantes, il ne rentra en
grâce qu'à la fin de 1652 [Lettres de Mazarin, V, 590).
2. Georges Digby, de Bristol, comte Digby, lieutenant général
en 1651.
78 CORRESPONDANCE
rendre quelques services très humbles à Votre Altesse
Royale, je serois plus content de ma fortune que M.
le cardinal de Retz ne l'est de la sienne.
XXXI.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
2 mars 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, votre ponctualité
à m'obliger exige des sentiments de gratitude tout
particuliers et me convie à vous remercier, comme
je fais avec affection par cette lettre, de celle que
vous avez pris la peine de m'écrire le 16 du mois
passé, où je remarque avec un singulier contente-
ment, le soin que vous prenez de me continuer vos
nouvelles ; vous en aurez encore maintenant plus
de sujet et de matière parmi les satisfactions de M.
le cardinal de Gondi, la vertu duquel a enfin sur-
monté tous les obstacles qui s'opposoient à sa pro-
motion. J'attends cet effet de votre amitié, en
l'absence de notre ambassadeur, par l'adresse de
l'agent de Son Altesse Royale Monsieur mon fils à
Lyon, Clerc, et que vous me croirez toujours, etc..
XXXII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE,
A Paris, ce 15 mars 1652.
J'ai reçu trois lettres de Votre Altesse Royale tout
à la fois : elles sont si obligeantes que je suis payé
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 79
avec usure des nouvelles que je lui mande. M. le
cardinal de Retz a écrit à Vos Altesses Royales pour
leur donner part de la promotion '. Vous voyez que
les avis que l'on vous donnoit de Rome n'étoient pas
bons. Je les ai l'ait voir à Son Éminence qui a été si
charmée de la très glorieuse opinion que vous avez
de lui et de la galanterie avec laquelle Votre Altesse
Royale en parle, qu'il m'a juré de ne l'être pas tant
de sa dignité.
Le gentilhomme qu'il avoit envoyé à Leurs Majes-
tés revint hier au soir et lui en rendit des lettres de
proprio pugno^ mais conçues en des termes si obli-
geants, si pleins de confiance et si glorieux pour lui
que je lui vis les larmes aux yeux en les lisant ^.
Après qu'ils lui témoignent se réjouir que le Pape
ait déféré aux prières qu'ils avoient faites pour lui, le
Roi ajoute qu'il est assuré que cette dignité ne pou-
voit jamais être donnée à personne qui en fût si
digne, ni de qui il eût plus de sujet d'en espérer
1. Nous reproduisons plus loin aux Appendices la lettre
adressée par le nouveau cardinal à Madame Royale : celle qu'il
avait écrite au jeune duc de Savoie fit l'objet d'un incident
protocolaire dont il est question dans plusieurs lettres de M.
de Sévigné (26 avril, 3 et 10 mai 1652j; il a dû en écrire une
autre que nous n'avons pas.
2. Il semble bien que le Coadjuteur ne se méprit point sur
les sentiments de la Reine et de Mazarin àson égard. « Ce qui est
constant, a-t-il écrit dans ses Mémoires, est ce que j'ai su depuis
parChampfleuri, capitaine des gardes de Monsieur le Cardinal,
qu'aussitôt qu il eut reçu la nouvelle de ma promotion, qu'il
apprit à Saumur, il lui commanda, à lui Champfleuri, d'aller
chez la Reine, en diligence et de la conjurer, de sa part, de se
contraindre à en faire paraître de la joie » [Œuvres du cardinal
de Retz, IV, 136).
80 CORRESPONDANCE
une véritable reconnoissance, qu'il en a des occa-
sions très favorables en contribuant à la paix, ce
qu il peut faire très avantageusement pour son
État et très glorieusement pour lui. Les termes de
la lettre de la Heine tendent aux mêmes fins ; elle
ajoute seulement que, n'ayant rien considéré,
lorsqu'elle lui a procuré cette éminente dignité, il
ne doit point avoir aussi de raison (jui 1 empêche
de servir le Roi.
Il est très certain qu'il a des sejitimenls très pas-
sionnés pour le bien de l'État et pour le service de
Sa Majesté, qu'il n'a plus de haine contre le cardinal
Mazarin, le «considérant comme une marque de son
triomphe et non pas comme un ennemi redoutable ;
que même, quand il en auroit encore quelque reste,
qu il la quitteroit pour l'amour de la Reine, mais avec
tout cela, ne pouvant servir le Mazarin, sans aban-
donner le service du public et celui de M. le duc
d'Orléans. Ainsi, il ne le fera jamais, tant que ces
deux V contrarieront ensemble.
Cle n'est pas qu il u ait beaucoup de chaleur
pour le service du Roi contre Monsieur le Prince et
qu'en son âme, il ne voulût que Son Altesse Royale
s'en fût détachée ; mais c'est une chose qu'il tient
impossible aux hommes ; ainsi il la faut attendre
de Dieu.
Voilà, Madame, les sentiments de ce cardinal : il
m'a commandé de vous donner toutes les assurances
que je pouvois de ses respects et de sa passion
pour le service très humble de \ otic Altesse Royale
et de la Maison Royale de Savoie.
Enfin, l'assemblée de la Chambre de Saint-Louis a
DU CHEVALIER DE SÉViGNÉ. 8l
été résolue au Parlement. C'est comme une chambre ar-
dente pour veiller aux affaires publiques ; néanmoins,
lesplus clairvoyants disent que ces assemblées ne fe-
ront pas grand mal à la Cour, à cause des différents
intérêts qui la divisent. Le Roi est arrivé, le 13 du
courant, à Amboise, auquel lieu il séjournera jus-
qu'à ce que toutes ses troupes l'aient joint; et après
il est résolu de marcher droit contre 1 armée de
Son Altesse Royale pour la combattre. Celle-ci doit
repasser la Seine à Mantes ; ils sont aux environs.
Le comte d'Harcourt a secouru les régiments
de Champagne et autres que Monsieur le Prince
tenoit assiégés dans Miradoux, depuis quatorze jours,
avec soixante pas de brèche ' . Cette action est fort
glorieuse à ce comte ; car, pour la faire, il a passé la
Dordogne et la Garonne, deux puissantes rivières.
Ses deux régiments secourus, il n'y a eu que trente
hommes tués de cette prétendue défaite de M. de
Saint-Luc ~.
Je sais que tous ceux de la Cour qui ne voient
point le cardinal Mazarin, ne laissent pas d'être
très bien vus du Roi et de la Reine.
Je suis ravi de plaire à Votre Altesse Royale et
qu'elle ait agréable mes petits soins ; elle peut être
1. Miradoux, chef-lieu de canton du département du Gers.
Cette place, située sur une hauteur, était défendue par le mar-
quis de Saint-Luc, à la tète des régiments de Lorraine et de
Champagne. Condé en commença le siège le 27 février et dut le
lever le l.S mars devant les forces supérieures du comte d'Har-
court.
2. François d Espinay, marquis de Saint-Luc, lieutenant
général du roi en Guyenne.
6
82 CORRESPONDANCE
assurée que je ne discontinuerai point tant que Dieu
me conservera de la santé. Je souhaiterois avec pas-
sion que la Providence me fit naître des occasions
plus importantes afin de vous témoigner mon zèle
et mon respect pour Votre Altesse Royale.
S'il lui plaît d'adresser les lettres qu'elle me fera
l'honneur de m'écrire à M. Clerc afin qu'il me les
fasse tenir directement sans les envoyer à M. l'am-
bassadeur, si, pendant son absence, jepouvois quelque
chose pour le très humble service de Leurs Altesses,
elle me fera grand honneur de me commander, je
lui obéirois avec plaisir et m'estimerois le plus heu-
reux de tous les hommes.
XXXIII.
MADAME ROYALE A M. DE SE VIGNE.
16 mars 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, la joie que je
reçois de la promotion de M. le cardinal de Retz
ne me permet pas de différer de lui en donner
quelque marque, et j'ai cru de ne devoir pas faire
tomber la lettre que je lui écris sur ce sujet en
d'autres mains que les vôtres pour la lui présenter de
ma part, comme son bon parent et ami *. Mais je
vous prie de l'accompagner des plus vives expres-
sions de mon affection et de mon estime, et de l'as-
surer qu'il n'y a personne qui prenne plus d'intérêt
1. Voir à ce sujet la leUre suivante de M. de Sévigné.
DU CHEVALIER DE SEVIGNE.
83
que moi en tout ce qui le regarde. Après cette com-
mission que je sais qui ne vous sera pas désagréable,
je ne dois pas finir cette lettre sans vous remercier
de la vôtre du premier de ce mois et vous confirmer
de nouveau que je suis, etc..
XXXIV.
M. DE SÉVIGNÉ A iVIADAME ROYALE.
A Paris, ce 22 mars 1652.
Nous avons quelquefois des abondances de nou-
velles très grandes et quelquefois aussi nous en
sommes très nécessiteux. Cet ordinaire, il n'y en a
point du tout d'importance, ne s'étant rien passé
depuis huit jours qui soit d'aucune considération.
Le Roi est toujours à Blois ; il a été souvent près
d'en partir ; mais les habitants d'Orléans ayant
reftisé de recevoir le cardinal Mazarin, Sa Majesté
a été contrainte de demeurer en cette ville-là, jusqu'à
ce que toutes ses troupes soient jointes ensemble
pour aller droit combattre celles de M. le duc d'Or-
léans, qui sont à un lieu nommé Patay, trois lieues près
d'Orléans, afin de donner chaleur aux peuples de
cette ville qui sont favorables à Son Altesse Royale.
J'ai appris que lecardinal Mazarin n'a point chan-
gé de conduite et qu'il a désobligé ceux qui avoient
davantage contribué à sou retour. Le Grand Conseil,
qui suit le Roi, lui avoit donné un arrêt par lequel
ils donnoient main-levée de tous les bénéfices qui
avoient été saisis par le Parlement.
84 CORRESPONDANCE
Hier, les Chambres s'assemblèrent sur ce sujet.
Son Altesse Royale présente, et il fut ordonné que
non seulement l'arrêt du Conseil seroit cassé et tous
les revenus desdils bénéfices saisis, mais même que
tous les arrêts donnés contre ledit Mazarin depuis
son retour en France seroient confirmés et que tous
les mois le Parlement en useroit ainsi ; ensuite, on
y a lu les remontrances que quelques conseillers
ont dressées pour envoyer au Roi et l'on achèvera
demain de délibérer si ce sont les gens du Roi qui
les porteront ou si ce sont des députés du Parlement.
Le comte d'Harcourt a fait plusieurs progrès en
Guyenne et en Saintonge contre Monsieur le Prince,
car il a secouru les régiments de Champagne et de
Lorraine qui étoient assiégés, comme je crois vous
l'avoir déjà mandé, et de plus il a repris Saintes et
mis le siège devant Taillebourg, que je crois pris pré-
sentement '.
Plusieurs personnes espèrent que M. le cardinal de
Retz travaillera à pacifier les choses afin de témoigner
la gratitude qu'il doit au Roi et à la Reine ; mais,
comme il en doit aussi à Son Altesse Royale, je ne
pense pas qu'il puisse répondre aux espérances que
l'on a de lui, à cause que les premiers sont résolus [à
conserver] le cardinal Mazarin et l'autre à le chasser ;
ainsi il m'a avoué qu'il ne voyoit nul jour d'accom-
modement.
Le bruit a couru que M. de Metz se dessaisit de
son évêché et que le Uoi le donnoit à ce cardinal
1. La ville de Saintes avait été prise le il mars et Taille-
bourg le fut le 23.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNK. 85
avec le gouvernement de la ville et citadelle diidit
Metz et qu'il s'y retireroit ^ Nous ne serons pas
assez heureux, étant fort à craindre que la justice
de Dieu ne s'apaise pas à si bon marché pour la
France et qu'il nous fasse sentir une partie des maux
que nous avons fait soulfrir aux autres.
Les aftairesde (Catalogne sontdésespérées. Le maré-
chal de La Motte demande son congé, à cause que l'on
ne lui a pas donné ce qu'on lui avoit promis pour se-
courir Barcelone.
Votre Altesse Royale se contentera, s'il lui plaît,
de ce peu de nouvelles ; c'est tout ce qu'il y en a,
au moins tout ce que sait son très humble et très
obéissant serviteur.
XXXV.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 29 mars 1652.
J'ai donné à M. le cardinal de Retz la lettre
de Votre Altesse Royale, qu'il a reçue avec tout
le respect qui est dû à la plus aimable et à la plus
grande princesse du monde ^. Il lui fera réponse
1. Cet événement se produisit effectivement quelques mois
plus tard. Henri de Bourbon, marquis de Verneuil, fils légitimé
de Henri IV et de Catherine-Henriette de Balzac, pourvu de
l'évêché de Metz en commende depuis 1612, le céda en août
1652 au cardinal Mazarin, qui en eut des lettres du roi le
29 novembre 1653, mais ne put jamais obtenir de bulles du
pape et s'en démit ciii658iGalliaC/irif<tiana,XlU, col. 801-803).
2. Nous publions plus loin aux Appendices la lettre de
Madame Pioyale au cardinal de Retz et la réponse de celui-ci.
86 CORRESPONDANCE
et il m'a donné charge de l'assurer d'une très pas-
sionnée obéissance et d'une très véritable inclination
de lui rendre toutes sortes de très humbles services.
Les nouvelles nous viennent par des canaux si cor-
rompus que l'on a bien de la peine de discerner la
vérité.
Celle du combat de M. le comte d'Harcourt est
très assurée, c'est-à-dire qu'il a eu tout l'avantage
et qu'il est tombé au milieu des quartiers de Mon-
sieur le Prince sans que les partis l'eussent découvert ;
ainsi il y a mis tant de désordre qu'il a obligé mondit
sieur le Prince de se retirer avec précipitation vers
Agen et de passer une rivière en vue des ennemis ^ ;
de savoir au vrai le nombre des morts, c'est ce qui
ne se peut ; le Roi dit qu'il y en a seize cents et les
autres qu'il n'y a pas eu six hommes de tués.
Un des pensionnaires de ce prince me mande
de Bordeaux, du 18 du courant, qu'il a perdu
tous ses gardes et la plupart de son bagage.
Lundi dernier, M. de Beaufort vint ici pour
convier M. le duc d'Orléans d'aller en cette ville-là
afin d'en obliger les habitants de donner passage à
leurs troupes, en cas qu'ils voulussent éviter le
combat. Toutes les créatures de Messieurs les
Princes, comme MM. de Chavigny, de Rohan, de
Tavannes et autres se trou^ èrent chez Son Altesse
Rovale pour fortifier la prière de M. de Beaufort.
1. Après la levée du siège de Miradoux, Condé avait vu sa
garde surprise par le comte d'Harcourt à Astaflbrt (chef-lieu
de canton de l'arrond. d'Agen) et avait dû se retirer précipi-
tamment à Agen [Mémoires de La Rochefoucauld, II, 333-336;
— Mémoires de Gourville, I, 59).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 87
Dans le même temps que tous ces Messieurs parloientà
Monsieur, il les quittoit souvent pour passer dans le
grand cabinet de Madame, dans lequel il y avoit trois
ou quatre des amis de M. le cardinal de Retz, ce
qui avant été su de ces autres Messieurs, ils s'empor-
tèrent de dire à cette Altesse qu'ils voyoient bien
d'où venoit son irrésolution et que c'étoient cer-
taines personnes qui en étoient cause et qui le tra-
hissoient^
M. de Beau fort s'échauffa si fort dans ce reproche
que Son Altesse Royale se fâcha et lui dit : «Je m'en
fierois bien en vous de m'apprendre à connoître les
gens » ; il ajouta qu'il savoit mieux ceux qui le
servoient bien et ceux qui le vouloient surprendre et
qu'on ne le vouloit faire aller à Orléans que pour y
faire passer les troupes que commande M. de
Nemours, afin d'aller trouver Monsieur le Prince. A
quoi Tavannes ^ prit la parole et lui dit qu'il étoit trop
1. Dubuisson-Aubenay montre sous le même jour le rôle du
cardinal de R.etz dans cette affaire : « Dimanche 24, matin, ré-
solution que Monsieur iroit à Orléans...; le soir, il change et
fait résoudre sa fille d'y aller..., ce qui fut arrêté par le Con-
seil, chez lui, où les sieurs de Chavigny et autres de la Fronde
furent d'avis et soutinrent avec grande instance et crierie que
Monsieur devoit aller à Orléans ; mais le coadjuteur de Paris,
depuis peu cardinal de Retz, l'emporta. Madame favorisant son
avis et Monsieur même y ayant de l'inclination » (Dubuisson-
Aubenay, II, 188).
2. Jacques de Saulx, comte de Tavannes, lieutenant général
en 1651. Sur son rôle pendant la Fronde, il a laissé d'im-
portants mémoires, publiés en 1691, sous le titre de : Les
Mémoires de Messire Jacques de Saulx Tavannes, lieutenant
général des armées du Roi, contenant ce qui s'est passé de plus
remarquable depuis 16^9 jusquen 1653. Une nouvelle édition
en a été donnée en 1857.
88 CORRESPONDANCE
liomme d honneur pour servir à une fourbe, que Mon-
sieur le Prince lui avoit commandé de ne point quit-
ter Son Altesse Royale qu'il ne lui commandât autre-
ment; néanmoins, il persista dans son opinion, mais
il accorda que Mademoiselle, sa fille, iroit, ce qu'elle
a fait et est entrée dans ladite ville ' où le garde des
sceaux et le reste du Conseil a été refusé. L'on dit
qu'à Chartres l'on a refusé le comte d'Orval '^ qui v
alloit de la part du Roi.
Les sieurs de Vendôme, de Bouillon et du Ples-
sis-Praslin sont ministres d'Etat ^, et l'on a vérifié à
la Chambre des Comptes le don que le Roi a fait
au second en échanoe de Sedan. Cela lui vaudra
deux cent cinquante mille livres de rente. En voilà
assez pour le Vendredi Saint. Je suis très obligé à
Votre Altesse Royale de l'honneur qu'elle m'a fait.
1. C'est le 27 mars que Mademoiselle, assistée de Mesdames
de Fiesque et de Frontenac, Ht, par la brèche, son entrée
triomphale à Orléans où elle ne put obtenir, néanmoins, de
faire entrer les troupes des Princes [Mémoires de M^^ de Mont-
pensier, édit. Chéruel, I, 360\
2. Premier écuyer de la Reine.
3. Dubuisson-Aubenav enregistre le même bruit : « Lettres du
23 de la Cour à Blois... que l'on a proposé de mettre les ducs
de Vendôme et Bouillon dans le Conseil du Roi et les faire
ministres comme aussi le maréchal du Plessis-Praslin, mais que
le prince dHarcourt avant représenté les services de M. d'El-
beuf, son père, et prié le Roi qu'il fût déclaré du Conseil du
Roi ainsi que ces trois autres, on lui aurait répondu que cela
n'était point fait pour les autres » iDubuisson-Aubena\ , II, 189.)
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 89
XXXVI.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 5 avril 1652.
Samedi dernier, sur les dix heures du matin, il
arriva en cette ville un courrier de Monsieur le Prince
qui, ayant été présentée Son Altesse Royale, lui donna
un billet de mondit sieur le Prince qui portoit :
« J'espère ce soir avoir l'honneur de vous voir et je
dirai à Votre Altesse Royale le sujet démon voyage ^ . »
En même temps, Monsieur, voyant auprès de luiun con-
seiller du Parlement, ami du cardinal de Retz, il lui
commanda de dire à ce cardinal queMonsieur le Prince
s'en iroit à l'armée incontinent qu'il auroit conféré
avec lui de ce qu'il y avoit à faire, qu'il venoit avec
un esprit de soumission pour lui, mais que quand
cela ne seroit pas, qu'il l'assuroit de n'abandonner
jamais ses amis. J'y étois lorsque l'on lui fit ce dis-
cours et, pendant que nous dînions, tous ses amis
se rendirent auprès de lui incontinent après le
dîner. Nous montâmes en carrosse, M. le duc de
1. Loret écrivait le dimanche 7 avril :
Monsieur le prince de Condé,
Encor qu'on ne l'ait point mandé,
Icy lundy se devoit rendre
Et se fit très longtemps attendre.
(Loret, Muze historique, I, 229.)
90 CORRESPONDANCE
Brissac et moi, seuls avec lui. Il pria tous ses amis
de l'attendre chez lui et nous fûmes à Luxembourg,
où il vit Monsieur dans le cabinet de ses livres. Il
lui représenta que Monsieur le Prince perdoit le
respect qu'il lui devoit de venir où il étoit sans lui
en donner avis, que sa venue à l'improviste ne fai-
soit pas paroître cette soumission dont il se vantoit ;
qu'elle étoit contre les lois puisqu'il avoit intelligence
publique avec les Espagnols et les Anglois,et qu'ainsi
il ne crojoit pas que le Parlement ni la Maison de
Ville le souffrissent à Paris ; que son intérêt ne
l'obligeoit pas de dire toutes ces choses à Son
Altesse Royale, puisqu'il se sentoit assez fort d'amis
non seulement pour se garantir des entreprises de
mondit sieur le Prince, mais même d'entreprendre
sur lui s'il y étoit contraint ; que c'étoit donc le seul
intérêt de Son Altesse Royale qui lui faisoit parler ;
qu'il étoit clair que cette venue y étoit tout à fait
contraire, parce que dans la confusion où cela met-
troit la ville à cause de son intimité avec mondit
sieur le Prince, Monsieur y perdroit son autorité ou
ses amis, peut-être tous les deux ensemble ; qu'outre
cela, il avoit dessein de s'aller mettre à la tête de
l'armée pour se rendre le maître s'il gagnoit la
bataille, et qu'après cela Son Altesse Royale seroit
obligée de suivre ses sentiments, et en quelque sorte
son esclave. Monsieur lui répondit qu'il voyoit bien
qu'il avoit raison et qu'il connoissoit bien qu'il
lui disoit la vérité, mais que l'ignorance de MM. de
Nemours et de Beaufort eût tout perdu si ce prince
ne fût venu pour commander cette armée-là et qu'il
se tiendroit sur ses gardes et se précautionnera
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 91
contre toutes les choses sur lesquelles ils avoient
raisonné K
Il est vrai que, sans la venue de ce prince, cette
pauvre armée couroit grande fortune ; car, outre l'in-
capacité des chefs, ils étoient tout à fait brouillés.
Le sujet est (ju'étant au Conseil dans la 'chambre
de Mademoiselle et au faubourg d'Orléans, M. de
Nemours fut d'avis de passer la rivière de Loire et
s'approcher de Monsieur le Prince qu'il savoit être
pressé. M. de Beaufort fut d'avis contraire et d'aller
à Monta rgis ; presque tous les chefs furent du même,
ce qui obligea Mademoiselle d'en être aussi, sur
quoi M. de Nemours, s'étant emporté, dit qu'il
voyoit bien que M. de Beaufort traliissoit le parti ;
celui-ci lui donna un démenti, et l'autre mit l'épée à
la main, et Mademoiselle se mit entre leurs épées,
qu'elle trouva fort insolentes de paroître nues devant
elle ; néanmoins elle cacha son ressentiment et les
fit amis^.
Monsieur le Prince ne vint pas comme il avoit
écrit à Monsieur, et prit le parti d'aller joindre l'ar-
mée ; l'on ne sait pas au vrai ce qui l'obligea de
changer. Il y en a qui croient qu'il a été en cette
ville et qu'ayant vu que le prévôt des marchands
1. Le cardinal de Retz, dans ses Mémoires prétend que cette
nouvelle de l'arrivée de Monsieur le Prince « fut un coup de
foudre pour Monsieur » et que ce fut surtout à la demande ins-
tante de ce dernier qu'il prépara dans le public et au Parle-
ment un mouvement d'opinion contre ce voyage [Œuvres du car-
dinal de Retz, IV, 177-181).
2. Mémoires de ikf"^ de Montpensier, II, pages 13 et 14-
Cette scène y est racontée un peu difiererament.
92 CORRESPONDANCE
avec les éehevins étoient allés trouver Monsieur
pour lui dire qu'ils le supplioient de faire en sorte
que Monsieur le Prince ne demeurât pas à Paris, à
cause des désordres qui arriveroient par les divers
intérêts qui feroient agir les peuples, Monsieur leur
donna parole qu'il n'étoit venu que pour conférer
avec lui et qu'il sorti roit peu de temps après ; ce
qu'ayant vu mondit sieur le Prince, il auroit pris
la résolution d'aller à l'armée ; il y arriva avec un
habit de chevau-léger. Depuis son arrivée, il s'est
saisi de Montai-gis, afin de ne pouvoir être contraint
à combattre s'il ne le veut. I.e Roi n'est pas venu
si tôt à Gien comme l'on croyoit; néanmoins l'on m'a
assuré qu'il y est présentement, et un de mes amis,
qui l'a laissé à Sully, m'a dit qu'ils y viennent avec
une résolution très ferme de combattre et que M. de
Turenne lui auroit dit qu'il croyoit avoir dix mille
hommes.
Un gentilhomme de Son Altesse Pioyale revint hier
de trouver le duc de Lorraine. Il a assuré que son
armée sera dans huit jours auprès de Rethel et a dit
à un de ses intimes que sa personne sera ici peut-
être dans six ; si cela se fait, ce sera par l'intrigue du
cardinal de Retz qui a conseillé de le faire venir afin
que sa puissance balance et soit même plus grande
que celle de Monsieur le Prince, afin que Son Altesse
Royale soit toujours le maître ' .
1. Le cardinal de Retz prétend n'avoir fait cette démarche
qu'à la demande expresse de Monsieur : « Il y avait assez long-
temps, écrit-il en parlant du duc de Lorraine, que les Espa-
gnols le pressaient d'entrer en France et de secourir Messieurs
les Princes. Monsieur et Madame l'en sollicitaient avec empres-
DU CHEVALIER DE SÉVIGMÎ. 93
Le lendemain du jour que Monsieur le Prince
devoit venir, l'on afficha des placards qui portoient
qu'il venoit pour chasser plus tôt le cardinal Mazarin
et qu'ils le trouveroient sur le Pont-Neuf pour leur
dire ce qu'il falloit faire ; quelques canailles s'y trou-
vèrent, tous ivres, car c'étoientgens gagnés ; ils firent
mille insolences, arrêtant tous les carrosses et leur
faisant dire mille injures du Mazarin '. Le lendemain,
ils continuèrent; mais, sur le soir, l'île du Palais et
le quai des Orfèvres prirent les armes, les attaquèrent
et en prirent plusieurs prisonniers qui sont condam-
nés à être pendus.
Monsieur s'en plaignit hier au cardinal de Retz,
croyant que cela s'étoit fait par ses ordres ; il lui
répondit que, tant qu'il ne paroîtroit que les valets
de Monsieur le Prince, il n'agiroit point, mais que
lorsqu'il y seroil en personne, il s'y trouveroit aussi
et qu'il ne souffriroit pas que l'on l'opprimât impu-
nément. Voilà l'état des choses jusques aujourd'hui.
L'on parle de quelque léger combat de quelques
troupes du Roi qui auroient passé la rivière ; si cela
est, ce n'est pas grand chose.
Je supplie très humblement Votre Altesse Rovale
sèment.... Monsieur me força un jour de dicter à Frémont
une instruction pour Le Grand qu'il envoyait à Bruxelles pour
le persuader » [Œuvres du cardinal de Retz, IV, 250-251"i.
1. « Mardi 2, toute la canaille s'est amassée sur le Pont-
Neuf depuis deux heures de relevée, arrêtant les carrosses, fai-
sant descendre ceux qui étaient dedans, prenant aux uns des
manteaux, aux autres autre chose et menaçant de les jeter dans
la rivière s'ils ne criaient : \\\e le Roi et les Princes, point de
Mazarin » (Dubuisson-Aubenay, II, 195).
94 CORRESPONDANCE
d'avoir agréables les soins et les respects de son très
humble et très obéissant serviteur.
XXXVII.
MADAME ROYALE A M. DE SE VIGNE.
6 avril 1652.
Monsieur le maixjuis de Sévigné, j'avoue avec
vous que dans l'embarras où sont réduites les affaires,
il est bien difficile de trouver le moyen d'établir la
paix et la tranquillité du royaume avec la réconci-
liation des deux partis qui témoignent tant d'animo-
sité et qui sont si opposés en leurs sentiments. Tou-
tefois, si quelqu'un doit prétendre à ce bonheiu", j'es-
time que M. le cardinal de Retz plutôt que tout
autre en doit avoir la gloire. Je souhaiterois que les
conjonctures fussent telles ([u'elles vous donnassent
lieu d'insérer cette bonne nouvelle parmi celles que
vous prenez le soin de me faire savoir avec tant
d'aff'ection et d'assiduité. Cela augmenteroit de beau-
coup le plaisir que j'ai de les lire, mais non point
la véritable inclination avec laquelle je suis, etc..
XXXVIII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 12 avril 1652.
Ma gazette de cet ordinaire sera un peu longue ;
mais je m'assure que Votre Altesse Royale ne sera
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. Oo
point importunée de la lire, quoique très mal écrite,
puisque, étant tante de notre Roi et mère d'un prince
si intéressé aux afl'aires de la France, il ne se peut
faire qu'elle ne soit bien aise d'apprendre ce qui s'y
fait.
Je laisse aux autres le partage de bien écrire pour
prendre celui d'écrire sincèrement et \éritablement,
vous pouvant assurer qu'il faut que je sois persuadé
d'une chose quand je la mande.
Suivant ce que je vous ai mandé, l'on a fait le pro-
cès à deux séditieux, qui ont été pendus, le bourgeois
s'étant mis sous les armes pour en favoriser l'exécu-
tion. Il y a eu une petite historiette dans la suite
de cette pendaison ; mais, comme c'est une affaire
de Pont-Neuf, je la laisse au secrétaire de M. l'am-
bassadeur.
Cette exécution est de très grande conséquence
et qui a fait voir que le gros bourgeois de Paris ne
veut point de sédition ^ ; ça a fait changer de style
à Monsieur le Prince, comme vous verrez parla suite
de ce discours, et a fait connoître au Roi qu'il a été
1. C'est surtout grâce k l'attitude énergique du Parlement
que les poursuites commencées par le bailli du Palais contre
quelques-uns des émeutiers de la journée du 2 avril purent
recevoir leur exécution. Il n'en est pas moins certain que, dans
cette circonstance, le cardinal de Retz se montra nettement hos-
tile à l'agitation créée par les partisans des Princes. Laigues,
le confident de Madame de Chevreuse, écrivait à Mazarin le
6 avril en parlant du cardinal de Retz : « Je suis oblige de
dire à Votre Eminence que je l'ai trouvé dans toutes les meil-
leures dispositions du monde pour le service de la reine et le
vôtre particulier » (Chéruel, Histoire de France sous le ministère
de Mazarin^ I, 155-159).
% CORRESPONDANCE
bien conseillé de s'acquérir tout à fait celui dont je
vous envoie une lettre, puisque, tant qu'il a été dans
d'autres intérêts, Ton n'a jamais pu faire des coups
d'autorité semblables à ceux-ci.
D'abord que Monsieur le I*rince eut joint l'ai-mée
de M. le duc d'Orléans, elle commença d'agir selon
les règles du métier, et, ayant su que l'armée du Roi
étoit deçà la rivière de Loire et qu'il y avoit divers
quartiers divisés par des canaux et par des petites
rivières, il fit dessein de les enlever. La même nuit
qu'il fit ce dessein, les marécbaux dcTurenne et d'Hoc-
quincourt [qui] avoient eu avis que mondit sieur le
I*rince s'en alloit à Montereau pour s'en saisir, en-
voyèrent en toute diligence ordre aux troupes de se
lendre à un rendez- vous général, et par hasard, en
y allant, elles trouvèrent les ennemis au milieu de
leur marche; mais, comme c'étoit de nuit que Mon-
sieur le Prince les fit charger, il n'y a presque per-
sonne de perdu, mais tout le bagage du maréchal
d'Hocquincourt et de Broglio est tout perdu'. L'on
a fait sonner ici cette défaite fort grande ; mais je
vous en mande la pure vérité. Le lendemain malin,
les deux armées se mirent en bataille en présence, et
le canon de celle du Roi tua le sieur de Marey ^,
maréchal de camp des troupes de Son Altesse Royale
1. Il s'agit ici du combat du 7 avril, dans lequel Condé sur-
prit à Bléneau les troupes dispersées du maréchal d'Hoequin-
court et leur infligea une sanglante défaite dont les habiles dis-
positions de Turenne purent seules atténuer les effets.
2. Guillaume Rouxel de Médaw de Grancey, comte de Marey,
frère du maréchal de Grancey, maréchal de camp depuis le
30 mars 1649.
\
inj CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 97
et le sieur de Boisgeffroy ', qui [éloit] a la même
armée. M. de Nemours est aussi blessé d'un coup de
carabine ; mais on assure que cela ne sera rien.
Après ce combat, Monsieur le Prince a mis ses
troupes dans les mêmes postes, qui sont Chàtillon -
et (liàteaurenard^, etest venu en cette ville. Il y arriva
hier à cinq heures du soir. Son Altesse Royale fut
au-devant lui jusques à Villejuif. Ce matin, il est
allé au Palais, où les chambres étoient assemblées
pour entendre la réponse que le Roi avoit faite à leurs
députés, qui a été que Sa Majesté leur avoit témoi-
gné grand mécontentement de ce qu'aucun de leur
compagnie n'avoit suivi la conclusion des gens du
Roi sur l'entrée des étrangers en France et qu'ils
avoient fait voir qu'ils étoient fort mauvais François
de souffrir qu'on roulât le canon dans la ville de
Paris contre son service ; que pour ce qui rcgardoit
le cardinal Mazarin, qu'il leur déclaroit qu'il étoit
revenu en France par ses ordres ; qu'il leur com-
mandoit de lui apporter les informations ; qu'il étoit
majeur et qu il vouloit faire justice.
Après cela. Monsieur le Prince a protesté qu'il
étoit prêt de poser les armes aussitôt que le Roi auroit
chassé le cardinal Mazarin, et qu'il supplioit la Com-
pagnie de confirmer leurs arrêts contre lui^. L'on
1. Pierre Mascarel de Boisgeffroy était maréchal de camp
depuis l'année précédente, 1651.
2. Châtillon-sur-Loing ou Châtillon-Coligny.
3. Châteaurenard, dans l'arrondissement de Montargis.
4. La majorité du Parlement se montra en cette circonstance
favorable à Condé ; une certaine émotion se produisit toutefois
après que le président Bailleul, répondant au discours du prince,
7
98 CORRESPONDANCE
a commencé d'opiner ; mais l'on est demeuré aux
présidents des enquêtes ; ainsi l'on ne peut pas juger
absolument jusqu'où ira la délibération ; toutefois,
jusques à présent, les opinions ne vont qu'à écrire
au Premier Président afin qu'il insiste auprès du Roi
qu'il lui plaise d'entendre lire les remontrances du
Parlement suivant la coutume des rois ses prédéces-
seurs.
Le cardinal de Retz a été fort visité ce matin ;
mais il a refusé de se faire accompagner chez Mon-
sieur, où il a été une heure après midi ; il a parlé à
Son Altesse Royale avec une fierté admirable. Mon-
sieur l'a assuré que Monsieur le Prince s'en iroit
demain et qu'il n'entreprendroit rien contre lui ;
celui-ci lui a dit qu'il ne le craignoit point et, si ce
n'étoit pour ne pas préjudicier aux intérêts de Son
Altesse Royale, il l'auroit déjà fait sortir de Paris.
Un de mes amis m'a dit que Fabert ' , qui est à la
Cour, avoit été plus de quatre heures enfermé avec
la Reine et le Cardinal et qu'il négocioit pour un
accommodement ; il m'a aussi assuré que le Roi s'en
venoit à Saint-Germain et qu'il étoit parti aujourd'hui
avec quinze cents chevaux seulement et qu'il se met-
lui eut déclaré « qu'il ne lui pouvoit dissimuler la sensible dou-
leur que la Compagnie avoit de lui voir les mains teintes du sang
des gens du Roi qui avoienl été tués à Bléneau » [Œuvres du
Cardinal de Retz, IV, 190).
1. Depuis plusieurs mois déjà Fabert, tout dévoué aux inté-
rêts de Mazarin, rêvait d'un rapprochement entre la Cour et
les Princes et, dans ce but, s'en était ouvert h. Chavigny. Au
mois de mars, il était venu conférer avec ce dernier à Paris et
ensuite à Biois avec Mazarin [Le Maréchal de Fabert, par
J. Bourelly, I, 400-564).
DU CHEVALIER DE SÉVIG.NÉ. 99
troit à couvert dans la marche de la rivière de Loire ;
que M. de Turenne demeureroit opposé à Monsieur
le Prince et qu'il seroit plus fort que lui encore de
deux mille hommes, outre ce que le Roi emmène-
roit. Je ne suis pas caution de cette nouvelle, quoi-
qu'elle vienne d'un demi-ministre, comme nous
en avons grande quantité en France à présent.
Je vous avois mandé que ]VIM. de Vendôme •, de
Bouillon et de Praslin étoient ministres d'État ;
il est bien vrai qu'ils ont été déclarés pour cela ; mais
ils n'ont pas entrée encore dans le Conseil ; car le
premier vint voir le Roi à Cléry ; mais il ne fut qu'un
quart d'heure à la Cour et y vécut tout ce temps-là
avec une grande froideur, et puis il s'en retourna à
Mantes pour un grand armement qui s'y fait; nous
ne savons pas pour quelle entreprise il est destiné.
Les uns disent que c'est pour la Catalogne, les autres
pour Brouage et les autres pour Bordeaux ; je trouve
plus d'apparence à ce dernier, car cette première est
presque réduite à l'obéissance, la ville d'Agen ayant
prié enfin M. le prince de Conti de se retirer, et ils
ont reçu le comte d'Harcourt -. Le due de Lorraine
ou du moins ses troupes sont entre Avesnes et Rethel
et elles marchent vers Guise.
1. César, duc de Vendôme, était grand amiral de France
depuis le 12 mai 1650. Mazarin écrivait à M. d'Estrades, gou-
verneur de Dunkerque, le 2o avril 1652, que M. de Vendôme
travaillait alors à « un puissant armement que le Roy a destiné
pour la rivière de Bordeaux » [Lettres de Mazarin^ V, 96).
2. Le comte d'Harcourt, après avoir battu les troupes du
prince de Conti, avait fait son entrée solennelle dans Agen le
4 avril [Souvenirs du règne de Louis XIV, par le comte de
Cosmac, II, 413-425).
100 CORRESPONDANCE
M. le cardinal de Retz m'a chargé de témoigner à
Votre Altesse Royale tant de respects et tant d'obéis-
sances que je me sens incapable de répondre à ses
sentiments avec des termes assez forts. Je la supplie
d'avoir agréable le désir que j'ai d'y satisfaire et de
contenter la passion que j'ai de faire, en tout le reste
de mes actions, quelque chose qui puisse lui être
agréable. .Te ne sais si j'ai mandé à Votre Altesse
Royale que, Monsieur le Prince ayant vu que la
sédition ne lui avoit pas bien réussi, il vit ici avec
une grandedouceur.
XXXIX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 19 avril 1652.
Pour cet ordinaire, je satisferai en partie à la curio-
sité et au plaisir que vous espérez recevoir de la lec-
ture de mes relations, puisque vous y lirez qu'il se
fait beaucoup de propositions de paix ; mais, comme
M. le duc d'Orléans n'en est pas consentant et que
ce ne sont que les ministres et confidents de Mon-
sieur le Prince qui les font, il y a peu d'apparence
qu'il en résulte un bon effet. Leur dessein est d'ar-
rêter tous les articles avec la Cour, d'où l'on dit
que le premier, c'est Téloignement de M. le cardi-
nal de Retz, et puis Monsieur le Prince doit repré-
senter à Monsieur les désordres de la guerre civile
et la perte infaillible de l'État, si elle dure plus long-
temps ; que le Roi est résolu de tout perdre plutôt
que d'éloigner le cardinal Mazarin, et qu'il ne croit
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 101
pas qu'ils le puissent obliger par force; enfin, s'il en
vient là, il lui dira tout ce qu'il croira qui pourra per-
suader Son Altesse Royale de s'accommoder par son
entremise, afin que, si Monsieur est assez foible pour
le faire, de se rendre maître des affaires.
Je m'assure que sur ce raisonnement vous direz
que M. le cardinal de Retz devra prévenir Son
Altesse Royale et le persuader de tous les desseins
de Monsieur le Prince et faire en sorte qu'il s'accom-
mode par son moyen afin de se conserver le pouvoir
qu'il a sur l'esprit de Monsieur et par conséquent
maître des affaires. Comme j'ai raisonné à fond
avec lui sur celte matière, je vous puis assurer qu'il
fait tout ce qu'il croit devoir faire et qu'il peut, sans
choquer son honneur et ce qu'il doit au public ;
qu'il ne croit pas que Monsieur accepte le calice de
la main de Monsieur le Prince, ni même que celui-
ci le lui ose offrir, sans être résolu, au cas qu'il soit
refusé, de se jeter du côté de la Cour. Le Cardinal
dit que, s'il le fait. Monsieur demeurera maître de
tout et que l'autre se perdra d'honneur, et que, pour
lui, il demeurera quitte de ce qu'il doit à la Reine
si elle s'accommode avec Monsieur le Prince contre
lui, et qu'il lui sera permis de servir Son Altesse
Royale sans réserve, en se défendant ; que si Mon-
sieur suit le parti que Monsieur le Prince lui présen-
tera et qu'ils consentent tous deux que le cardinal
Mazarin demeure, qu'il est résolu à se tenir clos et
couvert dans son archevêché, etqu'il demeurera avec
quelquq honneiu', puisque l'on verra qu'il sera le
seul qui n'aura point consenti au rétablissement du
cardinal Mazarin, duquel toutefois il n'est plus enne-
102 CORRESPONDANCE
mi qu'à cause de l'État. Mon opinion est que, s'il pou-
voit obliger Monsieur de se raccommoder, il le feroit ;
car il hait davantage Monsieur le Prince que le car-
dinal Mazarin.
Voilà présentement la face du théâtre ; peut-être
que de tout cela il ne réussira rien ; mais enfin
toutes les apparences sont de ce que je vous mande,
et tous les jours le cardinal de Retz en a des avis.
Monsieur le Prince n'est pas parti comme je vous
avois mandé qu'il le devoit faire, à cause que le Par-
lementa donné un arrêt qui favorise ses desseins, qui
est que les mêmes députés retourneroient vers le
Roi et lui faire de nouvelles instances afin qu'il
entendît la lecture des remontrances que l'on lui
avoit faites ; que toutes les compagnies souveraines
seroient priées de se joindre avec eux sur le même
sujet et que la Maison de Ville seroit priée de faire
une assemblée générale, ce qu'elle a fait aujourd'hui,
où il y avoit des députés de tous les corps de la ville
tantséculiersqu'ecclésiasliquesjusques aux Chartreux.
Messieurs les Princes y ont été et, après y avoir fait
la même déclaration qu'au Parlement, ils se sont
retirés pour laisser la liberté des suffrages ^ Après,
l'on y a lu toutes les déclarations et tous les arrêts don-
nés contre le cardinal Mazarin. Cela a duré long-
temps ; enfin M. le procureur du Roi de la ville a
parlé deux heures, où il a montré que la coutume
étoit que la ville fiiisoit des remontrances en des
affaires importantes, qu'elle en avoit fait sous les
1. Registres de V Hôtel de Ville pendant la Fronde , publics
par MM. Le Roux de Lincy et Douët d'Arcq, II, 258-265.
DU CHEVALIER DE SE VIGNE. 103
rois Henri III el IV, et que la haine que l'on avoit
contre le cardinal Mazarin étoit si publique que l'on
ne pouvoit refuser de supplier le Roi de l'éloigner
de France et d'honorer sa bonne ville de sa pré-
sence. A la fin de sa harangue, l'assemblée s'est sépa-
rée et demain l'on délibérera.
M. le cardinal de Retz sort de mon cabinet et
m'ayant demandé à qui j'écrivois, il m'a commandé
d'assurer Votre Altesse Royale qu'il sera toujours
son très humble et très obéissant serviteur, et, devant
qu'il eût jamais eu l'honneur de recevoir des marques
d'estime de Votre Altesse Royale, je l'avois engagé
d'être dans une très forte passion pour la Maison
Royale de Savoie, la pouvant assurer que je n'ou-
blierai jamais les bontés avec lesquelles Elle a souf-
fert que je lui rendisse mes obéissances et mes très
humbles respects.
Le cardinal de Retz m'a dit que le Roi couchoit
ce soir à Joigny ; l'on dit que demain il vient à Sens
et de là passe à Pont-sur-Seine pour de là venir en
deçà ; mais l'on ne sait où. Il m'a assuré qu'il ne
croyoit pas que la Cour le voulût pousser à s'accom-
moder contre lui, mais que rien ne le pouvoit plus
obliger à se jeter dans les partis. Il m'a conté que ce
matin un de ses amis lui avoit dit que, dans une
débauche. Monsieur le Prince avoit dit du mal de
lui et qu'il avoit reparti tout haut : « Je ne crois pas
qu'il ait eu cette foiblesse-là contre moi ; car, s'il en
étoit capable, je crois qu'il l'auroit eue au Palais lors-
que je fus assez malheureux pour m'y trouver contre
ses intérêts. » Je me hasarde de nommer les gens par
leur nom ; je supplie Votre Altesse Royale de m'en-
104 CORRESPONDANCE
voyer un chiffre; car à la longue cela est dangereux.
Je la conjure de me tenir celle-ci secrète, lui pou-
^ an l jurer qu'il n'y a pas quatre personnes qui sachent
toute cette intrigue.
XL.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE'.
De Paris, 26 avril 1652.
Monsieur le cardinal de Retz n'a jamais prétendu
aucune mesure avec A^otre Altesse Royale, et il m'a
témoigné être très fâché que l'abbé Tinti eût donné
ordre de ne lui pas rendre la lettre qu'il s'étoit donné
l'honneur de vous écrire sur le sujet de sa promo-
tion .
Celle qu'il a écrite pour répondre à Votre Altesse
Royale en est une preuve bien certaine, puisqu'elle
est conçue avec tout le respect qu'il rendroit à la
1. Cette lettre, qui paraît ne faire qu'un avec celle qui suit
du même jour, est relative à un incident protocolaire soulevé
par l'ambassade de Savoie, au sujet de la missive officielle par
laquelle le cardinal de Retz faisait part au duc de Savoie de sa
promotion au cardinalal. Lahbé ïinti, secrétaire, qui gérait les
affaires en l'absence de l'ambassadeur, ne lavait pas fait par-
venir à sa destination jugeant qu'en la forme elle ne rendait
pas à Son Altesse Royale l'honneur qui lui était dû.
On verra, par les lettres suivantes de M. de Sévigné (3 et
10 mai) qu'il s'entremit très heureusement pour clore cet inci-
dent qui fit l'objet d'une entrevue entre lui et l'abbé d'Aglié,
ambassadeur de Savoie. Ce dernier en rendit compte à Madame
Royale le 3 mai. Voir plus loin au\ Appendices: cette lettre de
l'ambassadeur.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 105
Reine. Sa naissance ne lui permet pas d'ignorer ce
qui est (lîi aux filles de France, et le respect qu'il a
pour Votre Altesse Royale lui donne toute la passion
imaginable de passer même au delà.
Il souhaiteroit pouvoir en user de même pour Son
Altesse Royale de Savoie, c'est-à-dire de passer par
dessus toutes les circonspections que sa dignité
l'oblige d'avoir pour lui rendre tous les honneurs et
toutes les civilités à quoi son humeur le porteroit,
s'il n'avoit peur de s'attirer le conclave à dos.
Il s'informera de la manière dont en usent les car-
dinaux présentement, m'ayant assuré qu'il n'en pré-
tend pas davantage et particulièrement d'un prince
qui a l'honneur d'être votre fils.
J'espère, Madiune, en rendre compte à Votre
Altesse Royale l'ordinaire prochain, la pouvant assu-
rer qu'en cela et en toutes les choses où il s'agira de
votre très humble service, je m'y emploierai avec un
zèle et un respect très passionnés.
XLI.
M. DE SÉVIGNÉ A MAJ)AME ROYALE.
A Paris, ce vendredi 26 avril 1652
à onze heures du soir.
Pour observer la méthode du gazetier de Turin,
il faut que je commence cette relation par où je finis
celle du dernier ordinaire. C'est par l'assemblée
de la Maison de Ville, qui ne finit pas le samedi à
cause des diverses opinions et des crieries qui s'y
faisoient par la cabale des Princes ; enfin, le mardi,
106 CORRESPONDANCE
le plus grand avis alla de faire registre de la décla-
ration de Messieurs les Princes, qui est la même
qu'ils ont ci -devant faite au Parlement, et de députer
vers le Roi lui porter les deux délibérations et le
supplier de revenir en sa bonne ville de Paris et d'é-
loigner le cardinal Mazarin de sa personne, de ses
conseils et de son royaume, places et terres de son
obéissance, et de vouloir donner la paix à l'État.
Il y eut un avis fort séditieux, mais il ne fut pas
suivi, qui étoit de faire part à toutes les grandes villes
du royaume et les convier à faire pareille députation
vers le Roi.
Le Roi, enfin, s'est posté à Corbeil ^ n'ayant osé
amener le cardinal Mazarin dans Paris, après que
la Maison de Ville et toutes les compagnies souve-
raines y ont témoigné tant d'aversion. Ceux qui con-
seillent Sa Majesté ne lui font faire les choses
qu'après que les occasions sont passées de les faire
réussir; ainsi, je suis certain que ceux qui lui ont
conseillé de venir ici lui conseilloient bien ; mais
c'étoit avant que Monsieur le Prince eût eu le loi-
sir d'y faire tout ce qu'il a voulu. Présentement, la
Cour est fort embarrassée ; ils envoient consulter
l'oracle, mais il répond ambigùement, c'est-à-dire
qu'il ne se veut charger d'aucun événement; que, si
l'on eût voulu faire en tout et partout ce qu'il eût
conseillé, il en useroit autrement ; il ne croit pas
qu'ils viennent ici.
1. La Cour, parAuxerreet Sens, s'était avancée à Melun, où
elle arrivait le 21 avril ; le 23, elle était à Corbeil et le 28 à
Saint-Germain.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 107
L'armée du Roi fait tous ses efforts pour obliger
celle des Princes de combattre : de là dépend la
la loi et les prophètes. M. le duc d'Orléans a fait
rompre les ponts de Cbarenton et de Saint-Maur et
s'est saisi de celui de Saint-Cloud par peu de gens ;
mais ils n'ont pu se saisir de celui de Saint-Ger-
main, force officiers de la maison du Roi s'en
étant rendus les maîtres.
L'on a jeté dans Gravelines quatre cents hommes
commandés par un capitaine aux gardes ; mais le
fort de Mardick est abandonné et les Espagnols y
sont, qui le veulent refortilîer.
Les Anglois sont à la voile ; Dieu nous préserve
de l'orage ! L'on dit qu'il tombera sur l'île de Ré et
sur La Rochelle, les autres sur Bordeaux.
L'on tient que le duc de Lorraine vient enfin pour
la Cour, à cause que Monsieur le Prince lui a refusé
Stenay ^ , et même l'on dit queBeaujeu ~ lui a porté une
rente et qu'il y a force jours que le duc est sorti de
Flandres secrètement.
Vous aurez su comme l'on avoit pris Charlevoix
prisonnier, qui étoit lieutenant de Roi dans Brisach
et que l'on l'avoit mis dans Philipsbourg, et que cepen-
dant la «arnison a chassé la maréchale de Guébrianl ^
»'
1. La principauté Je Stenay, conquise sur le duc de Lor-
raine, lui avait été d'abord rendue, puis avait été cédée par lui
à Louis XIII en 1641, et avait été ensuite donnée à la maison de
Condé qui l'a gardée jusqu'à la Révolution.
2. Claude-Paul de Beaujeu de Villiers, comte de Beaujeu,
maréchal de camp en 1649, lieutenant-général en 1652, tué au
siège d'Arras le 21 juillet 1654.
3. Renée du Bec-Crespin, veuve de Jean-Baptiste Budes,
108
CORRESPONDANCE
qui avoit fait prendre ledit Charlevoix. Celui-ci a
traité, pendant sa prison, avec le lieutenant de Phi-
lipsbourg, de remettre Brisach entre les mains du
comte d'Hareourt, pour^al qu'il lui donnât ledit
Philipsbourg. Je tiens la chose faite, qui est une des
plus bizarres de nos jours ; je ne sais si vous le
savez K
Ce matin, le Parlement étant assemblé et un pré-
sident à mortier ayant témoigné quelque affection
pour la Cour, Monsieur le Prince lui a dit qu'il ne
valoit rien, et, l'autre lui ayant dit qu'il étoit homme
de bien, celui-ci lui a reparti qu'il n'en croyoitrien.
Vous voyez comme les suffrages sont libres.
M. de Longueville s'est déclaré pour le Roi et
l'on dit que son agent à la Cour, ayant fait signer
tout ce qu'il avoit voulu, avoit rompu le papier,
disant que son maître vouloit servir le Roi sans
conditions ^
Il se fait force propositions de paix ; mais je crois
que ce ne sont que feintes ; néanmoins, je viens
comte de Guébriant, maréchal de France, qu'elle avait épousé
le 22 mars 1632 et quelle perdit en 1643. Passionnée pour
la politique, elle s'occupa d'intrigues jusqu'à sa mort (1659).
1. Cette affaire du rôle de Charlevoix, lieutenant de Roi à
Brisach, est des plus embrouillées, Mazarin s'efforçant de se
faire donner la place, pendant que Charlevoix, en différend avec
M. de Tilladet, gouverneur de la ville, traitait avec le comte
d'Hareourt, gouverneur d'Alsace. Une longue lettre de Maza-
rin à Le Tellier, du 24 septembre 1652, expose les principaux
incidents de cette affaire (Lettres de Mazarin, V, 275-279).
2. Loret raconte longuement ce même incident relatif à la
conduite du duc de Longueville (Loret, Miizc historique, 1,
233).
DU CHEVALIER DE SE VIGNE. 109
d'avoir avis que M. de Chavigny s'en alloil à la
Cour ; il est trop tard pour vérifier le fait.
Ce matin, M. le duc d'Esté et Monsieur le Prince
sont allés au Parlement et y ont dit que le roi
d' Angleterre étoit allé, avant-hier au soir, trouver le
Roi et lui avoit dit que sa mère et lui poudroient
pouvoir contribuer à la paix de ce rovaume dans
lequel ils étoient réfugiés et qu'ils étoient trop
proches de Leurs Majestés pour ne pas souhaiter de
les voir réunis, qu'ils y contribueroient de leur sang ;
qu'ils supplioient le Roi et la Reine de trouver bon
que Messieurs les Princes y envoyassent quelqu'un
de leur part pour faire quelques propositions. Ils ont
dit que, le Roi l'ayant accordé, ils n'avoient pas
voulu y envoyer sans en faire part à la Compagnie.
Après cela, ils sont sortis et sont allés vers le roi et
la reine d'Angleterre. Olle-ei leur a fait un discours
le plus pathétique du monde pour les exhorter à la
paix ^ Tl est si tard que je ne vous en puis rien
dire, si ce n'est qu'elle a pleuré ; le sujet de son
discours a été ses malheurs et ceux dont la France
étoit menacée. Te reçois un billet où l'on me mande
que le roi d'Angleterre a envoyé trouver le nôtre
1. La reine d'Angleterre informait la duchesse de Savoie,
sa sœur, le 8 mai 1652, que de concert avec le roi, son fils,
elle avait travaillé au rétablissement de la paix : « Mais je
crains fort, ajoutait-elle, que cela ne réussira pas, y ayant
un grand obstacle, les princes voulant que le cardinal s'en
aille et la Reine ne le voulant pas. » Dans cette lettre elle fai-
sait un tableau émouvant de ses propres maux et des misères
de la France Lettres de Henriette-Marie de France, reine d'An-
gleterre, à Christine, duchesse de Savoie, publiées par M. Fer-
rero, 1881, pages 98 et 99).
110 CORRESPONDANCE
pour savoir où ceux que les Princes envoyoient
trouver se rendront ; il est vrai que c'est M. de
Rohan, M. de Chavigny et M. Goulas \ l'un des secré-
taires de M. le duc d'Orléans. Je crois que ce sera à
Saint-Germain, car le Roi couche ce soir à Chilly ^ ;
l'on croit qu'il ira à Saint-Germain.
L'armée des Princes est campée dans Étampes et
celle du Roi à Chartres.
Le maréchal du Plessis me mande que peut-être
la bataille se donnera à présent ^. J'ai peur que
mon paquet ne soit trop tard.
1. Le cardinal de Retz a défini assez exactement les aspi-
rations et les tendances des principaux auteurs de ces négo-
ciations : « M. de Chavigny qui avait été, dès son enfance, nourri
dans le cabinet, ne pensait qu'à rentrer par toute voie. M, de
Rohan, qui n'était, à proprement parler, bon qu'à danser, ne
se croyait lui-même bon que pour la Cour. Goulas ne voulait
que ce que voulait M. de Chavigny. Monsieur le Prince était par
son inclination, par son éducation et par ses manières, plus éloi-
gné de la guerre civile qu'homme que j'aie jamais connu sans
exception, et Monsieur, dont le caractère dominant était d'avoir
toujours peur..., était le plus capable de donner dans tous les
panneaux, à force de les craindre tous... Le fort de M. le
cardinal Mazarin était proprement de bavarder, de donner
à entendre, de faire espérer, de jeter des lueurs, de les retirer;
de donner des vues, de les brouiller » [Œm'res du cardinal
de Retz, IV, 213; .
2. Aujourd'hui Chilly-Mazarin, canton de Longjumeau, arr.
de Corbeil (Seine-et-Oise).
.3. L'engagement prévu entre les troupes royales et l'armée
des Princes ne devait se produire que quelques jours plus tard,
le 4 mai, sous les murs d'Etampes.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. lit
XLH.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVTGNÉ.
27 avril 1G52.
Monsieur le marquis de Sévigné, vos lettres ne
sauroient être trop longues à qui prend plaisir à les lire
comme je fais avec tant de satisfaction de vos soins
et de la peine que vous prenez de me les continuer.
J'ai reçu celle que vous m'avez envoyée de M. le
cardinal de Retz et suis bien obligée aux sentiments
d'affection que vous m'avez témoignés de sa part. Je
vous prie de l'assurer que je ne changerai point
ceux de la singulière estime que je fais de sa per-
sonne et de son mérite et d'être persuadé en votre
particulier que je suis, autant que vous sauriez
souhaiter, etc..
XLm.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 3 mai 1652.
Je vous mandai, vendredi dernier, que la reine
d'Angleterre s'étoit entremise de la paix et qu'elle
avoit été fort heureuse à nouer une négociation ; pré-
sentement je vous dis qu'il lui étoit bien facile de
réussir, puisque toutes choses étoient concertées
entre M™* d'Aiguillon et M. de Chavigny, la pre-
mière pour la Cour, le dernier pour Monsieur le
112 CORRESPONDANCE
Prince. Cependant, pour duper Messieurs du Par-
lement, l'on a fait semblant de rompre. Son Altesse
Royale en sait plus que cette Compagnie ; mais, avec
tout cela, il ne sait pas tout ; car les députés lui
ont t'ait accroire qu ils n'auroient exposé que leur
créance (^/c) devant le cardinal Mazarin ; mais je sais
que non seulement ils traitèrent d'afl'aires en paroles,
mais même que M. Goulas sortit et qu'il demanda
du papier et de l'encre; jugez si c'étoit pour écrire
des ballades. L'opinion des plus éclairés est que tout
est d'accord, mais qu ils trouvent de la difïiculté en
l'exécution, tant à faire consentir Monsieur au réta-
blissement du cardinal Mazarin, que de faire avaler
cette pilule aux peuples, qui ne goûteroient point
cette infidélité que l'on leur fera. Je \ous envoie la
relation d'un de mes amis qui étoit à Saint-Germain
le jour de cette conférence ; je crois qu'elle ne vous
déplaira pas. Je m'assure que vous vous attendez de
savoir quel personnage joue mon ami en ce ren-
contre. Il est vrai qu'après avoir choqué Monsieur le
Prince jusques à se voir l'épée à la main contre lui
dans le Palais pour l'intérêt de la Reine et le service
du Roi, cela est assez étrange que Ton Tait assez peu
considéré pour entendre à un accommodement avec
son ennemi et un ennemi aussi dangereux que celui-
là, sans lui en rien dire ^ ; il me semble qu'ils ne
1. Dans une leUre à l'abbé Foucquet, du 'i mai 1652, Maza-
rin se défend d'avoir tenu le cardinal de Retz à l'écart de ses
négociations avec le duc d'Orléans et avec Condé « bien que,
ajoute-t-il, ledit Coadjuteur, depuis sa promotion, napastcnu
une conduite qui m'obligeât à cela » [Lettres de Mazarin, \,
104;.
DU CHEVALIKR DE SÉVIGNÉ. llo
dévoient point le faire cardinal pour le traiter de la
sorte. Ce n'est pas que la Reine ne le désavoue et
qu'hier une personne ne lui ait dit de sa part qu'il n'y
avoit point de traité fait, qu'elle étoit prête de suivre
son conseil en tout; à quoi il a répondu qu'il en
étoit au désespoir, qu'il n'y avoit rien qu'il ne fît
pour achever cette paix si désirée ; qu'il n'y avoit
rien à dire sur toutes les autres aflaires tant que le
traité en subsisleroit. Pour vous dire la vérité, il ne
doute point que la paix ne soit arrêtée entre eux, que
Monsieur même en sait plus qu'il ne lui en dit, mais
aussi qu'il ne sait pas tout le secret de l'École.
Quoiqu'il ait sujet de se plaindre de l'infidélité de
la Cour, néanmoins il ne le fera pas. Il est résolu
de ne se plus détacher du service du Roi, ravi de
n'avoir nulle part à une paix qui sera désagréable
à tout le monde et qui ne peut pas durer beaucoup.
Enfin, il ne se déclare point autrement, sinon
qu'il est serviteur de Monsieur contre le car-
dinal Mazarin et du Roi contre Monsieur le Prince.
Il est vrai qu'il souhaite cette paix à cause qu'elle désho-
nore Monsieur le Prince, et que, n'y ayant nulle part,
le Parlement et les autres compagnies se réuniront à
lui avec tout le peuple, parce qu'il sera seul qui ne
les aura point trompés ^
1. Le cardinal de Retz rapporte qu'il avait un jour défini en
ces termes au président de Bellièvre l'attitude d'expectative
qu'il entendait tenir en cette circonstance : « Nous sommes
dans une grande tempête, où il me semble que nous voguons
tous contre le vent. J'ai deux bonnes rames en mains, dont
l'une est la masse de cardinal et l'autre la crosse de Paris. Je
ne les veux pas rompre et je n'ai, présentement, qu'à me sou-
tenir » (Œuvres du cardinal de Retz, IV, 219).
8
114 CORRESPONDANCE
A présent que M. l'Ambassadeur est de retour en
cette ville, il mandera à Votre Altesse Royale les
nouvelles publiques. Je ne sais si elle sait la gros-
sesse de Madame et de Madame la Princesse. L'on
prépare un appartement dans le Luxembourg pour
M. le duc de Lorraine. Il y a un premier valet de
chambre de Monsieur qui, du moins, le mande
ainsi; et néanmoins, ily a un nommé Beaujeu, maré-
chal de camp des troupes du Roi, que l'on dit qui le
conduit et lui fait faire ses logements de la part de
Sa Majesté. C'est une énigme ; mon ami ne me l'a pu
expliquer ; de plus, il m'a dit qu'il n'avoit point
voulu prendre de liaison avec lui.
Je crois que M. le cardinal de Retz écrira à Son
Altesse Royale de Savoie pour lui donner part de sa
promotion ; il le fera en françois et en la forme que le
faisoitfeule cardinal de Richelieu, quoique le secré-
taire de ce feu cardinal lui ait dit qu'il ne laissoit
la ligne qu'en considération de ce que feu Son
Altesse Rovale étoit beau-frère du Roi ; il n'y a fait
nulle considération par le respect qu'il porte à
Votre Altesse Royale et à la Royale Maison de Savoie.
Il est vrai que j'eusse été au désespoir si cette affaire
ne se fût faite à votie satisfaction, puisque A otre
Altesse Royale avoit eu la volonté de vouloir qu elle
passât par mes mains, étant fort assuré que, quand
je serois naturel sujet de Son Altesse Royale, je n'au-
rois pas plus de passion pour son très humble ser-
vice, n'y ayant rien sans réserve que je ne sois prêt
de faire pour le lui témoigner ' .
1. Cette partie de la lettre de M. de Sévigné a Irait à l'inci-
DU CHEVALIER DE SÉVIOÉ. 115
Le cardinal m'a promis de m'envoyer sa lettre ;
ainsi j'attends, quoiqu'il soit bien tard, à fermer mon
paquet.
J'ai oublié de vous mander que le bruit court que
la comédie doit finir jeudi et que le traité recom-
mencera.
(A cette lettre sont joints la relation dont il est
question dans le corps de la lettre de M. de Sévi-
gné et un billet du secrétaire du cardinal de Retz,
relatif à la lettre annoncée dans P avant-dernier
alinéa. )
1° Relation de la conférence '.
De Saint-Germain, dimanche à minuit (28 avril).
Je ne sais si Ton vous aura dit que je fus deux
jours de suite chez vous pour avoir l'honneur de
prendre congé de vous et de M™^ de Se vigne.
J'avois dessein de vous conjurer de m'écrire les
nouvelles de votre côté et de recevoir les nôtres en
échange, mais je pense que je ne puis mieux faire
pour le mériter que de commencer et de vous dire
ce qui s'est passé aujourd'hui sur le succès de Mes-
sieurs les députés. I^a matinée, ils ont été visités par
le milord Montaigu qui les a conduits vers les deux
heures chez la Reine qui les a reçus à la ruelle de
son lit, le Roi et le petit Monsieur près d'elle. M. de
dent qui fait l'objet de celle que nous avons publiée ci-dessus
(lettre du 26 avril, n"» XL).
1. Celte relation n'est pas signée. Nous ne savons quel en
est l'auteur.
116 COKRESPOKDANCE
Rohan, paré d'un habit fort chamarré, marchoit le
premier, M. de Chavigny et M. Goulas ensuite. Ce
duc a fait un compliment assez bas, et M. de Cha-
vigny, prenant la parole, a tenu un plus long discours
à la Reine, qui a été entendu avec un air de visage
qui m'a paru de bon augure, et, conduisant le Roi
dans son cabinet, y est entrée sans autre suite que
celle de Messieurs les députés et dumilord Montaigu.
Les ministres ordinaires se présentèrent à la porte,
pensant avoir leur part de cette négociation ; mais la
Reine leur fit signe de ne pas entrer et commanda
que l'on allât chercher M. le Cardinal, qui passa in-
continent après au milieu de la Cour, qui étoit par
curiosité dans la chambre ; beaucoup croyoient que,
d'abord qu'il seroit entré, les députés sortiroient,
ne voulant pas traiter avec lui ; mais la chose fut
très différente, car il demeura seul enfermé avec eux
depuis deux heures et demie jusques à sept heures
trois quarts, le Roi étant sorti une demi-heure après
que M. le Cardinal fût entré dans la conférence.
Tous ceux qui ont accoutumé d'entrer dans le Con-
seil, hormis M. le Garde des Sceaux etM. de La Vieu-
ville qui étoient chez eux, restèrent fort décontenan-
cés dans la chambre avec tous nous autres ^ . Chacun
1. Conrart raconte presque dans les mêmes termes la con-
férence de Saint-Germain, ajoutant que sur la déclaration faite
par les députés qu'ils avaient ordre exprès du duc d'Orléans
et du Prince de n'en parler qu'au Roi, celui-ci les aurait con-
duits dans un cabinet où se trouvait le cardinal Mazarin. « Le Roi
leur dit alors qu'il alloit à vêpres et qu'il vouloit que pendant
qu'il y seroit, ils conférassent avec M. le Cardinal » [Mémoires de
Valentin Conrart,édài. Montmerqué, collection Petitot, t. XLVIII,
p. 40).
DU CHEVALIER UE SÉVIGNÉ. 117
prit parti pour la promenade et, sur les neuf heures,
l'on tint conseil publie pour rendre compte, peu
véritablement à mon avis, de la conférence.
Je ne doute pas que tout ceci ne se conte fort
différemment à Paris, et c'est pourquoi j'ai été bien
aise, en qualité de témoin désintéressé, de vous en
dire la vérité, que je vous conjure de récompenser de la
manière que la chose aura été reçue au lieu où vous
êtes et la part qu'y a a otre bon ami ; car c'est une
matière qui donne fort à deviner. Si vous avez
quelque curiosité pour ce qui se passera ici, je vous
en rendrai compte avec autant de joie que je suis
très véritablenent, Monsieur, votre très humble et
très obéissant serviteur. Je vous conjure de faire
mes compliments à M™" votre femme et à M^"* de La
Vergne, sans oublier tout votre entourage.
2** Lettre du secrétaire du cardinal de Retz.
Monsieur,
Monseigneur le cardinal avoit oublié de vous dire
comment il s'étoit engagé de donner la lettre qu'il
écrit à Monsieur de Savoie, à M. l'abbé Tinti pour
la lui envoyer. Cette considération m'a empêché de
la faire signera Son Éminence qui l'a remise au pro-
chain ordinaire. Vous la verrez entre ci et ce temps-
là, et moi, je vous assurerai que je suis, Mon-
sieur, votre très humble serviteur. (Signé :) Gardon.
118 CORRESPONDA>'CE
xuv.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris ce 10 mai 1652.
M. le cardinal de Retz m'a dit que l'abbé Tinti
l'avoit prié de lui donner la lettre qu'il écrivoit à
Son Altesse Royale afin qu'il la fît tenir et par ce moyen
tâcher de réparer le dégoût que son procédé avoit
donné à Son Altesse Royale ; que néanmoins, si je
voulois, qu'il me la donneroit ; j'ai consenti très
volontiers que cet abbé vous l'envoyât et je souhaite
de tout mon cœur qu'il obtienne ce qu'il désire ^
Depuis le retour des députés du Parlement et des
autres corps de cette ville qui ont été à Saint-Germain
faire des remontrances au Roi, le peuple s'est telle-
ment ému, à cause des désordres que font les troupes
ici aux environs, de la disette que nous avons de
vivres et surtout de la viande, qu'avant-hier ils
arrêtèrent M™® de Bouillon qui s'en alloità Saint-Ger-
main, et, l'ayant amenée à Luxembourg, Monsieur le
Prince descendit et donna à ceux qui l'avoient arrê-
tée trente pistoles afin qu'ils ne pillassent pas son
bagage ^. Le peuple cria fort contre ledit prince
1. Voira ce sujet la lettre précédente.
2. D'après Dubuisson-Aubenay, la duchesse de Bouillon fut
arrêtée dans le faubourg Saint-Germain, aux Incurables, le
mardi 7 mai, au moment où elle se disposait à aller à Saint-
Germain avec la duchesse d'Aiguillon et ne fut relâchée que le
8 au malin sur l'intervention de Monsieur le Prince et du duc de
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 119
et lui dirent qu'il trahissoit Monsieur et qu'il s'étoit
accommodé sans lui, qu'il étoit venu les embarrasser
en cette ville comme il avoit fait à Bordeaux, mais
qu'ils en vouloient faire l'issue et que ce n'étoit que
pour ses intérêts qu'il faisoit la guerre, et qu'ils vou-
loient avoir le Roi.
Aujourd'hui étant allés au Palais, les marchands,
ayant fermé leurs boutiques, l'ont arrêté lui et M. de
Beaufort et lui ont dit : « Nous voulons voir la fin à
cette guerre », et en jurant lui ont dit qu'ils iroient
quérir le Roi et qu'ils n'avoient que faire de princes.
11 leur répondit que le Parlement s'alloit assembler
pour en finir la délibération ' . Et l'on y a arrêté que
les gens du Roi iroient à Saint-Germain supplier
LeursMajestés d'éloigner leur armée et de venir à Paris
afin d'empêcher la subversion de Paris. Ils doivent
être partis.
La duchesse d'Aiguillon est à Saint-Germain de
mercredi au matin ; comme c'est elle qui a négocié
tout ce traité, je crois qu'elle est allée pour aviser
aux moyens de le faire exécuter, s'il est fait, sinon
travailler à l'achever. Je sais de personne assurée
qu'hier au soir elle avoit le visage dans la dernière
consternation, qui est une marque certaine qu'elle
n'a pas espérance de réussir. M. de Chavigny est
fort embarrassé aussi, ses mesures ne s'étant pas
Beaufort. D'accord avec M. de Sévigné, cet auteur ajoute : « La
duchesse d'Aiguillon ne laisse pas que d'aller à Saint-Germain »
(Dubuisson-AubenaVjII, 218-219. — Mémoires de Conrart, p. 55-
57).
1. En marge : Ils ont jeté des armes aux prisonniers de la
Conciergerie : il son est sauvé plus de deux cents.
120 CORRESPONDXNCE
trouvées si justes qu'il se l'étoit imaginé; car sa négo-
ciation a donné une si grande haine au peuple et à
tout le monde contre mondit sieur le Prince que,
sans Monsieur, qui est assez aimé, on lui auroit fait
un mauvais parti. Cela fait enrager ce prince et il
accuse le cardinal de Retz de lui jouer toutes ces
pièces, tellement que l'on croit qu'il s'en veut
défaire in ogni inodo^ et aujourd'hui ce cardinal a eu
avis qu'il y avoit deux cents chevaux tout prêts pour
l'enlever, c'est-à-dire l'assassiner ; il va si bien
accompagné qu'il ne craint rien.
Le secret de l'École c'est que, le cardinal n'ayant
nulle part à ce traité qui assurément ne peut durer
longtemps et qui produira de méchants effets contre
Monsieur le Prince, il n'y a personne qui lui soit
plus suspect que ce prélat lequel, étant son ennemi,
ne manquera pas de se servir à souhait et de se pré-
valoir de la haine que les peuples auront contre le-
dit prince.
Le cardinal ne voit plus si souvent Monsieur. Ce
n'est pas qu'il ne l'envoie quérir tous les jours; mais
il lui a déclaré qu'il n'iroit plus si souvent, pour
témoigner qu'il n'empêchera pas la paix ; que si
Son Altesse avoit besoin de ses très humbles services,
qu'il n'en bougeroit, mais qu'y ayant un traité, il
n'avoit plus à faire de lui.
Pour la Cour, elle n'est pas satisfaite de ce cardi-
nal ni lui d'elle. Pour en bien savoir les raisons,
il faut reprendre les choses de plus loin et faire
souvenir Votre Altesse Royale que je lui ai mandé
qu'il avoit fait tout ce qu'il avoit pu pour empêcher
que la Reine ne fit revenir le Mazarin ; mais depuis
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 121
qu'il est revenu, il s'est tout à fait adouci pour
satisfaire à l'obligation qu'il a à la Reine de l'avoir
fait cardinal, qu'aussi pour ne pas laisser prendre
le dessus à Monsieur le Prince. Ainsi l'on a \u qu'il
a servi la Cour en plusieurs rencontres où il a cru
le pouvoir faire sans faire tort au service qu'il
doit à INIonsieur, jusques là même qu'il en a été
soupçonné d'être mazarin. De plus, il avoit toujours
sur le même sujet conservé quelque intelligence
avec Sa Majesté ; mais, depuis que la Cour a traité
avec son ennemi, il a rompu tout commerce et a
toutefois déclaré qu*il est ravi de la paix, qu'il éloit
serviteur du Roi et de la Reine, mais qu'il avoit tous
les sujets de se plaindre qu'on eût traité avec son
ennemi ; qu'il tàcheroit de s'en garantir sans brouil-
ler ni rien faire contre le service du Roi, mais que
l'on l'avoit mis en liberté de traiter avec qui il vou-
dra ^ Le cardinal Mazarin lui a fait faire les plus
grandes civilités du monde et l'assurer qu'il n'y aura
point de traité. Il lui a répondu qu'il le remercioit
de ses civilités, mais qu'il ne vouloit point de com-
merce avec lui ni avec personne soupçonné de maza-
rinisme ; qu'il savoit qu'il y avoit un traité, mais
qu'il ne croira pas que l'on dût faire ce mauvais tour
1. Le cardinal de Retz assigne au mécontement de la Cour
contre lui deux autres causes, l'une que, dans ses confidences
à M"* de Chevreuse, il avait coutume de désigner sous
le nom de Suissesse la reine, à laquelle ce propos avait été
rapporté; l'autre qu'il ne pouvait se défendre contre les libelles
de Monsieur le Prince qu'en insérant dans les siens des choses
qui ne pouvaient être agréables à Mazarin [Œuvres du cardinal
de Retz, lY, 188 et 220).
122 CORRESPONDANCE
après l'avoir fait cardinal ; qu'il ne se mêleroit de
rien, surtout qu'il n'empêcheroit pas la paix.
Voilà l'état des affaires générales et particulières ;
Je supplie très humblement Votre Altesse Rovale de
ne pas divulguer ces dernières ; je n'ai que faire
de lui en dire la vérité.
L'armée du Roi est à Palaiseau, et l'autre toujours
à Etampes. J'ai vu des lettres de Chàlons-sur-Marne
qui assurent que le duc de Lorraine est présentement
auprès de .Sainte-Menehould ; il a auprès de lui
MM. de Brégy^ et de Beaujeu pour le Roi et quatre
gentilshommes pour les princes, et sur le tout un
signor espagnol '-. Je crois que ce dernier, quoique
seul, aura plus de pouvoir sur lui que tous les autres.
Je suis ravi que Votre \hesse Royale soit satisfaite
de mes petits soins. Si elle me commande des choses
plus importantes, je tâcherai de m'en acquitter, du
moins avec toute la facilité dont je suis capable. En
fermant ma lettre, l'on m'envoie ce billet qui con-
tient les termes de l'arrêt ; il est trop tard pour le
copier.
M. le duc d'Orléans est toujours indisposé ; mais
1. Nicolas de Flesselles, comte de Brégy, ancien ambassadeur
de France en Pologne, maréchal de camp en 1651, lieutenant
général en 1655, mort en 1689.
2. Le marquis de Saint-André, également envoyé par la Cour
vers le duc de Lorraine, écrivait à Le ïcllier le 27 mai 1652 :
« Il y a auprès de luy un Espagnol nommé don Rodrigues qui
ne le quitte point du tout, et le marquis de La Sablonnière y est
de la part de Son Altesse Royale, et le sieur Le Grand qui est
aussy à luy... » {Souveiiirs du règne de Louis .Y/r, par le comte
deCosnac, II, 189;.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 123
ce ne sera rien, la Reine et le Roi ont envoyé savoir
de sa santé deux fois.
[Le billet mentionné à V avant-dernier alinéa
nest pas joint à la lettre].
XLV.
M. DE SÉVIGNÉ A xMADAME ROYALE.
A Paris, ce 17 mai 1652.
J'eus l'honneur de voir hier l'Ambassadeur auquel
je dis toutes les nouvelles que je savois, tant générales
que particulières ; ainsi cet ordinaire ma gazette sera
plus courte.
Votre Altesse Royale se souviendra que je lui ai
mandé, il y a longtemps, q-ue la paix étoit faite ; je
ne lui apprendrai donc rien par celle-ci qui lui soit
nouveau, puisque je ne fais que lui répéter qu'elle
est faite, et tout ce que vous voyez faire présente-
ment, ce n'est que pour mettre à couvert celui qui
en est l'auteur, qui fait entremettre le Parlement afin
d'y conserver en quelque sorte sa réputation et les
amis qu'il y a.
Monsieur votre frère même a avoué qu'il ne pou-
voit plus refuser de faire la paix et que le Cardinal
s'en ira, mais à dire les choses dans la confidence,
il a laissé entendre à un de mes amis qu'il croit bien
qu'il reviendroit, car il lui dit : « Vous ne devez pas
être fâché de cette paix, puisqu'elle vous est plus
avantageuse qu'à tous nous autres. »
Nous tenons donc pour certain que le Mazarin s'en
124 CORRESPONDANCE
ira du royaume, mais pour peu de temps ; la raison
qui nous le fait croire, c'est que, s'il eût voulu s'en
aller pour toujours, il n'avoit que faire de traité, il
l'eût fait da galant' huomo pour donner la paix au
royaume, et la Reine, par ce moyen, fût venue faci-
lement à bout de ses ennemis ; mais par un traité
où l'on accorde à Monsieur le Prince la promesse
pour M. son frère et plusieurs autres intérêts tant
pour lui (comme plusieurs millions pour le rembour-
sement de la dépense qu'il a faite dans celte guerre)
que pour ceux qui l'ont servi dans cette affaire,
comme le gouvernement d'Auvergne, pour M. de
Nemours, le bâton de maréchal de France pour
Marcin ^ et des lettres de duc pour [du] Daugnon ',
toutes ces clauses ici ne sont fondées que sur la
conjecture non plus que sur les changements des
ministres d'État. Il y a fort peu d'apparence déjà que,
devant toutes ces choses, il s'en aille pour toujours.
Voilà tout ce que je vous puis mander du véri-
table état des choses ; nous en verrons bientôt la
conclusion ; en attendant, on a ôlé les gardes d'ici à
Saint-Germain, et Ton attend le passeport du Roi pour
envoyer les troupes de Monsieur le Piince ou à Ste-
1. Jean Gaspard Ferdinand, comte de Marcin, d'une famille
du pays de Liège, entré au service de la France en 1035 en qua-
lité de lieutenant-colonel d'un régiment de cavalerie liégeoise,
maréchal de camp en 1044, lieutenant-général des armées du
Roi en 1047, avait été arrêté en 1050 pour ses liaisons avec
Condé. Remis en liberté en même temps que lui, il avait
rendu les plus grands services à la cause des Princes en Guyenne
pendant les campagnes de 1051 et 1052.
2. Les Mémoires de La Rochefoucauld (II, 381-385) énu-
mèrent les principales conditions posées par Condé.
DU CHEVALIEU DE SÉVIGNÉ. 125
nay, comme veut Sa Majesté, ou à Étampes, comme
veulent les princes.
Je sais d'un original excellent que M. le cardinal
Mazarin s'en ira et qu'il y est résolu ; c'est beau-
coup ; car, comme dit le vieux proverbe, on sait
bien quand l'on s'en va, mais non pas quand l'on
revient.
Je remets le reste aux relations de M. l'Ambassa-
deur, qui sont choses plaisantes ; car il s'est fait des
momeriestrès divertissantes, si elles se faisoient sur
les terres de nos voisins aussi bien que sur les
nôtres.
J'envoie à Votre Altesse Royale des vers que j'ou-
bliai de mettre dans mon paquet, l'autre ordinaire.
Je souhaite avec passion pouvoir être utile à Votre
Altesse Royale en choses plus importantes qu'à lui
écrire des nouvelles, mais puisque mon malheur ne
me le permet pas, je la supplie de croire que j'ai
tout le zèle et tout le respect que peut avoir son très
humble et très fidèle serviteur.
\Les vers jnentionnès dans le dernier alinéa ne
sont pas joints à la lettré\.
XLVI.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 24 mai 1652.
Je ne doute pas que Votre Altesse Royale ne s'en-
nuie de trouver toujours dans mes nouvelles celle
de la paix, sans en voir sortir les bons effets que
126 CORRESPONDANCE
tout le monde en attend. Je continue à vous assurer
qu'elle est résolue et que les plus clairvoyants croient
qu'il n'y a rien capable de la rompre, Monsieur
votre frère s'étant résolu d'y donner les mains. Je
le sais d'original et qu'il sait bien que le cardinal
Mazarin ne s'en ira que pour un temps.
Je ne doute pas que l'on ne vous ait mandé tous
les articles de ce traité, selon le bruit qui en court ;
mais, pom' moi, je ne prends guère de plaisir d'écrire
les choses que je ne sais pas avec certitude. Néan-
moins, comme je suis aussi bien informé que les
écriveurs de nouvelles qui ne sont pas du ministère,
je crois que je puis autant contenter votre curiosité
sur ce sujet que tous les autres qui se mêlent de ce
métierici. Et ce récit vous fera voir que notre nation
est aussi irrégulière dans les matières sérieuses que
dans toutes les autres.
Les deux premiers entremetteurs de cette paix sont
M"" d'Aiguillon et M. de Chavigny, comme je vous
l'ai déjà écrit, et je crois que leurs articles étoient
que M. le cai'dinal Mazarin iroit à Munster traiter
de la paix générale, sans que l'on parlât de son re-
tour ni en bien ni en mal ; et, comme, ces deux per-
sonnes ne bougèrent de Paris, le milord Montaigu et
M. [deJDamville faisoient les allées et venues pendant
que cette négociation se faisoit au su de Son Altesse
Royale et de Monsieur le Prince. C!elui-ci avoit un
agent secret qui se nomme Gourville, jadis valet de
chambre de M. de La Rochefoucauld, qui alloit tous
les jours à la Cour et en revenoit '. Celui-là a traité
1. Gourville écrit à ce sujet dans ses Mémoires : « Après
DU CHEVALIER DE SÉVIG>É. 127
tous les intérêts particuliers de moiidit sieur le
Prince. Et d'autant qu'il y va encore tous les jours
et que les voyages pou\ oient être suspects à Monsieur,
il y va pour des prétextes qui lui sont connus, pour
échange de prisonniers ou autres affaires publiques.
Depuis la rupture apparente qui a suivi l'entrevue
de ces trois messieurs avec le cardinal Mazarin, M. de
Chavigny, voyant que cette vue lui avoit acquis la
haine publique, se retire en apparence de cette négo-
ciation ; mais en effet il y est toujours, et présente-
ment M"® de Châtillon s'en mêle ', ce qui fait
dire que Monsieur le Prince en est amoureux, parce
qu'il la voit très souvent; mais je crois que c'est
pour favoriser M, de Nemours. Cette dame va et
vient à la Cour très souvent ; mais cela n'empêche
pas que tous les acteurs que je vous ai nommés ne
jouent toujours la comédie. Pour moi, je crois qu'il
qu'il se fut passé quelque temps sans rien terminer, Monsieur le
Prince, ayant conçu quelque défiance de M. de Chavigny, me
chargea d'aller trouver M. le Cardinal pour lui dire, une fois
pour toutes, qu'il étoit bien aise de savoir si S. É. vouloit faire
la paix ou non » [Mémoires de Gourville, édit. Lecestre, I, p. 77).
1, Isabelle-Angélique de Montmorency-Bouteville, fille du
comte de Montmorency-Bouteville, décapité en 1627, sœur du
maréchal de Luxembourg, veuve de Gaspard de Coligny, duc
de Châtillon, tué au combat de Charenton le 9 février 1649.
D'abord aimée avec passion par Condé, elle était alors très
recherchée par le duc de Nemours, dont le long séjour à Paris
ne devait être attribué, d'après le cardinal de Retz, qu'au désir
de « montrer son bâton de général à M™'' de Châtillon » [Œuvres
du cardinal de Retz, IV, 161). « Elle alla, écrit Retz, publique-
ment à Saint-Germain. Nogent disait qu'il ne lui manquoit en
entrant dans le château, que le rameau d'olive à la main »
[Ibid., IV, 237-238).
\ 28 CORRESPONDANCE
y aura du tragique et que l'on dissipera l'armée de
Son Altesse Royale avant que de la conclure.
M. de Montpezat retourne à Casai * : on lui a
donné soixante mille livres comptant. Je suis très fâché
du siège de Trin -, n'y ayant personne dans l'Eu-
rope qui s'intéresse plus que moi aux avantages de
la Maison Royale de [Savoie].
Si le bruit qui court aujourd'hui étoit véritable,
je pense que Votre x\ltesse Royale auroit sujet d'être
bien contente. L'on dit que le roi d'Espagne est
mort et que Son Altesse Royale de Savoie a grande
part à cette couronne".
1. Jean-François de Trémolet de Bucelly, marquis de
Montpezat, avait déjà combattu en Italie, pendant les années
1638 à 1645, à la prise de Chivas en 1639, au siège de Turin en
1640, à la prise deConi en 1641 et de Trino en 1643. Maréchal
de camp en 1646, il avait eu le commandement de Casai en
1649 et avait été nommé lieutenant général des armées du roi
en 1651.
2. Trino en Piémont. La prise de cette ville, survenue quelques
jours plus tard et qui affectait gravement les intérêts de la Mai-
son de Savoie, passa à peu près inaperçue en France, ainsi
qu'en témoigne ce que Loret écrivait dans sa Gazette du 2 juin :
Je n'ai su faire bonne mine
Depuis qu'on a pris Graveline
Et j'en sens un deuil plus profond
Que non pas de Trin en Piémont.
(Loret, Muse historique, I, 248.)
3. Philippe IV, roi d'Espagne, ne mourut que treize ans plus
tard, le 12 septembre 1665, laissant pour successeur son fils
Charles II, né le 11 novembre 1661. Les ducs de Savoie tiraient
leurs prétentions à la succession d'Espagne de l'infante Cathe-
rine, fille de Philippe lï, mariée au duc Charles-Emmanuel I*^
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 129
J'ai oublié de mander que les dernières pensées
de la Reine sur le sujet du cardinal Mazarin, c'est
qu'il ira à Bouillon près de Sedan pour sortir de
France, et, pendant ce temps-là, l'on sacrera le Roi
à Reims, qui n'en est pas loin.
Les députés du Parlement partent demain pour
aller trouver le Roi. J'ai reçu seulement aujourd'hui
la lettre que Votre Altesse Royale m'a fait l'honneiu'
de m'écrire du 10 de ce mois '. J'ai fait voir au
cardinal de Retz les termes obligeants avec lesquels
vous lui faites l'honneur de parler de lui.
XL VII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Ce dernier mai 1652.
Je suis très sensiblement obligé à Votre Altesse
Royale de la bonté qu'elle a eue pour moi de me
faire part de ses déplaisirs. Je la puis assurer qu elle
ne sauroit faire cet honneui' à qui que ce soit qui
y prenne tant d'intérêt que moi. Je trouve très ridi-
cule ce que l'on vous mande sur le sujet du siège de
Trin. Ce sont les impertinences ordinaires de notre
ministre, et c'est I'k Ingénieur du roi deMarlingue -» j
il n'y a sottise dont il ne s'avise. Son procédé à
votre égard est bien la plus grande qu'il ait jamais
1. Cette lettre de Madame Royale n'a pas été retrouvée.
2. Ce nom doit être celui d'un personnage de roman auquel
M. de Sévignë fait allusion.
9
i30 CORRESPONDA.NCE
faite ; car si Votre Altesse Royale n'avoit encore plus
de générosité que de prudence, il lui feroit perdre
patience. M. le cardinal de Retz sort de mon cabi-
net, à qui j'ai fait lire votre lettre ; il m'a avoué que
vous étiez la plus héroïque princesse de l'Europe
d'avoir conservé votre amitié pour la France avec
tant de fermeté et d'y porter encore l'esprit de Son
Altesse Royale Monsieur son fils ; enfin c'est une
vertu que la générosité, qui ne se trouve plus guère
parmi les grands princes.
J'ai fort peu de nouvelles à vous mander cet ordi-
naire. Le Roi est devant Étampes ; le dessein, s'il ne
change, est de mettre vingt pièces de canon en bat-
terie, raser les retranchements et emporter la place.
En y arrivant, les volontaires qui étoient auprès du
Roi vouloient faire le coup de pistolet; la chaleur les
porta jusqu'au retranchement de la place. Il y en eut
plusieurs blessés et quelques-uns de tués, dont le
principal est Vardes, fort beau gentilhomme et très
bien fait. Il étoit bien intentionné pour la Reine. Des
blessés, les principaux sont le chevalier de La Vieu-
ville', Mancini ^,Genlis^, le comte de Grandpré^ et
1. Henri de La Vieuville, chevalier de Malte, mort le 12 juin
1652 des blessures reçues au siège d'Etampes.
2. Il est mentionné plus loin. Voir lettres des 12 et 19 juil-
let 1652.
3. Florimond Brùlart, marquis de Genlis, maréchal de camp
le 14 mai 1652, mort en novembre 1653.
4. Charles-François de Joyeuse, comte de Grandpré, colonel
dun régiment d'infanterie en 1640, avait embrassé le parti des
Princes en 1650. Rentré dans le devoir, il fut fait maréchal de
camp le 18 septembre 1651, lieutenant général en 1653 et mou-
rut en 1680.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 131
le marquis de Renel ' . Nous ne savons les nouvelles
que par les gens de Monsieur le Prince; peut-être,
ne sont-elles pas vraies^.
Son Altesse Royale a mandé ce matin à mon ami
que le duc de Lorraine ^ enoit pour lui et qu'il seroit
dimanche à Dammartin ; mais il m'a dit qu'il n'en
croyoit rien et que, s'il veiioit, cela pourroit bien
retarder l'exécution de la paix. Ce duc est incompré-
hensible, car au même temps il fait espérer à la
Cour qu'il viendra pour eux ; et, à ce sujet, M. le
maréchal de Schônbei'g ^ nous a dit ce matin que
ce même duc lui avoit écrit : « J'espère bientôt vous
embrasser tous à Paris ou à la Cour » .
Mon ami est présentement fort recherché de la
Cour, ce qui le persuade que le traité est fait et que
Ton croit avoir besoin de lui ; mais, comme il ne
veut point avoir de part à cette affaire, il se tient
ferme à ne se point déclarer qu'il n'en voie la con-
clusion.
La reine de Suède offre son entremise à la Reine
pour pacifier nos troubles ; je vous envoie la lettre
qu'elle a écrite au cardinal de Retz, où elle en parle. Si
Dieu n'a pitié de notre Roi et delà monarchie, nous
1. Clériadus de Clermont d'Amboise, marquis de Renel,
mestre de camp d'un régiment de cavalerie le l'^'" mars 1652,
maréchal de camp le 23 du même mois.
2. M. de Sévigné rectifiera dans la lettre du 7 juin plusieurs
de ces nouvelles.
.3. Charles de Schônberg,duc d'Halluin, né en 1600, enfant
d'honneur auprès de Louis XIII, créé duc et pair de France
en 1620, gouverneur du Languedoc en 1632, maréchal de
France en 1637, était colonel général des Suisses et Grisons
depuis le 18 avril 1647.
132 CORRESPONDANCE
sommes pour en voir la subversion, et l'on croit que
la cinquième partie de Paris est dans le sentiment
des billets qu'on jette dans les rues de : « Point de
Roi ! Point de princes ! Vive la liberté » ! Jugez,
Madame, où nous en sommes. M. le prince de Conti
et^PMeLongueville sont aux couteaux avec Madame
la Princesse et font dans Bordeaux des placards les
uns contre les autres ^
Les députés du Parlement sont partis ce matin
pour Corbeil où le Roi va coucher ce soir pour leur
taire réponse. S'ils n'ont satisfaction sur l'éloigne-
ment du cardinal Mazarin, lundi ils doivent achever le
fonds des cinquante mille écus pour le tuer. J'estime
ceux qui ont l'honneur de passer leur vie auprès de
Votre Altesse Royale du rang des bienheureux. Plût
à Dieu leur ressembler!
XLVIII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 7 juin 1652.
Je savois bien qu'il ne falloit pas s'affliger pour
la mort de tous ceux qu'on disoit l'être au Palais
d'Orléans. Genlis et plusieurs autres n'ont pas été
blessés, et Vardes n'est pas encore mort ; toutefois
1. A la suite du départ de Condé, Conti était resté dans Bor-
deaux avec de pleins pouvoirs. F^'abord l)rouilI(' avec sa sœur,
M"'=de LonguevilIe,iIs s'unissaient bientôt après contre Madame
la Princesse qui s'appuyait sur Marcin et sur le fidèle conseil-
ler de Condé, Lenet [Histoire des princes de Condé, par le duc
d'Aumale, VI, 296-301).
nu CHEVALIER DE SÉVIGNK. {Xl
le bruit court que le chevalier de La Vieuville et lui
eurent hier l'extrême-onction. Ce chevalier, par son
testament \ ordonne que l'on rende une somme
d'argent très considérable à plusieurs particuliers
qui la lui avoient donnée pour leur faire faire des
affaires avec son père, qu'il gouvernoit si absolument
qu'il étoit plus surintendant que lui ~. M. le mar-
quis de LaLonde^, lieutenant des gendarmes de
Monsieur, a été tué. Le marquis de Renel et le che-
valier de Parabère ^ sont morts de leurs blessures.
M. le duc de Lorraine vint dimanche au soir
coucher en cette ville. Son Altesse Royale fut au
Bourget l'attendre avec Monsieur le Prince ; comme
ce duc fut à trente pas de Monsieur, il mit pied à
terre et lui fut embrasser les genoux qu'il tint long-
temps, l'assurant qu'il étoit venu pour le sei'vir sans
condition et qu'il feroit tout ce que Son Altesse
Royale lui commanderoit ; ce sont ses propres
1. Loret dans sa gazette du 9 juin mentionnait aussi ce tes-
tament du chevalier de La Vieuville, pour en démentir la nou-
velle quelques jours après, ajoutant toutefois :
Qu'il étoit vrayment trépassé
Comme un des saints du temps passé.
(Loret, Muze historique, I, 251, 254.)
2. Charles, marquis, puis duc de La Vieuville, nommé sur-
intendant des finances en 1623, puis disgracié et exilé par
Richelieu, avait été de nouveau appelé à cette charge en 1651.
3. François de Bigars, dabord chevalier de Malte, devint
marquis de La Londe en 1640 à la mort de son frère aîné.
4. Henri de Baudéan de Parabère, dit le chevalier de Para-
bère, capitaine de cavalerie au régiment du Mestre de camp
général.
134 CORRESPONDANCE
termes. Il embrassa après Monsieur le Prince, tou-
tefois assez froidement. Ils parlèrent quelque temps,
tous deux découverts, à Monsieur couvert ; mais
après, ils se couvrirent et montèrent à cheval pour
venir ici, l'un à droite et l'autre à la gauche indif-
féremment, mais toujours le duc prenait le prince de
Guémené à son côté, afin de se trouver au milieu
avec Son xUtesse Royale auquel il a toujours rendu
les plus grands honneurs du monde.
Le cardinal de Retz l'a vu trois fois, deux dans
le cabinet de Madame et une chez Monsieur. Il ne
s'est rien passé entre eux que de général, hormis
pour les intérêts de Son Altesse Royale pour les-
quels il témoigne une grande chaleur ' . Il est parti
ce matin comme un cravate et est allé à Port-à-l'An-
glois, aune lieue d'ici, où son armée passe la Seine.
Monsieur le va voir et tout ce qui est ici. Mon-
sieur le Prince et ce duc sont de mauvaise intelli-
gence.
Les députés du Parlement sont de retour avec les
réponses du Roi par écrit ; ils ont envoyé ce matin
deux conseillers prier Son Altesse Royale de se trou-
ver au Palais et que tout le peuple attend avec impa-
1. Le cardinal de Retz dans ses Mémoires est très sobre de
détails sur ces entrevues. Sa première conférence avec le duc
de Lorraine « ne se passa, dit-il, qu'en civilités et qu'en rail-
leries dans lesquelles il étoit inépuisable ». L'ayant vu ensuite
au noviciat des Jésuites, « il entra dans un détail de proposi-
tions et d'ouvertures auxquelles je vous proteste que je n'en-
tendis rien. Je crus que je ne pouvais mieux lui répondre que
par des discours auxquels je vous assure qu'il ne comprit pas
grand chose » [Œuvres du cardinal de Retz, IV, 253-254).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 135
tience l'issue des affaires. Il a répondu qu'il avoit
promis à M. le duc de Lorraine d'aller voir son
armée, que c'étoit une chose plus pressée, puisque
de là dépendoit le secours d'Étampes, et ensuite la
sortie du cardinal Mazarin ; qu'il ne manqueroit pas
demain de se trouver au Palais. Je me suis trouvé
là et ai accompagné les deux conseillers qui m'ont
dit que la réponse du Roi portoit qu'il n'avoit jamais
rien tant souliaité que la paix et que pour le faire
voir, qu'il étoit résolu de suivre les conseils de M. le
duc d'Orléans et de Monsieur le Prince, dont ils'étoit
toujours bien trouvé.
Son Altesse Royale croit que c'est une ruse ; mais
je crois que c'est la conclusion de la paix faite avec
Monsieur le Prince, qu'ils veulent faire éclairer par
l'autorité du Parlement. Comme je vous ai déjà
mandé, il y a des raffineurs qui croient que Mon-
sieur le Prince pourroit bien passer du parti du Roi
à cause de sa mésintelligence avec le duc de Lor-
raine et des conférences que celui-ci a eues avec le
cardinal de Retz, outre que je ne crois plus que
M. le duc d'Orléans veuille consentir aux articles
qu'il avoit accordés dans le premier traité et qu'il
voudra en être le maître. Dans huit jours j'espère
que nous verrons plus clair et que je vous en pour-
rai mieux informer.
Ce matin. Son Altesse Royale a dit que le cardi-
nal Mazarin, voyant venir le duc de Lorraine, avoit
eu envie de s'en aller, mais qu'ayant eu avis de la
mésintelligence de Monsieur le Prince et de ce duc,
il avoit changé de dessein. Je ne crois pas cette
nouvelle, le cardinal Mazarin faisant le fier plus que
136 CORRESPONDANCE
jamais : il n'y a pas trois jours que la Cour croyoit
encore que le duc de Lorraine seroit pour eux ;
mais à présent, je les liens désabusés et je ne fais
nul doute qu'ils ne lèvent le siège d'Étampes, si ce
n'est que Dieu aveugle encore la Reine et le cardi-
nal Mazarin, comme ils ont fait jusques ici: il n'y a
jour que ce ministre fasse quelque sottise ; l'on y est
si accoutumé que personne ne s'en étonne plus.
Je suis trop obligé à la bonté de Votre Altesse
Royale ; je suis au désespoir du peu de soin que ce
galant homme prend de nous conserver nos alliés
et particulièrement de Votre Altesse Royale qui a
été si fidèle à la France depuis nos malheurs ; je la
puis assurer que si mon ami étoit en sa place,
comme il en est fort éloigné, il feroit l'impossible
pour sa satisfaction ; du moins, j'assure Votre
Altesse Royale qu'elle auroit un très fidèle et très
passionné solliciteur, la pouvant assurer que je lui
souhaite cette place plus pour être en état de vous
rendre toutes sortes de très humbles obéissances
que pour mes intérêts.
Nous ne savons encore quelle résolution le con-
seil du Roi lui aura fait prendre sur le passage de
l'armée de Lorraine.
Je ne sais si je vous ai mandé que le maréchal du
Plessis a conseillé au cardinal Mazarin de s'en aller
et qu'il auroit cru jusques ici qu'il pourroit se réta-
blir sans perdre l'État, mais qu'il voyoit bien pré-
sentement qu'il s'étoil trompé.
Après les affaires sérieuses, il faut dire un mot de
la vie de Son Altesse de Loriaine. Il a dîné un jour
chez M'"'' de Chevreuse, disant mille mots à double
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 137
entente aux dames ^ ; un autre jour, il a dîné avec
le commandeur de Souvré, où il a voulu voir tous
ceux qui ont été nourris avec le feu Roi. Il a vu
plusieurs fois aussi M. de Châteauneuf ; et toutes
les visites, il les a faites le plus souvent à pied.
Il fut hier au bal chez Mademoiselle, où il a dansé
jusques à une heure après minuit et est parti à cinq
du matin ~.
Je supplie Votre Altesse Royale de croire que je
suis prêt de faire tout ce qu'elle me fera l'honneur
de me commander sans réserves quelconques.
XLIX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 14 juin 1652.
J'ai reçu la dernière qu'il a plu à Votre Altesse
Royale de me faire l'honneur de m'écrire '.Je la
puis assurer n'avoir pas moins de passion de lui
écrire la conclusion de la paix qu'elle en a de la
1. Loret, entre autres défauts, reproche au duc de Lorraine
d'être « goguenard, goinfre et galant ». — « Le duc de Lor-
raine, écrit Conrart, se va souvent promener au Cours avec
Mademoiselle ou M"* de Chevreuse, devant lesquelles il dit des
ordures qui les rendirent honteuses le plus souvent » [Mémoires
de Conrart, édit. Petitot, p. 79).
2. Mademoiselle, qui donne beaucoup de détails dans ses
Mémoires sur le séjour que fît en France à cette époque le
duc de Lorraine (II, 73-81), ne mentionne pas ce bal.
3. La minute de cette lettre de Madame Royale n'a pas été
retrouvée.
138 CORRESPONDANCE
savoir. Mais il n'y a que Dieu qui nous en puisse
donner une véritable et assurée, le duc de Lorraine
ayant tellement brouillé les cartes que nous ne
savons plus où nous en sommes. Je ne vous parle
point de la levée du siège d'Étampes *, je m'imagine
que la renommée vous l'aura apprise; depuis ce
jour, le Lorrain a toujours tenu la Cour en échec
de s'accommoder avec elle jusques à marquer le
jour qu'il y devoit aller. La Reine, qui n'a autre pas-
sion que de conserver le cardinal Mazarin, donne à
pleines voiles dans ce panneau, ne voyant pas que
celui-ci n'agit que par les sentiments d'Espagnols
qui ne veulent pas que le cardinal Mazarin s'en
aille, afin de maintenir la guerre civile dont il est
le seul auteur. Cependant qu'il dupe ceux-là, il tient
ceux-cienhaleine, et avant-hier Monsieur et Monsieur
le Prince, croyant que ce Lorrain se vouloit accom-
moder avec la Cour, le furent trouver dans son camp
et, après avoir été enfermés quatre heures avec lui,
signèrent un écrit, lui et M. le duc d'Orléans, par
lequel il s'oblige de ne faire aucun traité avec le
Roi de quinze jours. Lorsque Son Altesse Royale le
presse de se lier plus fortement avec lui, il répond
que, si Monsieur le Prince lui veut rendre ses places,
il le fera, mais que tout ce qu'il peut faire, à cause de
Monsieur, c'est de ne pas le laisser défaire et qu'il
leur donne ces quinze jours afin de donner le temps
1. Le siège d'Étampes avait été levé par ïurenne le 7 juin
1652. Le duc de Lorraine avait signé avec le marquis de Châ-
teauneuf un traité par lequel il s'engageait à quitter la France
dès que le siège d'Étampes serait levé.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 139
aux troupes qu'il fait venir des pays étrangers de
joindre leur corps.
M. de Clhâteauneuf a négocié cet écrit, quoique
l'on le donne à mon ami; mais il est vrai qu'il i\\
a nulle part.
La Reine n'a pas laissé de se plaindre de lui
d'avoir eu plusieurs conférences avec le Lorrain,
sans en avoir informé le Roi ; à cela, il ne répond
rien, ne voulant point s'intriguer de toutes ces
négociations ni pour ni contre la Cour, si ce n'est
contre son ennemi.
T^es députés du Parlement sont repartis mercredi
pour la Cour, suivant l'arrêté du lundi qui porte
que le Roi sera très humblement supplié d'éloi-
gner le cardinal Mazarin, seul et unique sujet de
tous les désordres de l'Etat, et que, sans cela, il
est inutile de faire aucune conférence, et ce d'au-
tant plus que Son Altesse Royale et Monsieur le
Prince ont déclaré de nouveau qu'ils étoient prêts
de mettre les armes bas, si le cardinal Mazarin s'en
alloit. L'on attend le retour de ces Messieurs.
Il se fit hier une assemblée de ville un peu tumul-
tueuse ; le résultat fut d'envoyer grand nombre de
bourgeois à Son Altesse lui déclarer que, si l'on ne
faisoit bientôt la paix et éloigner l'armée du duc de
Lorraine qui ruine tous les environs de Paris, ils
sont résolus de lever une armée pour leurs intérêts.
Monsieur leur repartit qu'il y donneroit ordre.
Le bon Dieu veuille amollir le cœur de la Reine
et lui veuille pardonner tous les maux qu'elle nous
cause ! Je trouve que Votre Altesse Royale ne lui a
guère d'obligation de l'abandonner comme elle le
140
CORRESPONDANCE
fait. Je souhaiterois avec passion de me voir une
occasion de répandre de mon sang en la servant et
Son Altesse son fils. Je m'estimerois le plus glorieux
de tous les hommes. Cependant je la puis assurer,
quoi qu'il puisse arriver, [que] je continuerai à lui
mander ce qui se passe en ce pays.
L.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 28 juin 1652.
Je me suis si peu promené parmi le monde cette
semaine, à cause de quelque affaire qui m'est surve-
nue, que je n'en sais guère de nouvelles.
J'ai reçu la dernière lettre que Votre Altesse
Royale m'a fait l'honneur de m'écrire ^ ; je trouve
ses ressentiments si justes que je ne désapprouverai
jamais aucune des résolutions qu'elle prendra sur
les sujets des plaintes que vous me faites.
S'il y avoit quelque assurance aux ti'aités que fait
le cardinal Mazarin, nous aurions sujet d'espérer
la paix dans peu de jours ; mais, comme la clef de
ce traité, c'est son éloignement, il le reculera le
plus qu'il pourra, encore qu'il soit stipulé que ce
ne sera que pour un temps, et même l'on croit
que, s'il pouvoit trouver quelque conjoncture avanta-
geuse pour s'en dédire, il le feroit.
Il a fait venir quantité de troupes dans l'armée du
Roi ; il arriva hier encore quatre mille hommes du
1. La minute de cette lettre nous manque.
DU CHEVALIER DE SEVIGNE. 141
maréchal de La Ferté qui marchent d'un côté de la
rivière, et les troupes de M. de Turenne de l'autre ;
ils semblent vouloir enfermer l'armée de Monsieur et
l'on croit que s'ils remportoient quelque avantage,
que ce seigneur se pourroit bien dédire. S'il le fait,
je ne fais nul doute que le Parlement et le peuple
de Paris ne fassent une union très entière, car le
dernier arrêté de l'assemblée des Chambres le porte
ainsi, comme vous apprendrez par ceux qui vous
écrivent des affaires publiques.
Les députés partirent hier ; ils ont porté, signés de
Messieurs les Princes, tous les préalables que la Reine
demandoit pour chasser le cardinal Mazarin. L'on
m'a encore assuré que cela n'est que grimace et que
le traité de Monsieur le Prince est fait et qu'il est
bien aise qu'il paroisse que c'est le Parlement qui le
fait. Je voudrois déjà que la paix fût publiée et que
le vilain s'en allât ; car, pour son retour, je crois
qu'il sera très incertain et que ceux qui lui pro-
mettent de lui être favorables lui seront contraires.
Les députés du Parlement reviendront demain.
Le Roi a couché la nuit passée au Chemin à six
ou sept lieues d'ici. C'est une terre qui est au prési-
dent Viole ^ . L'on dit qu'il doit venir coucher à La
Chevrette -, à demi-lieue de Paris.
Le cardinal de Retz avoit fait supplier le Roi de
donner commission à quelqu'un de lui donner le
1. Pierre Viole, sieur de Chéron, président au Parlement de
Paris, un des partisans les plus fanatiques de Monsieur le
Prince.
2. Aujourd'hui hameau de la commune de Deuil, canton
de Montmorency (Seine-et-Oise).
142 CORRESPONDANCE
bonnet, ce que l'on lui a refusé, disant que Sa
Majesté seroit bientôt auprès de Paris et que l'on ne
faisoitnul doute qu'il ne fût bien aise de le prendre
de sa main.
Il a répliqué qu'il l'eût fort soubaité, sans la con-
joncture des affaires; qu'il savoitbien que ce n'étoit
ni du mouvement du Roi ni de la Reine que l'on lui
faisoit ce refus, que e'étoit le cardinal Mazarin ; qu'il
supplioit très bumblenient Sa Majesté de considérer
que son intention étoit de lui rendre toutes sortes
de respects, puisque, nonobstant le pouvoir que le
bref du pape lui donnoit de prendre son bonnet
lui-même, il le vouloit recevoir par les ordres du
Roi, qu'il seroit au désespoir d'être obligé d'en user
autrement, mais que pour éviter les affronts dont on
le menace, à cause qu'il va inconnu, il sera obligé
de paroître publiquement ; il attend sa réponse.
Gaucourt, agent de Monsieur le Prince, est de
retour; c'est lui qui a négocié. Cela fait croire que la
pai.x est faite. Voilà tout ce que je sais.
Ll.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 5 juillet 1652.
Ce que je vous ai mandé, le dernier ordinaire,
est arrivé touchant le cardinal Mazarin. Depuis qu'il
a vu l'armée du Roi grossie des troupes du maré-
chal de La Ferté, il est devenu si fier qu'il a rompu
la paix et n'a plus voulu sortir de la Cour, comme
DU CHEVAXIER DE SÉVIGNÉ. 143
portoit le traité qui étoit arrêté entre la duchesse
d'Aiguillon et le sieur de Chavigny. Cette première
m'a assuré que, si Monsieur le Prince eût voulu
consenlii- que le cardinal Mazarin fut allé à la paix,
il prometloit de ne rentrer de deux ans en France.
Ce qui se fit hier pourra peut-être diminuer l'or-
gueil dudit cardinal, c'est qu'après ce combat que
les troupes du Roi donnèrent, il y a trois jours,
dans le faubourg Saint-Antoine, contre l'armée des
princes, dont l'on vous enverra la relation qui est
publique et assez véritable ', les princes y ont perdu
beaucoup plus d'officiers que le Roi, mais ils ont
gagné ; car hier, ayant demandé une assemblée
générale de la Maison de Ville, afin de les obliger à
s'unir avec eux, et les princes ayant vu que cette
assemblée demandoit huit jours pour se déclarer,
ils sortirent de la Maison de Ville criant au peuple
qui étoit dans la Grève que c'étoient des mazarins. Le
peuple prit des fagots et mit le feu aux portes et
tiroit force coups de mousquet aux fenêtres de la
Maison de Ville; enfin les échevins furent contraints
de signer l'union, et le peuple longtemps après se
retira. Lemaiéchal de l'Hôpital et le prévôt des mar-
chands se sauvèrent par un trou ; il y a eu plus de
cent hommes tués.
Nous voilà tout à fait sous la tyrannie de Monsieur
1. Suivant sa coutume de ne mentionner que brièvement
les événements importants dont les récits se trouvent imprimés
dans les gazettes, M. de Sévigné parle à peine du combat du
faubourg Saint-Antoine qui aurait pu voir l'écrasement de la
Fronde si la Grande Mademoiselle n'avait fait tirer sur les
troupes royales le canon de la Bastille.
144 CORRESPONDANCE
le Prince; il peut proscrire qui bon lui semblera. Le
cardinal de Retz est fort placardé tous les jours,
mais il a quantité d'amis ; toutefois, si la tourbe a
vil gundagno inteza^ devient la maîtresse, il faudra
qu'il cède '. Le grand prévôt lui a écrit que le Roi
lui vouloil donner le bonnet et qu'il souhaite qu'il
allât à la Cour afin de traiter avec lui de beaucoup
d'affaires concernant son service; il est résolu de
n'y pas aller; mais il a envové demander permission
au nonce de paroître en public sans prendre le bon-
net ; je ne sais ce qu'il fera.
De vous dire où iront les choses, je ne puis en
parler avec certitude, mais par réflexion. L'on croit
que la déclai'ation de Paris et de la venue de l'Ar-
chiduc ^ feront résoudre le cardinal Mazarin de
rabattre de son caquet.
Nos députés du Parlement doivent avoir audience ;
par la sorte dont on leur parlera, nous jugerons de
ce qui se fera. Les négociateurs sont en cam-
pagne.
Il y a mille nouvelles populaires dont je ne vous
parle point; tout le monde les sait. .J'envoie à Votre
Altesse Royale deux écrits qui sortent tous deux de
la boutique de notre ami ; celui qui est intitulé
le Vrai et le faux est de son style. Vous verrez le
secret de tout ce qui s'est fait et, en rappelant votre
1. A vil guadagno inteza, qui n'a pour but qu'un vil gain.
2. Le cardinal de Retz parle dans ses Mémoires d'un projet
qu'aurait formé Monsieur le Prince de profiter du peu de pré-
cautions qu il prenait pour le faire enlever sans violence et l'obli-
ger à sortir de Paris (Œwcres du cardinal de Retz, IV, 278-280).
3. L'archiduc Léopold, gouverneur des Pays-Bas espagnols.
nu CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 145
mémoire, vous jugerez que je n'ai pas été mal
averti '.
Il y a eu un grand massacre à Bordeaux, entre
ceux de l'Ormée et ceux du parti du Parlement -.
Si Dieu n'a pitié de nous, nous sommes pour voir
une subversion générale de toutes les monarchies.
J'oubliois à vous mander que, dans ce grabuge de
l'Hôte) de Ville, le peuple a élu M. de Broussel '^
1. La guerre des pamphlets avait repris depuis plusieurs
seniaines. Le cardinal de Retz écrit dans ses Mémoires à la
date d'avril 1652 : « Les libelles recommencèrent ; j'y repon-
dis. La trêve de l'écriture se rompit. » C'est à cette occasion
qu'il se reconnaît l'auteur du pamphlet : « Les contre-temps du
sieur de Chavigni, premier ministre de M. le Prince »
{Œiwres du cardinal de Retz, IV, 217-218).
Le titre complet du libelle cité ici par M. de Sévigné est :
«Le Vrai et le faux du prince de Condé et du cardinal de Rais ».
Celui-ci rapporte dans ses Mémoires que Marigny, ayant un
jour surpris Condé lisant ce livre avec grand plaisir, celui-ci
lui aurait déclaré : « Il est vrai que j'y en prends beaucoup, car
il me fait connaître mes fautes que personne n'ose me dire »
[Œuvres du cardinal de Retz, IV, 2-32).
2. La ville de Bordeaux s'était partagée en deux grands
partis « l'Ormée » ou parti des faubourgs et la « Fronde »,
parti du Parlement et des Jurais. Condé soutenait le premier
et écrivait à Lénet : « J'aime mieux me conserver Bordeaux
sans Parlement que le Parlement sans Bordeaux... » {Histoire
des princes de Condé par le duc d'Aumale, VI, 302).
3. C'est le conseiller Pierre Broussel que son rôle pendant
la vieille Fronde avait rendu si populaire. Entré au Par-
lement de Paris en 1637, il a fini obscurément. — Fils d'autre
Pierre, conseiller au même Parlement (-j- 1654) et de Mar-
guerite Boucherat (celle-ci propre tante du chancelier de
France, Louis Boucherat), il était né en la paroisse Saint-
Landry de Paris, le 15 septembre 1609 (Biblioth. nationale,
mss. français, n° 32.585). — V^oir sur sa démission la lettre
du 27 septembre 1652.
10
146 CORRESPONDANCK
prévôt des marchands et jM. de Beaufort gouver-
neur de Paris. M™^ de Chevreuse a ordre de sor-
tir de cette ville. Je demande pardon à Votre
Altesse Royale si ma lettre est mal écrite. Je suis très
fort blessé au pouce droit.
LU.
M. DE SEVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Ce 12 juillet [1652].
J'ai reçu deux lettres qu'il a plu à Votre Altesse
Royale me faire l'honneur de m'écrire, l'une du 22
du passé et l'autre du 29 ^ ; elles m'ont tout à fait
touché et particulièrement les apostilles qui sont
écrites de sa main. Tout ce qu'il y a de gensde bien
dans le royaume admirent la fermeté de Votre
Altesse Royale et disent que ce ne doit plus être
l'intérêt de la France qui la doit obliger de ne pas
traiter avec Espagne. Je ne m'engage pas plus
avant dans le raisonnement, car la passion que j'ai
pour la Maison de Savoie et pour votre personne me
feroit peut-être blesser la qualité de François que la
naissance m'a donnée; quoiqu'il arrive, vous trou-
verez en moi un très passionné mais encore plus
fidèle serviteur.
Je ne veux pas suivre dans cette relation la
méthode des gazeliers, je veux commencer par où
sans doute ils finiroient, puisque c'est par une
1. Les minutes de ces lettres n'ont pas ctc retrouvées.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 147
nouvelle qui nous est arrivée ce matin de la Cour,
qu'enfin le Roi a trouvé bon que le cardinal Maza-
rin se retirât. Vous trouverez ci écrit la copie des
mêmes termes du garde des sceaux. La manière
dont cela s'est négocié a été par l'entremise de
M. de Mortemart ' qui est premier gentilhomme de
la chambre du Roi et ami intime de M. de Chavi-
gny. Ainsi je puis vous assurer que la chose s'est
faite par le su de Monsieur le Prince. Dieu veuille
que Son Éminence Mazarine ne s'en dédise point ! car
quoique son éloignement ne soit pas pour longtemps,
comme il est stipulé, néanmoins nous aurions le
temps de respirer.
Depuis la violence de l'Hôtel de Ville, il n'y a
sorte d'artifice dont Monsieur le Prince ne se soit servi
pour épouvanter le cardinal de Retz afin de l'obliger
à sortir de Paris. Son Altesse Royale a même témoi-
gné qu'il feroit bien, disant toutefois que, lui présent,
l'on ne l'attaqueroit pas qu'il ne le secourût, mais
que peut-être Monsieur le Prince prendroit son temps
lorsque Son Altesse Royale seroit hors de la ville ;
mais le cardinal est plus fier que jamais. Il a fait
dire à Monsieur qu'il le remercioit de sa bonne
volonté, qu'en ce rencontre il n'en avoit que faire ;
que si l'on l'attaquoit, il feroit périr ses ennemis et
qu'il ne sortiroit jamais de Paris. Il est en état de
soutenir un siège contre une ai-mée royale.
1. Gabriel de Rochechouart, marquis puis duc de Morte-
mart, père de M""® de Montespan, gouverneur de Paris en
1669, mort en 1675. II avait constamment suivi la fortune de
Mazarin pendant que son frère, le comte de Maure, avait
embrassé la cause de la Fronde.
148 CORRESPONDANCE
L'on m'a assuré que le Roi avoit pleuré amère-
ment sur le sujet de l'éloignement du Mazarin ; il
y a quatre ou cinq jours que Sa Majesté a donné à
Mancini ' le commandement de ses chevau-légers
delà garde qu'avoit Saint-Maigrin - ; le cornette, qui
est de la maison de La Trémoïlle, après avoir dit
au cardinal Mazarin tout ce que fait dire la rage
quand elle est maîtresse de céans, a eu comman-
dement de se retirer chez lui. Outre cet obstacle, il
Y a quatre hommes de qualité qui ont signé de ne
point souffrir que ce petit mignon jouisse de cette
charge qu'il n'ait satisfait la veuve d'un brevet
qu'elle a de cent mille écus de récompense. Cette
action a achevé de peindre le cardinal Mazarin dans
la Maison du Roi, de voir donner à un enfant une
charge qu'il n'y a jamais eu que de vieux barbons
qui l'aient eue.
Je ne m'amuse point de barbouiller mon papier
de leurs cent mille ftidaises ; je suis certain que
personne ne sait encore qui a négocié ce dernier
traité, celui qui l'a fait ne s'étant jamais mêlé d'af-
faires ; je hais fort ce « messer faquin » pour le
mal qu'il nous a fait, mais plus encore d'avoir
abandonné Votre Altesse Royale comme il a fait ; je
l'en haïrai toute ma vie.
1. Paul Mancini, l'un des neveux de Mazarin, blessé mortel-
lement au combat du faubourg Saint-Antoine. — Voir sur sa
mort la lettre ci-après du 10 juillet.
2. Jacques vStuer de Caussade, marquis de Saint-Maigrin,
capitaine-lieutenant des chevau-légers de la Reine en 16W,
lieutenant-général des armées du Roi en 1650, tué au combat
du faubourg Saint-Antoine le 2 juillet 1652.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 149
M"" d'Aiguillon me vient de mander qu'à celte
fois elle croit la paix faite. Dieu soit loué !
[A cette lettre est jointe la note ci-dessous :]
Réponse aux députés par M. le Garde des Sceaux.
Le Roi m'a commandé de vous dire que, quoiqu'il
soit aisé de connoître et que l'on voie clairement que
la demande à laquelle on insiste pour l'éloignement
de M. le Cardinal ne soit qu'un prétexte, néan-
moins Sa Majesté n'a point laissé de prendre réso-
lution de lui permettre de se retirer sur ses pressantes
instances qu'il lui a faites, lorsque les ordres auront
été donnés pour l'exécution de ce qui doit être fait
pour le rétablissement du calme dans ce royaume ;
et pour cet effet, Sa Majesté entend que vous fassiez
savoir ses intentions à M. le duc d'Orléans et à
Monsieur le Prince afin qu'ils envoient ici des dépu-
tés, et cependant que vous demeuriez ici près sa
personne.
Lin.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 19 juillet 1652.
Toutes les propositions de paix que l'on a faites de-
puis huit jours se sont tournées en fumée ; les princes
ne les veulent point exécuter que le cardinal Mazarin
ne soit parti, et tous les avis de la Cour sont que ce
vilain n'en a nulle envie. Il avoit fait commander
par le Roi aux députés du Parlement de suivi'e à
150 CORRESPONDANCE
Pontoise ; mais Messieurs du Parlement leur ont
commandé de s'en revenir, ce qu'ils firent hier au
soir, escortés par Son Altesse Royale et par Monsieur
le Prince. Ce matin, ils ont confirmé la réponse que
le Roi leur avoit faite mercredi par la bouche de M.
Servien, qui est que, si les princes ne veulent députer
vers le Roi, qu'ils donnent pouvoir auxdits députés
de traiter pour eux et que Sa Majesté le trouve bon
et qu'il promet d'éloigner le cardinal Mazarin du
royaume, aussitôt que l'on sera convenu des ordres
nécessaires pour la pacification du royaume, avant
même qu'ils soient exécutés et leur a fait dire par
M. deSainctot' de demeurer à Saint-Denis pour qu'ils
se pourvussent des choses nécessaires et faire savoir la
réponse du Roi aux princes et recevoir leur résolution
pour la faire savoir au Roi à Pontoise et cependant
attendre ses ordres à Saint-Denis ^.
Ce matin donc, les Chambres se sont assemblées,
Messieurs les Princes présents, et après avoir ouï ce
récit, l'on a dit qu'il étoit plein d'artifices, que le Car-
1. Ce nom que M. de Sévigné écrit « S'-Tot » est soit celui
du maître des cérémonies alors en exercice, Jean-Baptiste de
Sainctot, sieur de Vémars, gentilhomme ordinaire de la chambre
du roi, qui mourut le 1'^'" août suivant, soit celui de son fils,
Nicolas-Sixte, déjà pourvu de la même charge, qui lui survécut
jusqu'en 1655 (A. Ja\, Dictionnaire critique, 2* éd., p. 1100).
2. Le cardinal de Retz a relaté les mêmes faits dans ses
Mémoires [Œuvres, IV, 293-294) ; mais, d'après le récit qu'il
a mis dans la bouche du président de Nesmond, à l'audience
du Parlement, le 19 juillet, la réponse delà Reine aux députés
de la Cour, par l'intermédiaire de Servien, leur aurait été don-
née par écrit. Il ne mentionne pas non plus cet ordre du Roi
qui aurait été notitié à ces mêmes députés par Sainctot.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE . 151
dinal vouloit lirer les choses en négociation et qu'il
n'avoit nulle pensée de s'en aller. Après, l'on est venu
aux opinions ; il y en a eu trois principales : l'une
d'envoyer au Roi faire de nouvelles instances afin
qu'il éloignât le cardinal Mazarin et que l'on ne trai-
teroit point sans cela ; l'autre avis, que M. le duc
d'Orléans se serviroit de toute l'autorité du Roi et de
la sienne pour le chasser, et le dernier que l'on dé-
clareroit Monsieur régent, attendu que le Roi étoit
prisonnier. L'on ne croit pas qu'il passe à ce der-
nier. Demain, l'on achèvera la délibération.
Mancini mourut hier au matin ^ ; il y en a qui
augurent bien de celte mort, disant que la disgrâce
du maréchal d'Ancre commença par la mort de sa
fille ; les clairvoyants croient que le cardinal Mazarin
sera contraint enfin de s'en aller et qu'il s'y résou-
dra plus facilement qu'il n'eût fait, depuis la mort de
son neveu.
Le bruit court que les troupes de l'.Ai^chiduc, ayant
poussé M. d'Elbeuf, l'avoient enfermé dans Chauny
et que, depuis, ils l'y avoient fait prisonnier avec
M. de Manicamp ', et même qu'il étoit sorti sur sa
parole.
1. Paul Mancini, dont il est question dans la lettre précé-
dente, fut porté mourant, lei7juillet,surun brancardàPontoise
où la Cour se rendait et y mourut le lendemain matin [Gazette,
1652, pp. 694 et 719). Il n'était âgé que de seize ans et
s'était bravement battu à la tête de son régiment [Mémoires de
M*"" de Montpensier, II, 114). Sa mort a inspiré plusieurs
pamphlets aux adversaires de Mazarin.
2. Achille de Longueval, comte de Manicamp, colonel d'un
régiment d'infanterie de son nom en 1625, maréchal de camp
en 1636, lieutenant général le 30 octobre 1646.
152 CORRESPONDANCE
Monsieur le Prince a fait voir à tous ceux qui l'ont
voulu une lettre que le roi d'Espagne lui écrit, par
la€|uelle il lui donne la liberté de M. de Guise, lui
disant que, pour les conditions, il les lui remettoit,
sachant bien qu'il auroit autant de soin de ses intérêts
que ses meilleurs ministres ; il le nomme mon cher
cousin ^
Le cardinal de Retz est toujours sur ses gardes,
ayant eu mille avis que l'on le vouloit attaquer sous
prétexte d'une émotion populaire. Il a fait depuis
trois jours une nouvelle instance au Roi pour avoir
permission de prendre le bonnet, à cause que, n'osant
sortir publiquement, ses ennemis s'en prévalent et
publient qu'il n'ose sortir, à cause qu'il estmazarin.
Il n'a point de réponse de la Cour ^.
Les nouvelles sont venues que l'Angleterre et la
Hollande se sont déclaré la guerre ; il y en a qui
disent que cela n'est pas encore, mais que la disposi-
tion y est toute entière.
1. Henri II de Lorraine, duc de Guise (1614-1664), arclie-
vêque de Reims de 1629 à 1641, renonça à la carrière ecclé-
siastique après la mort de son père et celle d'un frère aîné et
se lança dans diverses aventures. Ayant tenté, en 1647, à la
tête d'un parti de Napolitains révoltés, une expédition contre
Naples, il fut fait prisonnier par les Espagnols et conduit en
Espagne ; il y resta gardé très étroitement, jusqu'à ce que k-
prince de Condé pût obtenir, en 1652, sa mise en liberté. On
sait qu'il ne s'en montra pas reconnaissant envers ce prince
qu'il abandonna pour se rallier à Ma/arin. Les incidents de
son retour à Paris, qui occupèrent beaucoup la Cour et la Ville,
sont relatés par M. de Sévigné. (Voir lettres ci-après des 4, 18
et 25 octobre 1652.)
2. Mémoires! du cardinal de Retz [Œuvres, II, 285-290).
DU CHEVALIER DE SKVIGNÉ, 153
Si l'on a jamais dû croire le dernier jugement, je
crois que c'est à présent ; si vous voyiez tous
les libelles qui courent, ils vous feroient horreur.
Ils ne parlent plus contre le Mazarin, mais directe-
ment contre la royauté. Le Roi doit aller à Mantes.
Je n'ose plus pronostiquer ; mais j'espère que Dieu
nous donnera la paix plus tôt que nous ne pensons.
LIV.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 26 juillet [1652].
Il est vrai qu'il y a si peu de certitude à nos affaires
que nos meilleurs politiques y perdent leur es-
crime ; pour moi, je ne me pique pas de l'être ;
néanmoins, je ne voudrois pas que vous eussiez mau-
vaise opinion de la mienne, parce que les choses
n'arrivent pas comme je vous les ai mandées.
Il n'y a rien de plus véritable qu'il y a eu un traité
de paix fait sous main par les agents de Monsieur
le Prince et qui n'a pu sortir à son effet, parce qu'il
n'a pu trouver les moyens de gagner Monsieur et
qu'il a prévu qu'il aclievoit de perdre tout son cré-
dit et ses amis; mais la dernière et la plus véritable
raison, c'est qu'il veut aller à la paix générale et
ainsi il n'a jamais voulu consentir que le cardinal
Mazarin y allât. Je pense qu'il est inutile de vous
dire quels sont les intérêts de mondit sieur le
Prince pour aller faire la paix générale, car vous
n'ignorez pas que, par le traité qu'il a avec Espagne
154 CORRESPONDANCE
les Espagnols se sont obligés de ne point faire la
paix sans lui faire avoir ce qu'il désire ^ ; et ce qui
doit persuader qu'ils lui tiendront parole, c'est que
leur intérêt le veut ainsi, afin d'avoir un demi-souve-
rain dans leur voisinage et que par même moyen
ils démembrent un peu notre monarchie.
Venons à l'état des affaires présentes ; il ne paroît
plus du tout qu'il y ait aucune négociation. Il y
a quatre jours quelemilordMontaigu, qui étoit venu
dans cette ville trouver M™" de Cliâtillon pour
lui offrir de grands avantages de la part de la Cour,
eut commandement de Son Altesse Royale de sortir
de la ville le soir même ^ Depuis ce jour là, il n'y
[a] plus de traité qui paroisse.
Samedi dernier, le Parlement déclara Son Altesse
Royale lieutenant-général de l'État et Monsieur le
Prince commandant les armées sous son autorité^.
1. Ce traité signé à Madrid le 6 novembre 1651 engageait
l'Espagne « à ne faire jamais aucune paix générale ou particu-
lière, secrette ou publique... sans ledit seigneur Prince et avec
sa satisfaction juste, honneste et durable, seureté de lui et de
toute sa maison, comme aussi de M. le prince de Conti, de
Madame la duchesse de Longueville, de M. le due de Nemours,
de M. le duc de La Rochefoucauld, et de tous les autres princes,
ducs, mareschaux de France, gouverneurs... (article II) ». —
Voir le texte complet de ce traité publié par V. Cousin (Madame
de Longueville pendant la Fronde, 2" édition, 1872, pages 388
et suiv.).
2. Elle devait, en cas de réussite, toucher pour ses services,
une somme de cent mille écus [Mémoires de 3f*"* de Mont-
pensier, II, 85).
3. Cet arrêt du 20 juillet 1652 qui donnait pour raison que le
roi était « détenu prisonnier » par le cardinal Mazarin, fut
cassé par le Conseil du Roi. Le duc d'Orléans avisa de sa nou-
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 155
Mercredi, le Parlement ordonna que l'on feroit une
taxe pareille à celle des boues de Paris pour payer
celui qui Uieroit M. le cardinal Mazarin et que l'ar-
gent seroit mis dans les mains d'un bourgeois ^
A.ujourd'hui Messieurs les Princes ont demandé
deux de Messieurs dudit Parlement pour assister
dans leur Conseil. Le bruit avoit couru qu'ils vou-
loient faire un garde des sceaux, un secrétaire d'Etat
et autres; mais j'ai appris qu'ils se contenteroient de
faire un Conseil dans lequel le Chancelier assistera et
qu'ils se serviront du petit sceau.
Le maréchal de Turenne fait tête aux Espagnols
vers Soissons. Leduc de Lorraine rebrousse le long
de la Suippe, ce qui fait croire qu'il y a encore
quelque traité avec lui.
L'on dit même que, pour se venger de Monsieur
le Prince, il veut faire la paix générale pour puis
après venir fondre sur ce parti ; mais cela est ridicule
par les raisons que je vous ai marquées ci-dessus
de l'intérêt que l'Espagne a d'accroître raondit sieur
le Prince.
Je sais que depuis peu la Reine et le Cardi-
velle dignité tous les gouverneurs de province; mais, d'après
ce qu'il dit lui-même au cardinal de Retz, il ne reçut de réponse
que de M. de Sourdis [Œuvres du cardinal de Retz, IV, 294
et 295).
1. Le 24 juillet, le Parlement de Paris ordonna qu'il serait
fait une assemblée à l'Hôtel de Ville, pour qu'on y avisât aux
moyens de pourvoir à la subsistance des troupes, et, d'autre
part, qu'on prendrait les fonds de la mise à prix du cardinal
Mazarin sur la vente de ce qui restait des meubles et objets
d'art de celui-ci [Œuvres du cardinal de Retz, IV, 296).
156 CORRESPONDANCE
nal se sont moqués de ceux qui avoient cru que ce
dernier s'en alloit, et elle a dit tout haut devant tous
ceux de la Cour : « S'il y a quelqu'un qui s'ennuie de
servir le Roi, ils peuvent demander leur congé, je
le leur ferai donner avec joie ; car pour moi, tant
qu'il y aura un pouce de terre en France où je me
peux retirer, je serai ferme dans le parti que je
tiens. »
M. d'Elbeuf est sorti de Chauny avec capitJila-
tion, savoir que lui, Manicamp et cinq autres sor-
tiroient libres, mais que tout le reste des officiers,
gentilhorames, soldats et autres qui s'y étoient retirés
seroient prisonniers de guerre, lesquels toutefois
ils ont mis en liberté sur la parole que M. d'Elbeuf a
donnéede payer quarante mille écus pour leur rançon.
Si vous me demandez quelle issue auront nos af-
faires, je vous dirai que [nous] n'avons de ressource
qu'en Dieu, la perfidie de tous ceux qui ont la prin-
cipale part dans l'un et l'autre parti les empêchant
de se porter au bien, à cause de leurs intérêts parti-
culiers.
La Reine a celui de sa passion pour le Mazarin ;
l'un et l'autre sont entre les mains de MM. de Bouillon
et de Turenne, les plus grands fourbes et les plus
infidèles hommes du monde et qui porteront toujours
les choses dans la dernière extrémité afin d'avoir le
temps de faire leurs affaires ; ils sont fort bien avec
Monsieur le Prince ; mais cela est secret.
Le eamérier du pape a été à la Cour ; mais en même
temps qu'il a donné ses dépêches au Roi et à la
Reine, il en partit sans voirie cardinal Mazarin.
L'on a refusé pour la troisième fois au cardinal
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ, 157
de Retz la permission de prendre le bonnet d'autres
mains que du Roi, disant qu'il n'y en avoit point
d'exemple et que, si le feu Roi en donna la permis-
sion au feu cardinal de Bérulle, ce fut en faveur de
la Reine, sa mère, qui le lui donna K
Le cardinal de Retz se promène quelquefois par
les rues, mais bien accompagné. Son Altesse Royale
lui fit dire encore depuis deux jours par le comte
de Béthune qu'il le prenoit en sa protection, de
quoi il l'a fait remercier. Il ne va point au Palais
d'Orléans, à cause qu'il a juré de ne se mêler de
rien à cause de Monsieur le Prince.
Je suis de l'opinion de Votre Altesse Royale,
qu'elle est prête de tomber dans de grands inconvé-
1. Les Mémoires du cardinal de Retz sont muets sur ces
démarches dont Sévigné avait été informé par le cardinal lui-
même ; en rapportant cet incident de sa carrière, ce dernier
semble n'avoir attaché aucune importance à cette remise du
bonnet. En réalité, on peut croire qu'il craignait un piège
et ne tenait pas à aller, hors de Paris, accomplir cette forma-
lité : la Cour voulait, au contraire, qu'il reçut le bonnet des
mains du Roi.
Le cardinal avait dû faire courir le bruit que le pape l'avait
autorise à s'adresser, pour cette remise, à qui bon lui semble-
rait ; car Brienne écrivit au bailli de Valençay, ambassadeur à
Rome, pour s'en plaindre. Celui-ci répondit, le 15 juillet 1652,
que ce bruit n'était pas fondé, qu'aucune autorisation de ce
genre n'avait été donnée au cardinal de Retz de se particula-
riser de cette façon et que, s'il le faisait, la Cour de Rome n'y
était pour rien. D'après une lettre de lui, citée par l'ambassa-
deur, il aurait écrit pour s'excuser du retard à prendre le bon-
net, ajoutant qu'il s'était adressé à la Cour, pour savoir s'il devait
le recevoir de Leurs Majestés ou de la main d'autres per-
sonnes [Le cardinal de Retz et Vintrigue du chapeau, par
R. Chantelauze, II, 443).
158 COBRESPONDANCE
nients; il n'y a que Dieu et votre prudence qui y
puissent remédier, car de la France vous n'en
devez espérer aucun secours, selon mon opinion. Et,
si ce faquin vous le fait espérer, il vous trompe. Il
y a une prophétie qui dit que Julius non videhit
Augustum ; nous y touchons du bout du doigt.
Votre Altesse Royale doit être assurée que je l'in-
formerai toujours très soigneusement de tout ce qui
se passera, ayant une très forte passion de faire
quelque chose qui lui soit agréable.
LV.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Ce vendredi à minuit [26 juillet 1652].
Je viens d'apprendre qu'enfin M. le Chancelier
a accepté les sceaux, après les avoir refusés plus de
trois fois ' ; ce qui m'auroit fait croire qu'il ne les
prendroit pas, c'est que la chose est sans exemple,
et moins encore d'un homme aussi riche que celui-
ci ; mais je sais une chose que personne ne sait,
c'est qu'il les a pris, pour, par l'autorité de Son
Altesse Royale, faire vérifier des lettres de duc que
la Reine lui avoit données.
M. de Chavigny a aussi accepté d'entrer dans le
1. M. de Sévigné dément ce bruit dans la lettre suivante.
Le chancelier MoIé s'était, suivant l'expression d Orner Talon,
« abandonné » à être du conseil de Monsieur, mais il n'y prit
pas les sceaux.
DU CHEVALIER DE SÉVIGM':. 150
conseil ici, qui ne fait pas une moindre faute que
l'autre '.
M. de Schonberg est allé à Metz; le cardinal
Mazarin a eu quelque pensée d'en avoir le gouver-
nement ; s'il l'eût pu, il eût achevé le traité qu'il
avoit commencé avec M. de Metz pour son évéché ^
[Cette lettre était insérée dans la précédente.]
LVl.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris ce 2 août 1652.
Plus nous allons en avant, moins nous voyons
d'apparence d'avoir la paix; peut-être Dieu veut
que toutes les espérances se perdent afin que nous
reconnoissions qu'il n'y a plus que lui qui nous la
puisse donner, et par ainsi que nous fassions péni-
tence pour tâcher de l'obtenir.
J'ai reçu la lettre que Votre Altesse Royale m'a
fait l'honneur de m'écrire du 20 du passé ^ ; je trouve
certainement qu'elle a grand sujet de se plaindre et
1. Chavigny n'est pas porté sur la liste des membres de ce
conseil donnée par le cardinal de Retz dans ses Mémoires
[Œuvres, IV, 297), ni sur celle que donne M. Riaux, en note des
Mémoires de M'^^ de Motteville, IV, 29.
2. Il s'agit des pourparlers poursuivis par Mazarin avec
Tévêque de Metz en vue de la cession de cet évèché. — Voir
ci-après la lettre du 16 août 1652.
3. Nous n'avons pas cette lettre.
160 CORRESPONDANCE
qu'il n'y en a point qui ait si grand et si juste sujet
de fronde contre le cardinal Mazarin qu'elle, puisque,
sans la méchante conduite de ce ministre, vous étiez
à la veille de voir Son Altesse Royale, votre fils, le
prince le plus heureux de toute l'Europe ; j'espère
que Dieu récompensera votre piété et qu'il fera que
par la prudence de Votre Altesse Royale, il sortira
aussi bien de ce mauvais pas qu'elle l'a fait de tous
les autres.
Les choses sont comme je vous les ai mandées par
ma dernière relation et non pas comme je fis par
mon billet daté de minuit par lequel je vous man-
doisque le Chancelier seroit garde des sceaux de ce
parti. Ce n'est pas vrai ; il entrera seulement dans
le Conseil et tout le reste se fera comme je vous ai
mandé par ma dernière relation ' .
.Te vois bien par l'apostille de votre lettre que l'on
vous a mandé que M. le duc d'Orléans avoit signé
quelque traité avec les Espagnols. Il est vrai que le
bruit en a couru ; mais il est faux ; car il n'a pas
d'autre liaison avec eux que par Monsieur le Prince
à qui ces Messieurs se fient assez pour ne pas cher-
cher d'autre précaution.
Lundi (29juillet), l'armée des princes décampad'ici,
et, après avoir roulé quelques jours, sont enfin cam-
pés depuis Suresnes jusqu'à Sainl-Cloud. Ce même
joiu-, il se fit une assemblée générale à l'Hôtel de
Ville où il fut résolu que chaque porte cochère don-
neroit vingt-cinq écus, les carrées douze et les rondes
six. Mardi, il vint ici un arrêt du Conseil d'en haut qui
1. Voir la lettre précédente.
t)U CrtEVALIER DE SÉVIGNÉ. l6l
cassoil ce que le Parlement avoit fait pour Monsieur,
votre frère ; je vous renvoie à l'original. Je ne cloute
pas que M. l'Ambassadeur ne vous l'envoie aussi bien
que les particularités de la triste mort de M. de
Nemours ^ . L'on m'a assuré ce matin que Monsieur
le Prince avoit permis à la veuve de ne voir jamais
M. de Beaufort; peu de gens le savent. Jamais
homme n'a été si regretté que ce prince; aussi faut-
il avouer que c'étoit le plus aimable qui ait jamais
été'.
i. Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, beau-frère du
duc de Beaufort, avait été tué en duel par ce dernier, près de la
place des Petits-Pères, à Paris, le mardi 30 juillet 1652. L'ori-
gine de cette rencontre remontait à une querelle née entre les
deux beaux-frères, dans l'antichambre de M"'' de Montpensier,
à l'occasion de l'échec du duc de Beaufoi't à Jargeau ; il y avait
eu démenti donné, coups échangés, puis réconciliation ; mais
Nemours en voulait toujours à Beaufort ; une question de pré-
séance dans le Conseil du duc d'Orléans les mit de nouveau aux
prises. D'après le récit de M"*' de Montpensier, Nemours
aurait forcé son beau-frère à se battre et à le tuer d'un coup
de pistolet pour défendre sa vie [Mémoires, éd. Chéruel, II,
133). C'est aussi ce que rapporte le cardinal de Retz [Œuvres, IV,
315).
La Bibliographie des Mazarinades mentionne plusieurs rela-
tions de cet événement et notamment une Relation véritable de
ce qui s'est passé dans le combat de Messieurs les ducs de Beau-
fort etde Nemours, avec le sujet de leur ^rwereZ/e (Paris, Mallard,
1652, de 15 pages) que M. Morcau signale comme un récit de
bonne foi, curieux et rare, l'auteur affirmant qu'on n'a rien su
positivement du combat, que chaque narrateur racontait à
l'avantage de ses maîtres (III, 73, n° 3225).
2. Sa mort causa une vive douleur au prince de Condé : ce
prince, arrivant en carrosse, vit le cadavre de Nemours et
s'évanouit [Histoire des princes de Condé, pa.r le duc d'Aumale,
VI, 243)
11
162 CORRESPONDA>CE
Mercredi arriva la brouillerie de M. de Rieux
avec Monsieur le Prince sur le même sujet qu'étoit
arrivée celle de M. de Nemours avec M. de Beau-
fort. La chose est publique, ainsi les autres gazetiers
de Votre Altesse Royale vous en diront les particu-
larités ' . Je vous dirai seulement que ce prince sera
longtemps dans la Bastille, encore que l'on m'ait
dit que Monsieur le Prince sollicite sa liberté et
qu'il a dit qu'il veut se battre contre lui ^.
M. dcTurenne a été contraint de céder le terrain à
Fuensaldagne^, celui-ci ayant dix-huit mille hommes.
Le premier est campé auprès de Lagny et celui-ci
arrivé aujourd'hui à Nanteuil. Je ne crois pas
1. M. de Rieux était François de Lorraine, comte de Rîeux,
de Maubec et de Rochefort (1623-1694), troisième fils de Charles
II de Lorraine, duc d'Elbeuf, et de Catherine-Henriette, légiti-
mée de France, auteur de la branche des comtes d'Harcourt.
Il y avait eu, le 31 juillet, une scène très vive entre lui et le
prince de Condé : il prétendait, comme prince étranger, avoir
droit au premier rang au Conseil de guerre après Monsieur et
Monsieur le Prince, ce qui reléguait le duc de Bcaufort au
quatrième rang. Il y eut des voies de fait échangées entre le
prince de Condé et le comte de Rieux ; le duc d'Orléans fit
arrêter et conduire ce dernier à la Bastille. Dubuisson-Aube-
nay a donné des détails sur cet incident [Journal des guerres
civiles, II, 266). — Voir aussi le récit de cette scène dans les
lettres que M. Cousin a publiées en appendice de Madame de
Longueville pendant la Fronde, édition de 1872, p. 427.
2. Loret [Muze historique, I, 294) annonça à ses lecteurs, le
5 octobre 1652, que
...dès l'autre semaine,
On le fit sortir de céans
De par monseigneur d'Orléans.
3. Général commandant l'armée espagnole.
DU CHEVALIER DE SÉVIGMÉ. 163
néanmoins qu'il avance davantage, son intérêt
étant de tenir les choses en balance.
IjC Roi est toujours à Pontoise, que l'on fait for-
tifier. Le traité de l'évèché de Metz est presque con-
clu pour le cardinal Mazarin, et même l'on dit que
celui du gouvernement est fort avancé avec M. de
Schônberg, auquel on redonne les chevau-légers de
la garde pour son neveu, le comte du Lude, et
encore de l'argent ' . Après cela, ce vilain Mazarin
ne sera pas mal établi. M. de Bouillon est à l'extré-
mité et un homme m'a dit aujourd'hui qu'il est
mort ; ce bruit n'est pas bien fondé.
Ce matin, le Parlement a cassé l'arrêt du Conseil
et confirmé celui de la Maison de Ville pour la levée
des deniers.
Le cardinal de Retz ne se veut plus mêler d'af-
faires ; il se promène par la ville ^ ; et Monsieur le
Prince fut, il y a deux jours, chez la princesse de
Guémené ; mais, sachant que ce cardinal y étoit, il
n'entra pas.
Je supplie Votre Altesse Royale de croire que je
tâche de l'informer très soigneusement des vérités ;
mais pour tous les bruits je n'y fais aucun fonde-
ment, et ainsi je ne lui en parle point, non plus
que des afi'aires tout à fait publiques.
1. Voir ci-après la lettre du 16 août.
2. M. de Sévigné se fait ici Iccho du bruit que le cardinal de
Retz voulait faire accréditer pour endormir les défiances de la
Cour.
164 CORRESPONDANCE
LVII.
M. DE SEVIG^E A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 9 août 1652.
Je ne vous conseille pas de donner une entière
créance aux nouvelles que vous trouverez dans cette
relation, puisque je ne puis moi-même y ajouter
foi.
Mardi dernier, le Roi fit assembler un Parlement
à Pontoise, composé du Premier Président et de
deux autres au mortier, de quelques ducs et autres
conseillers honoraires et d'une vingtaine de conseil-
lers, et leur fit dire par son piocureur général que,
sur les remontrances qui lui avoient été faites que
M. le cardinal Mazarin étoit cause de tous les maux
du royaume, il a\ oit bien voulu l'éloigner, à condi-
tion que les princes mettroient les armes bas ;
qu'eux ne l'ayant pas voulu faire, il vouloit faire
une chose contre son autorité pour les mettre dans
leur tort, qui étoit d'éloignei' ledit cardinal sans
aucune condition. Après cela, l'on lut une déclara-
tion du Roi qui portoit amnistie de tout ce qui s'étoit
fait depuis la guerre. T.e cardinal Mazarin croit être
justifié par là .
Après quoi, ce Parlement lut un arrêt du Conseil
d 'en-haut qui casse tout ce que celui-ci avoit fait,
l'interdit et ordonne qu'il se transféreroit à Pon-
toise. Il donna un arrêt par lequel il fait défense à
aucun huissier ou autre de n'en exiger aucune taxe
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 165
sur les sujets du Roi, sur peine d'en répondre jusques
à la troisième génération. Voilà en substance tout ce
qui se fit et, sur la fin, la Compagnie ordonna que
très humbles remontrances seroient faites audit
seigneur Roi pour lui tenir parole et éloigner ledit
cardinal Mazarin. Cleci fut fait hier au soir, et le Roi
le leur a promis. Afin que vous voyiez les choses
plus claires, je vous envoie copie de l'arrêté dudit
parlement de Pontoise ' . [En marge : Cela vous fait
voir que c'est un jeu joué et qu'en effet il s'en veut
aller.]
Aujourd'hui celui-ci a ordonné que l'on feroit le
procès à tous leurs confrères absents et que l'on
pourvoiroit à leurs charges, et que lundi tous les
ducs et autres qui ont séance dans le Parlement
seroient conviés de s'y trouver afin de donner arrêt
solennel contre le prétendu parlement de Pon-
toise '.
1. Le cardinal de Retz ne voit dans tout cela qu'une « comé-
die très indigne de la majesté royale », accompagnée de tout
ce qui la pouvait rendre plus ridicule [Œuvres, IV, 303).
2. Les deux parlements rendirent l'un contre l'autre des
arrêts comminatoires dont le gazetier Loret iMuze historique,
I, 276) parle ainsi :
Nosseigneurs des deux parlements
Divisez en leurs sentiments
Ayant l'un contre l'autre noize,
L'un à Paris, l'auti'e à Pontoise,
Pour des différents intérêts
Se font la guerre à coup d'arrêts.
Le 13 et le 17 août, ils enjoignirent respectivement aux
absents des compagnies de se réunir à l'autre sous peine de
suppression de leurs charges.
166 CORRESPONDANCE
L'opinion des plus entendus et des mieux infor-
més est que le Cardinal s'en va et sortira hors du
royaume, sans la participation des princes ; qu'il a
pris ses mesures pour revenir et qu'il espère pen-
dant son absence traiter la paix avec de très grandes
espérances de la faire. C'est en cet article que gît
mon incrédulité.
S'il exécute ce projet, c'est sans doute la plus avan-
tageuse résolution qu'il pourroit prendre, tant pour
lui que pour la Cour, pourvu qu'il s'en sache pré-
valoir et venir à Paris ; car tout le monde abandon-
nera Monsieur le Prince, étant haï de tout le monde :
ils n'ont plus dans leur armée que quinze mille
hommes tant françois qu'allemands.
Ce qui fait croire le traité de la paix générale
avancé, c'est que l'armée d'Espagne s'est retirée
vers les Flandres ; ils ont laissé six mille hommes
à M. de Lorraine entre les troupes.
Je sais qu'il a fait écrire en cette ville qu'il ne
les amèneroit point pour ce parti que Monsieur le
Prince ne lui eût rendu ses places. L'on tient son
accommodement fait avec la Cour. Dans six jours,
nous verrons si M. Mazarin nous trompe ou si c'est
tout de bon ; en attendant, je vous conseille de
tenir votre esprit en suspens, encore que trois ou
quatre de ceux qui sont les plus avant dans les
affaires m'ont assuré qu'il s'en va à ce coup.
Voilà, Madame, tout ce que je puis mander de ce
qui se fait ici ; je prie Dieu qu'il fasse que j'aie dit
vrai, tant pour notre bien que pour celui de Votre
Altesse Royale, m'imaginant que ce changement de
scène pourra lui fournir quelque ouverture pour la
débauche des Espagnols.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNE. 167
Je VOUS envoie un sonnet que l'on a fait sur la
mort de M. de Nemours ^
LVIII.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 16 août 1652.
Je vous mandai par ma dernière relation que le
Roi avoit promis à Messieurs les députés du parle-
ment de Pontoise qu'il éloigneroit le cardinal Maza-
rin ; à présent je vous envoie les mêmes termes dont
Sa Majesté s'est servi ; l'on les vend imprimés, mais
comme tout ce qui s'imprime ici pour la Cour est
presque toujours corrompu ou altéré, je vous [les]
envoie écrits à la main.
Lundi dernier, M. de Valois mourut^ ; M. le duc
d'Orléans en a été très sensiblement touché, il l'a
témoigné à mon ami par des termes très forts. Après
lui avoir fait ses doléances, il lui dit que si le car-
dinal Mazarin s'en alloit, qu'il mettroit aussitôt les
armes bas, mais que, pour son raccommodement
particulier, il vouloit qu'il en fût le médiateur et que,
pour les affaires publiques, il vouloit qu'elles pas-
1. Le sonnet mentionné par M. de Sévigné n'est pas resté
joint à la lettre.
2. Le duc de Valois, né du second mariage du due d'Orléans
le 17 août 1650, mourut à Paris, sans avoir été nommé, non
le lundi 12 août, mais le samedi précédent. M"* de Montpen-
sier parle avec détails de cet événement [Mémoires, 11,144-146).
— La Muze historique du 11 août en fixe la date au jour précé-
dent.
168 CORRESPONDANCE
sassent par le Parlement. Mon ami connut ensuite
clans son discours une grande lassitude de Monsieur
le Prince, et il s'imagine que celui-ci est ravi du mal-
heur qui lui est arrivé ; ainsi il le hait un peu plus
qu'il ne le faisoit. Je vous supplie que ceci soit
secret ' .
M. de Bouillon mourut aussi lundi dernier - ;
l'on a découvert à mon ami que ce fut lui qui avoit
été cause de la violence qui avoit été faite à la Mai-
son de Ville et qu'il avoit mandé à Monsieur le Prince
que, s'il ne se rendoit maître de Paris par quelque
coup extraordinaire, il ne le pouvoit servir. Le
pauvre défunt avoit intelligence avec l'Archiduc,
avec Monsieur le Prince et avec le cardinal de Retz.
La punition de Dieu a été prompte.
Le cardinal Mazarin s'en doit aller demain : du
moins toutes les nouvelles de la Cour les plus fines
le portent ainsi. L'on m'a assuré qu'il seroit déjà
parti, sans que Monsieur le Prince fait tous ses
efforts pour nouer quelque négociation avec lui et
que l'autre s'en amuse. Le projet qu'a fait le Cardi-
nal pour son retour, c'est qu'il croit pouvoir faire
la paix générale, les fondements étant jetés pour
1. Le cardinal de Retz a jugé inutile de mentionner dans ses
Méinoiresla. visite de condoléance qu'il a faite le 12 août au duc
d'Orléans.
2. Frédéric-Maurice de La Tour, duc de Bouillon, né à Sedan
en 1605, mourut à Pontoise, le vendredi 9 août, et non le
lundi suivant, comme l'a écrit par erreur M. de Sévigné. La
Muze historique (11 août, I, 272; fait de lui un grand éloge,
ainsi que La Rochefoucauld dans ses Mémoires [Œuvres, II,
427).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ, 109
cela ; el il croit que s'il l'apportoit en France, cela
le feroit souffrir. De plus, il croit qu'en s'en allant
sans avoir traité avec Monsieur le Prince, il se
venge de lui, puisque par ce moyen il empêche que
l'on ne lui donne toutes les choses que ce prince
prétend tant pour lui que pour ses amis.
Le cardinal Mazarin a bien fait, à ce qu'on m'a
dit, l'affaire de l'évêché de Metz; mais pour le gou-
vernement cela n'est pas fait^
Voilà succinctement l'état de nos affaires. Aussi-
tôt que Son ÉminenceMazarines'en sera allée, nous
verrons une scène nouvelle et la face du théâtre
changée ; ce ne sera manque de soin si Votre
Altesse Royale n'est bien informée, je la supplie de
le croire et que je n'ai point de plus forte passion
que de lui plaire.
LIX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 23 août 1652.
Je vous ai si souvent annoncé le départ de M. le
cardinal Mazarin qu'enfin il est arrivé. Il s'est abou-
ché avec M. de Lorraine à Château-Thierry et il
espère que son retour est infaillible, parce qu'il croit
absolument faire la paix générale. Avant que partir,
il a fait donner le brevet de duc à vingt-six per-
1. Loret a annoncé, comme un fait accompli, la cession de
cet évêché consentie à Mazarin [Muze historique, ibid.). —
Voir ci-dessus, lettre du 22 mars 1652.
170 CORRESPONDANCE
sonnes ; il a envoyé celui de maréchal de France à
Miossens, lieutenant des gendarmes du Roi \ et a
promis à M. de Turenne d'en donner le bâton au
duc de La Force, son beau-père ^. Il a fait venir
aussi M. de Candale à la Cour et l'a fait couvrir
devant le Roi et lui ont donné tous les autres privi-
lèges de prince^. Les anciens ducs ne le souffriront
pas, et lorsqu'ils se trouveront à quelque audience,
ils se couvriront aussi.
Les princes sont tout à fait résolus de déposer les
armes et de consentir à la paix ; nous verrons si la
Cour agira comme il faut ; ce n'est pas sans sujet
que j'appréhende sa mauvaise conduite. La passion
que la Reine a pour le retour du cardinal Mazarin
lui fera peut-être entretenir le désordre afin de
pouvoir le rappeler et dire que ce n'étoit pas lui qui
le causoit.
Le maréchal d'Estampes et Goulas vont trouver
le Roi de la part de Son Altesse Royale et de Mon-
sieur le Prince; je crois que M. l'Ambassadeur vous
envoie la déclaration que ces deux Messieurs firent
hier au Parlement, car elle est imprimée^.
1. César-Phébus d'Albret, comte de Miossens, né vers 1614,
décédé en 1676, prit le nom de maréchal d'Albret.
2. Armand-Nompar de Cauraont, duc de La Force (1586-
1675), a été en effet nommé maréchal de France et a prêté
serment au Roi, le 29 août 1653, à Compiègne. Turenne avait
épousé en juin 1651 sa fille Anne.
3. C'est celui qu'on appelait le « beau Candale », célèbre
par les passions qu'il a faites. Louis-Charles-Gaston de Noga-
ret de La Valette, duc de Candale, pair de France, gouverneur
d'Auvergne, lieutenant général des armées du roi, né en 1627,
décédé à Lyon, le 28 janvier 1658, sans alliance.
4. V. Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres, IV, p. 303).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNK. 171
Je VOUS envoie deux libelles faits en faveur, l'un
du cardinal de Retz et l'autre blâmant la conduite
de Monsieur le Prince ^ Ce qui doit faire soupçon-
ner que, si ce dernier n'est tout à fait ajusté avec le
cardinal Mazarin, ils gardent néanmoins quelque
mesure, c'est que celui-ci a mandé à M. de Palluau
tle ne pas démolir Montrond qui se doit livrer au Roi
le 1" septembre.
Le cardinal Mazarin a dessein de se mettre dans
les ordres, et pour s'y disposer, il a emmené avec
lui l'abbé dcBourzéis, très savant janséniste ^
Le cardinal de Retz ne veut point précipiter son
voyage à la Cour, afin que si, dans ces commence-
ments, il se fait des sottises, l'on ne l'en puisse pas
accuser. L'on a fait une satire contre lui ; mais ses
amis les rendent avec usure, comme vous verrez par
ces écrits que je vous envoie.
1. Ce sont peut-être les deux pamphlets que les éditeurs
des œuvres du cardinal ont publiés au tome V, p. 259 et 404,
comme ayant été tout au moins inspirés et en partie dictés par
lui : Lt vraisemblable sur la conduite de Monseigneur le Car-
dinal de Retz, MDCLII, de 8 pages (p. 259), et Les intrigues
de la paix, MDCLII, 7 pages (p. 404). Le premier serait de Joly.
2. Amable de Bourzéis (1606-1672), abbé de Saint-Martin de
Cores, très savant théologien, membre de l'Académie fran-
çaise et de celle des Inscriptions et Belles-Lettres, était en bonnes
relations avec Mazarin ; sans appartenir à Port-Royal, il pro-
fessait les mêmes doctrines théologiques et s'est entremis en
leur faveur auprès du premier ministre, de qui, assuraient ses
ennemis, il attendait un évêché. — Mazarin avait-il sincère-
ment l'intention que lui prête M. de Sévigné, ou voulait-il le
laisser croire pour désarmer ses adversaires et les convaincre
qu'il ne songeait qu'à se retirer définitivement ? — Voir la lettre
précédente.
172 CORRESPONDANCE
Le Roi a gagné une bataille navale sur les Espagnols
vers la rivière de Bordeaux ; ceux-ci y ont perdu
sept vaisseaux '. L'on assure que les Hollandois
en ont gagné une sur les Anglois et que le reste des
vaisseaux sont enfermés par les vainqueurs dans un
détroit où l'on croit qu'ils périront tous-.
Il faut attendre sept ou huit jours pour voir clair
dans les intentions de tout le monde. Votre Altesse
Royale en sera avertie très soigneusement.
LX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 30 août 1652.
Il y a huit jours que le courrier que Monsieur
avoit envoyé à la Cour pour avoir des passeports
étant revenu les mains vides, Son Altesse Royale
fut au Parlement et leur dit comme il avoit été
1. Le 9 août, la flotte du Roi commandée par le duc de Ven-
dôme eut un engagement avec la flotte espagnole, du côté des
îles d'Oléron et de Ré ; cette dernière ayant perdu deux vais-
seaux de quarante canons, l'un détruit par un brûlot, l'autre
pris, fit force de voiles et prit la fuite [Gazette de France,
1652, p. 789).
2. Il s'agit ici de la victoire remportée près de Plymouth
le 26 août par Ruyter, commandant la flotte hollandaise, sur
Aycouth, commandant la flotte anglaise, qui dut se réfugier
dans le port pour éviter un désastre. Ce succès n'eut pas de
lendemain, et la Hollande, à la suite de plusieurs défaites
navales, perdit la maîtrise de la mer, qui passa à ses adver-
saires. — Voir Guizot, Histoire de la république d'Angleterre
et de Croniivell édition de 1854, in-8°^, I, p. 280.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 173
refusé, mais qu'il éloit résolu de renvoyer encore
vers le Roi, mais que, ne voulant rien faire sans
leur participation, il leur avoit fait apporter la
lettre qu'il écrivoit à Sa Majesté. Comme elle est
imprimée, je ne vous en parle point. Ce matin, la
réponse du Roi est revenue ; il écrit à Monsieur
qu'il peut aller prendre sa place dans le Conseil,
pourvu qu'il renonce à toutes sortes de liaisons
avec ses ennemis et qu'il exécute toutes les choses
qui sont contenues dans l'amnistie qui a été vérifiée
au parlement de Pontoise'.
Voilà les points essentiels de la lettre ; le reste
est un raisonnement que le Roi lui fait, qui est très
juste ; il dit qu'il n'auroit jamais ouvert sa lettre, s'il
n'eût cru qu'il se fût mis en devoir d'exécuter les
choses qu'il lui avoit fait écrire par son cousin le duc
[de] Damville, et qu'il n'est pas juste qu'après avoir
fait ce qu'il a voulu en éloignant le cardinal Maza-
rin, il ne fasse pas aussi ce qu'il a protesté tant de
fois, et il ajoute : « Vous ne devez pas trouver étrange
si je vous traite différemment de ce que j'ai accou-
tumé, puisque vous vous êtes emparé de mon auto-
rité, saisi mes deniers pour me faire la guerre. » Il y
a mille autres reproches qui seroient trop longs à
écrire et qui ne sont de nulle importance. Tout ce
que j'ai pu pénétrer, c'est que présentement, qui est
à huit heures du soir, Son Altesse Royale et Monsieur
le Prince sont aux Tuileries, chez Mademoiselle, où
ils sont assemblés pour résoudre ce qu'ils ont à faire
1. Voir les Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres, IV, 304
et 305) .
174 CORRESPONDANCE
et à proposer demain à l'assemblée du Parlement ' .
Le duc de Lorraine n'a point voulu voir le car-
dinal Mazarin ; mais il n'est pas non plus François
pour ce parti-ici. J'ai su d'une personne qui étoit
présente lorsque Son Altesse Royale a montré la lettre
du Roi à Monsieur le Prince qu'il dit qu'il ne s'en
est pas fort ému, non plus que du refus que Sa
Majesté a fait de lire sa lettre, que l'on lui a rendue
toute fermée. J'ai vu aujourd'hui un avis de la Cour
qui dit que mon dit sieur le Prince traite avec le
cardinal Mazarin ; je ne sais plus où nous en
sommes, ni ce que nous en devons croire ; il est
certain que la Reine est résolue de porter toutes les
choses à l'extrémité pour les raisons que je vous ai
mandées et afin de contraindre Monsieur le Prince
de traiter avec ledit cardinal pour que ceux qui
l'ont servi rentrent dans leurs charges, et l'on dit
qu'il le fait-.
La Reine veut absolument que le Parlement ici
aille se joindre à celui de Pontoise et que les autres
compagnies souveraines aillent où on leur a pres-
1. Les Mémoires de jI/"'^ de Monlpensier ne mentionnent pas
ce conciliabule.
2. En réalité, ces pourparlers que rapporte M. de Sévigné
n ont pas été poussés très loin ; le prince de Condc voulait-il
sérieusement la paix? Le bruit de cet accommodement est
venu aussi aux oreilles de Loret ; sa Afuze historique (30 août
1652, I, 403), le mentionne ainsi :
Plusieurs se disent k l'oreille
Comme quelque grande merveille
Qu'avec Condé secrètement
On traite d'accommodement.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 175
crit. Il y a beaucoup de ces compagnies-là qui ont
envie d'obéir '.
Les bourgeois des faubourgs où Ton veut mettre
l'armée des princes ont fort crié aujourd'hui, parlant
à Son Altesse Royale même, et, si l'on eut fait passer
l'armée par dans la ville, elle eût couru risque d'être
battue.
Je crois que vous saurez la trahison du comte ;
cela est horrible qu'un homme qui a fait de si belles
choses finisse si mal ~.
Je vous envoie un écrit qui sort de la boutique
de mon ami ; mais, comme l'on lui a dit que Monsieur
le Prince avoit défendu que l'on n'écrivit plus pour
lui, l'autre a fait la même défense. Celui-ci vous
plaira sans doute ^.
Mon ami n'ira point à la Cour que les derniers
1. Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres, IV, 303).
2. Serait-ce François de Lorraine (1623-1694), fils aîné de
Charles II, duc d'Elbeuf, et de Catherine-Henriette, légilirnée
de France, qui porta jusqu'à la mort de son père, en 1657,
le titre de comte d'Harcourt? Il avait quitté l'armée du Roi
le 10 août 1652 et était allé se réfugier à Brisach dont il
voulut faire une principauté indépendante [Histoire des
princes de la maison de Condé, par le duc dAumale, VI, 294].
Il ne saurait être à cette époque question de Louis Foucault,
comte du Daugnon, qui se vendit à Mazarin le 27 février
1653 en lui livrant, en échange d'avantages convenus, le port
de Brouagc, sa flotte et ses approvisionnements [Ibid.].
3. On peut croire que l'écrit dont Sévigné ne donne pas l'in-
titulé, mais que l'on sait être dirigé contre le prince de Condé,
est celui qui a pour titre : Suite véritable des intrigues de la
paix et des négociations de Monsieur le Prince à la Courjusques
à préèent (MDLII, in-4° de 7 pages, sans nom d'auteur ni d'im-
primeur). Il a été publié dans les Œuvres du cardinal, V, 417.
I7fj CORRESPONDANCE
coups ne soient reçus ; voilà tout ee que je sais et
que le même homme travaille à se rendre maître de
Paris, afin d'en chasser ses ennemis, s'il y voit jour.
Dieu nous veuille délivrer de nos ennemis !
LXI.
M. DE SE VIGNE A lAUDAME ROYALE.
A Paris, ce 6 septembre 1652.
Nous ne voyons encore aucune apparence de voir
la paix. La Reine, au lieu de suivre le conseil des
véritables serviteurs de Sa Majesté, prend tout le
contrepied et veut que les brouilleries continuent
afin de pouvoir faire croire que ce n'étoit pas le car-
dinal Mazarin qui étoit cause des désordres de l'Etat.
Il n'y a rien de si vrai que, si la Cour fût venue
à Saint-Germain, tous les bourgeois de Paris seroient
allés demander la paix et lui eussent ofl'ert de chas-
ser les princes, s'ils n'eussent pas mis les armes
bas; et, pour vous faire voir que la disposition du
bourgeois V étoit toute entière, c'estque, lorsque l'on
a voulu faire sortir les troupes de Suresnes, à cause
des vendanges, etles ramener dans leur ancien camp,
l'on ne les voulut pas laisser passer dans la ville, et,
comme ils vouloient camper, il y eut quelques sol-
dats qui entrèrent dans les maisons du faubourg
Saint-Victor, ce qui obligea les habitants dudil fau-
bourg de prendre les armes et chassèrent lesdits
soldats; et ensuite, ils escarmouchèrent toute la nuit ;
et, comme il y eut quelques bourgeois de tués, l'on
DU CHEVALIER ÛE SÉVIOÉ. 177
usa de représailles sur quelques cavaliers qui, le
maliu, fureut pillés, battus et démoulés. La Reine,
au lieu, comme je vous ai dit, de favoriser ces émo-
tions, elle mène la Gourou à Soissons ou à Amiens K
Le duc de Lorraine arriva hier à Villeneuve-Saint-
Georges avec Irei/x' mille hommes ; Monsieur le
Prince l'est allé joindre cette nuit avec les troupes
de Son Altesse Royale et les siennes. Les maréchaux
de Turenne et de La Ferté ont paru ce matin en leur
présence, et ces deux princes les sont allés recon-
iioitre, ce qui a empêché le Lorrain de venir rendre
ses devoirs à Monsieur-.
Je ne vous parle point de l'arrêt du Parlement :
il est imprimé"'; mais, hier, Son Altesse Royale et
Monsieur le Prince lurent à la Maison de Ville et y
1. Cette partie de la lettre de M. de Scvigné montre claire-
ment que la bourgeoisie parisienne en avait assez des intrigues
des ambitieux et qu'elle desirait faire sa paix avec le Roi pour
qu'il rentrât à Paris. M. Chéruel [Histoire de France pendant
le ministère de Mazarin, I, 284, fait voir que le dessein de la
Cour est de laisser auparavant « les chefs des vieilles factions »
jouer jusqu'à la fin leur comédie qui démasquera leurs projets
et tuera leur crédit.
2. Voir, sur ce mouvement vers Paris des troupes du duc de
Lorraine et les tergiversations de Mazarin, les détails donnés
par M. Chéruel dans l'ouvrage cité à la note précédente (I, 336).
3. Cet arrêt rendu le 3 septembre prie le duc d'Orléans
d'écrire au Roi que le prince de Condé et lui sont prêts à mettre
bas les armes, sous certaines conditions, et ordonne que les
compagnies souveraines seront invitées à députer vers Louis XIV
pour le remercier de l'cloignement de Mazarin et le supplier
de revenir à Paris, etc. — Voir lettre du 6 septembre 1652
[M^^ de Longueville pendant la Fronde, édition de 1872, p. 428j,
les Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres, IV, 306) et ceux de
Guy Joly ^1,322).
12
178 CORRESPONDANCE
firent oidoiuit'i' que les six corps de mnrchaiids
lî'iroient point trouver le Roi que conjointement
avec les compagnies souveraines. L'on n'a garde de
les contredire à présent. Le cardinal de Retz a eu
ses passeports de la Cour pour y aller prendre son
bonnet. [En marge : il part lundi.] T^e clergé de
Paris veut aller aussi, en même temps, supplier le
Roi de donner la paix à son peuple, et tous les dépu-
tés sont résolus de supplier ledit cardinal de porter
la parole. Mais Monsieur le Prince veut empêcher,
s'il peut, que cela n'arrive. Pour cet effet, il sollicite
Monsieur pour empêcher qu'il ne donne de passeport
audit clergé. S'il le fait, cela lui nuira dans le peuple ;
car les curés diront en chaire que ces Messieurs ne
veulent pas la paix ^ .
Nonobstant ce que je vous ai mandé, l'on démo-
lit Montrond, et Monsieur le Prince est si en colère
qu'il disoit avant-hier qu'il démoliroit Saint-Ger-
main ~. Madame la Princesse a été malade à l'extré-
mité ; elle est présentement hors de danger '^. Made-
1. M. de Sévigné tenait sans doute ces renseignements du
cardinal de Retz qui s'attachait à rendre le prince de Condé de
plus en plus impopulaire à Paris.
2. La place de Montrond, dont il est question ci-dessus
(lettre du 2 février 1652), s'était rendue le 19 août au
comte de Palluau ; ce succès de l'armée royale porta un coup
très sensible à la faction des princes; l'ordre du Roi de raser
les murailles causa au prince de Condé un déplaisir violent qui
explique le propos que M. de Sévigné rapporte.
3. Claire-Clémence de Maillé, princesse de Condé, mariée en
1641 et déjà mère d'un fils, était alors à Bordeaux où elle sou-
tenait par sa présence, dans le Conseil frondeur qui gouvernait
cette ville, les intérêts de son mari. Une grossesse très pénible
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 179
moiselle ne marche plus présentement sans une
compai^nie de chevau-légers à la tête de son carrosse
et une compagnie de gendarmes. Elle a fait ces deux
compagnies qui portent son nom. Cela fait murmu-
rer le bourgeois '. M. de ïurenne s'étant retiré, je
viens d'apprendre que M. de Lorraine dîne à Luxem-
bourg ^. Quoi que l'on vous mande, le cardinal de
Retz ne se raccommode pas avec Monsieur le Prince.
LXll.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 20 septembre 1652.
Je n'ai pu écrire à Votre Altesse Royale le dernier
ordinaire parce que j'étois avec M. le cardinal de
Retz à la Cour.
Après que Sa Majesté lui eût donné le bonnet et
qu'il eût rendu grâces, il eut audience à la tête du
clergé de Paris et fit une harangue très éloquente et
la mit aux portes du tombeau ; elle se rétablit et accoucha d'un
second fils, Louis, né dans la nuit du 19 au 20 septembre
[Mémoires de .If"*^ de Montpensier, II, 154).
1. M"^ de Montpensier venait de lever deux compagnies qui
lui coûtaient 20.000 livres ; elle raconte elle-même {Mémoires,
II, 158) qu'elle éprouva une joie enfantine à les voir venir au
devant d'elle, le jour où elles furent prêtes, et à entendre le son
des trompettes ; à ses yeux, il n'y eut jamais de plus belles
troupes.
2. Le journal de Dubuisson-Aubenay confirme le renseigne-
ment de M. de Sévigné et donne la même date ; M"® de Mont-
pensier (Mémoires, II, 159) mentionne la visite de M. de Lorraine,
mais n en précise pas la date.
180 CORRESPONDANCE
avec tant d'adresse qu'elle fut agréable à loiit le
monde à Paris. Ensuite il eut avec la Reine une
conversation qui dura une heure et demie, de laquelle
elle fut aussi très contente ^ Ils prirent des mesures
pour le retour du Roi en cette ville, la première des-
quelles est de l'en approcher, ce qui s'exécutera;
mais, pour tout le reste, je ne le crois pas ; car, contre
leur résolution, ils ont envoyé une amnistie générale
en la forme que les princes l'ont demandée et ont
envoyé des négociateurs qui sont confidents du car-
dinal Mazarin, qui traitent avec chaleur, tellement
qu'hier au soir, à dix heures, au Palais d'Orléans, et
ce soir, mon ami m'ont (sic) [dit] que la paix se
feroit ' .
Ce dernier approuve fort qu'ils aient en^oyé cette
amnistie et souhaite fort la paix ; car, qu'il n'en soit
pas le médiateur, ne souhaitant pas d'être dans le
ministère présentement, il voudroit que le calme [se
fît] afin dî godere il papato^ et vivre en sorte qu'il
puisse entrer en ce poste par les voies de la douceur,
1 . Les Mémoires du cardinal de Retz [ Œuvres, IV , 335-346) ra-
rontent longuement son voyage à Conipiègne,Ia remise du bon-
net, l'entrevue avec la reine. La harangue du récipiendaire,
dont Sévigné fait l'éloge, ne se trouve pas dans le manuscrit
original, mais comme elle a été imprimée, il a été facile aux
éditeurs de l'intercaler dans le récit de la cérémonie, suivant le
désir de l'auteur. — Voir Mémoires de Guy Joly il, 326).
2. M. de Sévigné se fait ici et dans le paragraphe suivant
l'écho de ce que « son ami » veut que l'on sache et que l'on
croie.
3. Godere il papato, expression familière italienne qui peut
se traduire ainsi : avoir non tant le pouvoir que les aises et les
jouissances qui y sont attachées.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 181
qui sont aussi les seules d'y pouvoir sul)sister. Il a
persuadé cette vérité à la Reiue et croit lui en avoir
guéri l'esprit. Mais ce n'est rien, si le cardinal Maza-
rin ne l'a aussi ; car, tout absent qu'il est, il règne à
la Cour plus puissamment que lorsqu'il y étoit ; et
pour vous le faire croire, c'est qu'il ne veut pas que
le Roi vienne se rendre maîti'c de Paris et enchâs-
ser Monsieur le Prince ; mais il veut absolument
gagner celui-ci, croyant qu'il ne peut affermir son
retour que par cette voie. T.a balourde qu'il est ne
voit pas qu'après qu'il l'aura gorgé de ce qu'il lui
demande à présent, il lui fera tous les jours de nou-
velles querelles, lorsqu'il refusera ce qu'il lui deman-
dera ; ainsi ce ne sera jamais fait que ce prince
n'ait tout le royaume.
M. de Caudale s'en va commander les armées du
Roi en Guyenne, autre sottise du Mazarin ou bien
méchanceté d'envoyer un liomme en ce pays-là, le
nom duquel fera soulever les pierres contre lui^
Ce matin, il est venu deux conseillers de la Grande
1. Le duc de Caudale contribua, dans une grande mesure,
à rétablir en Guyenne l'autorité du roi ; moins d'un an après sa
désignation (3 août 1653), il entrait en vainqueur, avec le duc
de Vendôme, à Bordeaux, où la Fronde n'avait rien épargné pour
se rendre odieuse et méprisable. (V. Cousin, M"" de Longueville
pendant la Fronde, 244-267.) Il est vrai que le père du duc de
Caudale avait excité, comme gouverneur de la Guyenne, des
haines violentes dans cette province et que, d'autre part, sa
nomination reléguait au second rang des officiers royaux
dévoués et capables dont on pouvait redouter la jalousie. Il ne
semble pas que le nouveau chef de l'armée du roi ait rencontré
de sérieuses difficultés. M. Chéruel donne sur cette nomination
d'intéressants détails [Histoire de France pendant le miniatère
de Mazarin, n,69j.
182 CORRESPONDANCE
Chambre, de mes intimes amis, à Luxembourg, pour
supplier Monsieur d'aller au Palais; il les a remis à
lundi afin de leur pouvoir dire quelque chose de
positif. Il les a entretenus en particulier et les a
assurés que la paix étoit fort avancée : c'est l'opi-
nion de tous les politiques et qu'ensuite nous aurons
la paix générale et que Son Altesse Royale y ti'avail-
lera de tout son pouvoir. C'est du moins ce qu'il a
promis au duc de Lorraine, lequel dit que, sans
cela il ne travailleroit pas à la particulière. Mon
ami remercie très fort Votre Altesse Royale de ses
souhaits; il m'a assuré qu'il ne manqueroit pas de
correspondre aux espérances qu'elle a de lui, et moi,
je le renoncerois, s'il v manque. J'ai vu M. le
prince Thomas, qui est tout à fait dans la confi-
dence de la Reine ; il m'a dit aussi qu'il étoit tout
à fait ami du cardinal Mazarin K
LXIIl.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE
A Paris, ce 27 septembre 1652.
Le Roi va demain ou lundi à Saint-Germain, ainsi
que portent les lettres qui viennent de la Cour; mais
1. Thomas-François de Savoie, prince de Carignan (1596-
1656), dont il est parlé ci-dessus (lettre du 29 décembre 1651),
beau-frère de Madame Royale, était au service de la France
depuis 1643. Une lettre de Marignv à Lenet, du 21 août
1652, citée par le duc d'Aumale [Histoire des princes de la
maisou de Condé, VI, 155), fait connaître que pondant lab-
DU CHEVALIER DE SÉVTGNK. i 83
j'ai peine d'y ajouter foi, les ayant vus manquer aux
mesures qu'ils avoient prises avec mon ami, et je le
vois fort mal satisfait de ce qu'ils ont fait effort de se
rendre maîtres de Paris sans lui et qu'ils ont envoyé
des ordres pour cet effet, sans lui en parler ; aussi y
ont-ils très mal réussi, les ayant adressés à un fou
qui a gâté toutes leurs affaires. Néanmoins, le bruit
qui s'est fait a obligé Son Altesse Royale de donner
passeport aux six corps des marchands qui ont en-
voyé leurs députés au Roi. T^e prévôt des marchands,
sieur de Broussel, s'est aussi démis ^ : ainsi les anciens
échevins, avec le procureur de la Ville, sont allés
aussi trouver Sa Majesté pour lui offrir, tant en leur
nom que celui de tous les colonels, de se rendre
maître de leur ville et d'exposer leurs vies pour sa
sûreté, le suppliant de rétablir son Parlement et
réunir celui de Pontoise avec celui-ci.
Monsieur le Prince revint de l'armée mardi et
témoigna à Monsieur son ressentiment de ce qu'il
sence du cardinal Mazarin, il remplissait les fonctions de pre-
mier ministre, sans en avoir la qualité, et que les secrétaires
d'Etat avaient l'ordre d'aller chez lui pour recevoir ses instruc-
tions.
1. Le conseiller Pierre de Broussel (que M. de Sévigné
appelle toujours « le s"" de Brusselles w), élu prévôt des mar-
chands lors de l'émeute parisienne du 4 juillet, ainsi que
le relate une lettre ci-dessus du 5 juillet donna sa démis-
sion à l'assemblée de l'Hôtel de Ville du 24 septembre. Le Roi
3 avait envoyé l'ordre de ne reconnaître aucun des officiers
nommés depuis les derniers ti'oubles [Gazette, 1652, p. 92).
Deux heures après, si l'on en croit la lettre de l'abbé Foucquet,
qui fait l'objet de la note suivante, Broussel aurait regretté
de s'être démis ; mais sa démission avait été acceptée.
184 CORRESPONDANCE
avoit donné ces passeports sans lui ; ils en vinrent
aux grosses paroles, Monsieur lui ayant dit que, sans
lui, iln'auroit jamais été reçu à Paris, etl'autre lui a
dit qu'il lui avoit donné une belle armée, à quoi
Monsieur repartit qu'il étoit vrai, mais qu'elle
étoit périe parée qu'il ne l'étoit pas allé commander.
Enfin Monsieur le Prince dit en prenant congé qu'il
voyoit bien que Monsieur traitoit sans lui et qu'il
tâcheroit de se maintenir sans lui. Son dire et sa
colère étoient fondés sur une lettre qu'un de ses par-
tis (sic) avoit prise, qui étoit de l'abbé Foucquet, qui
éerivoit à la Cour etfaisoit connoître qu'il avoit traité
avec M. de Chavigny et avec Monsieur même et
qu'ils lui avoient promis des choses contre les inté-
rêts de Monsieur le Prince. Personne ne sait encore
la prise de cette lettre, hors les parties intéressées,
qui lui ont juré que cela étoit faux ' .
Je commencerai mes réflexions par le cardinal de
Retz en disant que le cardinal Mazarin, ayant su que
l'autre avoit été bien reçu à la Cour et que l'applau-
dissement avoit été grand, avoit obligé la Reine de
ne pas se servir de lui ni de ses conseils afin de lui
ôter toute considération, ne voulant même pas qu'il
les rende maîtres de Paris, de peur qu'ils ne fussent
à cet égard dans sa dépendance.
1. M«"^de Montpensier [Mémoires, IV, 173-176), s'étend sur
cet incident et donne le texte de cette lettre, daprès une copie
faite par elle-même sur l'original ; la saisie et la divulgation
de ce document furent un coup terrible pour Chavigny : les
reproches violents qu'il reçut de Monsieur le Prince l'aifec-
tèrent au point d'altérer sa santé et, dit-on, de causer sa
mort. — \o\v Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres, IV, 3(39)
et Mémoires de La Rochefoucauld [Œuvres, II, 426).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 485
Pour Monsieur le Prince, il ne veut point du tout
s'accommoder sans qu'on donne à M. du Daugnon
les lettres de duc et qu'on le remette à La Rochelle
et à l'île de Ré', et àMarcin, le bâton de maréchal
de France ^, parce que, s'il les abandonne jamais, per-
sonne ne se mettra dans ses intérêts ; mais, quand
l'on lui accorderoit ces deux choses, l'on dit qu'il
est si fort lié avec les Espagnols qu'il n'en peut
sortir sans la paix générale et qu'ainsi son dessein
seroit de faire faire une trêve générale et aller sur
les frontières faire sa paix.
Pour M. le duc d'Orléans, je ne fais nul doute que
si l'on envoie ici une amnistie, comme il la demande
et qu'on réunisse les deux parlements, qu'il ne mette
les armes bas et qu'il n'abandonne Monsieur le
Prince, ce que je crois même qu'il fera, si le duc
de Lorraine s'en va, ce qui arrivera dans huit jours
au plus tard. L'on attend le retour de ce M. de
Joyeuse, voir s'il apportera le passe-port pour le
maréchal d'Estampes et les autres choses que Mon-
sieur demande. Aujourd'hui, un homme de la Cour
a envoyé divers ordres du Roi portant permission
de prendre les armes et de tuer tous ceux qui s'op-
poseront au retour du Roi ; mais cela est encore
secret.
Il y a ici divers agents de la Coui* qui voient
1. Louis Foucault, comte du Daugnon. lit directement sa
soumission en mars 1633.
2. Le comte de Maroin, pour qui Monsieur le Prince faisait
cette condition, resta au service de l'Espagne après la paix des
Pyrénées et mourut à Spa en 1673. — Voir ci-dessus lettre du
17 mai 1652.
186 CORRESPOMDA>CE
Monsieur en secret; mais mon sentiment est que la
Reine ne veut point de paix tant que le cardinal
sera hors de France afin que l'on ne puisse dire que
c'est son éloignement qui l'a produite. Dieu veuille
que je sois trompé !
i/on envoie le marquis de Vassé gouverneur dans
Casai ;je souhaiterois qu'il pût y servir utilement,
car le feu marquis de Sévigné, mon neveu, et lui
étoienl cousins germains^ ; il est fort riolie et ainsi
il peut V faire les dépenses nécessaires.
Je rends grâces très humbles à Votre \ltesse
Royale des bontés qu'elle a pour moi : j'ai reçu les
marques qu'elle m'en a données par M. le baron de
Grésy. Je la supplie de croire que, si elle me fait
l'honneur de considérer ma bonne volonté, elle me
considérera pour le plus passionné de tous ses très
humbles et obéissants serviteurs.
{En marge :) Monsieur le Prince a eu un accès de
fièvre; mais il se porte bien. Le duc de Lorraine est
à l'armée.
LXTV.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 4 octobre 1G52.
Il va fort peu de changement à la face des affaires
depuis le dernier ordinaire. Les six corps des mar-
1. Henri, marquis de Sévigné, marié à Marie de Ralmliii-
Chantal, tué en duel Tannée précédente, avait pour mère Mai-
guerite Grongnet de Vassé, propre tante du marquis de Vassé.
Tous dcu\ étaient petits-fils de Lancelot Grongnet de Vassé et
de Françoise de Gondi et, par là, parents du cardinal de
Retz.
DU CHEVALIER DE SK VIGNE. ' 187
eliands sont de retour, qui ont eu la même réponse
que Messieurs du Corps de Ville, qui est que s'ils
vouloient chasser de Paris les auteurs de la rébellion,
que le Roi y reviendroit à l'heure même. Tant qu'ils
prendront cette voie là, ils ne se rendront jamais
maîtres de cette ville ; car les bons bourgeois craignent
autant une sédition dans Paris qu'ils souhaitent le
retour du Roi .
M. de Joyeuse est revenu trouver Son Altesse
Rovale et lui a demandé par écrit ce qu'il désiroit ;
sur quoi il fut hier au Palais et exposa à Messieurs du
Parlement ce que ledit sieur de Joyeuse lui apportoit
de la part du Roi, et ensuite il leur dit qu'il n'avoil
point d'autre intérêt que le leur et qu'ainsi il étoit
venu les trouver pour savoir leur volonté; sur quoi.
Messieurs du Parlement expliquèrent qu'ils nedeman-
doient rien qu'une amnistie en bonne forme véri-
fiée au Parlement séant à Paris ^. Je m'imagine que
toutes les allées cl venues du sieur de Joyeuse vers
Monsieur ne sont que des amusements pour tâcher
de conclure la paix avec Monsieur le Prince, qui
tous les jours se traite par des négociateurs séparés;
car assurément la Reine et le Mazarin ne veulent
point de paix, s'ils ne l'ont de ce côté-là. Ce prince
a été saigné cinq fois et a la fièvre double tierce ;
mais, comme la cause de son mal vient de quelque
débauche, il ne sera pas mortel.
1. V. Mé)noirc!i du cardinal de Retz [Œuvres, IV, 387 1. —
Robert de Joyeuse, seigneur de Saint-Lambert, était d'une
maison importante qui devait son nom à un bourg du Vivarai>
et dont la généalogie a été donnée par le P. Anselme et par
Moréri .
188 CORRESPONDANCE
M. le prince de Conti, Madame la Princesse
et M™^ de Longueville sont aussi malades à Bor-
deaux. M. le duc de Lorraine presse son départ
parce que sa cavalerie dépérit tous les jours ; néan-
moins il est encore en cette ville. Il va quatre jours
que M. de Guise y est aussi. Lorsqu'il v arriva,
après avoir rendu ses devoirs à Madame sa mère,
il alla incontinent voir M"* de Pons, son ancienne
maîtresse^ et, depuis ce temps-là, il s'est toujours
servi de son carrosse pour faire ses visites - : c'est
une marque de sa constance.
1. La rentrée à Paris du duc de Guise fut un des notables
événements parisiens de cette époque. (Voir ci-dessus, lettre
du 19 juillet 1652.) Il avait contracté, en 1641, un mariage
sur lequel nous aurons 1 occasion de revenir, puis, peu de temps
avant sa malheureuse tentative sur ?^'aples, noué des relations
avec Suzanne de Pons, fille de Jean-Jacques de Pons, marquis
de Las Cases, d'une famille protestante du Midi ; cette jeune lllK-
s'était convertie au catholicisme et avait obtenu d être demoi-
selle d honneur de la Pleine. Les amours du duc de Guise et de
M""^ de Pons défrayèrent la chronique galante pendant plu-
sieursannées [Histoinettes de ïallemant desRéaux,éd. Montmer-
qué et Paulin Paris, V, 334-35). — Voir aussi Mémoires de
yp^^ de Molteville, éd. Riaux, I, 159 et suiv.
La Muze historique (I, 294) instruisit ses lecteurs du retour
du duc de Guise, qui
Alla soudain rendre visilc
A cette beauté de mérite
Dont le visage bien aimé
L'avoit si puissamment charme.
Voir ci-après les lettres du 18 et du 25 octobre.
2. >'ous savons par Talkmantdes Réaux V, 342), qu'avant
de partir pour son expédition de Naplcs, le duc de Guise avait
laissé à M'"" de Pons un train complet de maison dans un logis du
nr CHKVALIER DE SEVIGNE.
189
Le marquis de V^assé ne va plus à Casai. Les af-
faires de Catalogne sont à la dernière extrémité et,
si M. de Candale n'y arrive assez à temps, Barcelone
tombera à la fin de ce mois, [^e bruit couroit ces
jours passés que le cardinal Mazaiin étoit rentré en
Tranee ; mais il est encore à Bouillon. Je ne manque-
rai pas de continuer d'informer Votre Altesse
Royale du gros des affaires et de faire tout ce qui lui
seraagréable. L'on continue de laisser là mon ami,
sans lui donner pari (raucime chose.
LXV.
M. DE SÉVIGMi A ALIDAME ROYALE.
A Paris, ce onzième octobre 1652.
Je crois qu'à force que nos affaires vont mal, elles
pourront aller bien. La trêve est faite pour dix jours,
et Ton m'a assuré que Monsieur la feroit continuer
pour six semaines pendant lesquelles il fera tous ses
efforts pour accommoderMonsieur le Prince et même
pour faire la paixgénérale; car, pour la sienne, je la
tiens fort avancée, m'ayant été assuré de bonne
part qu'il se veut accommoder conjointement avec
Paris, lequel il voit lui échapper. Ainsi, je crois
qu'aux premiers jours. Ton lui donnera une amnis-
tie comme il la demande.
Les armées des Princes s'en vont avec celle du
duc de Lorraine et l'on m'a assuré que Monsieur le
Palais Royal, dont celle-ci usait (juand elle en avait besoin. Le
carrosse dont il se servait en faisait probablement partie.
190 CORRESPODANCE
Prince s'en va avec eux, son engagement avec Es-
pagne étant si grand qu'il ne peut s'en séparer que
par la paix générale. C'est pourquoi, je ne fais nul
doute qu'ils n'y travaillent cet hiver ; car il est certain
qu'ils sont tous fort las de la guerre. Voilà le véritable
état des affaires présentes, et, quoique par le passé, il
y ait eu fort peu de certitude en toutes leurs réso-
lutions, je pense que celles-ci tiendront, première-
ment parce que la nécessité les y forcera tous et.
outre cela, M. le cardinal Mazarin leur a mandé
qu'il falloit finir et s'accommoder. Après cet oracle,
je ne doute plus que nous ne voyions la fin de nos
misères. Dieu le veuille !
Le Roi sera demain à Saint-Germain. Les armées
ennemies tirent vers le Soissonnois, ayant dessein,
à ce que l'on dit, de s'établir, s'ils peuvent, leur
quartier d'hiver dans la Picardie.
La nécessité qui a été en cette ville y a causé de
grandes maladies, dont les plus riches sont présente-
ment atteints, aussi bien que les pauvres, et en
meurent comme eux. M. de Chavignyest mort cette
nuit. L'on dit que le déplaisir qu'il a eu de cette
lettre de l'abbé Foucquet qui fut interceptée, il y a
quelque temps, lui a causé la mort. Quoi qu'il en
soit, il n'est plus ' .
Les colonelsvont demain trouver le Roi, au nombre
de deux cent cinquante, tant capitaines que bour-
geois notables de leurs compagnies. .Te suis très fâché
de l'accommodement de Manloue avec Espagne, plus
1. Mémoires deW^^de Monlpensier (II, 188). — Voir ci-des-
sus, lu lettre du 27 septembre.
DU CHEVALIER DE SÉVIGiNÉ. 191
niillr fois pour l'intérêt de Votre Altesse Royale que
pour le nôtre. Je conserverai ces sentiments jusques
à la mort.
LXVI.
M. DE vSÉVlGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 18 octobre 1G52.
Il n\ arien au monde que je ne donnasse et que
Son Altesse Royale de Savoie réussît au dessein qu'il
a entrepris de secourir Casai •. Ce seroil commencer
par où les autres finissent ; mais l'on ne doit pas
moins attendre d'un prince qui peut compter
autant de héros dans sa famille qu'il a eu de prédé-
cesseurs. J'ai fait voir à tout le monde le zèle avec
lequel Votre Altesse Royale prend nos intérêts. Il
n y a personne qui ne l'admire, mais particulière-
ment ceux qui sont informés des véritables intérêts
de la maison de Savoie.
Tous les bons François sont au désespoir de voir
la lenteur de la C>our pour terminer cette guerre ;
et, à voir lem* procédé, l'on jugeroit que c'est une
chose désavantageuse au Roi et à l'État de faire la
paix et de se rendre maître de Paris; car, présente-
ment que Monsieur le Prince en est sorti, il n'y arien
qui peut empêcher Sa Majesté d'y rétablir toute son
autorité .
1. La prise de Casai était imminente. Cette place que les
Français gardaient depuis 1628 et avaient défendue trois fois,
se rendit le 21 octobre 1652 au marquis de Caracène, gou-
verneur de Milan. Ce fut un grand échec pour la maison de
Savoie et pour la France. Voir Mémoires de Monglat.
192 CORRESPONDANCE
Voici le vrai état des affaires. L'on négocie tous
les jours une paix avec Monsieur et l'on la croit fort
avancée. Un des principaux articles est qu'il ira à
Blois, et, pour l'amnistie, le Roi ne la veut point
envoyer pour être vérifiée à Paris que Sa Majesté
n'y soit rentrée ; mais, comme son retour en cette
ville mettroit tous les Inouillons dans l'appréhen-
sion d'être châtiés et les pourroit obliger à troubler
le séjour du Roi, il a résoUi de voir les sentiments
des colonels et capitaines de cette ville, qui auront
audience aujourd'hui, et suivant cela il se détermi-
nera ou à venir, après avoir rétabli le Parlement, et
y faire vérifier l'amnistie qui seroit sans doute le
meilleur, ou bien de venir sans conditions, ce qui
est suivant le sentiment de leur conseil.
Le Roi arriva hier à Saint-Germain ; aujourd'hui
comme je vous ai dit, il donna audience aux colo-
nels. Demain, le maréchal de l'Hospital, gouverneur
de cette ville, l'ancien prévôt des marchands, le
lieutenant civil et les anciens éehevins reviendront
ici et serolit rétablis.
Dimanche, l'on croit que le Roi viendra en cette
ville ; il v a des rafRneurs qui disent que l'accommo-
dement de Monsieur le Prince est fait ; pour moi, qui
suis grossier, je n'en crois rien et persiste à dire que
cela est impossible sans la paix générale.
Mondit sieur le Prince est à Fismesavec l'armée,
et le maréchal de Turenne a la victoire ^
1. Le prince de Condé avait quitté Paris le 13 octobre et
s'était dirigé vers la Champagne, laissant les troupes de
Turenne maîtresses du terrain entre Chanlillv et Paris.
nu CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 193
J'ai oublié de vous dire qu'il y a divers petits trai-
tes qui se font avec celui de Son Altesse Royale ^
comme que M. de Beaufort sortira de Paris, moyen-
nant cent mille livres d'argent, et un brevet de rete-
nue de la première abbaye vacante pour M™" de
Monlbazon -. M. de Rohan aussi fait son traité
qu'il ne rentrera dans son gouvernement de six
mois^.
M. de Guise est plus amoureux que jamais de
M"** de Pons et est tous les jours entiers à ses genoux ;
toute la famille en enrage ; mais personne ne lui en
ose parler. M'"" la comtesse de Bossu, la véritable
duchesse de Guise el reconnue pour telle de tous
les Lorrains, est arrivée depuis trois jours en cette
ville ^.
1. Ces traités rcsièrent en partie à létat de pourparlers
auxquels mit fin le retour du Roi : les personnages que cite
M. de Sc'vigné et d'autres jugés dangereux pour la paix
publique reçurent des ordres d'exil en province [Œuvres du
cardinal de Retz,W, 415).
2. Marie de Bretagne, fille de Claude de Bretagne, baron
d'Avaugour, comte de Vertus et de Goëllo, était la seconde
femme d'Hercule de Rohan, duc de Monlbazon, qui avait qua-
rante ans de plus qu'elle ; elle est connue par sa liaison avec le
comte de Soissons et par le rôle qu'elle a joué pendant la
Fronde : morte à Paris le 28 avril 1657, elle ne survécut que
trois ans à son mari.
.3. Il était gouverneur d'Anjou. Voir la lettre ci-dessus du
9 février 1652.
4. Le duc de Guise avait épousé à Bruxelles, le 11 janvier
1641, Honorée de Glimes, veuve du comte de Bossu, et s'était
séparé d'elle après avoir rapidement dissipé une partie notable
de sa fortune, quatre cent mille livres, disait-on. Abandon-
née par son mari, elle avait fait plusieurs voyages en France
pour tenter de reprendre avec lui la vie conjugale ; mais il
13
194 CORRESPONDANCE
Voilà tout ce que je sais qui mérite d'être su de
Votre Altesse Royale.
LXVII.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ
23 octobre 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, après vous avoir
écrit une longue lettre par le dernier ordinaire, j'ac-
cuse par celui-ci la réception de votre dernière du
4 de ce mois. Nous redoublons ici nos diligences
pour le secours de la citadelle de Casai, puisque sa
prise s'approche tous les jours davantage et que le
temps qui est si pressant ne permet pas qu'on en
puissedifFérerl'efFort qu'il faut faire pour la sauver.
Celte entreprise est des plus difficiles qui se puisse
rencontrer ; car, outre que les ennemis n'ont rien
oublié pour satisfaire leur camp, et que Monsieur de
Mantoue y a aussi contribué tout ce qu'il a pu tirer
du Mantouan et du Montferrat, et que ayant fait le
sacrifice de mettre en très bon état les forteresses,
nous n'avons pas seulement [à] passer dessus ces
s'était toujours refusé à renouer avec elle, prétendant que leur
mariage n'était pas valide. Apprenant son retour à Paris, elle
y était revenue pour faire une nouvelle tentative de raccom-
modement. La Muze hislorique (I, 299) annonce, en même temps
que Sévigné, 1 arrivée de la malheureuse femme.
En attraits, dit-on, sans égale.
De la belle Pons la rivale...
mais elle doute du succès de ses démarches (Voir la lettre sui-
vante).
DU CHEVALIER DE SE VIGNE. 195
obstacles, mais aussi quantité d'autres difficultés qui
sont presque invincibles par la disette où nous
sommes ici de toutes choses, après avoir supporté si
longtemps tout le faix de la guerre ; par dessus
toutes ces choses, je vous laisse considérer que pour
rendre ce service à la France en cette conjoncture,
nous mettons nos places et tout le Piémont en dan-
ger, et courons risque de ruinei- toutes nos troupes,
les portant en un lieu où le manquement de four-
rage et de vin leur causeront une très grande priA.i-
tion et si est-ce que, pour notre sûreté et défense,
vous savez que nous n'avons autre intérêt que celui-
là. Je ne sais pas à la vérité si autre que Son Allesse
Royale Monsieur mon fils et moi fermeroit les yeux
à son propre intérêt et à sa propre conservation. Je
crois qu'à l'occasion, notre affection et l'ardeur de
notre zèle sera connue et qu'elle rencontrera où elle
doit les sentiments d'agrément et de gratitude. Au
moins espéré-je que mes nobles amis, dont vous êtes
du nombre, connoissant la vérité, la publieront et
s'aideront à faire valoir le mérite de ces actions qui
sont à la vérité sans exemple. Je serai aussi, etc..
LXVIII.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 25 octobre 1652.
Enfin le Roi est entré dans Paris avec toute l'au-
torité qu'il eut pu avoir dans un autre temps ' . Tout
1. Louis XIV est rentré à Paris le lundi 21 octobre et
196 CORRESPONDAKCE
ce qu'il y a fait, depuis qu'il y est, est si publie que
je n'en manderai point les particularités à Votre
Altesse Royale, y ayant assez d'autres personnes qui
s en mêlent; mais il y a quelques petites réflexions à
faire sur la conduite de Monsieur, à quoi beaucoup
de gens trouvent à redire ^ Les plus importantes sont
d'avoir souffert qu'on l'ait chassé de Paris aussi brus-
quement que l'on fit et d'avoir souffert que ceux
qui ont traité pour lui l'aient trahi, lui en étant
averti ; d'avoir souffert que l'on lui ait donné un
passeport et que l'on l'ait compris dans l'amnistie
comme un simple sujet du Roi, ce qui ne s'est jamais
fait aux enfants de France.
Et le jour auparavant que le Roi vint en cette
ville, il assura Messieurs du Parlement de Paris qu'il
ne les abandonneroit point, et cependant l'on me vient
d'assurer de bonne part que M. [de]Damville, qui étoit
auprès de lui de la part du Roi, avoit écrit à la Reine
d'après les récits du temps, ce fut un retour triomphal. Le
samedi suivant, la. Mu ze historique (I, 300 et 301) en fit un
compte-rendu enthousiaste. — La letlre de M. de Sévigné est à
rapprocher des Mémoires du cardinal de Retz [Œui'res, IV,
398-400).
1. M. de Sévigné traduit dans ces lignes le désappointement
et la mauvaise humeur du cardinal de Retz. Celui-ci, qui obsé-
dait le duc d'Orléans de ses conseils, avait fait tout ce qu il
avait pu pour le déterminer à rester à Paris dans l'intérêt des
projets ambitieux que lui-même roulait dans sa tête. Monsieur
jugeait au contraire que son rôle était fini, qu'il n'avait plus
d'autorité et que l'obéissance aux ordres du Roi était le parti le
plus sage. Les Mémoires du cardinal [Œuvres, l'V, 404-412)
rendent un compte détaillé d'une longue entrevue qu'il eut
aver le duc d'Orléans et de ses efforts pour l'empêcher de par-
tir.
DU CHEVALIER DE SE VIGNE. 197
que raccommodement de Son Altesse Royale étoit
signé aux conditions d'avoir la liberté de venir
en cette ville ou bien d'aller à Blois ; mais je sais que,
depuis qu'il est à Limours, toute la négociation de
son secrétaire Goulas et de M. [de] Damville a roulé
sur le voyage de Blois que la Reine a souhaité avec
passion. Ainsi, je crois que c'est une chose concertée
qu'il ira sans venir ici, mais que, par honneur, l'on
dira qu'il a la libe?*té de venir. Les raisons que la
Cour a de souhaiter qu'il fasse ce voyage sont trop
importantes pour rétablir l'autorité du Roi et dimi-
nuer celle de mondit seigneur ; car son absence
empêchera tous les brouillons qui sont ici de pen-
ser plus à faire aucune intrigue ; cela fera croire aussi
à tous ceux qui sont exilés qu'il les a abandonnés ;
ainsi il ne songeroit plus qu'à se rétablir par le biais
du Roi. Monsieur le Prince même ne songera plus à
cet appui, et ainsi il songeia, plus tôt qu'il veut faire,
à s'accommoder. Je ne sais pas toutes les conditions
du prétendu accommodement ; je le nomme comme
cela, car il n'y a pas de certitude entière qu'il soit
fait.
Le cardinal Mazarin est à Sedan, qui brûle d'impa-
tience d'être ici ; je crains fort que leur précipita-
tion ne nous jette dans de nouveaux troubles qui
soient pires que les premiers. Mademoiselle est allée
au Bois-le-Vicomte ^ par ordre du Roi qui lui a oté
son appartement du Louvre et l'a donné à Monsieur,
son frère ^.
1. Près de Melun.
2. M"* de Montpensier quitta les Tuileries avec grand
198 CORRESPONDANCE
Vendredi dernier, il se fit une action au Palais
d'Orléans, dans le grand cabinet de Madame, que je
ne pus écrire à Votre Altesse Royale parce que je ne
la sus pas assez tôt ; c'est que, M. de Guise entrete-
nant Madame, Mademoiselle prit la comtesse de
Bossu parla main, qui étoit cachée dans la chambre
de Madame, et la mena se jeter aux genoux de mon-
dit sieur de Guise. Elle les tint longtemps embrassés et
lui dit des choses si tendres qu'elles firent pleurer
tout le monde. Le cavalier tint ferme et tourna tout
en raillerie. La chose avoit été concertée que
Madame la lui feroit voir en particulier et ainsi il y
eut lieu d'en espérer un meilleur succès ^.
J'ai reçu la relation qu'il a plu à Votre Altesse
Royale de m'envoyer de l'affaire de Casai ~ : je la
regret: « Car, écrivit-elle dans ses Mémoires, c'est le plus
agréable logement du monde et que j'aimois fort, comme un
lieu où j'avois demeuré depuis l'âge de huit jours. » A Paris,
on ne sut pas ce qu'elle était devenue, on la supposa réfugiée
à Bois-le-Vicomte. On l'avait invitée à s'y rendre, mais elle
préféra demander un asile provisoire à son amie, M™*^ Bou-
ihilier, née Marie de Bragelongne, k Pont-sur-Seine. Cette
dame venait de perdre, la même année, son mari et le comte
de Chavigny, son fils. — \o\t Mémohes de M^^" de Montpensier
(II, 193-219).
1. Ce résultat fut celui que prévoyait la Muze historique
(Voir lettre précédente). Le duc de Guise refusa toujours de
reconnaître la validité du mariage qu'il avait contracté avec la
comtesse de Bossu. Les héritiers de celle-ci, après la mort du
duc, firent à ses héritiers un procès en revendication des droits
de celle qui, d'après elle, avait été sa femme légitime ; le Par-
lement de Paris les débouta de leurs prétentions.
2. La lettre de Madame Royale ne pouvait encore annoncer la
capitulation de Casai, mais à ce moment la situation était déses-
pérée ; il était évident que les secours arriveraient trop tard.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 199
puis assurer que j'en ai parlé très hautement et sui-
vant le zèle que j'ai pour vos intérêts. J'ai connu, par
l'air du bureau, que celui dont vous me parlez, qui
a été incrédule, n'a pas fait valoir le secours de Votre
Altesse Rovale comme il devoit. Je m'en échauffai si
fort que je dis que cela étoit étrange de ne pas
avouer une vérité comme celle-là, et dont personne
dans toute l'Italie ne doutoit qu'eux, mais qu'il fal-
loit plutôt avouer qu'ils ne se soucioient pas que
tout se perdît, pourvu que le cardinal Mazarin se
rétablisse. Il v avoit un ministre dans le lieu où je
dis cela.
Si la paix générale ne rétablit pas les pertes que
fera Son Altesse Royale de Savoie en ce rencontre,
il y a apparence qu'il démêlera la querelle avec
M. de Mantoue. Si ce malheur arrive et qu'il ait
besoin des serviteurs qu'il a hors de ses États, je
suis certain qu'il n'y en a point de si passionnés et
de si obéissants que moi qui tiendrai à très grande
gloire de mourir pour son service.
LXIX.
M. DE SÉVIGNÉ A. MADAME ROYALE.
A Paris, ce 1'^'' novembre 1652.
J'ai reçu la dernière dépêche que Votre Altesse
Royale m'a fait l'honneur de m'écrire du 19™"
du passée Je n'ai pas manqué de publier les efforts
1. On n'a pas la minute de cette lettre.
200 CORRESPONDANCE
que Son Altesse Royale a faits pou?' servir la France.
Tout le monde est si persuadé qu'il a fait en ce ren-
contre beaucoup plus qu'il n'étoit obligé, que per-
sonne ne trouvera étrange les résolutions que la
nécessité des affaires lui fera prendre ; pour moi,
qui suis touclié d'une inclination plus forte et qui
ai des sentiments très passionnés pour son très
humble service, je souhaite qu'il trouve tous les
avantages qu'il auroit sans doute rencontrés, s'il
n'avoit pas eu tant de fidélité pour nous.
La paix de Monsieur fut signée lundi en la forme
que je l'écrivis à Votre Altesse Royale ; il est allé à
Chartres, et ensuite il s'en va à Blois, où je crois
qu'il demeurera trois ou quatre mois, s'étant même
obligé de parole de ne point venir à Paris sans le
consentement du Roi. Quoique cet accommodement
ne lui ait pas été avantageux, il en témoigne pour-
tant une très grande joie; et, pour faire voir qu'il a
dessein de l'observer, il a fait un commandement
très exact et très rigoureux aux officiers de ses
troupes de ne se pas laisser débaucher par Mademoi-
selle, sa fille, laquelle a dit qu'elle est partie pour aller
à l'armée avec ce dessein-là^
M. de Beaufort et M. de Rohan ont accepté l'am-
nistie ; mais l'on dit que le premier traite en son
particulier pour avoir les avantages qu'il prétend
pour hii et pour M™* de Montbazon. Il court même
un bruit que M™^ de Longueville et M. le prince
1. Les Mémoires de ^f^'' de Montpensier ne mentionnent pas
qu'elle ait tenu ce propos ni manifesté Tintention daller à lar-
mée des Princes.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 201
de Conti veulent aussi faire leur déelaralion pour
accepter l'amnistie, et ce fondé sur ce qu'ils sont
mal avec Monsieur le Prince. Mais vous ne devez
point ajouter foi à ce bruit, car il est sans fonde-
ment, aussi bien que celui qui dit que Monsieur a
signé qu'il consentoit au retour de M. le cardinal
Mazarin. Je sais que celui-ci est faux, et que même
l'on ne le lui a pas demandé, sachant bien qu'il ne
l'accord eroit pas. Ce cardinal sera ici avant la Saint-
Martin ' ; je ne vous dis point quel effet fera son
retour dans l'esprit des peuples ; mais je sais que cela
ne fera plus de barricades, tant que le Roi sera dans
Paris ; mais, s'il en sort, je crois que le mal y sera
plus grand que jamais. Je viens présentement d'en-
tendre prêcher M. le cardinal de Retz dans Saint-
Germain l'Auxerrois, où le Roi et la Reine étoient. Il
a parlé au premier si fortement et si judicieusement
que la Cour et les peuples en ont été très contents^.
J'ai vu dans une lettre que M. de Grésy m'a mon-
1. Mazarin ne rentra à Paris que le 3 février 1653.
2. Ce sermon prêché le jour de la Toussaint dans l'église qui
était la paroisse royale et auquel assistaient le R.oi et la Reine
avait attiré un grand nombre de curieux. La Muze historique
(I, 304) n'a pas majiqué de rapporter que le cardinal
Fit un beau sermon vendred} ,
Devant le Roi, devant la Reine;
Mais notre église éloit si i»leine
De gens pour l'entendre prêcher
Qu'on n'en pouvoit presque approcher.
"Voir les Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres, IV, 456). Une
note de cette édition au sujet de ce sermon fait connaître que
le Cardinal affecta de parler contre les ambitieux.
202 CORREf5PONDANCE
trée que la citadelle de Casai étoit prise ; j'en suis
au désespoir, mais mille fois plus pour l'intérêt de
Votre Altesse Royale que du nôtre. Toutes les troupes
de M. le duc d'Orléans ont ordre d'aller en Italie;
mais elles sont si foibles et arriveront si tard qu'elles
y seront inutiles.
Je ne doute pas que vous n'ayez curiosité de
savoir comme mon ami est à la Cour : je puis vous
assurer qu'il y est en grande considération et qu'il
n'y a guère de jour qu'on ne le consulte^ ; mais, de
plus, il y a un traité que l'on négocie ; s'il sort son
effet, je crois qu'il sera tout à fait bien. Au premier
ordinaire, peut-être en dirai-je davantage à Votre
Altesse Royale. En attendant, je l'assurerai que je
suis, avec tout le respect et la passion que je dois,
son très humble et très obéissant serviteur.
1. M. de Sévigné est certainement convaincu de la vérité de
ce qu'il écrit, soit d'après ses propres impressions, soit pour
ainsi dire sous la dictée du cardinal. Celui-ci s'abusait peut-
être ou voulait faire croire à plus d'influence qu il n'en avait.
La note que nous avons citée à l'occasion du sermon du car-
dinal [voir lettre précédente) contient un passage qui contredit
absolument l'affirmation de M. de Sévigné : ce document,
extrait des papiers de Lenet et daté du 3 novembre, s'exprime
ainsi : « Mais il a beau prêcher, ses affaires n'en vont pas
mieux jusqu'ici. N'ayant eu aucune part au traité de Monsieur
d'Orléans, au contraire l'ayant voulu empêcher, la Cour ne le
considère plus guère et on parle de [lui] faire faire un voyage
à Rome. « — M. Chéruel donne dans son Histoire de France
pendant le ministère de Mazarin (I, 371 et 374), des détails qui
montrent que, malgré ses intrigues secrètes, le cardinal de
Retz perdait chaque jour de son influence et de sa popula-
rité.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 203
LXX.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
2 novembre 1G52.
Monsieur le marquis de Sévigné, vous aurez pu
remarquer par vos précédentes qu'il n'a pas tenu à
nous qu'on ait sauvé Casai, puisque Son Altesse
Royale Monsieur mon fils a fait tous ses efforts pour
cela et a usé de toute la diligence possible tant pour
secourir la ville que la citadelle ; mais la précipita-
tion avec laquelle l'une et l'autre ont été rendues a
empêché l'effet de nos soins et le bon succès que
vraisemblablement on en pouvoit espérer. Ceux qui
savent la force de la citadelle de Casai s'étonneront
qu'elle ait tenu si peu de temps et qu'elle n'ait pas
donné le loisir au secours, qui n'en étoit éloigné
que d'une petite journée, d'arriver aux lignes des
ennemis, bien loin d'avoir donné temps aux troupes
de France d'arriver et de se joindre aux nôtres pour
le même effet, ainsi que tout le monde espéroit de
la valeur des défenseurs et de la bonté de la
place. Pendant que les ennemis ont été occupés à
réparer les brèches et à raser leurs lignes, Sadite
Altesse Royale a employé une partie de ses troupes
sous le commandement du marquis Ville ^, lequel
étoit de quelque conséquence pour élargir les quar-
1. Il s'agit d'un des marquis Villa. Cette famille avait,
quatre ans auparavant, perdu un des siens au service de la
Savoie (Voir lettre ci-dessus du 25 août 1648).
204
CORRESPONDANCE
tiers d'hiver^. On ne croit pas que les ennemis
puissent plus rien entreprendre de cette année, à
cause de la saison avancée. Mais je ne vois pas
qu'on puisse éviter les grands maux qui nous
menacent à l'avenir que par une paix générale, à
moins que la C^our s'applique d'une autre façon
qu'elle a fait jusques ici aux affaires d'Italie. Je
vous remercie de vos avis du 18 du passé que j'ai
reçus et suis, etc..
LXXI.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 8 novembre [1652].
Le retour de M. le cardinal Mazarin est retardé ;
beaucoup de gens veulent en savoir les véritables
raisons ; mais je crois qu'ils se trompent et que la
seule difficulté des chemins est ce qui l'en empêche.
Il est vrai que Monsieur le Prince a pris Chàteau-
Porcien et Rethel, et l'on dit qu'il a attaqué Sainte-
Menehould, c'est-à-dire qu'il l'a pris. Cela étant
ainsi, il faudroit que Son Kminence Mazarine fit un
grandissime tour pour venir en sûreté.
Hier le Roi de voit aller au Palais pour faire décla-
rer Monsieur le Prince criminel de lèse-majesté.
Comme il n'v a pas été, tous nos politiques mal
informés disent que c'est le retour du présidtMit
Viole qui en est cause et qu'il est venu pour négo-
cier un accommodement avec ce prince. Ceci peut-
1. Phrase qui semble incomplète, mais qui est conforme au
texte original.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 205
être vrai que le président soit venu porter quelques
propositions ; mais ee n'est point cela qui a empêché
Sa Majesté d'aller au Parlement ni qui a retardé la
dite déclaration. La vraie cause, c'est que le procu-
reur général ^ a représenté que son avocat général,
M. Bignon, qui est celui qui doit parler sur cette
alVaire, lui avoit dit qu'il n'étoit nullement préparé,
parce qu'il ne (aisoit que d'arriver de prendre les
eau\ à Bourbon ; outre cela, il a encore repré-
senté qu'il n'y avoit rien qui dût obliger le Roi de
rien précipiter ni de rien faire contre les formes;
que Sa Majesté devoit attendre après la Saint-Martin,
que le Parlement seroit remis et qu'il auroit com-
mencé de travailler ; cela a enfin été résolu. Les
médisants disent que la Reine a eu de la peine,
parce que le Cardinal ne doit pas revenir que cette
déclaration ne soit vérifiée ; les autres que le pro-
cureur général veut donner du temps à son frère,
l'abbé Foucquet, d'achever le traité qu'il avoit com-
mencé avec Monsieur le Prince. Mais je crois que
vous vous en devez tenir à ce qui est ci-dessus
d'affirmatif. L'accommodement démon ami n'est pas
encore confirmé, mais je ne doute pas qu'il ne se
fasse, car il n'y a pas beaucoup d'apparence que
le cardinal Mazarin veuille être ici et que l'autre
ne fût pas son ami et ne le voie pas.
M. le duc d'Orléans est encore à Orléans, mais
il en doit partir aujourd'hui pour Blois.
Mademoiselle n'est pas à l'armée, comme on disoit ;
1. Nicolas Foucquet était procureur général depuis 1650;
c'est en février 1653 qu'il devint surintendant des finances.
206 CORRESPONDANCE
mais elle est à l'une de ses maisons qui s'appelle Saint-
Fargeau ' .
La perte de Casai, celle de Barcelone- et celle de
Perpignan font pleurer tous les bons François ; il
n'y a pas de nouvelle que cette dernière place soit
rendue, mais l'on la tient perdue et Roses aussi ^.
Jugez, Madame, si la France ne court pas fortune et
si nous ne sommes pas bien malheureux de la voir
perdue pour conserver un homme de cette nature.
Je crois que Votre Altesse Royale ne m'accusera
pas de flatterie, si je lui dis, ce que je lui ai déjà
écrit, que Dieu nous auroit fait une grande grâce
de nous donner une Reine comme elle.
.Te ne saurois m'empêcher de vous dire que vous
fassiez votre compte que, tant que Mazarin sera en
France, nous n'y aurons que malheurs et point de
repos. Si je n'avois peur que vous n'eussiez mau-
vaise opinion de moi, je vous en dirois davantage.
J'ai toujours oublié à vous mander que Saint-
Aunais s'est déclaré pour Monsieur le Prince et que
c'est lui qui est cause que Roses et Perpignan sont
en grande extrémité^.
1. Voir Mémoires de M"^ de Montpensier, II, 229.
2. Les troubles de la Fronde n'ayant pas permis à la France
de se maintenir en Catalogne, Barcelone dut se rendre après
quinze mois de siège.
.3. C était un faux bruit : Perpignan est resté à la France et
Roses n"a été restitué aux Espagnols que par la paix des Pyré-
nées.
4. Henri Bourcier du Barry, seigneur de Saint-Aunais, lieute-
nant général. — Il commandait, en qualité de gouverneur hérédi-
taire, la ville et la forteresse do Leucate qui, situées à une
extrémité du Languedoc, au bord de la mer, très près de la
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 207
LXXII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Le 15 novembre 1652.
Il est si tard que je n'aurai pas le temps de faire
ma relation aussi ample que je le désirerois.
J'arrive présentement de Ruel ' trouver le marquis
de Richelieu sur une sottise qu'il a faite plus grande
que celle du duc ~ : car il s'est marié avec la fille de
frontière espagnole et du Roussillon, étaient de ce côté la ciel
de la France : très ambitieux, il s'était déclaré pour le prince
de Condé, entreprenait de soulever le Roussillon et menaçait
de se donner à l'Espagne ; le bruit courait qu'il avait ti'aité
avec cette puissance au sujet de Leucatc. L aventure tourna
mal pour lui illettré du 22 novembre) et il rentra bientôt
dans le devoir (lettre du 15 décembre). (Chéruel, Histoire
de France pendant le ministère de Mazarin, II, 67 et 68.
— Historiettes, de Tallemant des Réaux, V, 3 et 7 (curieux
détails sur Saint-Aunaiset sur sa famille). — Leucate est aujour-
d'hui une commune de l'arrondissement de IXarbonne (Aude).
Il est à remarquer que le père de Saint-Aunais et lui-même
avaient, en 1637, énergiquement défendu contre les Espagnols
Leucate, dont on trouve, avec une relation du siège, une des-
cription intéressante dans le Merc«re français, XXI (1639),
p. 413.
1. Aujourd'hui Rueil, arrond. de Versailles, canton de Marly-
le-Roi. — Il y existait alors un château que le cardinal de Riche-
lieu avait fait bâtir pendant son ministère ; la duchesse d'Aiguil-
lon le tenait de lui, en vertu de son testament du 23 mai 1642.
2. Le duc de Richelieu, frère aîné du marquis, avait épousé
à l'âge de dix-huit ans, en 1649, Anne Poussart de Fors, veuve
du comte d'Albret, dame d'honneur de la Reine, bien plus
208 CORRESPONDAKCE
M"' de Beauvais qui a un faux œil et qui est pre-
mière femme de chambre de la Reine ' ; et, comme
la mère de ce garçon est ma parente '% M™" la
duchesse d'Aiguillon a souhaité que j'y allasse pour
[lui] persuader défaire son devoir et de faire rompre
ce mariage, puisqu'il a élcfait contre les formes et
qu'il n'a pas été consommé '■\ Il ditqu'ily est résolu,
âgée que lui. La duchesse d'Aiguillon, sa tante, outrée de ce
mariage, accusa formellement Anne Poussart de séduction cri-
minelle ; mais le cardinal Mazarin lit en sorte que la procédure
ne suivît pas son cours, et l'union resta valide. — Voir Instruc-
tions du cardinal Mazarin à Le Tellier du 17 fé'vrier 1G50 en
appendice des Mémoires du cardinal de Kctz, édition Champol-
lion-Figeac, II, 355).
1. Jean-Baptiste-Amador de Vignerot du Plessis, marquis de
Richelieu, venait d'épouser à Paris, en l'église Saint-Eustache,
le 12 novembre 1652, avec le consentement de sa mère, Anne-
Jeanne-Ba])tiste de Beauvais, à peine âgée de quinze ans : il
était lui-même fort jeune, entre dix-huit et vingt ans ; le con-
trat avait été signé le 6 du même mois. Ce mariage prêta plus
à la critique que celui du duc de Richelieu, car M'"' de Beau-
vais avait pour mère Catherine-Henriette Bellier, femme du
baron de Beauvais ; or nous savons déjà que la réputation de
celle-ci était détestable sous le rapport des mœurs ^lettre
ci-dessus du l*''' décembre 1651j. La Reine, dont M'"'' de
Beauvais était première femme de chambre, favorisa cette
union et s'opposa à ce qu'elle fût rompue ; elle ne le fut pas
et plusieurs enfants en naquirent. — Voir Mémoires de M^^" de
Montpensicr, II, 236 et 237, et la Muse historique de Loret des
16 novembre (I, 308 et 309) et 23 novembre J, 310).
2. M. de Sévigné n'était pas, nous serablc-t-il, parent de la
mère du marquis de Richelieu, née Marie-Françoise du Guéraa-
deuc : il y avait au moins entre eux une alliance par suite d'un
mariage qui avait uni, en 1584, deux membres de leurs
familles.
3. La duchesse d'Aiguillon fut au désespoir de n'avoir pu
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 209
s'il le peut en eonscienee, et je crois plus, car je
liens qu'il ne le rompra pas et qu'il sera le plus
pauvre et le plus misérable gentilhomme du
royaume. Et c'étoit le garçon du monde le mieux
fait, qui le portoit le plus haut, qui avoit la plus
grande estime dans les armées, à qui toute la suc-
cession de M""^(r\iguillon étoit assurée' et qui avait
tout lieu d'espérer celle du cardinal de Richelieu ~.
Pour les affaires publiques, j'entretins hier à plein
M. le baron de Grésy ; ainsi je vous supplie d'y
ajouter foi. J'ai appris depuis que le cardinal Maza-
rin étoit près d'arriver et qu'il étoit en chemin.
M. de Chàteauneuf a eu ordre de se retirer à
Bourges. Le maréchal de Villeroy ayant dit à la Reine
que ledit sieur ne savoit pas en quoi il auroit pu
déplaire à Sa Majesté, elle dit que ce n'étoit pas
qu'il lui eût déplu, mais que c'étoit pour être trop
du parti de Monsieur; par là vous pouvez juger que
faire annuler le mariage de son neveu : « Mes neveux, disait-
elle dans son exaspération, vont toujours de pis en pis : j'es-
père que le troisième épousera la lille du bourreau. » Néan-
moins elle se réconcilia avec lui.
1. Le marquis de Richelieu mourut en 1662, treize ans
avant sa tante; le duché d'Aiguillon ne passa à sa descendance
qu'après avoir été possédé par une de ses sœurs à qui la
duchesse le légua.
2. M. de Sévigné veut dire que, lors de cette union si criti-
quée, le marquis de Richelieu avait en expectative la succes-
sion du cardinal de Richelieu qui était advenue à son frère
aîné, le duc de Richelieu, dont il était l'héritier présomptif,
celui-ci n'ayant pas d'enfants et passant pour maladif. L'événe-
ment trompa toutes les prévisions : le duc survécut cinquante-
trois ans au marquis, devint veuf, se remaria assez tard et
devint père d'un fils qui fut le maréchal de Richelieu.
14
210 CORRESPONDANCE
la réconciliation de Leurs Majestés avec Son Altesse
Royale n'est pas trop sincère ^ Le bruit est grand
que M™^ de Chevreuse, Laigues et le commandeur
de Jars seront bientôt chassés ^ ; mais j'ai peine de
le croire, caria Reine est allée voir ladite dame sur
la mort de sa fille, quoique l'on ait cru qu'elle soit
morte de la peste ^.
Je finis, Madame, en vous assurant qu'il se forme
un orage qui sera assurément très dangereux, si
Dieu ne le dissipe.
LXXUL
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 22 novembre 1652.
Je me donnai l'honneur d'écrire à Votre Altesse
Royale, le dernier ordinaire, touchant la malheu-
reuse affaire qui est arrivée au pauvre marquis de
Richelieu^. Comme il se trouve obligé de sortir du
1. M. de Sévigné ignorait que le duc d'Orléans avait
dénoncé Châteauneuf comme ayant, avec le cardinal de Retz,
travaillé à l'empêcher de quitter Paris, lors du retour de la
Cour dans celte ville.
2. La duchesse de Chevreuse et Laigues étaient déjà ou
allaient être incessamment ralliés au cardinal Mazarin qui
n'hésita pas à se servir deux pour sa politique.
3 j^jeiie çjg Chevreuse mourut en vint-quatre heures d'une
fièvre maligne, le 6 novembre. Le cardinal de Retz, en parlant
de sa mort, ne fait pas son éloge. [Œuvres du cardinal de Retz,
IV, 228-230.)
4. Voir les notes de la lettre précédente.
nu CHEVALIER DE SÉ VIGNE. 211
royaume et que l'estime qu'il m'a vu faire de Votre
Altesse Royale lui a donné une passion extraordi-
naire de lui rendre ses très humbles services et
obéissances, il a choisi sa Cour plutôt que celle
d'aucun autre prince de l'Europe pour son asile.
J'espère de l'héroïque vertu de Votre Altesse Royale
qu'elle ne lui refusera pas cet honneur. Si son nom
n'étoit pas si illustre, je convierois votre générosité
de le considérer comme parent de l'homme de tout
le royaume qui est le plus à vous * ; mais, comme je
suis trop peu de chose pour être mis en ligne de
compte et que la grandeur de sa maison n'est pas
peut-être trop considérable à Votre Altesse Royale,
j'espère, Madame, que son mérite, qui n'est pas du
commun, vous obligera plutôt à lui faire un favo-
rable traitement et de plaindre son malheur. Dans
cette pensée, je la supplie de trouver bon que je
dise le particulier.
Je dirai donc à Votre Altesse Royale que ce pauvre
garçon a servi de mestre-de-camp de cavalerie depuis
les dernières brouilleries, et, la dernière campagne :
il l'a commandée avec tant d'éclat pour le cœur
qu'il a fait le plus beau combat d'homme à homme
à la tête des deux armées qui ne s'est jamais fait, et
il s'est trouvé en plusieurs autres avec tant d'appro-
bation de toute l'armée que tous les généraux, tous
les officiers et soldats, l'aimèrent avec une tendresse
qui ne se peut dire. Pour les qualités de sa personne,
1. Comme nous l'avons indiqué, M. de Sévigné n'était pas,
croyons-nous, parent du marquis de Richelieu, ni de sa mère ;
il n'y avait entre eux qu'une alliance.
212 CORRESPONDANCE
Votre Altesse Royale en jugera mieux que moi ; mais
ce que j'en dois dire, c'est qu'il étoit aimé de tout le
monde et par conséquent il en est plaint ' .
Pour son action, c'est un emportement de passion
qui la lui a fait faire; mais, comme l'imprudence de
ces personnes la firent découvrir avant qu'elle fût
complète et que Madame sa tante, qui est la plus
illustre pour le mérite que nous ayons en France,
eut le temps de lui en faire connoître toutes les
laideurs, il s'est résolu de laisser faire la justice,
les docteurs de Sorbonne lui ayant signé que son
mariage ne valoit rien.
Enfin , Madame , c'est le neveu de ce grand cardi nal ,
qui n'a de bien que quarante-deux mille livres de pen-
sion sur les bénéfices qu'il a résignés à son frère,
lesquels il perdra si le mariage subsistoit. Outre cela,
Madame sa tante lefaisoit son héritier universel, qui
a plus de deux cent mille livres de rente et plus de
deux cent mille écus de meubles. Il perdra tout cela
s'il ne tient ferme et s'il ne quitte la fille d'une
femme qui est l'exécration de la Cour, dont la
grand-mère étoit fripière ~. Jugez si l'assortisse-
ment n'est pas abominable.
1. M""* de Montpensier le peint ainsi : « Ce garçon étoit
jeune et bien fait, de l'esprit, du courage et nourri dans l'élé-
vation où sont ordinairement les gens en faveur « {Mémoires, II,
238).
2. La chronique malveillante allait plus loin : on disait que
le mari de cette grand'mère était crocheteur aux Halles, et ces
bruits coururent de nouveau lorsque la mort de la jeune mar-
quise rappela l'attention sur ses origines. En réalité, on n'en
savait probablement rien. Michel Bellier, sieur de Filandre
et du Platbuisson, le prétendu lils ou gendre d'un fripier ou
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 213
S'il n'avolt loiiles les bonnes qualités que je mande
à Votre Altesse Royale, je la puis assurer que Madame
sa tante l'auroit déjà abandonné. Mais, comme elle
les connoît, elle est résolue de faire tous ses efforts
pour le sortir de cette méchante affaire. On lui a
dit que M. le prince Thomas est fort contraire à son
neveu et qu'il avoit dit à la Reine qu'il lui falloit
couper le cou.
Les affaires générales sont au même état que le
dernier ordinaire et Monsieur le Prince vers Bar,
toutes les armées du Roi jointes. Le maréchal de La
Motte est dans le Roussillon pour le soutenir ; Saint-
Aunais est fort blessé, les troupes du Roi ayant
battu sa garnison dans son bourg ^. Les passages
crocheteur, était huissiei' du cabinet de la Reine : il fut ano-
bli pai* lettres de juin 1638, a cause des services rendus tant à
Henri IV qu'à Louis XIII et à Anne d'Autriche tant par lui que
par sa naère et par sa femme employées d'abord pour les enfants
de France, puis comme premières femmes de chambre de la
Reine, comme le fut ensuite sa lîlle. Ajoutons que le baron
de Beauvais, son gendre, dont la noblesse remontait incontes-
tablement à deux générations, a été successivement substitut du
procureur général au Parlement et lieutenant général de la
l*révôté de iHôtel. — V. la lettre du 15 novembre ci-dessus et
le travail très documenté de M. de Boislisle, Madame de Beau-
vais et sa famille, publié dans le Cabinet /listorique [XJilY, 1878).
1. La Gazette du 30 novembre (1652, p. 1111) confirma cette
nouvelle. Saint-Aunais (v. lettre du 8 novembre), étant sorti de
Leucate avec une j^artie de sa garnison dans la première
semaine de ce mois, tomba dans une embuscade préparée sur
l'ordre du maréchal de La Motte par un de ses lieutenants, le
baron d'Alès, et se sauva avec peine, probablement blessé, ayant
laissé entre les mains de l'ennemi plus de soixante prisonniers
et perdu trente soldats et son écuyer tués. D'après ce recueil
(p. 113^i\ Saint-Aunais n'osa plus tenter de sortie et ne s"op-
214 CORRESPONDANCE
sont si peu libres qu'on n'a pas même nouvelles du
cardinal Mazarin que très difficilement. Je crois qu'il
arrivera alors que l'on y pensera le moins.
Je ne saurois finir ma relation sans lui dire encore
un mot en faveur de ce pauvre garçon et l'assurer
qu'en partant il me dit qu'il souhaitoit avec passion
pouvoir tirer l'épée pour le service de Son Altesse
Royale de Savoie et dans ses troupes, et que, si l'oc-
casion s'en présenteroit, il le feroit avec tant de
chaleur qu'il tâeheroit de mériter l'asile qu'il lui
feroit l'honneur de lui donner. Assurément, son
zèle et son cœur sont grands, et je serai fort obligea
Votre Altesse Royale si elle lui fait l'honneur de le
recevoir favorablement.
Les rentiers de cette ville font grand bruit de ce
qu'ils ne sont point payés ; si l'on n'y donne ordre,
ce sera un méchant levain K 11 n'y a nulle apparence
de traité avec Monsieur le Prince, et je persiste à
dire qu'il n'v en aura point qu'avec la paix géné-
rale.
LXXIV.
M. DE SE VIGNE A MADAINIE ROYALE.
A Paris, ce 26 novembre 1652.
Je me sers de la voie de ce gentilhomme pour
écrire à Votre Altesse Royale ; car il sera bien plus
posa pas aux opérations des troupes royales qui rétablissaient
et assuraient l'autorité de Louis XIV dans le Roussillon.
1. Un des premiers soins de Mazarin, après son retour en
1653, fut de donner satisfaction au\ rentiers.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 215
tôt à Turin que le courrier, delà n'empêchera pas
que, s'il arrive quelque chose entre ci et demain, je
ne lui écrive encore.
Pour répondre à la dernière lettre que j'ai reçue
de Rivoli du 16 du courant, je lui dirai que c'est
avecheaucoup de déplaisir que je ne lui puis mander
de meilleures nouvelles que par le passé ; mais, en
toutes, les apparences sont fausses, ou nous retom-
berons ce printemps dans les mêmes désordres où
nous avons été ; et, s'il vous souvient de ce que je
vous ai mandé sur la manière dont le Roi est revenu
dans Paris, je lui ai dit que nous aurions quelque
répit, mais que nous n'aurions jamais de paix
qu'avec la générale, parce que celle de Monsieur le
Prince ne se peut faire, selon mon sens et le peu de
lumière que j'ai des choses, que celle-là ne se
fasse.
Je crois vous avoir mandé le dernier ordinaire
que Monsieur le Prince avoit pris Bar et Toul, deux
fort méchantes places ', mais qui servent au dessein
qu'il a de séparer l'Alsace et la Lorraine et les
autres places derrière celles qu'il a prises.
Le cardinal Mazarin n'est pas encore arrivé, quoi-
qu'il y ait déjà plusieurs jours qu'il pourroit reve-
nir sans aucun péril. Les uns disent qu'il ne veut
point revenir qu'avec quelque bon succès, et pour
cet effet, il passera à l'armée qui est composée de
toutes les troupes que le Roi avoit en Picardie,
1. Ces nouvelles sont préraatui'ées en ce qui concerne Bar-
le-Duc qui n'a été pris que le 29 novembre : Toul ne l'a pas
été.
216 CORRESPONDANCE
Champagne et Lorraine et qui n'est guères moins
forte que celle de ^Monsieur le Prince, et qu'il repren-
dra les places qui ont été prises; et sur ces pensées
le bruit court déjà, mais peu certain, que Rethel est
assiégé.
Il se fait un autre raisonnement qui n'est pas
moins vraisemblable que le premier: c'est que, par
sa conduite ordinaire, il a peur et mai^chande le pavé
de Paris avec ceux qu'il croit pouvoir lui faire de la
peine ; et pour cet effet, il négocie par personnes
interposées avec celui dont vous me témoignez vou-
loir savoir des nouvelles, et je sais que leur traité
n'est pas achevé ; maisje sais que cela ne va point à
lui donner de place dans le Conseil du Roi. Je vous
ai promis de vous mander lorsqu'ils seront d'accord.
Si mon ami avoit été capable de rebrouiller, ils lui
auroient obligé ; car ils se sont toujours méfiés de lui
et ont ajouté foi à beaucoup d'avis que l'on leur a
donnés qu'il cabaloit encore, quoique cela soit faux,
son dessein étant de vivre en sorte que l'on ne puisse
lui rien reprocher qu'il ait fait contre l'État depuis
sa promotion ^ .
1. Le cardinal de Retz faisait courir par ses amis le bruit de
sa parfaite soumission ; d'après le P. Rapin [Mémoires, I, 518
etôlO), il aurait même chargé l'cvêque de Châlons, Vialard de
Herse, un de ses confidents, d'offrir à Mazarin d'aller à Rome
et de faire ce qu'il ^ondrait; seulement, l'évèque n'axait pu
voir ce dernier à son passage et s acquitter de la commission. A
la Cour, on ne croyait pas à la sincérité du cardinal de Retz et
on le considérait comme tout aussi dangereux que par le
passé, du moins tant qu'il serait à Paris ; il n'a pu ignorer ces
dispositions, car la Princesse palatine, Anne de Gonzague, a
voulu l'en prévenir et lui a conseillé de demander l'ambassade
/
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 217
Messieurs du Parlement oommeneent à se remuer
pour leurs eon frères : ils ont envoyé aujourd'hui par
toutes les Chambres pour proposer de s'assembler
demain ; ehaque Chambre en particulier doit délibé-
rer ce qu'ils feront. J'ai été averti que le Roi est
résolu de leur défendre de s'assembler, et, s'ils
passent outre, de leur faire violence. Si cela arrive,
Messieurs du Parlement croient que les peuples
intéressés aux rentes prendront leur parti. Je crois
que, si la Cour prend bien ses mesures, ils seront les
maîtres et que le Parlement y succombera.
Madame Royale d'Orléans se porte mieux et l'on
croit qu'elle est hors de danger, mais qu'elle court
fortune d'une hydropisie du poumon ^ Monsieur,
son mari, est à Blois, qui est ravi de se voir délivré
d'affaires. Je jure qu'il ne s'y rembarquera jamais.
M. de Saint- Aunais a fait le plus bizarre traité avec
Espagne qui se puisse voir : il y a que, si Monsieur le
Prince le comptant dans son traité et qu'il le fasse
faire maréchal de France, le roi d'Espagne lui per-
met de revenir ; que si cela n'est pas, ledit roi lui
promet de le faire faire maréchal de France par le
traité de la paix généi'ale ; que si tout cela manque,
de Rome, ne lui cachant pas que sa liberté et même sa vie
étaient en danger 'Mémoires de Guy Joly, I, 337-341). Le fait est
à peu près contirmé par lo cardinal lui-même, dans ses Mémoirea
[Œuvres, IV, 438 et 439i, en ajoutant qu'il ne voulait pas trai-
ter sans assurer des avantages à ses amis, Brissac, le marquis
de Fosseuse, d'Argentcuil, Chateaubriand, etc. ; on sait que
l'abbé Charrier et .Toly devaient aussi profiter de ce traité; mais
Sévigné semble absolument oublié, malgré toutes les preuves
d'affection et de dévouement qu'il lui donnait.
1. hdi Muze Jiistoriqiœ I, 311' donne les mêmes nouvelles.
218 CORRESPONDANCE
le Roi Catholique lui donnera dix mille écus de rente
et quelque établissement, et qu'en attendant, il le
l'ait son général en Catalogne et Roussillon, sa place
demeurant dans le service du Roi Très Chrétien. Et
en effet nous avons vu un passeport de lui où il met :
« Général des armées du Roi Catholique dans la Cata-
logne et Roussillon et gouverneur pour le Roi Très
Chrétien de Leucate ». Il a fait cette escapade parce
qu'on n'a pas voulu lui donner ce qu'il demandoit ^ .
Vous voyez par là. Madame, que nos affaiies ne sont
pas mieux que par le passé.
Le bruit court ici que son xiltesse Royale de Savoie
est très satisfait des promesses que le Roi lui a faites
et que l'on est résolu de le secourir puissament, et
pour cet elFet j'ai oui dire de bonne part que l'on
cherchoit un maréchal de France pour y envoyer.
LXXV.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 29 novembre [1652].
La nouvelle que j'ai apprise aujourd'hui mérite
bien d'être mandée à Votre Altesse Royale : il est
arrivé ce matin un courrier qui a apporté que le car-
dinal Mazarin est arrivé dans noire armée et (ju'il
espère de donner bataille ; il prétend être plus fort
que Monsieur le Prince. Le même courrier assure
(jue Fuensaldagne avoit quitté l'armée, après en
L Voir la lettre précédente.
DU CHEVALIER DE SÉYIGNÉ, 219
avoir donné le bâton de général à Monsieur le
Prince et qu'il avoit emmené avec lui quelque nombre
de troupes ^
Le bruit continue plus que jamais que Monsieur
de Reims quitte la soutane pour épouser M"^ de Lon-
gueville et que l'abbé de La Rivière traite avec lui
pour ses bénéfices '.
Je vois bien que le traité de mon ami n'est pas
en bon état : il croit que toutes les propositions que
l'on lui Fait ne sont que pour le tromper. Ainsi ils
se méfient les uns des autres. Le cardinal Mazarin
est cause des procédés que l'on tient avec lui ; il
ne peut souffVir devant ses yeux une pourpre plus
éclatante que la sienne.
1. Il est exact que Fuensaldagne, obéissant aux ordres qu'il
avait reçus, s'était occupé surtout d'assurer la défense et la con-
servation des villes du littoral qui, d'après le traité conclu par
Condé avec l'Espagne, devaient rester à celle-ci ; il se retira
donc de ce côté avec ses principales forces, laissant Monsieur
le Prince conquérir et défendre comme il le pourrait, avec ce
qu'il avait de troupes et en lui donnant peu de secours, les
places et le territoire qui constitueraient plus tard sa part défi-
nitive des conquêtes faites sur la France. — V. Histoire des
princes de la maison de Condé, par le duc d'Aumale, VI, 257.
2. Henri de Savoie, dernier de la branche des ducs de
Nemours (1625-1659), frère cadet du duc de Nemours tué en
duel le 30 juillet 1652 (v. ci-dessus lettre du 2 août), avait
reçu l'année précédente l'archevêché de Reims. Le bruit courut
que, devenu aîné par la mort de son frère et n'étant pas entré
dans les ordres majeurs, il allait se démettre de son siège et de
ses bénéfices pour pouvoir se marier. Il ne le fit qu'en 1657 et
épousa Marie d'Orléans, fille de la célèbre M""* de Longue-
ville. Une lettre du baron de Grésy, secrétaire de l'ambassade
de Savoie, écrite le 4 octobre précédent, que nous publions plus
loin [Appendice, n° XV) fournit sur ces bruits de démission
des renseignements puisés aux meilleures sources.
220
CORRESPONDANCE
Le Parlement s'assemblera ce matin ; du moins,
il y a eu trois Chambres qui l'ont ainsi résolu, et
c'est un nombre suffisant pom* y obliger toutes les
autres. Nous verrons si la Cour s'y opposera par
violence.
LXXVI.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 6 décembre [1652],
J'ai reçu la lettre qu'il a plu à Votre Altesse Royale
me faire l'honneur de m'écrire du 23 novembre
par laquelle elle me témoigne avoir envie de savoir
ce que fait mon ami. Je crois y avoir assez pleine-
ment satisfait par ma dernière relation. Néanmoins
ce que j'en ai pu pénétrer, c'est que son raccommo-
dement avec l'autre ne peut sortir son effet qu'il ne
soit de retour; car, par sa conduite ordinaire, il ne
se peut fier de toute une affaire à une même per-
sonne et ainsi tous les confidents qu'il a ici ne le
sont que pour lui temps et à tour de rôle. 11 arri\ a
hier un courrier de M. le cardinal Mazarin qui dit
qu'il l'avoit laissé à Saint-Dizier, qui montoit à che-
val pour aller à l'armée. Toute la Cour croit qu'il
sera auprès du Roi dans peu de jours, mais [ceux]
qui croient en savoir plus de nouvelles disent qu'il
a dessein de prendre quelque place <le celles que
Monsieur le Prince avoit prises, premier que de
revenir. Si cela est, nous ne l'aurons pas si tôt.
Cependant toutes sortes de grâces, do bénéfices et
d'autres affaires demeurent en suspens jusqu'à son
DU CHEVALIEB DE SÉ VIGNE. 221
retour. Je crois, avec beaucoup d'autres, que l'on
en use ainsi afin de le faire souhaiter.
Voilà l'état des choses de la Cour ; pour celles de
la ville, il y a toujours de la rumeur parmi les ren-
tiers |)arce qu'on ne les paie pas, et Messieurs du
Parlement en l'ont parce qu'on ne leur rend pas
leurs confrères ; mais, pour apaiser les uns et les
autres, je crois que l'on les contentera, si ce n'est
pas en tout, du moins en partie.
Pour les affaires de delà les monts, je crois que
l'on promet beaucoup plus que l'on ne tiendra et
je sais que toute leur confiance est en la citadelle
de Turin. Je n'ai que faire d'en dire davantage, je
n'ai que faire de vous conjurer que ceci ne soit vu
que des personnes dont Votre Altesse Royale est
assurée.
Monsieur le Prince est au delà de la Moselle avec
dix ou douze mille hommes, presque toute cavalerie.
Larmée du Roi est auprès de Toul avec plus de vingt-
cinq mille hommes. Il n'y a point de proposition
d'accommodement et il y a bien quelque temps que
l'on prit des lettres du président Perrault ^ qui man-
doit à Monsieur le Prince que la Reine lui avoit
fait parler d'accommodement ; mais il faisoit ses
avances d'office, ayant une passion extrême de
ramener son maître dans son devoir.
1. Jean Perrault, originaire de Bourges, reçu président en
la Chambre des comptes en 1647, avait été attaché au prince
de Condé mort en 1646, et devint surintendant des affaires
de son fils ; il mourut le 29 avril 1681.
222 CORRESPONDANCE
LXXVII.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 13 décembre [1652].
J'ai beaucoup de joie que Votre Altesse Royale
soit satisfaite de ma bonne volonté ; si mon pouvoir
étoit aussi grand, je la puis assurer qu'elle n'en
seroit pas moins contente. Sur ce que vous me com-
mandez de vous mander mes sentiments, je vous
demande pardon si je ne m'en acquitte pas cet ordi-
naire ici ; je m'informerai le plus soigneusement
que je pourrai afin de ne point passer pour
étourdi dans une affaire de cette importance-là. La
passion que j'ai pour votre service très humble m'a
donné beaucoup de démangeaison de vous dire mes
sentiments sur les intérêts de la Maison de Savoie ;
mais, comme je n'ai aucun caractère qui m'en don-
nât la liberté, j'ai eu peur que ceux qui verroient ma
lettre ne jugeassent pas de mes intentions avec cha-
rité et ne m'accusassent de témérité de m'ingérer
des affaires sans y être appelé.
J'ai entretenu à fond M. le baron de Grésy ; je
lui trouve beaucoup de jugement et grande passion
pour [les intérêts de] Votre Altesse Royale et pour
ceux de Monsieur son lîls. Depuis le jour que nous
nous sommes vus, j'ai reçu votre dernière dépèche
dans laquelle il y a une apostille de sa main. J'ai, sur
le sujet dont vous me parlez, vu quelques-uns de
MM. les Ministres, auxquels j'ai dit que le bruit cou-
nu CHEVALIER DE SÉYIGNÉ. 223
roit qu'on vous accusoit de ne pas avoir fait toul
ce que vous étiez obligée pour secourir Casai ; ils
m'ont dit : « Je ne pense pas que l'on s'en soit plaint ».
Au contraire, l'on a dit tout haut que l'on se louoit
des ellbrls que vous aviez faits, mais que ce n'étoit
pas que l'on le crût et que vous aviez plus de forces
que ceux qui ont pris la place. Je vous conjure que
ceci soit supprimé et ne passe point en toutes
mains.
Le cardinal Mazarin ne reviendra point de tout ce
mois; il a repris Commercyet Ligny, où Monsieur le
Prince avoit mis du monde ; Bar est aussi investi.
Monsieur le Prince est delà la Meuse'. Il doit être
à Bruxelles au premier jour de l'an. L'on fait croire
qu'il y a toujours négociation entre eux. Pour moi,
je ne le crois pas, ou du moins, s'il y en a, que cela
réussisse.
Saint- Aunais est revenu dans le service du Roi -;
cette légèreté est digne de lui ; cela ôtera aux Espa-
1. Les Mémoires du Maréchal de Turenne, édit. Marichal
(I, 229), font connaître que Bar se rendit à l'armée royale le
18 décembre et Ligny le 28. La Gazette (1652, p. 1175)
annonça la reddition de Commercy et de Void. Le prince de
Condé, pressé par les troupes de Turenne, fut obligé de reculer
et de changer son front d'opérations.
2. La soumission de Saint-Aunais est confirmée par la
Gazette du 14 décembre (p. 1164) : le gouverneur rebelle
demandait pardon de sa faute et se déclarait prêt à remettre
Leucate entre les mains de la personne que Leurs Majestés dési-
gneraient. Le Tellier en fit part à Mazarin par une lettre du
28 décembre, publiée par M. Chéruel [Histoire de France pen-
dant le ministère de Mazarin, II, 73). — Voir ci-dessus, sur
Henri Bourcier du Barry de Saint-Aunais, les lettres des 8 et
22 novembre 1652.
224 CORRESPONDANCE
gnolsla facilité de reprendre le Roussillon. L'ordi-
naire prochain, je lui dirai toutes choses, puisqu'elle
me le commande, étant résolu d'ohéir aveuglément
autant qu'il sera en mon pouvoir.
Il n'y a rien de plus vrai que Bordeaux est allé
en Angleterre et que le Roi les traite de république
et leur a écrit comme tels^ La reine d'Angleterre
est au désespoir ~.
LXXVIIL
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, 20 décembre 1652.
Il me seroit diflicile de commencer ma lettre par
une autre nouvelle que par celle de la prison de
\. Antoine de Bordeaux, sieur de Génctois, conseiller d'Etat
et intendant de Picardie, fut en effet envoyé à Londres, en
décembre 1652, avec les pouvoirs du Roi pour traiter, au nom
de la France, avec la République d Angleterre. Il resta sept
ans dans ce pays, avec le rang d ambassadeur et mourut en
1660. Il ne faut pas le confondre avec Guillaume de Bordeaux,
son père, mort comme lui, en 1660, qui fut secrétaire du Con-
seil et intendant des finances.
2. Voira ce sujet les Lettres de Henriette- Marie de France,
reine cC Angleterre , à sa sœur, Christine de France, duchesse de
Savoie (édition H. Ferrero). — Dans sa lettre du 12 décembre
1652 (p. 10.3), la veuve de Charles \" proteste douloureuse-
ment contre l'envoi en Angleterre d'un ambassadeur du Roi
pour « reconnaîti'e ces traîtres rebelles », malgré tout ce
quelle a pu remontrer pour l'empêcher. Son désespoir est
profond : « Ceci, dit-elle, m'a donné le dernier coup de la
mort que je n'aurois jamais cru recevoir de la France. »
DU CHEVALIER DE SE VIGNE, 225
M. le cardinal de Retz ^ : il fut hier arrêté dans une
des chambres de la Heine par le capitaine des
gardes du corps-, et le mena {sic) dîner dans son
1. L'arrestation du cardinal de Retz et son incarcération à
Vincennes pouvaient avoir des conséquences sérieuses en
France et amener des difficultés du côté de la cour de Rome.
Tous les documents confidentiels révèlent que la Reine et le
Roi, conseillés par Mazarin, y étaient résolus depuis quelque
temps et que leurs procédés courtois à l'égard du Coadjuleur
n'avaient pour but que de le rassurer : ce dernier, quoique pré-
venu de divers côtés, croyait sans doute qu on n'oserait pas
toucher à sa personne. La cour de Turin fut officiellement
avisée de cet événement par le représentant du Roi : une lettre
de celui-ci, qui n'est qu'une copie non datée, ni signée, con-
servée au Ministère des Affaires étrangères de Paris {Corres-
pondance de Turin, t. XLV (1651-1652), f° 429), mentionne qu il
n'a pas manqué de « donner part à Leurs Altesses de la résolution
que Leurs Majestés ont été dans la nécessité de prendre à l'égard
de M. le cardinal de Retz , pour prévenir les factions du
royaume et le mettre en état de soutenir la guerre et de secou-
rir ses alliés ». Madame R.oyale témoigna de « prendre part
aux intérêts du Roi », mais en appréhendant toutefois des
complications du côté du Pape et des difficultés du côté du
duc d'Orléans. L'ambassadeur s'attacha à démontrer que le
Pape n'aurait aucune raison plausible de s'élever contre la
mesure nécessitée par les intrigues factieuses du cardinal, et
que d'autre pari, il y avait peu d'apparence que le duc d'Or-
léans prît parti pour le prisonnier, « étant entré, comme il est,
dans les intérêts du Roi, et même n'étant pas bien satisfait du-
dit sieur cardinal ». Voir les Mémoires du cardinal de Retz
[Œuvres, IV, 449-455). — Mémoires de Guy Joly, I, .354-356.
— Mémoires de M^^ de Motteville, IV, 36 et 37. — Mémoires
de M"^ de Montpensier, II, 234 et 235. — Loret, Muze histo-
rique, I, 322. — Gazette, du 21 décembre 1652, p. 1175, qui
donne les raisons officielles de cette arrestation.
2. Louis-Marie-Victor d'Aumont, marquis de Villequier, fils
du maréchal d'Aumont.
15
226 CORRESPONDANCE
appartement, et sur les quatre heures du soir, l'on le
fit passer par la grande galerie et le fit mettre en car-
rosse à la porte des Tuileries, et fut conduit par six
compagnies de gardes françoises, deux de Suisses,
les chevau-légers de la garde et les gendarmes du
Roi. L'on m'a dit qu'il est au Bois-de-Vincennes. Il
fut pris sur le midi, après avoir fait sa cour à Leurs
Majestés une heure et demie. Cet accident m'a si
fort surpris que je n'ai pu songer à aucune autre
affaire depuis ce temps-là. Je crois assez inutile de
vous dire le vrai sujet de la prison, puisque je vous
ai mandé, il y a longtemps, le véritable sujet pour-
quoi le cardinal Mazarin ne revenoit pas à Paris ;
car c'est la même chose. La pourpre de celui-ci a
eu honte de paroître auprès de celle de l'autre. Il
avoit refusé d'aller à Rome, comme le cardinal
Mazarin vouloit : c'est là tout son crime, et je puis
jurer avec vérité qu'il ne se mèloit présenteraient
d'aucune intrigue.
Les ignorants croient que cette prison facilitera
l'accommodement de Monsieur le Prince ; mais je
crois le contraire, qu'elle l'empêchera, puisque cela
lui fera connoître qu'il n'y a point de sûreté ni de
confiance.
Je m'étois résolu d'obéir au commandement que
Votre Altesse Royale m'avoit fait l'autre ordinaire
de lui écrire mes sentiments ; mais, comme je suis à
présent un peu échauffé de colère, je la supplie de
m'en dispenser ; j'aurois peur que l'intérêt de mon
ami ne me troublât le jugement.
M. le baron de Grésy sort d'avec moi, à qui
j'ai dit tout ce (|ue je savois qui pourra vous être
DU CHEVALIER DE SÉVIOÉ. 227
Utile * ; tout ce que je puis ajouter, c'est qu'il n'y a
rien de si imprudent que cette dernière action dans
le temps qu'ils l'ont faite. Le plus excellent remède
donné à contre-temps fait mourir un corps qu'un
verre d'eau auroit pu guérir donné bien à propos.
Aussi tous les politiques nous apprennent que toute
riiabileté d'un ministre d'État se réduit à se savoir
bien servir des occasions. Il me semble qu'il s'en est
bien passé où vous auriez pu faire très avantageuse-
ment ce que vous serez peut-être forcée de faire
avec peu de fruit. Je ne m'explique pas davantage.
Mais n'espérez pas de paix en France que la générale ;
c'est toujours là mon sentiment.
Le Père de Gondy, père du cardinal de Retz, a eu
ordre d'aller à Villepreux ^ ; peut-être mie fera-t-on
aussi sortir de Paris. La volonté de Dieu soit
faite!
Ces jours passés, le Parlement ayant eu audience
pour faire des remontrances sur le sujet de leurs
confrères, l'on leur fit une réponse tout à fait
imprudente et contre les formes du royaume, qui est
qu'on ne pouvoit pas accorder ce qu'ils lui deman-
1. Il est intéressant de rapprocher de cette lettre celle que
le baron de Grésy a écrite le même jour à Madame Royale
pour lui faire part du même événement. Nous la reproduisons
plus loin [Appendice , n° XV).
2. Philippe-Emmanuel de Gondy, père du cardinal de Retz,
ancien lieutenant-général du roi dans les mers du Levant et géné-
ral des galères, devenu veuf de Marguerite deSilly, dame de Com-
mercy, s'était retiré à l'Oratoire et fait prêtre de cette congré-
gation. Il mourut à 81 ans, en 1662. La terre de Villepreux,
(paroisse de ce nom, aujourd'hui commune de Seine-et-Oise,
arr. de Versailles) appartenait à sa famille depuis 1580.
228 CORRESPONDANCE
doient, à cause du bien de ses affaires : « C'est pour-
quoi, ajouta-t-il, je vous défends de m'en plus
parler ».
Tous les curés de Paris ont exposé le Saint-Sacre-
ment sur le sujet de la prison de leur archevêque,
et ce matin, le vieil archevêque, accompagné de tout
le clergé de la ville, a fait un discours pour rede-
mander son neveu. Le Roi a répondu par la bouche
du chancelier, comme il fait toujours, qu'il étoit
bien fâché de ne lui pouvoir accorder, mais qu'il
étoit obligé d'avoir soin du repos de ses peuples
et d'empêcher qu'il ne fût troublé ; que, d'abord
que ces conjonctures seroient passées, il leur accor-
deroit ce qu'il soidiaiteroit^
Voilà, Madame, tout ce que je puis mander à
Votre Altesse Royale ; M. le baron de Grésy l'infor-
mera de tout le reste.
LXXIX.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
A Paris, ce 25 décembre 1652.
.l'ai reçu la lettre de Votre Altesse Royale datée du
lA*" de ce mois, ensemble le très éloquent et très
ol)Iigeant billet écrit de votre main '^ : je m'en sens
si sensiblement touché que, sij'avois répandu tout
1. Voir sur l'atlitude du clergé de Paris, les Mémoires de
Guy Joly, I, 357-.'5(i().
2. La Illimité de cette lettre n'a pas été retrouvée.
Dl CHEVALIER DE SÉ VIGNE. 229
mon sang pour votre service, je necroirois pas méri-
ter les choses qui sont dedans povu'moi; et, à l'égard
des autres choses qui y sont, la personne qui y est
intéressée en est si fort charmée qu'elle m'a conjuré
de le lui donner pour le mettre parmi les originaux
les plus précieux de ce granil homme dont vous par-
lez si dignement.
Je voudrois hien m'épargner la douleur que j'ai
de mander à Votre Altesse Royale que le Roi m'a
commandé de sortir de Paris dans vingt-quatre
heures et de m'en aller chez moi '. Je vous assure,
Madame, que le seul chagrin que je ressente de cet
exil vient de ce que je ne pourrai plus lui obéir en
lui écrivant les nouvelles. Comme je ne puiserai
plus dans la source, je ne pourrai plus m'en acquit-
ter comme je le souhaiterois.
J'entretins hier M. de Grésy fort au long de
quelques affaires très importantes ; je vous supplie
1. M. de Sévigné avait déployé trop de zèle poui* les intérêts
du cardinal de Retz pour ne pas avoir été signalé aux rigueurs
de la Cour. La Muze historique au 28 décembre (I, 223) en parle
ainsi :
On m'a dit que les domestiques
Du seigneur cardinal de Retz
Avoient commandement exprès
De faire ailleurs c[u'icy retraite
Sévigny dolent et transy
A reçu le même ordre aussy.
La lettre dans laquelle le baron de Grésy donne à Madame
Royale, le 27 décembre, son appréciation sur l'arrestation du
cardinal de Retz, lui fait connaître que M. de Sévigné avait
quitté Paris le 26.
230 CORRESPONDANCE
de croire tout ce qu'il vous mandera de ma part^
et, si M. l'abbé (Charrier passe par Turin allant à
Rome et que Votre Altesse Royale prît goût aux pro-
positions que ledit baron lui aura faites, elle poiir-
roit en faire part audit abbé. Mais, comme je n'ai
parlé qu'en général, si les choses avoient suite, l'on
les particulariseroit davantage. .T'ai instruit ledit
baron aussi des caractères de tous les principaux
acteurs de la comédie et du détail de tout ce que je
sais.
Il ne me reste plus que de recevoir l'honneur de
[vos] commandements et vous assurer qu'en quelque
part que mon mauvais destin me porte, Votre Altesse
Royale aura le plus humble, le plus obéissant et le
plus passionné serviteur qu'elle aura jamais. Elle en
perdra un en mon ami qui avoit beaucoup de respect
pour elle ; s'il périssoit, [ce] seroit une grande perte.
Je donnerois de mon sang qu'il vous pût être
redevable de sa lil^erté ! L'on lui a saisi son revenu
pour sa nourriture ; enfin l'on lui fait et à ses amis
toutes les violences imaginables.
1. Le baron de Grésy a en effet, par une seconde lettre du
27 décembre, transmis à Madame Royale les considérations et
indications que « l'ami » désii*ait porter à sa connaissance : nous
la reproduisons ci-après dans notre Appendice. Il ne rêvait
rien moins, d'accord sans doute avec l'abbé Charrier et autres
intimes du cardinal de Retz, que la coalition de l'Espagne et
de la Savoie contre la France, pour arriver par un mouvement
politique, à la mise en liberté du prisonnier.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 231
LXXX.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
28 décembre 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné, j'ai reçu votre
lettre du 3 de ce mois ^ et vous sais très bon gré des
soins que vous prenez de m'écrire vos sentiments
sur ce qui se passe en France et sur ce qui me
regarde ; je le reçois toujours pour de nouveaux
témoignages de votre affection en mon endroit, à
laquelle je corresponds de mon côté en estimant
votre personne tout autant que m'y invite votre
mérite.
Nous avons reçu une nouvelle touchant le cardi-
nal de Retz qui nous a fort surpris et qui ne me
la'sse pas sans quelque peine. Elle vous donnera
sans doute matière de m'écrire particulièrement sur
un sujet si important et qui porte, à mon avis, après
soi de si grande conséquence. Je crois en tout cas
que vous vous ouvrirez avec la personne que vous
avez occasion de voir souvent', qui me rapportera
fidèlement ce que vous jugerez bon que je sache,
quoique vos lettres me soient rendues sûrement, lors
principalement qu'elles seront dans le paquet de
1. La lettre à laquelle répond Madame Royale doit être
cellt du 6 décembre ci-dessus. La date du 3 est une erreur
de son secrétaire.
2. Le baron de Grésv.
232 CORRESPONDANCE
notre ambassadeur. J'attendrai donc de vos nou-
velles ; cependant, je suis, etc..
LXXXI.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVTGNÉ.
4 janvier 1653.
Monsieur le marquis de Sévigné, vous aurez mi
par ma précédente lettre que je savois déjà l'acci-
dent arrivé à M. le cardinal de Retz devant que
j'en eusse reçu la nouvelle par la vôtre du 20 du
passé que le dernier ordinaire m'a rendue de
votre part. Ce fut un courrier extraordinaire qui
passoit à Rome, qui nous en a donné le premier
avis. A la vérité, il m'a beaucoup surpris, et je suis
bien fàcbée que la vertu de votre ami soit ainsi
persécutée, autant pour son intérêt que pour le
vôtre, qui me sera toujours très cher. Je fais réponse
à M""^ la duchesse d'Aiguillon, où je n'oub?ie
pas de lui témoigner les soins que vous avez
pris de M. le marquis de Richelieu. Il se fait
fort aimer en cette Cour et particulièrement de
Son Altesse Royale Monsieur mon fils, qui en fait
une estime singulière. Pour moi j'en ferai toujours
l'état qu'il mérite pour sa naissance, pour saparetité
et pour les belles qualités qu'il possède, et serai
sans fin, etc..
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 233
LXXXII.
MADAME ROYALE A M. DE SÉVIGNÉ.
11 janvier 1653.
Monsieur le marquis de Sévigné, j'ai appris avec
beaucoup de déplaisir l'ordre que vous avez reçu
de sortir de Paris. Je serai privée par là de
recevoir de vos nouvelles par tous les ordinaires.
Loin que mon affection ne peut pas cesser en votre
endroit, aussi en rendrai-je témoignage en la per-
sonne de Madame la marquise, votre femme, con-
tinuant avec elle le commerce des lettres que j'avois
avec vous, et conservant toujours inviolablement
les sentiments que j'ai d'estime pour votre amitié et
pour la sienne.
L'abbé dont vous m'écrivez n'est point passé par
ici, et je crois vraisemblablement qu'il aura pris un
autre chemin. Le baron de Grésy m'a fait savoir
quelques choses de votre part, sur lesquelles je ré-
ponds ce que vous apprendrez par lui. Je vous
prie de croire que je compatis tout autant qu'il se
peut à l'accident de votre ami et que je contribuerai
toujours tout ce qui dépendra de moi pour sa
satisfaction et pour la vôtre, vous assurant que la
bonne ou la mauvaise fortune de nos amis les peut
rendre plus ou moins heureux, mais qu'elle ne peut
apporter de changement en mon affection qui est
toujours la même et particulièrement envers vous,
à qui je serai toujours, etc..
234 CORRESPONDANCE
LXXXIII.
MADAME ROYALE A MADAME DE SÉVIGNÉ.
18 janvier 1(353.
Madame la marquise de Sévigné, je ne pouvois
rien recevoir qui me pût davantage consoler de la
privation des lettres de M. le marquis de Sévigné
que celle que vous avez pris la peine de m'écrire le
3 de ce mois. Je vous puis assurer que votre intérêt
fait le plus fort motif du déplaisir que je ressens de
son éloignement de Paris, comme du désir que j'ai
pour son retour, et, afin qu'il arrive plus tôt pour votre
satisfaction et la mienne, je souhaite extrêmement
que les astrologues se trouvent véritables en leur
prédiction touchant la liberté de la personne que
vous m'écrivez. Je [ne] doute pas qu'il ne porte sa
prison avec la force d'esprit qui lui est ordinaire et
qu'il ne tire encore en ce point quelque gloire de
son malheur, comme les sages font de tous les acci-
dents de la fortune. Je vous remercie cependant
des témoignages que vous me donnez de votre
aflection, laquelle je vous prie de me continuer. Les
soins que je prends ici pour la personne et les
intérêts de M. le marquis de Richelieu peuvent
donner sujet à M'"'' la duchesse d'Aiguillon de croire
que j'estime son amitié au point qu'elle sauroit
désirer et que je suis dans ses sentiments, qui sont
aussi généreux que justes et raisonnables.
Ceux qui sont ici de sa part lui en écrivent plus
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 235
particulièrement. Vous m'obligerez de votre côté
de l'en assurer encore de ma part, et de la sorte
que vous jugerez plus à propos en une semblable
conjoncture d'aflaire. Sur ce, je vous prie de croire
que je suis bien véritablement, etc..
LXXXIV.
MADAME ROYALE A MADAME DE SËVIG^'É.
8 février 1653.
Madame la marquise de Sévigné, votre lettre du
24 du passé ne m'a pas moins donné de satisfac-
tion pour les nouvelles qu'elle contient que le désir
d'en apprendre la suite, et particulièrement de celles
qui peuvent être favorables à votre ami, auquel je
souhaite tout le bonheur qu'il mérite et les conso-
lations qui lui sont nécessaires. Vous m'avez beau-
coup obligée de lui faire connoitre l'estime que je
fais de son mérite et de sa personne, et j'aurai
grand plaisir que M. le marquis de Sévigné sache
que son absence de la Cour ne me fait point dimi-
nuer celle que j'ai toujours fait de lui ni la volonté
d'être à l'un et à l'autre, etc..
LXXXV.
MADAME ROYALE A M. DE SÉMGNÉ.
29 mars 1653.
Le baron de Grésy m'a apporté à son retour de
Paris votre lettre du 21 du passé écrite du lieu de
236 CORRESPONDANCE
votre solitude ' . J'ai été bien aise d'y voir de vos
nouvelles et des marques assurées de votre santé,
vous assurant que je n'estime pas moins ces preuves
de votre amitié que vous me donnez d'un lieu si
écarté, que celles que j'ai reçues de vos soins pendant
que vous étiez à la Cour. J'espère que votre éloi-
gnement ne sera pas pour longtemps et que j'aurai
occasion de vous écrire plus souvent quand vous serez
à Paris. Je le souhaite de grand cœur pour votre
satisfaction et celle de M""* la marquise de Sévigné,
que je salue, et encore pour la mienne, qui suis fort
véritablement, etc..
LXXXVI.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
En Anjou, ce 31 mars [1653].
J'ai un déplaisir tout à fait extraordinaire que
mon malheur m'ait ôté le moyen de faire quelque
chose d'agréable à Votre Altesse Royale. L'on nous
écrit si grand nombre de nouvelles que je suis au
désespoir de n'être pas à Paris pour vous en infor-
mer. Ce que je crois digne de vous être mandé, je
l'écris à M. le baron de Grésy pour le dire à Votre
Altesse Royale, que je supplie avec toute la soumis-
sion et tout le respect que je lui dois de se souve-
nir quelquefois de la passion que j'ai pour son très
humble service-.
i. Cette lettre n'a pas été retrouvée aux Archives de Turin.
2. Cette lettre ne se trouve pas aux Archives de Turin
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 237
LXXXVII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
De ma solitude, ce 13 juin 1653.
Madame,
Je demande pardon à Votre Altesse Royale si je
ne me donne pas l'honneur de lui écrire plus sou-
vent ; mais je suis dans une solitude si écartée de
tout commerce que je n'ai les nouvelles du monde
que par l'organe d'autrui, et comme il y en a peu
d'assurées, je ne les mande pas volontiers, outre
qu'elles ne peuvent arriver à Votre Altesse Royale
que longtemps après que je les écris. Les lettres que
vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 17 mai
me le font assez connoître ; car je ne les ai reçues
que depuis deux jours ^ Je supplie donc très hum-
hlement Votre Altesse Royale que, si je ne lui rends
mes respects avec assiduité, de croire que ce n'est
pas que je ne sois avec toutes sortes de passion et
d'obéissance, de Votre Altesse Royale,
Madame, T.e très humble et très obéissant servi-
teur.
S.
dont elle a fait certainement partie : elle appartenait, en 18S6,
à M. La Caille, ancien magistrat, collectionneur d'autographes,
qui a bien voulu nous en adresser une copie. Elle porte, avec
la suscriplion : A Madame Rot/aie, A Turin, la cote du secré-
taire : M. le marquis de Sévigné, 31 mars 1653. — (Note de
M. Saulnier.)
1. Les minutes de ces lettres manquent.
2.S8 CORRESPO>D\NCE
LXXXVIII.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
De mon désert, ce 3 août [1653].
Je puis assurer Votre Altesse Royale que je n'au-
rois pas besoin de force d'esprit pour supporter ma
solitude, si j'y recevois souvent d'aussi agréables
consolations comme j'en ai reçu par la lettre que
vous avez eu la bonté de m'écrire du 12 juillet *.
Toutes les bontés que Votre Altesse Royale me
témoigne ne me surprennent point. ,T'ai une trop
parfaite connoissanee de toutes vos illustres vertus
pour m'étonner de vous voir faire des actions et
avoir des sentiments au-dessus du commun. Si je
me laissois emporter à mon zèle, je passerois toute
ma vie à vous louer ; mais, comme je m'en sens tout
à fait indigne, je cbangerai de discours pour vous
dire que l'on m'a mandé, il y a déjà longtemps, que
Son Altesse Royale de Savoie n'avoit pas continué
d'avoir pour vous tout le respect et toute l'amitié à
quoi vos grandes bontés l'ont dû obliger ; mais
comme je n'y ai ajouté nulle foi, je ne me suis pas
donné l'honneur de vous en écrire. Il est impossible
qu'un prince si bien fait et né d'une si illustre mère
fût capable d'une si grande faute.
L'on m'écrit, du 26 du passé, une autre nouvelle
qui me donneroit bien de la joie si elle étoit vraie,
1. Nous n'avons pas découvert la minute de cette lettre.
DU CHEVALIER DE SÉ VIGNE. 239
que Mademoiselle auroit l'honneur d'épouser Son
xUtesse Royale Monsieur Votre fils '. Je crois,
Madame, que vous ne trouverez pas mauvais que je
vous informe de tous les bruits qui courent : je vous
assure que celui-ci me réjouit infiniment davantage
que tous ceux que l'on nous a mandés. Le dernier
que l'on nous a écrit de mon ami, c'est qu'il écoute
des propositions que l'on lui fait, qui seroient tout à
fait honteuses s'il les acceptoit. Pour moi, je crois
qu'il périra plutôt que de rien faire d'indigne de sa
réputation. L'on nous mande aussi que Noirmou-
lier ~ échange son gouvernement du Mont-Olympe ^
avec La Fère, suivant la parole qu'il en a donnée ;
mais il est arrivé bien des choses depuis qui l'en
auroientpu dispenser.
L'on nous assure aussi, quelque mine que l'on
fasse de se vouloir accommoder avec M. le duc d'Or-
léans, [que] ce n'est pas tout de bon, que l'on ne le
veut pas auprès du Roi et que lui ne s'y désire pas.
Tj'on dit qu'il n'est pas content de ce que Made-
moiselle a pris le fils de Louison et qu'elle le traite
1. Il ne paraît pas qu'il ait jamais été question d'un mariage
entre M"^ de Montpensier et Charles-Emmanuel, duc de
Savoie : ce qui a pu donner naissance à ce bruit, c'est que
l'on a su, à cette époque, que Madame Royale, mère de ce
prince, avait envoyé à Mademoiselle, qui les lui avait deman-
dés pour une collection qu'elle voulait faire, les portraits de
son mari et de son fils, ainsi que le sien. — Voir les
Mémoires de ilf"*^ de Montpensier, W^ p. 283.
2. Louis II de La Trémoïlle, créé duc de Noirmoutier en
1650 ; c'est le père de la fameuse princesse des Ursins.
3. Forteresse bâtie dans le voisinage deMézières et de Char-
leville.
240 CORRESPONDANCE
comme son frère ^ ; en vérité, cette princesse est
louée de tout le monde d'avoir fait cette action-là.
Je prie Dieu, Madame, que Votre Altesse Royale soit
en perpétuelle prospérité et qu'il me fasse la grâce
de lui témoigner par toutes sortes de respects que
je suis son très humble et passionné serviteur.
LXXXIX.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Ce 22 février 1654.
Comme je n'ai point eu de santé tant que le fort
de 1 hiver a duré, je n'ai pas pu plus tôt obéir au
commandement que Votre Altesse Royale m'a fait
1. Le jeune garçon que Sévi^né appelle « le fils de Louison»
avait pour mère Louison Roger, fille d'un lieutenant criminel
de Tours, qui, étant devenue la maîtresse du duc d'Orléans,
accordait en même temps ses faveurs à Jacques d'Espinay,
gentilhomme de la vénerie de ce prince : c'est ce qui explique
que le duc, bien informé de l'infidélité de Louison, n'avait pas
voulu reconnaître cet enfant et voyait peut-être de mauvais
œil sa fille s'occuper de lui. La Grande Mademoiselle, qui le
trouva joli et intéressant, s'occupa de son éducation, et quand
il fut en âge d'entrer dans l'armée, lui acheta une compagnie
dans le régiment de la Couronne, après l'avoir titré chevalier
de Charny, dune terre qu'elle possédait près de Saint-Far-
geau. Celui-ci prit ensuite le titre de comte de Charny, passa
au service de l'Espagne et mourut gouverneur d Oran, en
1692, sans alliance. — Voir Mémoires de M"" de Montpensier,
II, 275, 276, 281 et 384 ; III, 239, et IV, 283. — Historiettes de
Tallemant des Réaux, II, 289, 290 et 300. — La Muze /listo-
rique, I, 393 (3 août 1653).
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 241
de lui éciirc de ma solitude. Je le fais toujours avec
une joie extraordinaire ; mais cette fois c'est avec
douleuj' puisque c'est pour vous témoigner celle que
j'ai de ce que; le cardinal Mazarin fait hiverner une
armée en Piémont contre la volonté de Son Altesse
Royale de Savoie'. Je crois, Madame, que Votre
Altesse Royale me fait bien l'honneur de croire que,
si cela est vrai, j'en ai tout le déplaisir dont je suis
capable. J'espère que Dieu nous délivrera bientôt
de cet homme que la prospérité a rendu si insolent
qu'il se croit présentement d'une nature au-dessus de
l'humaine.
Il court un autre bruit qui m'afïlige très fort aussi,
c'est que le cardinal de Retz donne sa coadjutorerie
pour sortir de prison'^. Autrefois, j'eusse juré qu'il
n'eût pas été capable de le faire ; mais, comme les
grands seigneurs ne se piquent pas de la probité ni
de la générosité dont les simples gentilshommes font
1. A la suite de négociations entamées, dès là fin de 1()53,
dans le but de créer une ligue des princes italiens contre TEs-
pagnc et de rétablir ainsi l'influence française en Italie, Maza-
rin jugea nécessaire d'y envoyer un corps de troupes pour
donner plus de poids aux arguments et aux promesses de son
négociateur. Ce fut probablement sans l'autorisation préalable
du duc de Savoie qu'il fît hiverner cette armée dans ses États :
Madame Royale s'en plaignait à Sévigné. — Voir Chéruel, Hist
de France pendant le min. de Mazarin^ III, 87.
2. Ce bruit était simplement tendancieux : ce qui était vrai,
c'est que des intermédiaires, chargés de disposer le cardinal de
Retz à traiter avec la Cour à ces conditions, le sollicitaient
fort d'acheter sa liberté à ce prix. Le prisonnier semblait y
incliner, lorsque la mort de son oncle (21 mars 1654) fit de lui
l'archevêque titulaire de Paris. — Voir la lettre suivante et
Mémoires de Guy Jolij, I, 376, 377 et 384.
16
242 CORRESPO?sD\>CE
profession, j'ai grand peur qu'il ne préfère sa liberté
à son honneur. J'en saurois le détail sans mon
exil ; mais depuis que je suis hors de Paris, j'en ai
perdu le train et la suite.
Votre Altesse Royale sait assez comme cela se fait
et comme les présents tâchent toujours de débus-
quer les absents. Pour revenir au cardinal de Retz,
je crois que les espérances qu'il donne ne sont que
pour empêcher qu'on ne le transfère ailleurs.
L'on me mande que M™^ de Châtillon a été
désignée à la Cour pour traiter l'accommodement
de Monsieur le Prince. Je tiens cette nouvelle fort
mal fondée ^ mais je sais de science certaine que
d'autres gens s'en mêlent ; après ce que nous voyons,
il ne faut plus douter de rien.
Si Votre Altesse Royale eût pu faire ce que j'avois
dit à M. le baron de Grésy, elle ne seroil pas en
l'état où elle est présentement. Je sais que cet
homme, qui avoit autrefois les cheveux si gras et si
pleins di fere d'avorio-^ empécheroit bien tous
vos desseins. Si j'avois autant de pouvoir que de
volonté, j'empêcherois bien les siens. Je vous sup-
plie très humblement de le croire et que, si jamais
Votre Altesse Royale a besoin d'un homme de mon
pays, elle ne sauroit jamais en choisir un qui soit si
fort à elle que moi.
1. C'était un faux bruit.
2. Di fere d'ai'orio, de bêtes d'ivoire, autrement dit de
poux.
nu CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 243
xc.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
Ce vendredi saint [3 avril 1654].
J'ai reçu celle qu'il a plu à Votre Altesse Royale
me faire l'honneur de m'éerire du 14 mars ^ ; je lui
suis trop obligé de la bonté qu'elle a de me mander
ce qui s'est passé dans les États de Son Altesse
Royale Monsieur son fils. Je vous puis assurer que
j'y prends mille fois plus d'intérêt que ne fais pré-
sentement à ceux dans lesquels je suis né. J'écris
dans un temps trop saint pour dissimuler, outre
que, n'étant ni prince ni souverain, je suis dispensé
de cette maxime.
Lorsque je suis venu au monde, Ton appeloit ma
patrie France ; maintenant elle a si bien changé
qu'elle n'est plus reconnoissable. Feu M. d'Épernon
disoit que la raison pourquoi les Provençaux ne se
pouvoient gouverner, c'est qu'ils ne se pouvoient
connoître, n'y en ayant pas un dont le sang ne fût
mêlé du Grec, de l'Italien, de l'Espagnol, du Juif ou
du Turc, et qu'ils en a voient les vices sans en avoir
les vertus, à cause, disoit-il, que, pour l'ordinaire,
ce ne sont pas les plus gens de bien qui quittent
leur pays pour en habiter un autre. Je supplie très
humblement Votre Altesse Royale d'en faire l'appli-
cation et de me permettre de croire que vous avez
1. Nous n'avons pas cette lettre.
244 CORRESPONDANCE
trop de cœur pour ne pas ressentir les maux que
vous recevez, non pas de la France qui n'est plus,
mais de la Sicile qui règne à sa place ^
J'obéirai donc à Votre Altesse Royale et je lui
écrirai souvent, puisqu'elle me le commande, pour
lui dire la vérité. Je ne croyois pas qu'il fût respec-
tueux ni judicieux d'importuner une grande prin-
cesse de mes lettres, étant fort assuré qu'Elle ne les
pouvoit recevoir que fort longtemps après qu elles
sont écrites et qu'ainsi mes nouvelles n'ayant plus
la grâce de la nouveauté, je passerois pour un galant
homme qui se feroit de fête ^. Enfin, Madame, puisque
vous le voulez, je vous dirai que ce que je puis col-
liger est que le cardinal de Retz a dit à M. le Premier
Président qu'il mourroit archevêque de Paris. Ce
n'est pas que l'on ne m'écrive des choses qui sont
fort contraires à ma pensée ; car l'on me mande que
M™® de Chevreuse avoit été, samedi dernier, au Bois-
de-Vincennes deux heures avec le Premier Président;
que les gardes s'étoient retirés et qu'ils avoient
1. « La Sicile » n'est autre que Mazarin. On sait que, quoi-
qu il fût originaire de Rome ou de l'Abruzze citérieure voisine
des Etats pontificaux, ses ennemis, rapprochant son nom de
celui de Mazzara, petite ville épiscopale de Sicile, le qualifiaient
de Sicilien : on le trouve ainsi désigne dans un certain nombre
des libelles de la Fronde.
2. « Se faire de fête » signifiait au propre : venir à une fête
sans y avoir été prié; au figuré, cette locution était synonvmc
de s'insinuer, s'imposer. Elle est depuis longtemps hors d'usage,
mais on la retrouve encore, avec le même sens, dans les Carac-
tères de La Bruyère, chapitre des Grands [Œuvres, éd. Servois,
1,342), dans les Mémoires de M^^^ de Montpensier, I, 292, dans
Saint-Simon, et dans la plupart des auteurs de l'époque.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ, 2^')
négocié tout ce temps là avec le cardinal de Retz ^ ;
de plus, que, le cardinal Mazarin donnant à dîner à
trente-cinq évèques, il les avoit conjurés de députer
au Roi pour lui demander la liberté du prisonnier;
mais, comme dit le Franco dans sa Lucerna, ce n'est
pas à ceux qui so7'tent de la flour qu'il faut éclairer,
c'est à ceux qui v entrent. Pour moi, je ne crois
pas avoir besoin de flambeau pour voir ses fourbe-
ries; car, en même temps que l'on veut persuader
au monde que notre pan vie ami sera assez lâcbe
pour flécliir le genou devant Baal, l'on fait afficher
aux coins des rues de Paris un arrêt du Conseil qui
fait défense aux erands vicaires du cardinal de Retz
d'en faire les fonctions, et qu'ils veulent continuer
les cabales et monopoles du cardinal ; mais lesdits
grands vicaires n'ont pas obéi^. J'ai reçu un billet
qui porte que la haine du cardinal Mazarin com-
mence de renoître et que, si Monsieur le Prince s'ap-
1. Les Mémoires du cardinal de Retz et ceux de Guy Joly
donnent de longs détails sur la visite du premier président
Pomponne de Bellièvre ; mais ils ne parlent pas de celle de
^jme jg Chevreuse.
2. Sévigné ignorait que son ami, très désireux de recouvrer
sa liberté, s'était hâté d'accepter les conditions de la Cour,
avec les compensations qu'elle lui offrait, et qu'à l'heure où il
écrivait, on le transférait au château de usantes pour y attendre,
sous la garde du maréchal de La Meilleraye, que le pape eût
agréé sa démission. Les Mémoires du cardinal de Retz [Œuvres,
IV, 484-494) et les Mémoires de Guy Joly (I, 382-398) donnent
tout le détail des négociations à la suite desquelles le nouvel
archevêque de Paris s'était démis de son siège. Les Mémoires
de ce dernier placent au lundi saint, 30 mars, sa sortie du
donjon de Vincennes : la Muze historique du samedi 11 avril
et la Gazette du 4 (1654) la fixent au mercredi 1" avril.
246 CORRESPONDANCE
proche de Paris aussi fort que Ton dit qu'il est, on
verra éclore quelque nouvelle tempête.
Si j'étois sur les lieux, j'informerois Votre Altesse
Royale avec plus de vérité ; car j'ai peine de la
découvrir au travers de tant de nuages. jNIais je ne
laisse pas d'assurer que mon ami ne fera pas la foi-
blesse qu'on lui veut faire : au moins c'est l'opinion
de votre très humble et très obéissant serviteur qui
ne le croira pas qu'il ne le voie.
Il y a une nature de filles et de femmes à Paris
que l'on nomme «Précieuses », qui ont un jargon
et des mines, avec un démanchement merveilleux :
l'on a fait une carte pour naviguer en leur pays ^
.Te souhaite qu'elle divertisse un moment Votre
Altesse Royale de tout le chagrin que lui donne il
nostro briguelo"'. L'on me mande que la reine de
Suède veut venir en France. Cette visite nous sera
plus agréable que celle deCromwell. que l'on assure
1. Il s'agit ici des « Précieuses » si connues que M. de
Sévigné apprécie comme Molière : la carte dont il parle est la
fameuse « Carte du pays de Tendre » qui venait d être publiée
au 1" volume de Clélie, roman nouveau de M"^ de Scudéry ;
elle eut beaucoup de succès. — Voir le Dictionnaire des Pré-
cieuses, par le sieur de Somaize (éd.Livet, dans la Bibliothèque
elzévirienne), et Petit de JuUeville, Histoire de la langue et de la
littérature française (1896-1899), IV, 441.
2. // nostro briguelo, notre fripon. — Ce mot, qui s'écrirait
plus correctement « brighello », ne se trouve dans aucun dic-
tionnaire italien : il appartient peut-être au dialecte piémon-
tais. JXous pouvons croire quil a le même sens et la même
étyniologie que « brighella », personnage de la Comédie véni-
tienne, ambitieux, rusé, insinuant, faisant des promesses qu'il
ne tient pas. — Voir le grand dictionnaire italien de Tommaseo
et Bellini, I, 2« partie, 1042.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 247
qui viendra aussi '. Je supplie Votre Altesse Royale
de croire qu'elle ne fera jamais de commandement
à quoi je n'ol)éisse avec une joie extraordinaire.
XCI.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Ce 6 avril 1654.
Votre Altesse Royale me pardonnera plus volon-
tiers présentement qu'elle n'eût fait par le passé,
puisqu'elle aura su la liberté du cardinal de Retz
avant que de recevoir ma dernière lettre, par laquelle
je lui mandois que je ne eroyois pas qu'il la voulût
accepter aux conditions que l'on la lui offroit. Vous
voyez, Madame, que j'avois raison de dire que, quand
l'on ne sait les choses que par le rapport d'autrui,
l'on est presque toujours trompé 2. Votre Altesse
Royale me pardonnera bien si je ne lui dis pas mes
sentiments sur l'action qu'a faite le cardinal. Il est
trop mon ami pour le blâmer, et je suis trop sincère
pour le louer. La plus commune opinion, c'est qu'il
a bien fait : l'événement le justifiera. Je voudrois
bien savoir le sentiment de Votre Altesse Royale,
mais j'entends le véritable. J'ai tant de vénération
1. Christine de Suède était alors aux Pays-Bas, d'où on suppo-
sait qu'elle se rendrait en France. Elle n'y vint qu'en 1056,
après avoir séjourné en Italie. La France n'a jamais reçu la
visite de Cromwell.
2. Voir la lettre précédente.
248 CORRESPONDANCE
j3our elle que je suivrai son opinion. L'on amène ce
prisonnier à Nantes ; ce n'est qu'à treize lieues d'ici.
J'aurai la lilDcrté de le voir et par conséquent je
saurai ses raisons. Je ne manquerai pas de vous le
mander ; car je suis de Votre Altesse Royale très
humble et très obéissant et très fidèle serviteur.
XCII.
M. DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
Ce 24 avril [1654].
Depuis celle que je me suis donné l'honneur
d'écrire à Votre Altesse Royale, j'ai vu M. le cardi-
nal de Retz dans le château de Nantes. Il m'a dit des
raisons que je trouve capables de justifier l'action
qu'il a faite ^. Il fait état, aussitôt qu'il sera en
pleine liberté, de faire au plus tôt son équipage pour
s'en aller à Rome. Il passera par les États de Son
Altesse Royale de Savoie, et ainsi il aura l'honneur
de vous rendre ses respects, tellement. Madame,
que vous jugerez vous-même si les raisons sont
bonnes ou mauvaises, ne faisant nul doute qu'il ne
vous les conte avec liberté, puisque je lui ai dit les
bontés que Votre Altesse Royale a eues pour lui
pendant sa prison. Je vous puis assurer aussi que
jamais homme n'a eu plus de vénération pour A^otre
1. Le cardinal de Pvelz parle dans ses Mémoires [Œiwrcs, IV,
497) de la visite que lui ont faite M"'^ de Sévigné et M"'' de La
Vergne, sa fille : il ne dit rien de celle du chevalier.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 249
illustre personne que lui et que, s'il étoit en la place
de l'Éminentissime \ les Ktats de Son Altesse Royale
Monsieur votre iils n'auroient pas été outragés
comme ils l'ont été, après de si grands et de si longs
services qu'il a rendus à la France.
Plusieui'sévèques ont refusé l'archevêché de Paris;
depuis ce temps, la Cour se résout de ne rien deman-
dera Rome que d'admettre la démission du cardinal
de Retz. Il y a cativissi//ia intell/oenza Irai M. e la
B.~; mais les entendus disent que ce ne sera rien.
Toutefois le premier ne quitte pas le fils d'un pas, et
l'on n'a point d'accès dans ses menus plaisirs sans
un billet de lui. Je souhaite avec impatience le mois
de septembre, afin de voir les choses de plus près
pour en mieux informer Votre Altesse Royale ; car
la plus forte passion que j'aie en ce monde, c'est de
plaire à Votre Altesse Royale.
XCIII.
M. DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
Angers, ce 12 juin [1G54].
Depuis le dernier ordinaire que j'ai eu l'honneur
d'écrire à Votre Altesse Royale, il est survenu des
choses à M. le cardinal de Retz, et que je me trouve
[obligé] de vous mander à cause du commandement
1. Le cardinal Mazarin.
2. « Cattivissima intelli^enza tral M. e In R. », très mauvaise
intelligence entre le Mazarin et la Reine.
250 CORRESPONDANCE
que vous m'avez fait de vous informer de tout ce
qui lui arriveroit. C'est que le l^"" du courant le
maréchal de La Meillera} e reçut un courrier du Roi
qui lui apporta ordre de resserrer le cardinal de Retz
à cause des difficultés que le pape a fait d'expédier
les brefs que Sa Majesté lui a demandés '. Le maré-
chal a absolument refusé d'obéir et dit pour ses rai-
sons que c'est un traité trop solennel et dont le Pre-
mier Président et lui sont garants, et qu'il aimeroit
mieux mourir que de manquer à la parole qu'il avoit
donnée à son prisonnier de le traiter fort civilement
et lui permettre de voir tous ses amis, tant qu'il sera
entre ses mains. Tous les avis de la Cour portent que
l'on veut ôter le cardinal de Nantes et l'envoyer à
Brest ou à Brouage. Mais je ne crois pas que le maré-
chal obéisse à cet ordre là non plus qu'à l'autre.
Je m'imagine que M, l'abbé ~ vous aura informé
de l'insolence de cet homme, qui fait courre le bruit
que Son Altesse Royale Monsieur votre fils lui fai-
soit demander une de ses nièces ^. Je vous puis assu-
rer que, quelque soin qu'il prenne pour le persuader,
il n'en viendra jamais à bout; car l'on traite la
chose du dernier ridicule.
1. Malgré toutes les instances dont il fut l'objet, le pape Inno-
cent X refusa d'accepter la démission du cardinal de Retz. Ce
dernier a donné dans ses Mémoires [Œuvres, IV, 499-503)
des détails sur ce refus et sur les conséquences qu'il entraînait
pour lui.
2. L'abbé d'Aglié, ambassadeur de Savoie en France.
.3. Est-il vrai que ce bruit ait eu quelque consistance ? Charles-
Emmanuel II, duc de Savoie, fils de Madame Royale, qui a eu
deux femmes, ne s'est marié pour la première fois qu'en 1663
à Françoise-Madeleine, tille du second lit du duc d Orléans.
DU CHEVALIER DE SÉVIOÉ. 251
Quoique M"*^ la duchesse d'Aiguillon me mande
que l'on refuse de me donner permission d'aller
à Paris, que le pape n'ait donné ce que l'on demande,
néanmoins j'espère l'obtenir cet hiver, quand même
la chose ne seroit pas faite. Je le souhaite afin de
rendre plus régulièrement mes très humbles res-
pects à Votre Altesse Royale.
XCIV.
MADAME DE SE VIGNE A MADAME ROYALE.
De Champiré, 26 août [1654].
Comme je ne doute point que Votre Altesse Royale
ne soit pleinement informée de la sortie de M. le car-
dinal de Retz du château de Nantes, je n'entrepren-
drai point de lui en dire le particulier ; mais, comme
peut-être on aura fait entendre à Votre Altesse Royale
qu'il s'est sauvé contre la parole qu'il avoit donnée
à celui qui étoit chargé de le garder, je prendrai la
liberté de l'assurer qu'il n'en a pris la résolution
qu'après qu'il a eu lieu de ne plus douter que l'on
vouloit absolument manquer à tout ce que l'on lui
avoit promis par le traité qu'il avoit fait avec la Cour
et [que] l'on avoit résolu de le resserrer plus cruel-
lement que l'on n'avoit fait au Bois-de-Vincennes,
où il a reçu des traitements plus rudes que l'on n'a
jamais faits au plus misérable prisonnier du monde '.
1. Voir sur l'évasion du cardinal de Retz, ses Mémoires [Œui>res,
IV, pp. 513 et s.;. — Mémoires de Guy Joly, I, pp. 427 et s. et
252 CORRESPO^'DANCE
Il est présentement àBelle-Isle, où il n'est pas arrivé
sans courre risque d'être pris par quinze vaisseaux
corsaires et par trente gardes de M. le maréchal de
La Meilleraye, qui n'étoientqu'à une lieue d'un lieu
où il séjourna un jour. Je crois que \ otre Altesse
Royale aura su comment il tomba de cheval et se
blessa fort à l'épaule, dont il fut fort mal. Il se porte
à présent fort bien ; il a écrit une lettre très res-
pectueuse au Roi et a mandé à quelqu'un de ses amis
de parler au Premier Président, afin qu'il assurât
Leurs Majestés qu'il étoit prêt d'aller où leur plairoit
ordonner pourvu qu'Elles agréassent (|u il conservât
son archevêché, qu'il ne feroit jamais jien contre
leur service et qu'il n'auroit nul ressentiment de tous
ceiiv de Claude J0I3 jà la suite , II, pp. 174 et s. — Im<entaire
des arcldi'es départementales du Morbilian (supp^ k la série E,
I, p. 17) où se trouve reproduite une note contemporaine du
recteur de la paroisse de Locmaria, de Belle-Isle en Mer, qui
mentionne que le cardinal de Retz est arrivé dans cette île, le
l(i août, y est resté trente-sept jours et en est parti le 22 sep-
tembre. — La Muze historique de Loret, 1, p. 529 (16 août
1654), reproche au cardinal d'avoir manqué à sa parole. —
Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d Ai.r (Société de
l'histoire de France), I, p. 183 et 184 : il y rend compte, comme
témoin oculaire, de l'impression douloureuse que causa à Mazarin
la nouvelle de 1 évasion apportée par un courrier du maréchal
de La Meillerave. — Lettre d'un conseiller de Nantes à son amy
sur V évasion de Monsieur le cardinal de Retz, ïn-k" de 16 pages
(sans nom d auteur, ni lieu ni date d'impi-ession'i, réimpiiuié
à Nantes, par les soins de M. Emile Gautier, dans la Revue des
provinces de V Ouest (n° de novembre 1853) : c'est un essai de
justification du cardinal, qui est l'œuvre d un de ses familiers
fort au courant de tout ce qui le concerne ; dans le récit qu'il
fait de l'évasion, les ducs de Retz et de Brissac sont seuls nom-
més de ceux qui y ont participé.
DU C1IKV\LIKU DE SKVIGNÉ. 253
les mauvais traitements que l'on lui avoit laits. Il y
a des personnes qui me mandent que cette affaire
se pourra accommoder ; d'autres disent que la Cour
la veut |)0usser à bout. Si elle en croit M. le maré-
chal de La Meillerave, je ne doute point qu'elle ne le
fasse; car tout le monde dit qu'il est enragé et qu'il
voudroit aller assiéger Belle-Isle, qu'il a mandé les
troupes de Guyenne pour cet efl'et ; c'est une grande
entreprise, c'est pourquoi j'espère qu'il n'en fera
rien ; je le souhaite de tout mon cœur. Votre Altesse
Royale trouvera mon souhait assez juste, sachant
que nous prenons tout l'intérêt imaginable à tous
ceux de M. le cardinal de Retz. M. de Sévigné est avec
lui à Belle-Isle et ne l'a point abandonné depuis sa
sortie. Sans ladifïiculté qu'il y a de faire passer des
lettres, à cause que le maréchal de La Meilleraye les
fait arrêter, mon mai'i n'eût pas manqué de faire
réponse aux deux que Votre Altesse Royale lui a fait
l'honneur de lui écrire ^ sur le sujet de son ami, lequel
a reçu les bontés de Votre Altesse Royale avec tout
le respect qu'il doit, à laquelle je ne manquerai pas
de rendre compte de tout ce que je pourrai apprendre
cependant l'absence de M. de Sévigné. La Fronde
se réveille plus que jamais : l'on a témoigné à Paris
une joie extraordinaire de la liberté du prisonnier,
ce qui a fort déplu à la Cour, et le Roi a demandé
avec instance d'aller à l'attaque des lignes, ce que la
Reine ne lui ayant pas voulu permettre, il a dit qu'il
eût voulu être un simple gentilhomme pour huit jours
1. Les minutes de ces dcu\ lettres de Madame Royale n'ont
pas été retrouvées.
254 CORRESPOD.VNCE
afin d'avoir cette occasion. Je suis persuadé que V otre
Altesse Royale trouvera ce sentiment admirable,
puisque les siens sont les plus beaux et les plus géné-
reux du monde. Je la supplie très humblement de
croire que le plus violent des miens est de rendre à
Votre Altesse Royale mes respectueuses obéissances.
XCV.
INI AD AME DE SÉVIGNÉ A MADAME ROYALE.
De Paris, ce 4'' décembre [1654].
Il Faut avouer que Votre Altesse Royale a eu une
bonté qu'il ne se peut comprendre d'avoir daigné me
faire l'honneur de m'écrire des nouvelles de notre
ami ^. Je supplie très humblement Votre Altesse Royale
de croire que j'en ai toute la reconnoissanceque je dois.
Puisqu'elle m'ordonne de lui en faire savoir de
M. de Sévigné, je lui dirai qu'il n'a bougé de Belle-
Isle depuis que M. le cardinal de Retz en est parti
avec MM. les ducs de Retz et de 13rissac,dans l'opi-
nion que l'on avoit alors que l'on assiégeroit la place.
Votre Altesse Royale sait qu'à présent l'on n'a plus
cette pensée et que ces Messieurs ont fait leur accom-
modement à la Cour, par le moyen de M. de Retz,
leur beau-père, qui a répondu de leur fidélité au
Roi et qui va dans Belle-Isle pour la garder et en faire
sortir Messieurs ses gendres. Us ont ordre d'aller
1. La minute de cette lettre de Madame Royale n'a pas été
retrouvée.
DU CHEVALIEH DE SÉVIOÉ. '255
dans (les maisons à la campagne. Je travaille ici de
toute ma puissance pour tâcher d'obtenir le retour
de M. de Sévigné ; mais je n'en puis venir à bout,
quoique des gens qui sont assez en crédit s'emploient
pour lui, mais Votre Altesse Royale saura que, comme
on le croit plus attaché aux intérêts de notre ami
que tous ses amis et parents, cela est cause que l'on
trouve bien plus de difficultés pour son accommode-
ment que pour celui des autres K J'espère pourtant
qu'à la fin nous en pourrons venir à bout, puisque
tout le monde dit que les choses s'adoucissent fort
pour M. le cardinal de Retz et que l'on veut s'accom-
moder avec lui '^. M. de Lionne qui est parti pour
Rome est chargé, à ce que l'on croit, de lui faire
quelques propositions sur ce sujet ^. Je souhaite pas-
sionnément que cela puisse réussir afin que M. de
Sévigné ail la liberté de revenir à Paris pour conti-
nuer à informer Votre Altesse Royale des choses
qui viennent à sa connoissance ; je lui puis protester
qu'un des plus grands déplaisirs de son éloignement
1. On voit par la dernière lettre de M. de Sévigné du 22 jan-
vier 1655 qu'il a obtenu seulement de pouvoir revenir à Charn-
pii'é ; il était encore en Anjou en février 1656, époque où sa
femme est morte à Angers.
2. Cet accommodement n'a été conclu qu'en 1662.
3. Hugues de Lionne (1611-1671) avait été envoyé, en no-
vembre 1652, près du Saint-Siège pour négocier au sujet du
cardinal de Retz comme « ambassadeur extraordinaire aux
princes d'Italie et chargé de la direction générale des affaires
de Sa Majesté en cour de Rome » . — Voir sur cette mission
les Mémoires du cardinal de Retz (Œuvres, V) et l'ouvrage de
M. Valfrey, Hugues de Lionne et ses ambassades en Italie, 2*
partie (Ambassade de Rome).
256 CORRESPONDANCE
est rrètie privé de rendre ses très humbles respects
à Votre Altesse Royale. Sans la crainte de lui être
importune, j'aurois l'honneur de lui rendre souvent
les miens.
XCYI.
MADAME DE SËVIGNÉ A MADAME ROYALE.
De Paris, ce premier janvier [1655].
Puisque Votre Altesse Royale a la bonté de
m'ordonner de lui faire savoir ce que je fais pour le
retour de M. de Sévigné, je lui dirai qu il n'y a pas
d'apparence que je le puisse obtenir pour venir ici ;
mais, Madame, quand même, lui et moi, nous y en
verrions, nous ne le souhaiterions pas qu'il n'y en
eût à l'accommodement de notre ami. Les gens les
plus éclairés sur ce sujet croient que la Cour en
désire un et que M. de Lionne a ordre de lui en
faire des propositions ^ Votre Altesse Royale croira
bien aisément que la bonne réception que l'on lui a
faite à Rome, jointe à l'aflaire de Naples et à la rup-
ture des Anglois, ne diminuera pas l'envie que l'on a
de s'accommoder avec lui et de se l'acquérir pour
servir la France.
J'espère que, dans peu de temps, MM. les ducs de
Retz et de Brissac et de Sévigné sortiront de Belle-
Isle: le premier doit aller à Joigny,le second à Crouy,
et le dernier dans notre désert de Champiré, où je
1. Voir sur l'ambassade de M. de Lionne la lellre précédente.
DU CHEVALIER DE SÉVIGNÉ. 257
tâcherai de l'aller trouver, dès que j'aurai donné
quelque ordre à nos misérables allaires particulières.
Votre Altesse Royale nous doit faire l'honneur de
croire que le plus grand déplaisir que nous aurons
de n'être point à Paris sera de ne pouvoir rendre à
Votre Altesse Royale nos très humbles respects.
XCVII.
M. DE SÉVIGNÉ A M.VDAME ROYALE.
22 janvier [1655], en Anjou.
J'ai vu, dans une lettre que Votre Altesse Royale a
fait l'honneur à ma femme de lui écrire ^ les bontés
qu'elle a de se souvenir de moi et celles qu'elle a eues
de m'écrire à Rome dans la pensée que j'y étois allé
avec M. le cardinal de Retz. Votre Altesse Royale
m'a tellement comblé de ses grâces que je perds l'es-
pérance de pouvoir jamais les reconnoître, si ce n'est
qu'elle reçoive la volonté que j'ai de le faire. Je suis
honteux de n'avoir que des paroles; mais je' puis
assurer Votre Altesse Royale que, si Elle m'hono-
roit de ses commandements, j'emploierois jusqu'à
la dernière goutte de mon sang pour les exécuter,
avec tout le respect, toute la fidélité qu'elle peut at-
tendre du plus passionné et du plus obéissant de ses
serviteurs. Le Roi m'a enfin permis de me retirer
1. Nous n'avons pas la minute de cette lettre : serait-ce celle
à laquelle M™^ de Sévigné a répondu le 4 décembre 1654 ? —
Voir ci-dessus, n° XCIV.
17
258 CORRESPONDANCE
chez moi en sûreté ' : je prie Dieu que cela soit.
Votre Altesse Royale voit que mes amis, ou n'ont
guère de crédit, ou ont bien manqué de volonté
pour me faire aller à Paris. Je vous ai ouï faire de
si beaux discours de morale que je ne craindrai point
de la supplier de faire réflexion sur l'infidélité des
amis de la Cour.
Votre Altesse Royale en a, je m'assure, vu plu-
sieurs fois les expériences dans la sienne, et je suis
certain que c'étoit avec indignation contre ceux qui
en étoient entachés. Ce qui me console, c'est que la
cause de mon crime n'est pas honteuse et que je serois
fâché d'en être innocent. J'espère que Dieu me ven-
gera de mes ennemis et qu'il me donnera les moyens
de faire avouer à Votre Altesse Royale que je suis le
plus reconnoissant de tous les hommes, puisque je
me souviendrai jusqu'à la mort du favorable accueil
que j'ai reçu dans la Cour de Votre Altesse Royale
et des bontés qu'elle a eues pour son très humble et
très obéissant serviteur.
1. M. de Sévigné, qui avait pris une part active àl'évasion du
cardinal de Retz et accompagné son ami à Belle-Isle, y était
resté jusqu'à ce qu'il eût obtenu la permission de revenir en
sûreté à Champiré, d'où il écrit cette lettre à Madame Royale,
la dernière de celles qui ont été conservées aux archives de
Turin. — Voir la lettre de M"'* de Sévigné du 4 décembre 1654.
APPENDICES
1.
Tableau généalo inique.
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262 APPENDICES.
n.
Acte de baptême du ches>alier de Sévigné
{20 septembre 1601)K
Le vingtième jour du mois de septembre, l'an mil six
cent sept, fut oint au sacré chrême noble Renault, fils de
haut et puissant messire Joachim de Sévigné, écuyer, sei-
gneur d'011ivet,La Baudière, Les Rochers et cœtera, et de
dame Marie de Sévigné, sa compagne et épouse, parrain
noble écuyer Renault de Sévigné 2, seigneur de Mont-
moron, et marraine demoiselle Marie de Vauclin ^, dame
de Brisac, et ledit enfant fut né et baptisé à la maison par
dom Julien Brochard,curé d'Etrelles, le vingt et sixième jour
du mois de mai audit an 1607 ^.
[Signé :] Renault de Sévigné, Marie de Vauclin,
J. Brochard.
1. Registres paroissiaux d'Etrelles. Archives de la commune
d'Etrelles, Ille-et-Vilaine.
2. Renault ou Renaud de Sévigné, cousin germain de l'enfant,
devenu chef de la branche cadette de Montmoron, a été reçu,
en 1616 conseiller au Parlement de Bretagne ; né en 1592, il
est décédé en 1657.
3. Marie de Vauquelin ou Vauclin, cousine germaine de l'en-
fant, était fille de Gillette de Sévigné, mariée à André de
Vauquelin'ou Vauclin, sieur de Taillis; elle a épousé, en 1613,
René de Poix, seigneur de Fouesnel et autres lieux, et est
décédée en 1668.
4. Le château des Rochers où est né le chevalier de Sévigné
dépendait alors spirituellement de la paroisse Saint-Martin de
Vitré : c'est sans doute pour les convenances de la famille que
le baptême a été célébré par le curé d'Etrelles. Les Rochers ont
été rattachés à cette paroisse, sur la demande de Charles de
Sévigné, fils de la marquise, par autorisation épiscopale du
31 août 1683 (Archives départementales d'Illc-et-Vilaine).
APPENDICES. 263
III.
Acte de déniisfiion par le chevalier de Sévigné de sa
charge de capitaine d infanterie au régiment de Nor-
mandie, 12 avril 10^5^.
Par-devant les notaires garde-notes du Roi, notre sire,
au Châtelet de Paris soussignés, fut présent en sa personne
Regnault-René de Sévigny, écuyer, seigneur dudit lieu,
capitaine d'une compagnie d'infanterie dans le régiment de
Normandie, demeurant à Paris dans le cloître Notre-Dame,
lequel, sous le bon plaisir de Sa Majesté et de la Reine
régente, sa mère, s'est démis et démet par ces présentes de
sadite charge de capitaine d'une compagnie d'infanterie
dans ledit régiment de Normandie, pour, au nom et en faveur
de telle personne qu'il plaira à Sadite Majesté ou à ladite
dame Reine régente, sa mère, de nommer, consentant et
accordant que toutes commissions et expéditions lui soient
expédiées et délivrées, et à cette fin ledit sieur de Sévigny
a fait et constitué son procureur le porteur desdites pré-
sentes, lui donnant tout pouvoir, promettant, etc. obli-
geant, etc. Passé en la maison où ledit sieur de Sévigné
est logé, l'an mil six cent quarante-cinq, le douzième jour
d'avril avant midi.
R. René de Sévigné.
De Troves.
IV.
Lettres du chevalier de Sévigné à Le Tellier.
Monseigneur,
Arrivant en ce pays, je fus prié de Monsieur le président
1. Arch. hist. du Min. de la Guerre, vol. 92, fol. 172.
264 APPENDICES.
Barrillon ^ de le vouloir assister en sa maladie, ce que j'ai
lait d'autan l plus volontiers qu'il étoit mon ami intime et
de longue main, et que j'ai cru que l'on ne le trouveroit
point mauvais. Il mourut hier au matin. L'état oîi il étoit
m'oblige de vous en donner avis, comme je ferai toujours
toutes les choses qui vous pourront témoigner mes obéis-
sances et que je suis, Monseigneur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Le chevalier de Sévigné 2.
Turin, ce 31 août 1645.
Monsieur,
M. le marquis Ville 3 fut hier averti, par un courrier que
Madame Royale lui dépêcha, que son fils et elle étoienl
1. Jean-Jacques Barrillon, seigneur de Châtillon, né en 1601,
décédé à Pignerol le 30 août 1645. D'abord conseiller au par-
lement de Bretagne en 1620, puis au parlement de Paris en
1623, il y devint, en 1628, président des Enquêtes. Son indé-
pendance vis-à-vis de la Cour lui valut d'être exilé plusieurs
fois : en 1631, en 1636 et en 1638. Son attitude lors du
« complot des Importants » dont on le soupçonna d'avoir fait
partie, attira de nouveau sur lui les rigueurs du pouvoir : arrêté
le 29 mars 1645, il fut conduit et interné au château de Pignerol :
tombé gravement malade, et transporté en ville chez le major
de la place, il y mourut, ainsi que le chevalier de Sévigné l'an-
nonça à Le ïellier. Les ennemis de Mazarin firent courir le
bruit qu'il l'avait fait empoisonner, et cette accusation fut un
des griefs que 1 on retrouve dans les Mazarinades, quoique
rien n'en prouvât la réalité. — Voir Le Parlement de Bretagne
(1554-1790), par M. Frédéric Saulnier, 1909, in-4o, p. 54. —
Choix de Mazarinades publié par C. Moreau (Société de Ihis-
toire de France), I, 29, 101, 292, 306, 333 et 334; II, 18, 37,
247 et 248.
2. Arch. hist. du Min. de la Guerre, vol. 97, fol. 209.
3. Il s'agit ici du marquis Guido Villa tué sous les murs de
Ci'émone le 24juillet suivant. (Voir, page 1, la lettre du chevalier
de Sévigné à Madame Royale, du 25 août 1648.)
APPENDICES. 265
enlrés clans Ivrée eiqne cela l'avoit obligée de retenir pour
quelques jours leurs gardes, ce qui nous rend un peu
loibles pour exécuter ce que M. le maréchal du Plessis-
Praslin a désiré de M. le marquis Ville par un courrier qui
en arriva mardi, qui est de conduire la cavalerie qui est
destinée pour l'armée de Lombardie avec la plus grande
diligence qui se pourra. Nous ne laisserons pas de le (aire
sans lesdites gardes, de peur que le retranchement qu'ils
font depuis Crémone jusques à l'Oglione soit en état de ne
pouvoir plus être emporté.
Je ne m'amuse point, Monsieur, à raisonner sur l'action
de Son Altesse Royale, n'en pouvant parler avec aucun
fondement, ne sachant pas si c'est avec la participation de
la Cour ou de son propre mouvement qu'Elle l'a fait. M.
notre intendant a pris l'alarme trop chaude de craindre
pour nos places, ce qui l'a obligé de retenir quelque com-
pagnie d'infanterie qui nous venoit joindre pour les jeter
dans Chivas. Pour moi. Monsieur, quoique très méchant
politique, je ne trouve nul sujet d'entrer en méfiance de
Son Altesse Royale, puisqu'EUe est tout à fait dans l'impuis-
sance de nous faire aucun mal considérable, et qu'il n'y a
guère d'apparence qu'il veuille risquer ses Etats pour une
espérance simple et sans fondement. Vous savez mieux
que moi, Monsieur, le fond des choses; j'ajouterai seule-
ment que, depuis dix-huit mois en ça que j'ai particulière-
ment conversé avec Madame Royale, j'y ai trouvé une
affection si entière pour la France et un attachement si
grand à ses intérêts que je ne crois pas qu'elle s'en puisse
séparer,
M. le cardinal Antoine ^, qui est ici, a écrit à M. Servien
qu'il étoit bon de ne témoigner aucune méfiance qui pût
donner l'alarme à Leurs Altesses ici, mais seulement de
1. Antoine Barberini, dit le cardinal Antoine, neveu du pape
Urbain VIII, évêque de Poitiers en 1652, archevêque de Reims
en 1657, mort en 1671.
266 APPENDICES.
pressentir adroitement Madame pour savoir si c'étoit avec
consentement de la Cour qu'elle l'eût fait. J'ai cru être
obligé de vous rendre compte de cette affaire.
Nous allons loger à Isola et aux environs. Demain 19-
nous séjournerons, et le 20 nous marcherons incessamment
jusques au Parmesan. Je vous conjure de me tirer de la
misère où je suis et de me croire. . .
Le ch'"' de Sévigné^.
Le 18 juin 1648.
Monsieur,
Vous aurez appris par le voyage de M. le comte du
Plessis la victoire que son père a remportée sur les enne-
mis, ce qu'il a fait depuis et ce qu'il désire présentement
de nous ; mais, comme l'exécution dépend de beaucoup de
choses que nous n'avons pas, nous avons dépêché promp-
tement à M. l'Intendant pour nous les envoyer. La pre-
mière, c'est le pont et ses voitures, la seconde ce sont les
recrues et compagnies d'augmentation d'Auvergne qu'il a
mises dans la citadelle de Turin et autres places que nous
tenons, dans la peur qu'il a eue que Madame Royale de
Savoie ne s'en saisît, et la dernière le reste de l'équipage de
l'artillerie pour pouvoir mener quatre pièces et les munitions
de guerre nécessaires pour un tel voyage. En attendant
que nous ayons réponse de toutes ces choses, M. le marquis
Ville a écrit à M. le maréchal du Plessis, pour l'avertir des
difficultés qui se rencontrent en ce voyage, toutefois avec
cette clause que nous hasarderions tout s'il lui mandoit de
le faire, et que cependant nous nous porterons sur le
Tessin, où nous attendrions sa réponse.
La plus grande difficulté qui se trouve en ce dessein c'est
que nous n'avons que douze cents hommes de pied et deux
mille deux cents chevaux suivant le calcul que je vous en ai
fait par ma dernière ; les autres sont qu'entre le Tessin et
l'Adda il y a une autre rivière qui s'appelle Lambro, etplu-
1. Arch. hist. du Min. de la Guerre, vol. 107, fol. 57.
APPENDICES. 267
sieurs navilles * et roches qui rendent les chemins dif-
ficiles et sur lesquels les ennemis se peuvent poster si avanta-
geusement qu'ils nous feroient périr de faim, quand ils ne
voudroient pas nous combattre, quoique ce fût un coup
sûr, vu le peu d'hommes que nous avons et le grand
nombre qu'ils nous peuvent opposer avec les milices de
Milan et de Pavie entre lesquelles nous passons. Néan-
moins je vous assure. Monsieur, qvie, s'il faut tout risquer
pour rendre quelque service au Roi qui mérite que l'on
hasarde ce corps ici, il n'y a personne qui ne s'y porte
avec une chaleur très ardente. Pour moi, je le ferai avec
joie, puisqu'il me sera plus glorieux de périr par les
armes que de misère, ce que je ne puis éviter si vous ne
me secourez. Je l'attends de votre bonté et que vous me
croyiez votre très humble et très obéissant serviteur.
Le chevalier de Sévignk ^.
Du camp de Vale, ce 7 juillet 1648.
Monsieur,
Nous sommes arrivés sous Crémone, le 2 du courant ;
depuis ce temps-là M. le marquis Ville a eu plusieurs con-
férences avec le duc de Modène et le maréchal du Plessis,
le résultat desquelles a été que nous irions chasser
quelques ennemis qui sont dans Grumel, et nous y poster,
pour empêcher que les ennemis ne puissent tomber sur
les bras de ceux qui font le siège, et pour tâcher d'amas-
ser quelques blés qui restent encore en campagne, afin de
faire vivre notre corps qui commence de manquer de pain.
M. le maréchal a bien fait tout ce qu'il a pu jusqu'ici ;
mais comme ils n'en ont qu'au jour la journée, et que
tous les princes voisins de Crémone sont mal attentionnés
à notre parti, ils empêchent sous mains que nous en puis-
sions avoir, même d'autres vivres, qu'à prix excessif. Je
1. Nom donné en français aux canaux d'irrigation de la Lom-
bardie.
2. Archiv. hist. du Minist. de la Guerre, vol. 106, fol. 104.
268 APPENDICES.
crois que vous ne trouverez pas mauvais que je vous dise
la vérité, dépendant puis après de vous, Monsieur, d'en
user comme il vous plaira pour le faire entendre à ceux
qui le doivent savoir.
Les ennemis mettent dans Crémone toute l'infanterie et
cavalerie qu'ils veulent, en font sortir les malades et y en
envoient de sains à la place. Le marquis de Caracène s'é-
tend de l'autre côté de l'Adda vis-h-vis Pizzighitone qui fait
le commerce sur le Pô. L'armée qui assiège cette place n'est
composée que de quatre mille hommes de pied, qui n'a de
pain qu'avec grande peine, ni d'argent que celui que les géné-
raux ont emprunté sur leur vaisselle et pierreries qu'ils ont
mises en gage, et qui ne durera guère. Jugez, Monsieur,
vous-même, ce qui en arrivera.
J'attends de votre bonté que vous vous souviendrez de
la misère où je suis pour m'en sortir d une façon ou de
l'autre. Tout ce que je vous demande, ^Monsieur, c'est que
vous jugiez favorablement de mes intentions ; vous savez
si c'est par lassitude de servir que je vous presse, ou si
c est par impuissance de vivre; je crois que vous me ferez
justice ; il y a vingt années que je n'ai quitté le service une
seule campagne, et il y en a huit que je fais profession
d'être passionnément, etc..
Le chevaliek de Sévigné ^ .
Au camp de Scsto, ce 8 août 1648.
V.
Brei>et de maréchal de camp pour le clievalier de Sè^igné,
8 juillet 1050 ~.
Aujourd'hui, 8 du mois de juillet 1650, le Roi. étant à
Fontainebleau, désirant témoigner au sieur de Sévigné
1. Archiv. hist. du Min. de la Guerre, vol. 106, fol. 127.
2. Archiv. hist. du Min. de la Guerre, vol. 122, loi. 45.
APPENDICES. 269
la conliance que Sa Majeslé prend en sa personne et recon-
noîlre les bons et fidèles services qu'il lui a rendus en
diverses occasions et emplois où il a signalé sa valeur,
expérience en la guerre, vigilance et bonne conduite et sa
fidélité et affection à son service, Sa Majesté l'a établi en
la charge de maréchal de camp.
VI.
Contrat de mariage du chevalier de Sévigné
et d'Elisabeth Péna, 20 décembre IGoO^.
Furent présents en leurs personnes Messire Renault-René
de Sévigné, chevalier, seigneur et baron de Champiré,
conseiller du Roi en ses conseils et maréchal de camp es
armées de Sa Majesté, demeurant à Paris, cloître Notre-
Dame, paroisse de Saint-Jean-le-Rond, fils de défunt haut
et puissant seigneur M'"'' Joachim de Sévigné vivant aussi
chevalier, seigneur d'Olivet et autres places, et de dame
Marie de Sévigné, jadis son épouse, pour lui et en son nom
d'une part, et dame Elisabeth Péna, veuve de feu Marc
Pioche, vivant chevalier, seigneur de La Vergne, maréchal
de camp es armées du Roi, capitaine de la marine et lieu-
tenant pour Sa Majesté au gouvernement du Havre de
Grâce, demeurante à Saint-Germain-des-Près lès Paris, rue
Vaugirard, paroisse Saint-Sulpice, pour elle et en son nom
d'autre part; lesquelles parties, en présence et par l'avis
des parents et amis ci-après nommés, savoir de la part
dudit seigneur de Sévigné, de dame Marguerite de Sévigné,
sa sœur, veuve de feu M''® Nicolas de Morais, vivant che-
valier, seigneur de Brezolles ; illustrissime et révérendissime
seigneur M""^ Jean-François-Paul de Gondy, coadjuteur en
l'archevêché de Paris ; et de la part de ladite dame de La
1. Minute de 1 étude de JNP Baudrier.
270 APPENDICES.
Vergne, de Gabriel Péna, sieur de Saint-Point, son frère;
Lazare Péna, écuyer, sieur de Moutiers et de Montcoge,
son oncle paternel ; dame Léonore Merlin, sa femme ;
M''" Jacques Gaufrédy, conseiller du Roi en ses conseils,
président en sa cour de parlement de Provence ; M'** Jean-
François Gaufrédy, son fils, alliés de ladite dame ; très
haute et puissante dame Marie de Vignerod, duchesse
d'Aiguillon, pair de France ; haute et puissante dame, Renée
du Bec, veuve de haut et puissant seigneur M""® Jean de
Bude, vivant comte de Guébriant, maréchal de France,
lieutenant général des armées du Roi en Allemagne; Mon-
sieur le marquis de Richelieu ; haut et puissant seigneur
M*"^ Philippe de La Trémoïlle, marquis de Roy an, comte
des OUonnes; haute et puissante dame Judith Martin, son
épouse ; haute et puissante dame Anne de Neuf bourg, épouse
de Monsieur le marquis du Vigean ; M" François de Pom-
mereuil, conseiller du Roi en ses conseils, président en
son grand conseil ; dame Denise de Bordeaux, son épouse ;
dame Anne(s/() Fayet, veuve de M" Jean-Jacques Barillon,
vivant conseiller du Roi en ses conseils, président en sa
cour de Parlement; M"' Paul et Antoine Barillon, ses enfants;
M""® Michel Poncet, docteur de Sorbonne, abbé d'Evaux;
M""® Antoine Gaufrédy, chanoine d'Abbeville, fils dudit
sieur Gaufrédy, président; dame Catherine d'Angennes,
gouvernante de Monseigneur duc de Valois ; dame Marie
du Raynier, veuve de M""^ Charles d'Angennes, vivant che-
valier seigneur de la Loupe ; dame Françoise de Pomme-
reuil, femme de M*"^ Jacques de la Loupe, seigneur de
Marville ; M''*' Abimélech de Cumont, sieur de Boisgrollier,
conseiller du Roi en ses conseils et cour de Parlement;
M"^® Jacques Lefebvre de Caumartin, chevalier seigneur de
Saint-Port, conseiller du Roi ordinaire en ses conseils;
M'° Adrien d'Hannivel, chevalier seigneur de Mannevillelte,
conseiller d'Etat ordinaire et receveur général du clergé de
France, et M"^*^ Jacques Le Pailleur, secrétaire de la Chambre
du Roi, tous amis de ladite dame, Volontairement ont
APPENDICES. 271
reconnu, confessé avoir fait et font entre elles les traité et
conventions de mariage qui ensuivent, c'est à savoir que
lesdils seigneur et dame futurs époux se sont promis et
promettent l'un l'autre par nom et loi de mariage de solen-
niser icelui en face de notre mère Sainte Eglise le plus tôt
que faire se pourra et qu'il sera avisé entre eux, si Dieu et
notre dite mère Sainte Eglise s'y consentent et accordent,
pour être les futurs époux unis et communs en tous biens
meubles et conquêts qu'ils feront pendant et constant leur
mariage, suivant et au désir de la coutume de cette ville,
prévôté et vicomte de Paris ; néanmoins ne seront tenus des
dettes l'un de l'autre créées auparavant leur mariage, ainsi
si aucunes y a, elles seront payées par celui qui les aura
faites, sans que les biens de l'autre en soient tenus, et à
cette fin ont été faits en leur présence inventaire des biens
meubles et choses mobilières dudit futur époux et récole-
ment de l'inventaire ci-devant fait à la requête de ladite
dame future épouse des biens demeurés après le décès
dudit sieur de La Vergne, son premier mari.
Desquels biens meubles dudit sieur futur époux il en
entrera en la future communauté la somme de dix mille
livres, et réciproquement des biens et droits de ladite dame
future épouse il en entrera aussi en ladite communauté
pareille somme de dix mille livres, le surplus en demeu-
rera propre à chacun d'eux et aux siens de son côté et
ligne avec tout ce qui pendant le mariage leur écherra tant
en meubles qu'immeubles par succession, donation ou
autrement.
Ledit sieur futur époux a doué et doue ladite dame sa
future épouse de quinze cents livres tournois de rente et
revenu annuel et viager à prendre par elle, quand douaire
aura lieu, sur tous et chacuns les biens meubles et
immeubles présents et avenir dudit sieur futur époux,
duquel douaire elle demeurera saisie dès l'instant du décès
dudit sieur futur époux, sans qu'elle soit tenue d'en faire
demande en justice, et sera ledit douaire propre aux enfants
272 APPENDICES.
qui naîtront dudit liilur mariage, conformément à la cou-
tume de cette ville, prévôté et vicomte de Paris, à laquelle
coutume les parties se sont soumises et suivant icelle
veulent et entendent les conventions de leur mariage être
réglées, nonobstant toutes coutumes à ce contraire, aux-
quelles est expressément dérogé.
Le survivant desdits futurs époux aura et prendra par
préciput et avant que partage faire des biens de leur com-
munauté, savoir ledit futur époux ses habits, armes et che-
vaux, et ladite dame future épouse ses habits, bagues et
joyaux, carrosses et chevaux, jusques à la somme de six
mille livres selon la prisée de l'inventaire et sans crue de
ladite somme en deniers au choix du survivant.
Si pendant le mariage sont vendus et aliénés aucuns
héritages ou rachetées aucunes rentes propres de l'un ou
l'autre desdits futurs époux, les deniers en seront rem-
ployés en rachat d'autres héritages ou rentes, pour sortir
pareille nature de propre à celui auquel ils appartenoient
et aux siens de son côté et ligne, et, si, au jour de la disso-
lution dudit mariage, ledit remploi ne se trouvoit fait, les
dits deniers seront repris sur les biens de la communauté
s'ils suffisent, sinon ce qui s'en défaudra à l'égard de ladite
dame future épouse sera par elle ou les siens repris sur les
biens propres dudit futur époux, lesquelles reprises seront
aussi respectivement propres à chacun desdits conjoints et
aux siens de son côté et ligne.
Ladite dame future épouse et ses enfants, tant de son
premier lit que du futur mariage, pourront, si bon leur
semble, prendre et accepter la communauté ou renoncer à
icelle et en y renonçant reprendront et remporteront fran-
chement et quittement tout ce qu'elle y auroit apporté, et
ce qui pendant ledit mariage lui seroit advenu et échu
tant en meubles qu'immeubles par succession, donation
ou autrement, même ladite dame future épouse ses douaire
et préciput tels que dessus, le tout sans être tenus d'au-
cune dette ni hypothèque, encore que ladite dame future
APPENDICES. 273
épouse y eut parlé et s'y soit obligée, pour laquelle indem-
nité ils auront leur hypothèque du jour et date du présent
contrat de mariage.
En faveur duquel mariage qui autrement ne prendroit
sa perfection, ledit sieur futur époux a fait et fait don
entre vifs et irrévocable à ladite dame sa future épouse, ce
acceptant, de tous et chacuns ses biens meubles, acquêts et
conquêts immeubles, qu'il aura et lui appartiendront au
jour de son décès, ensemble de la tierce partie et portion
au total de ses biens propres en (juelques lieux qu'ils soient
assis, pour en jouir, faire et disposer par ladite dame future
épouse et les siens en pleine propriété et à toujours ainsi
qu'ils aviseront bon être, pourvu toutefois que ladite dame
future épouse survive ledit sieur futur époux sans enfants
dudit futur mariage ou que lesdits enfants décèdent aupa-
ravant ladite dame future épouse.
Et réciproquement ladite dame future épouse a fait aussi
don entre vifs et irrévocable audit sieur son futur époux,
ce acceptant, en cas qu'il la survive, de semblable part et
portion que le moindre des enfants qu'a de présent ladite
dame de son premier mariage et qu'elle pourra avoir du
second pourroit amander de sa succession après son décès,
pour en jouir, faire et disposer par ledit sieur futur époux
et les siens en pleine propriété et à toujours ainsi que bon
lui semblera, si mieux n'aiment sesdits enfants abandon-
ner audit sieur futur époux la jouissance en usufruit, sa vie
durant seulement, de la totalité des biens tant meubles
qu'immeubles de ladite dame future épouse leur mère, à
quelque titre que lesdits biens lui pussent avoir appartenu.
Reconnaissent l'une et l'autre des parties s'être respec-
tivement apporté et fourni le contenu en leurdit inventaire
et récolement, dont elles se contentent et s'en déchargent
réciproquement, car ainsi a été accordé entre lesdites par-
ties en faisant et passant ces présentes. Pour l'insinuation
desquelles partout où il appartiendra, elles constituent leur
procureur le porteur d'icelles, auquel elles en donnent
18
274 APPENDICES
pouvoir d'en demander acte, promettant et obligeant
chacun en droit soi, renonçant, etc. Fait et passé en la
maison de ladite dame de La Vergne, l'an mil six cent cin-
quante, le vingtième jour de décembre avant midi et ont
signé :
R. René de Sévigné; Ysabelle Péna; Péna ; Léonor
Merlin; Marguerite de Sévigné; G. Péna; J.-F.-P., coad-
juteur de Paris ; Renée du Bec ; la duchesse d'Aiguillon ;
Anne de Neufbourg ; le marquis de Richelieu ; H. Gau-
fredy ; Le Pailleur ; De Pomereu ; De Manevillette ;
Denise de Bordeaux ; A. Barrillon ; Françoise Gaufredy ;
Bonne Fayet ; Gaufredy ; de Cumont ; Barrillon ; Poncet ;
Lefevre de Caumartin; Dangennes; du Raynyer ; de Pom-
mereul; X. Dangennes; M. Dangennes; Philippe de la
Trémoille ; Judit Martin.
QUARRÉ. MaRREAU.
VIL
Acte d'inhumation de il/™® de Sévigné.
3 février 1656^.
Le second jour de lévrier mil six cent cinquante six,
décéda, sur les dix à onze heures du soir, dame Isabelle de
Péna, femme de messire Renault-René de Sévigné, con-
seiller du Roi en ses conseils, maréchal de ses camps et
armées, le corps de laquelle fut le lendemain donné à sa
sépulture, soubs une grande tombe devant le crucifix de
céans. Legendre.
1. Registres de la paroisse Saint-Maurille d'Angers. Arch.
communales de la ville d'Angers, EE. 118 fol. 156.
APPENDICES.
VIII.
275
Lettres de la mère Agnès Arnauld
au chevalier de Sévigné^.
1.
[Pour le remercier d'une lampe qu'il lui avait envoyée.]
Ce jour de Sainte Agnès, 21 janvier 1661.
Je me rends, Monsieur, à l'avantage que vous avez sur
moi en qualité d'une pauvre qui ne puis refuser sans orgueil
les aumônes qu'on me veut faire. Il m'est arrivé depuis
peu de jours une disgrâce : c'est la rupture d'une lampe,
qui m'avoit été donnée avec autant de charité qu'il vous
plaît de m'en offrir une encore plus belle et plus durable,
et si lumineuse qu'elle me servira d'un soleil de nuit. Je ne
pouvois moins que d'en être privée quelque temps ; mais la
sainte impatience que vous avez de bien faire ne vous a
pas permis de retarder votre présent, duquel je vous rends
grâces très humbles, quoique ce soit une mortification que
je souffre que vous en soyez privé pendant que l'on n'ap-
portera pas celle que vous avez commandée. Je demande
pour vous à rsotre-Seigneur-Jésus-Christ une lampe d'une
des vierges sages, etj'aurois désiré que le billet qui vous
est échu de ceux que nous avons tirés sur les paroles de
cet Evangile eût été celui où il parle d'une lampe, mais le
1. Parmi les nombreuses lettres adressées à M. de Sévigné
par la mère Agnès et publiées par M. Faugère (Paris, 1858,
2 vol. in-8) nous avons cru devoir en reproduire ici quelques-
unes particulièrement intéressantes pour la biographie du che-
valier et pour l'histoire de ses relations avec Port-Royal.
276 APPENDICES.
vôtre est encore plus avantageux, puisqu'il vous approche
plus près de l'Epoux. La sainte épouse que nous honorons
aujourd'hui vous veuille récompenser, INIonsieur, de toutes
les bontés que vous avez pour moi, en vous obtenant par
ses prières un accroissement de feu et de lumière pour
marcher toujours plus sûrement durant la nuit de la péni-
tence jusqu'au jour de votre réconciliation, dont je célé-
brerai la fête avec vous, et avec autant de joie que vous
aurez eu de patience pour l'attendre.
Le billet que nous vous avons envoyé a été tiré aussi
simplement que les autres. C'est la providence de Dieu
qui vous les fait rencontrer si conformes à vos sentiments,
et c'est elle-même qui vous inspire de vous les appliquer et
d'en faire tant de cas. Il est vrai que ce vous doit être une
extrême consolation que Jésus-Christ, qui est venu pour la
ruine de plusieurs, vous donne tant de marques qu'il veut
être votre résurrection et votre vie. C'est ce qui oblige
toutes les personnes qui sont à lui, de se joindre h ses
desseins pour y contribuer tout ce qui leur est possible.
[Au sujet de la visite de M. le lieutenant-civil, le 1®'' août,
qui ordonna de laire murer la porte du logis de M. de
Sévigné donnant dans la cour du dehors de Port-
RoyaL]
Vers le 2 août 166 L
Ne croyez pas, s'il vous plaît. Monsieur, que je sois
insensible au déplaisir que vous recevez : le sujet en est si
juste qu'il nous oblige de le partager avec vous. Ce qui me
console le plus, c'est que nous sommes en la même con-
damnation, étant coupables des mêmes crimes pour les-
quels on vous traite avec une injustice si extraordinaire.
Après tout, comme personne ne peut être offensé que de
APPENDICES. 277
soi-mènic, selon la maxime de saint Chrysostôme, vous ne
devez pas vous prendre à d'autres du traitement qu'on vous
fait. Car pourquoi êtes-vous venu chercher des personnes
déjà livrées à l'indignation des puissances, si ce n'a été
pour vous associer à leur ignominie ? Que si vous ne vous
en repentez, apprenez-donc, comme nous tâchons de le
faire, à vous réjouir avec les apôtres de ce que vous souf-
frez des maux pour Jésus-Christ. Et maintenant que Dieu
nous a donné un pontife qui marche devant nous, et qui
témoigne dans son billet ne point craindre l'orage, ne le
craignons pas non plus, mais retirons-nous, selon notre
Évangile, sous les ailes de Dieu qui nous serviront d'une
forte et imprenable défense.
Après tout, Monsieur, que vous a-t-on fait, sinon jeter
riiuile sur le feu de votre charité et de votre dévotion pour
l'allumer davantage, puisque venant de plus loin chercher
Notre-Seigneur dans sa maison, il vous regardera de meil-
leur œil, et comptera tous les pas que vous aurez faits
pour le venir trouver ? Que si l'impuissance où l'on vous
a réduit vous oblige de demeurer à votre logis, il y entrera
comme chez Zachée, pour y apporter le salut. Mais quelle
pitié qu'avec tout cela vous ayez encore l'affliction de voir
votre bonne mère et la nôtre en l'état où elle est ; si ce
n'est que vous la considériez déjà comme allant devenir
toute-puissante auprès de Dieu pour vous aider à vous
soutenir dans la voie étroite où elle a tant désiré que vous
entrassiez.
[Il y a de la volupté à être patient dans les souff"rances.]
Gloire à Jésus au Très-Saint-Sacrement !
Ce 20 mars 1663.
J'apprends que vous avez des maux très sensibles, et
que Jésus-Christ vous associe à ses souffrances, afin que
278 APPENDICES.
VOUS les honoriez, non seulement par des pensées et par
des actions de grâces, mais par des effets qui y ont bien
plus de rapport que tous les sentiments qu'on en peut
avoir. Je le supplie qu'il vous engraisse, comme un Père
dit de lui, des voluptés de la patience qui se ressentent dans
le fond du cœur, en même temps que les sens sont presque
accablés de mal. Dieu me traite selon mon imperfec-
tion en ne me laissant point souffrir de douleur, ce qui
me donne plus d'obligation d'en rechercher de celles qu'il
veut que nous nous imposions à nous-mêmes, en prenant
tous les jours notre croix pour le suivre au Calvaire, où il
appelle tous ceux qui prétendent d'être quelque jour où il
est. Vous êtes si rempli, mon bon frère, de bons mouve-
ments et de saintes pensées, que je ne dois point désirer
d'en avoir pour vous les communiquer. Que si Dieu vous
privoit maintenant des unes et des autres, comme il arrive
souvent dans les grandes douleurs, ce seroit pour y sup-
pléer d'une manière plus secrète et plus solide, en vous
cachant à vous-même la grâce qu'il opère en vous, étant
bien éloigné d'abandonner les âmes qui souffrent, puisqu'il
sera avec elles dans V a friction et qu'il les en délivrera^
ce qu'il ne fait que dans le moment qu'il lui plaît et qui
leur est le plus profitable.
L'absence où vous êtes de l'église avertit nos sœurs que
vous êtes malade, puisqu'il n'y a que ce sujet qui inter-
rompe l'assiduité que vous avez à joindre vos prières avec
les leurs. Mais je me trompe de dire que la maladie les
interrompt, puisqu'elle les rend plus parfaites, et que ce
seroit plutôt la satisfaction vaine qu'on pourroit prendre
dans les exercices de piété qui seroit une cessation de
prières, puisque, comme dit le Fils de Dieu, si nous
demeurons en lui et lui en nous, par une adhérence à sa
volonté dans tout ce qu'il dispose de nous, notre oraison
sera continuelle et digne d'être exaucée.
APPENDICES. 279
[Pénitence en toutes choses.]
Gloire à Jésus au Très-Saint-Sacrement !
Mercredi matin (février 1664).
Je vous remercie très humblement, Monsieur, de votre
admirable présent, qui est capable d'embaumer toute
notre communauté ; elle demandera à Dieu que la vertu
de ce Nom divin se répande dans votre cœur comme une
lumière et une onction pour le consacrer à son amour.
Pour ce qui est de votre tableau, vous me dispenserez,
s'il vous plaît, si je ne fais écrire pour l'aA'oir le mercredi
des Cendres, mais nous solliciterons que vous l'ayez le
mercredi-saint, ou plutôt le mercredi de la Passion; car il
vous faut considérer, s'il vous plaît, que M. Champagne
est pressé d'ailleurs, et qu'en cette saison la peinture ne
sèche point. Je sais bien qu'il y a longtemps qu'il est com-
mandé ; mais un pénitent ne doit pas vouloir être servi le
premier, principalement quand il a fort aimé à être le
maître.
5.
[Reconnaître les bienfaits (titre du manuscrit).]
(19 août) 1664.
Je vous rends de très humbles grâces, Monsieur, du
présent qu'il vous a plu de me faire. Il est vrai qu'il y a
toujours de l'avantage et de la justice à vous donner de
ces sortes de biens dont vous faites votre trésor, parce que
vous êtes persuadé qu'encore que ce soient des choses
assez communes, elles sortent d'un esprit qui les conce-
voit d'une façon toute particulière, et qui prenoit sujet de
tout pour porter les âmes à la véritable pureté et à ce que
280 APPENDICES.
l'on doit à Dieu, en leur faisant remarquer les séductions
de l'amour-propre, qui se spiritualise le plus qu'il peut
afin de s'insinuer dans les choses les plus saintes.
J'admire l'activité de votre sainteté qui vous fait agir si
bien et si promptement, pour suivre le dessein que vous
avez d'agir en notre faveur aux champs et h la ville ; et je
suis confuse de ma pesanteur qui me fait demeurer sans
remerciement et sans parole pour coi'respondre à vos
bienfaits, mais je recueille ce que je n'ai point semé, par
la grâce que vous me faites de me considérer comme si
j'étois digne de succéder à une personne qui n'a pas reçu
en vain l'estime et la confiance que vous avez eue en elle ;
je vous y renvoie, mon bon frère, afin qu'elle soit le salaire
de toutes vos bontés pour moi, qui ne suis que son ombre.
Pour comble de tout, vous nous ferez part, s'il vous plaît,
de vos ferveurs pour bien célébrer la fête de notre père
saint Bernard, qui vous regarde comme l'un de ceux qu'il a
attirés à Dieu et qui n'ont point tourné la tête en arrière, mais
regardant plutôt devant vous pour avancer dans votre voie.
Je vous renvoie votre testament ; il sera mieux entre
vos mains qu'entre les nôtres, ne pouvant plus répondre
de rien. La part que vous prenez aux maux c^i nous
peuvent arriver vous fait déjà regarder de Dieu comme si
vous y étiez associé effectivement ; et peut-être que la
meilleure part de la récompense que Dieu promet à ceux
qui souffrent pour la justice sera pour vous, qui n'aurez
que la charité pour motif de votre souffrance.
6.
[Elle hii témoigne sa joie d'apprendre le rétabHssement
de sa santé. Rien ne peut séparer ce que Dieu a uni par
sa charité.]
Mars 1667.
Je n'eus point d'autre pensée, mon très cher frère,
quand j'appris le grand accident qui vous étoit arrivé, que
APPENDICES. 281
de m'adresser à Dieu pour vous, ayant cru que vos grandes
douleurs et le péril où vous étiez ne me permeltoient pas
de vous rendre les témoignages de mon ressentiment ; mais
avant appris que l'espérance de votre santé a succédé à la
crainte, je ne puis manquer, après en avoir remercié Dieu
de tout mon cœur, de vous assurer Je la joie que j'en res-
sens et du désir que jaurois que vous vécussiez autant
pour Dieu que vous avez lait pour le monde, encore qu'il
ne soit pas nécessaire, parce que ceux qui ne travaillèrent
(juà la dernière heure ont été préférés aux autres. Mais ce
qui m'a réjouie davantage, c'est d'apprendre que votre
souffrance a été un don de la main de Dieu, et qu'il a
exaucé le désir qu'il vous avoit inspiré d'être fait partici-
pant de la souffrance de ses serviteurs qui confessent sa
vérité devant les hommes, en vous mettant à couvert de la
gloire d'une telle confession, ce qui n'empêchera pas qu'il
ne vous confesse devant son Père et ses anges, puisque
vous seriez prêt, s'il vous y engageoit, d'entrer dans le
combat. Néanmoins, vous trouvez des inventions de
gagner d'un côté ce que vous ne gagnez pas de l'autre, en
vous privant d'une commodité qui vous étoit nécessaire,
pour augmenter vos fruits de justice, en augmentant vos
libéralités envers des personnes que vous en croyez dignes,
mais qui ne le sont qu'à votre égard, puisqu'il vous sera
fait selon votre foi, et que Dieu ne rejettera point les
prières des pauvres, qui sont une suite de la gratitude à
quoi il les oblige.
Cependant nous éprouvons que rien ne peut séparer ce
que Dieu a uni par sa charité, et que même la séparation
ajoute quelque chose à cette union, en la rendant plus spi-
rituelle par la privation de ce qui la rendoit plus satisfai-
sante : et si j'étois assez fidèle pour ne me rien donner à
moi-même, selon le désir que l'on a de nous ôter tout,
Notre-Seigneur auroit fort agréable cette conformité, que
je vous supplie très humblement de lui demander pour
moi, et de croire que je suis, avec le respect que je dois,
votre très humble et très obéissante servante.
282 APPENDICES.
[Sur le carême. Apologie des religieuses de Port-Royal, •
par M. de Sainte-Marthe. Mort de M"" Lombert.]
Ce 20 février (1668).
J'ai trouvé votre pensée si bonne, mon très cher frère,
de passer le carême dans une retraite absolue, que j'ai été
en doute si je la devois interrompre par ce billet. Mais,
comme je les fais courts, et qu'ils sont de si peu de consé-
quence, j'ai cru que ne vous prenant guère de temps pour
le lire et le brûler aussitôt, je n'interromprois guère votre
recueillement, qui est sans doute le meilleur moyen de
purifier son cœur par une pénitence spirituelle, qui sanc-
tifie les pénitences antérieures quand on en peut faire, et
qui y supplée quand on manque de forces pour en faire
comme on le désireroit.
Vous êtes si rempli de saint Augustin qu'il vous en
échappe toujours quelque excellente parole. Celle que vous
prenez la peine de me dire, que : « Dieu exauce toujours
les âmes qui préfèrent sa volonté à la leur propre » , est
une source de paix. Je vous supplie très humblement de
lui demander qu'il me mette dans cet état, qui arrêtera
toutes sortes de désirs et de pensées, pour ne faire qu'at-
tendre les événements qu'il plaira à Dieu d'ordonner.
Encore que vous ayez un zèle de Dieu contre les
signeuses, je crois néanmoins (ju'ii est tempéré par une
grande compassion de les voir dans un labyrinthe dont il est
difficile qu'elles puissent jamais sortir. Nous avons grand
sujet de croire que nous ne sommes pas telles que nous
devrions être, puisque nous n'avançons rien pour leur con-
version.
Il est vrai que le livre deM. de Sainte-Marthe est un chef-
d'œuvre. On y voit un zèle ardent contre celui qu'il réfute,
mais sans intéresser la charité. Il semble qu'il n'ait dessein
APPENDICES. 283
que de repousser ses calomnies ; et avec cela, il nous instruit
comme s'il n'écrivoit que pour nous. Il traite toutes les
vérités avec l'étendue qu'il faut, sans être ni trop long,
ni trop court. Il paroît que cet ouvrage a été fait par l'es-
prit de prière ; car encore que l'esprit en soit entièrement
satisfait, on se trouve obligé de s'arrêter davantage à en
recueillir le fruit. Je ne m'étonne pas de la grande estime
qu'on en fait, parce que c'est la récompense du mépris qu'il
a de tout ce qui vient de lui. Ce qu'il y a plus à désirer, c'est
que Dieu donne des yeux et des oreilles à celui à qui il
parle, et auquel il ôte toute excuse de n'avoir pas connu
l'état dangereux où il est, par la peinture au naturel qu'il
lui fait de lui-même.
Il est aisé de juger que l'affliction de M. Lombert a été
grande, parce qu'il a une tendresse toute particulière pour
ses enfants, et qu'il aimait beaucoup celle que Dieu lui a
ôtée. Nous avons appris par vous cette mort, c'est pour-
quoi sa fille n'a pu lui écrire plus tôt. Nous nous servirons
d'une voie qui ne commettra personne. Nous sommes fort
obligées à M. Lombert de la libéralité qu'il lui a plu de
nous faire. Nous avons tant de bienfaiteurs spirituels et
corporels que nous sommes accablées de dettes : mais
Dieu sera, s'il lui plaît, notre caution. Je le supplie, mon
très cher frère, de vous combler des bénédictions que vous
désirez.
8.
[Sur la mort de plusieurs des solitaires et domestiques de
Port-Royal. Sur la disette des secours spirituels et la
privation où il était de la chapelle qu'il avait à Port-
Royal de Paris.]
9 mai 1668.
Nous avons regardé la mort si surprenante de nos amis
comme un acheminement au dessein de Dieu, qui nous
veut ôter tout ce qu'il nous a donné de plus favorable dans
284 APPENDICES.
un état de paix. Ce qui est le plus nécessaire en l'état où
nous sommes, c'est de ne tenir à rien et de se détacher
peu à peu de toutes choses ; de quoi ils nous ont laissé
l'exemple, ayant prévenu la mort par une séparation de
tout ce qui les pouvoit détourner du sen'ice de Dieu.
Je demeure d'accord, mon très cher frère, que voire
vie est plus dure que la nôtre, et que ceux qui ont l'inten-
tion de nous mater se sont beaucoup relâchés quand ils
nous ont réunies ensemble, ce qui nous fait goûter tous
les effets que vous jugez bien que cette union produit.
Il faut que la rareté des personnes capables de donner une
véritable consolation spirituelle soit bien grande, puisque
dans une grande ville où il y a tant de gens qui disent :
« Suivez-nous, soyez d'avec nous si vous voulez bien
vivre » vous n'en trouvez (pas) qui vous puisse conduire
par le chemin où vous voulez marcher. Mais vous avez
fait comme les fourmis que le Sage loue tant parce qu'elles
font provision pour l'hiver, et ainsi vous vous êtes rempli
pendant le temps que vous étiez dans l'abondance, en
sorte que vous avez de quoi vous soutenir longtemps sans
consolation humaine, parce que vous faites profession de
vivre comme un pèlerin et comme un étranger dans le
monde qui ne respire que d'arriver à sa sainte patrie ; ce
qui lui fait dire: Renuit consolari anima mea ; memor
fui Dei et delectatus su m. Car, quoiqu'il en soit, la bonté
de Dieu donne toujours quelque consolation pour soute-
nir les foibles, à mesure qu'il leur retranche les autres
satisfactions.
Vous voilà donc privé de la résidence de votre petite
chapelle que vous aimiez tant, ce qui vous prépare une
plus grande récompense de Notre-Seigneur Jésus-Christ
pour qui vous l'aviez faite, puisque vous n'en faites plus
d'usage pour vous-même.
Nous aimerions bien mieux avoir sujet de louer M. le
curé que d'être louées de lui d'une louange dont on ne
peut se priver sans beaucoup perdre. Xotre-Seigneur
APPENDICES. ' 285
commande de haïr son âme en ce monde, afin de la con-
server pour la vie éternelle ; au lieu qu'on le perdra si on
l'aime pour la vie présente. Il est vrai néanmoins, ce que
dilNotre-Seigneur, qui nest point contre nous est pour
nous ; car on est fortifié de ce qu'encore que la vérité ne
soit pas suivie, elle est néanmoins connue d'un grand
nombre de personnes.
Nous attendons l'événement de ces allées et de ces
venues dont vous parlez, et nous tâchons de leur opposer
un repos et une confiance en Dieu qui est seul 1 immobi-
lité de ceux qui espèrent en lui. Les deux maximes de
notre chère mère nous sont nécessaires pour cela, avec une
foi pareille à la sienne, qui a été le principe de ces grandes
vérités.
Je crois qu'il vous souvient plus de nous dans une autre
église, que si vous étiez dans celle que vous aviez choisie
pour joindre vos dévotions à des personnes dont Dieu vous
a voulu séparer. Ça été suivre Dieu que de désister de le
suivre selon votre première vocation, puisqu'il a changé
de conduite pour éprouver votre fidélité qui consiste à
n'être attaché à rien. Je le supplie de me rendre digne de
vous rendre en sa présence ce que nous recevons de vous,
par des prières aussi charitables que les vôtres.
9.
[Elle lui témoigne sa joie delà liberté de M. de Sacy.]
Ce 2 novembre (1668).
J'ai attendu la fin du mois pour vous envoyer vos billets.
Vous êtes satisfait de tout ce que le sort vous donne,
parce que vous avez dessein de profiter de tout. Encore
qu'il y ait eu beaucoup d'intervalle depuis votre dernier
billet, nos affaires sont aussi peu avancées qu'elles l'étoient
en ce temps-là ; mais je suis résolue de ne m'en pas
ennuyer, et d'attendre avec indifférence ce que Dieu
286 APPENDICES.
ordonnera de nous, en pratiquant la maxime de M. d'An-
gers, qu'il faut laisser faire Dieu, parce qu'il fait bien
toutes choses, et qu'il n'y a de mal que ce qu'il ne fait
pas.
Si nous avons l'honneur de voir Madame la marquise,
ce sera pour lui parler de l'éternité, et non pas d'un
temps aussi misérable que celui qui s'est passé depuis
notre séparation. Et je suis bien éloignée, grâce à Dieu,
de vouloir faire aucun reproche à personne. Si elle avoit
pu recevoir une bonne conduite de M. Chamillart, je
metlrois à part le traitement qu'il nous a fait, pour me
réjouir de l'avantage qu'elle en auroit reçu. Mais l'Evangile
m'apprend qu'on reconnoît de tels prophètes à leur fruit.
Je vous remercie très humblement de la traduction de
votre psaume. Tous les présents que vous me faites
m'instruisent et m'édifient, de vous voir toujours appliqué
aux vérités les plus solides.
L'on nous a recommandé monsieur votre neveu qui va
en Candie. Je prie Dieu qu'il ait encore plos de dessein de
signaler sa foi que sa valeur. J'admire le courage de ceux
qui font de si grandes actions et qui n'ont pour la plu-
part que la gloire du monde devant les yeux et pour motif
l'obligation de leur naissance ; au lieu que nous sommes
si lâches à surmonter les moindres difficultés qui se ren-
contrent dans la voie de Dieu.
Vous pouvez bien juger de la joie que nous avons de la
liberté de M. de Sacy, par celle que vous en ressentez
vous-même par un mouvement tout spirituel. Mais pour
moi, ma joie tient de l'un et de l'autre, la double liaison
que j'ai avec lui me faisant souvenir de ce verset :
Cor tneum et caro mea eociiltaverunt in Deum vivitm. Car
c'est vraiment Dieu qui est l'auteur de cette délivrance,
dont on nous avoit ôté l'espérance, il n'y a que deux jours.
Je vous supplie très humblement de lui demander sa béné-
diction pour nous, et de l'assurer que nous disons de tout
notre cœur : Quid retribuam Domino ? Si la grâce n'im-
APPENDICES. 287
prlmoil pas la gravité et le silence, il y auroil parmi nous
des transports et des cris de joie, secundum multitudinern
dolorum meoruni, comme sa détention nous avoit pénétrées
de tristesse.
10.
[Au sujet de sa maladie.]
2 février 1669.
Votre maladie, mon très cher frère, m'a été encore plus
sensible, de ce qu'étant malade moi-même je ne pouvois
vous témoigner la part que je prenois à vos souffrances.
C'a été un prétexte à mon amour-propre de ne pas assez
agréer l'état où j'étois, parce que j'aurois désiré d'avoir
plus de liberté pour m'occuper des saints mystères. Je
crois que vous avez été plus spirituel que moi, et qu'ainsi
vous les aurez honorés plus parfaitement que si vous aviez
été en santé. Une de nos sœurs me fit sortir de mon
erreur, en me disant qu'une toux fâcheuse quej'avois étoit
mon Alléluia , ce qui me fit agréer depuis d'être privée de
toutes les manières de louer Dieu. Ce qui se passe mainte-
nant à notre égard est un autre sujet extraordinaire de
louer Dieu. J'espère qu'il nous fera la grâce de n'avoir rien
à dire après tout ce qui arrivera, sinon Amen, et Deo
grattas, à quoi vous répondrez Fiat, fiât, qui sont des
paroles de résurrection et qui ne peuvent venir que d'une
vie nouvelle.
11.
[Sur la crainte des religieuses de Port-Royal de dissiper,
par des visites trop soudaines, le fruit de la paix qui
venait de leur être rendue.]
Ce 23 février (1669).
Nous ne craignons rien, mon très cher frère, que de
dissiper le fruit de notre paix par des visites trop sou-
288 APPENDICES.
daines. Nous voudrions être un temps fort notable hortiis
conclusiis, fons signalas, et Dieu nous avoit inspiré d'être
un an dans le recueillement, pour honorer les saints anges
qui nous gardent avec bien plus de soin que ne faisoient
les archers; néanmoins, comme ce n'est point du tout par
indifférence au désir de nos amis, qui s'ennuieroient trop
de ne pas voir la résurrection des morts, nous n'avons pas
osé faire ce vœu-là, comme nous en avions l'instinct. Mais
la providence de Dieu, qui a réglé tous nos événements,
nous a marqué un temps que nous ne saurions avancer
sans une précipitation qui lui seroit désagréable, qui est
de passer le temps de la sainte pénitence dans le même
état que depuis quatre ans et demi, qui n'empêchera pas
que nous ne soyons cor unum et anima iina, puisqu'au
contraire nous en serons unis plus saintement. Je vous
prends donc, s'il vous plaît, pour entremetteur entre ces
bonnes demoiselles et nous, qui se purifieront comme nous
désirons de faire depuis ce temps-là. Nous avons ici des
frères et autres parents de nos sœurs, qui ont déjà été
renvoyés avec de très humbles excuses, n'y ayant rien de
si juste, comme vous le dites, que de goûter combien le
Seigneur est doux. Ce nous est un grand avantage d'avoir
des amis et des amies qui ont ce même dessein, que je sup-
plie très humblement de pratiquer en notre faveur, afin
que le feu de la sainte charité se conserve mieux étant cou-
vert de cendres, au lieu qu'il s'évaporeroit un peu étant
découvert.
12.
[Sur le désir qu'il avait de venir demeurer à Porl-Royal-
des-Champs.]
(Juillet 1669.)
Il v a tout sujet d'espérer que votre translation au désert
vous sera doublement profitable, puisqu'elle n'a pas été
faite au temps que vous vous y attendiez : les meilleures
APPENDICES. 289
volontés que l'on a étant pour l'ordinaire mêlées avec une
volonté humaine dans laquelle M. Singlin nous a dit que
le culte de Dieu, qui doit être tout spirituel et divin, ne
se trouve point. C'est pourquoi le retardement ayant puri-
fié cet ardent désir que vous auriez d'y voler, vous n'irez
plus à présent que parles pieds du nouvel homme, qui ne
marche point plus vile qu'il ne faut, selon le précepte de
saint Pierre, qui dit que celui qui croit ne se hâte point.
Je crois que vous prenez à contresens une autre parole
de l'Ecriture qui dit que le Juste vit de ses inventions ;
car vous en cherchez de toutes sortes, non pas pour deve-
nir plus juste, mais pour satisfaire à l'inclination que vous
avez à la libéralité et à la tentation qui vous porte à rendre
les religieuses délicates. Je vous fais ce reproche au lieu
du remerciement que je vous dois de votre excellent
beurre, qui me donne plus de honte que de satisfaction,
ce qui me feroit envie de l'envoyer au grand hôpital pour
voir si vous ne diriez pas que ce n'est point là du beurre
des pauvres; et par conséquent vous reprocher que vous
nous faites tort de ne nous pas mettre de ce rang-là,
puisque nous devons avoir de l'amour pour la pauvreté, au
lieu que les autres n'ont que l'état de pauvres. Si je ne
parlois pas à un bon frère comme vous, je prendrois plus
garde à ce que je dis ; mais tout est bon pour les bons.
13.
15 septembre (1669).
Je vous remercie très humblement de votre unique et
rare fruit. Vous avez le privilège de donner tout ce que
vous voulez et d'accorder tout ce qu'on vous demande ; et
nous, au contraire, nous trouvons des impuissances par-
tout. C'est pourquoi notre bâtiment de dedans ne vous
apparoîtra point, parce qu'il y a un chérubin à notre porte
qui en défend l'entrée avec une épée de feu, c'est-à-dire
un anathème de notre mère l'Eglise. Et nous en trouve-
19
290
APPENDICES.
rions un semblable contre nous à votre chambre, si nous
voulions l'aller visiter. Ce qui oblige à rendre les priva-
tions réciproques ; sinon que nous perdons plus à ne point
voir vos jolies inventions, que vous ne ferez à voir des
accommodements fort naturels et grossiers.
14.
[Sur les soufirances.]
Ce 20 demars 1670.
Je suis fort édifiée, mon très cher frère, de ce que vous
me témoignâtes, devant le carême, que vous désiriez pas-
ser ce saint temps dans le silence, ce qui me fit juger que
je devois interrompre le petit commerce de nos billets ; ce
qui n'a pas empêché que je me sois toujours enquise de
vos nouvelles, et ce que j'en appris hier m'oblige de vous
témoigner la part que je prends à votre mal, qui est accom-
pagné d'une si grande douleur qu'il vous fait avoir besoin
d'une grande patience ; je la demande à Dieu pour vous,
avec confiance qu'il vous donnera ce qu'il veut que vous
ayez, puisque vous ne pouvez l'avoir que par sa grâce. Le
pouvoir qu'il vous ôte de continuer vos saints exercices
ne vous fera point perdre, puisqu'il sera récompensé par
la souffrance, ce qui est le comble des bonnes actions ; et
un seul regard vers Dieu, avec un mot de prière que vous
lui adresserez, tiendra lieu de tout votre office, et vous
associera à ce saint Lazare qui ne disoit rien et ne faisoit
rien, sinon de porter l'état oùDieul'avoit mis. C'est la dis-
position que je désire que Dieu vous donne, et à moi
celle de vous rendre en sa présence tout ce que je vous
dois.
15.
[Au sujet d'un sermon. Penser à la mort.]
Ce 21 mars 1670.
Après avoir été à la messe de Prime, Dieu m'a fait la
APPENDICES. 291
grâce de retourner entendre le sermon, dont je suis par-
faitement édifiée et contente. Il a été rempli de tant de
belles et saintes instructions qu'il me semble que Notre-Sei-
gneur nous dit ces paroles de l'Evangile : Hoc fac et uwes.
Je suis mortifiée de ne pouvoir rendre mes actions de
grâces à M. le curé de vive voix. Je vous supplie très hum-
blement, montrés cher frère, de m'acquitter de ce devoir,
et de lui demander la continuation de sa charité pour nous,
de laquelle nous lui sommes très redevables.
Encore que le mal de poitrine soit fort fâcheux et même
dangereux, j'espère néanmoins que vous ne mourrez point
de ce genre de mort, au moins de celui que vous avez à
présent. Je vous sais toutefois très bon gré de penser à la
mort, que je voudrois avoir toujours présente, pour dire
après saint Paul : Quoùdie morior ; car c'est trop peu de
ne mourir qu'une fois pour Jésus-Christ qui est mort une
infinité de fois, par une vive représentation et une accepta-
tion volontaire de la mort qu'il a soufferte pour notre
salut.
16.
Ce mercredi, juillet 1670.
Vous me réduisez, mon très cher frère, à n'avoir rien
à dire, parce que vous en dites trop. J'étois assez récom-
pensée de ce que vous aviez agréé mes billets, sans qu'il
fût besoin que vous y ajoutassiez plus de remerciements
qu'ils ne valent. Pour expier cet excès de bonté, vous
retiendrez, s'il vous plaît, le pupitre dont vous avez fait un
si bon usage que de vous en servir à prier Dieu, et une
autre fois il donnera quelque petit soulagement à votre
corps; ainsi, en faisant alternativement ces deux fonctions,
il sera plus honoré qu'il n'auroit été dans l'intention de ses
auteurs.
Je vous renvoie l'oraison funèbre de Madame, où nous
avons vu de très belles choses et très édifiantes, en lais-
sant à César ce qui appartient à César. Cette lecture nous
292
APPENDICES.
a remis en l'esprit la mort si étonnante et si surprenante
de cette princesse, qui s'effacera bientôt de l'esprit des
hommes, de même que les autres grands coups que Dieu
fera pour les réveiller. Vous n'êtes pas de ce nombre, mon
très cher frère, puisque vous observez si exactement vos
dispositions, et dans la santé et dans la maladie. Votre
état est maintenant composé de tous les deux, étant ni tout
à fait guéri, ni tout à fait malade. Je désire que vous ayez
assez de force pour présenter demain une victime, qui se
promet que votre piété lui servira devant Dieu, pour sup-
pléer à ce qui lui manque par elle-même, qui se prépare à
vous le rendre de tout son cœur devant Dieu.
17.
[Les maladies deviennent la santé de l'àme, quand on les
souffre avec patience.]
Ce 27 octobre 1670.
Je crois, mon très cher frère, que vous attendez votre
fièvre dans votre tranquillité ordinaire ; car on nous assure
que vous conservez la paix lorsque vous avez plus de
mal. C'est une marque que Dieu vous blesse, et vous guérit
tout ensemble : car quand on n'a point d'impatience dans
les maladies, elles deviennent la santé de l'âme. C'est ce
qui me fait espérer que Dieu vous fera devenir un homme
nouveau, selon la maxime de M. de Saint-Cyran, qui est
que le corps purifie l'âme en cette vie, et à la résurrection
générale l'âme purifiera le corps. Cependant, si nous
avions un véritable amour pour notre âme qui porte l'image
de Dieu, tout ce qui lui seroit avantageux nous seroit
agréable encore que le corps en souffrît beaucoup. Mais ce
qui sert de prétexte à l'amour-propre pour désirer de
n'avoir point de mal, c'est que l'on craint de s'ennuyer et
de manquer de bonne volonté ; au lieu que nous devons
avoir une ferme confiance que Dieu tempérera les maux.
APPENDICES. 29'i
en sorte (fue nous les porterons de bon cœur. Nous avons
pour modèle ces bienheureuses âmes du purgatoire qui
souffrent infiniment, et quinevoudroientpas souffrir moins,
parce qu'elles sont assurées qu'elles auront toujours la force
de porter toutes les peines que Dieu leur impose. Notre
état est bien différent du leur, n'étant pas, comme elles,
dépouillées de notre fragilité, mais nous avons un même
Dieu qui nous peut soutenir comme elles. C'est ce que je
lui demande, mon cher frère, et pour vous, et pour moi
qui ne suis qu'une feuille que le vent emporte.
IX.
Testament du chevalier de Sévigné, i" mars 161 k^.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Après avoir
invoqué la grâce de Jésus-Christ et l'avoir supplié de me
juger selon sa grande miséricorde, j'ai fait ce présent testa-
ment à Port-Royal des Champs, ce premier mars mil six
cent soixante et quatorze, étant par la grâce de Dieu
sain d'esprit et de jugement. Aussitôt que mon âme sera
séparée de mon corps, je supplie la révérende mère
Abbesse et les religieuses de ce saint monastère de lui
donner sépulture dans leur sainte maison, quoique j'en sois
indigne, et de prier Dieu qu'il me fasse miséricorde. Je
veux que ce que je dois à M™" de La Fayette d'argent,
suivant la transaction que nous passâmes ensemble après
le décès de feue ma femme, sa mère, lui soit payé sur les
immeubles de la terre de Champiré-Baraton, après toute-
fois qu'elle aura fait la fondation de cent livres de rente
pour l'école de Grugé que feue ma femme a ordonnée par
son testament. Je fonde à perpétuité l'entretien de la lampe
1. Minute de l'étude de M. Blanchet.
294 APPENDICES.
que je veux qui brûle jour et nuit devant le Saint-Sacrement
de l'église dudit Grugé ; pour cela je veux qu'il soit pris
trente livres tous les ans sur les immeubles de la terre de
Champiré-Baraton que j'hypothèque toute pour cette fon-.
dation, et particulièrement la métairie du bourg. Plus, je
veux que ce que je donne à un aveugle nommé, ce me
semble, Madiot, et à un cul-de-jatte nommé Amelin, à
chacun vingt et quatre livres leur vie durant, ce que je leur
ai donné il y a longtemps. Plus, je donne aux Bénédictines
du prieuré de Lagnv trois cents livres une fois payées. Plus,
je donne à Geneviève, ma servante, mille livres une fois
payées, le tour de lit vert qui est à Paris et un bois de lit
et un matelas de laine et trois paires de linceuls du com-
mun. Plus, je donne à Nicolas Ollivier, mou valet de chambre,
six cents livres une fois payées, tous mes habits et mon
linge qui sert à ma personne et le reste des draps du
commun, mon arquebuse et mon épée. Plus, je veux que
tous mes meubles, or, argent, argent monnayé et non mon-
nayé, tous les meubles meublants et tout ce qui s'appelle
meuble selon la coutume d'Anjou soient vendus et le tout
donné aux pauvres par les mains des religieuses de Port-
Royal des Champs, entre les mains de qui je veux que le
tout soit mis entre leurs mains par celui que je nomme
exécuteur de ce présent testament, lequel j'ai lu et relu et
veux qu'il soit le seul suivi, me réservant de faire au pied
ou séparément de faire, si je veux, un codicille. J'ai nommé
pour exécuteur de ce présent testament Monsieur Hilaire,
économe de ce monastère, sans qu'il soit obligé d'en
rendre compte, si ce n'est à Monsieur de Sacy et à la révé-
lende mère Abbesse à qui j'ai dit mes intentions pour la
distribution de mes aumônes. S'il se trouvoit quelque autre
testament que celui-ci, il sera nul, voulant que, s'il se trou-
voit quelque difficulté en celui-ci à cause des formes, elle
soit expliquée en faveur de ceux à qui je donne.
En foi de quoi j'ai fait et signé le même jour et an que
dessus ce présent testament et y ai mis mon cachet qui est
APPENDICES. 295
un Bon Pasteur avec ces mots tout autour : Qui non ainat
Christuni sit anatliema.
Ren\ijd-René de Sévigné.
[\ ce testament est jointe une enveloppe avec ces mots :
« J'ai mis ce teslanioiu entre les mains de la révérende
mère Abbesse de Port-Royal des Champs ce premier mars
1674, afin qu'elle ait la bonté de l'ouvrir aussitôt après ma
mort. Sévigné. »]
X.
Relation de la mort et de Vinhumation du chevalier de
Sévigné à Port-Royal ^ .
Mars 1676.
Le lundi 9, M. de Sacy donna les saints sacrements
à M. de Sévigné entre huit et neuf heures du matin. Il
étoit malade du vendredi précédent que la fièvre lui avoit
pris avec un mal de côté qui le fit juger aussitôt en péril...
Le lundi 16, M. de Sévigné demeura tout d'un coup le
matin sans connoissanceet sans parole. Il passa tout le jour
dans cet état jusqu'à un quart d'heure avant onze heures
du soir qu'il mourut. On réveilla les sœurs au dortoir à la
même heure pour aller à l'église faire les prières. Comme on
les achevoit, on vint avertir de sa mort. On Ah Subvenite et
le reste des prières, et on se retira.
Le mardi 17 après Nones on chanta vêpres et deux Noc-
turnes avec les Répons. Le soir, à six heures trois quarts,
les -Messieurs firent le convoi, où il assista dix ecclésiastiques
en surplis ; après qu'ils eurent achevé et que le corps fut
posé dans l'église du dehors, les religieuses chantèrent le
troisième Nocturne avec les Répons.
1. Journaux manuscrits de Port-Pioyal (P. R. 42 et 43). Com-
munication de M. Gazier.
29f) APPENDICES.
Le mercredi 18, après tierce, enchanta Laudes des morts,
la messe, et puis l'enterrement, qui se fit comme celui des
religieuses avec trois Répons et trois encensements. A la fin
du dernier, on commença aussi de même le psaume In exi-
tu, etc. puis l'antienne : Chorus angelorum, etc., pendant
quoi notre mère, la mère prieure et six anciennes furent à
la porte des sacrements pour recevoir le corps avec la croix
et les chandeliers. Le reste des sœurs demeura dans le chœur,
rangées dans les chaires d'en bas avec leurs grands voiles
et des cierges allumés. Le corps étant entré, la croix rentra
dans le chœur, qu'elle traversa, et sortit à l'ordinaire par la
porte d'en bas pour descendre au cloître, qui étoit le lieu
de la sépulture, le défunt l'ayant choisi. La communauté
suivit en procession, et, étant arrivée au cloître, les plus
jeunes s'arrêtèrent au bout de cette première allée que
l'on appelle l'allée des Morts, de sorte que de cette manière
les anciennes se trouvèrent proche de la fosse qui étoit
justement dans le milieu de ladite allée, au-dessous de la
croix, comme il l'avoit ordonné, et vis-à-vis de l'arcade par
où on descend au cimetière. Les sœurs converses, les enfants
et le reste qui suivoit le corps demeurèrent au-dessous
dans le reste de cette allée, rangés jusqu'au vestibule et sur
le degré même, tout étant plein.
Après le psaume In exitu, etc.. on dit les oraisons et
les autres prières qui se disent aux religieuses, et Clemen-
tissime à la fin. M. de Sacy officia le tout. M. de Tillemont
et M. Chardon 1 firent diacre et sous-diacre, et il y avoit
outre cela en surplis, M. Bourgeois^, M. de Sainte-Marthe 3,
1. Gervais Chardon, docteur en théologie, chantre et théolo-
gal de Saint-Maurille d'Angers, exilé en 1(576 à Rioin où il
mourut en 1686.
2. Jean Bourgeois, abbé de la Merci-Dieu, docteur de Sor-
bonne, mort en 1687 à l'âge de 83 ans.
3. Claude Sainte-Marlhe, confesseur de Port-Royal, mort
le 11 octobre 1690 à l'âge de 90 ans.
APPENDICES. 297
M. BoreP, M. le curé de Saint-Lambert '^ M. Eustache,
M. Constant.
Le corps était porté par M. de Luzancy^, M, Charles^,
M. Mercier'*, M. Dessaux^, M. Poncet, M. François et
M. Ollivier'', que suivoit le valet de chambre du défunt. Ils
demeurèrent au dedans tout le long de l'enterrement et
ne sortirent qu'avec les ecclésiastiques. L'on retourna au
chœur en procession comme à l'ordinaire. La croix, qui
étoit demeurée au pied de la iosse pendant l'enterrement,
traversa le haut de l'allée où étoient les sœurs et, étant au
bout, tourna dans l'autre côté du cloître qui est au-dessous
du petit dortoir de Saint-Benoît pour entrer dans le cime-
tière par l'arcade du milieu qui sert de porte, et gagner en
procession celle qui est vis-à-vis, par oîi l'on a accoutumé
de revenir des enterrements. Le chemin étant beaucoup
plus long qu'à l'ordinaire, le Qui Lazarum n'y suffit pas,
il fallut encore ajouter Credo quod Redemptor, etc. tout
entier. Après Nones on dit les sept Psaumes, prosternés.
XI.
Notice sur le chevalier de Sévigjié par M. Fontaine^.
Mais en parlant d'un ami de M. de Sacy qui mourut
1. Pierre Borel, prêtre du diocèse de Beauvais, confesseur
de Port-Royal jusqu'en 1679, mort à Paris en 1687.
2. Paroisse dont dépendait l'abbaye de P ort-Royal-des-
Champs.
3. Fils d'Arnauld d'Andilly, né en 1623, mort en 1684.
4. Charles du Chemin, prêtre solitaire de Port-Royal, gar-
dien de la ferme des Granges.
5. Nom de guerre de Sébastien du Cambout de Ponte bateau,
né en 1634, mort en 1690.
6. Sans doute père ou frère d'une religieuse de Port-Royal.
7. Exécuteur testamentaire du défunt.
8. Mémoires pour servir à l'Histoire de Port-Royal, par M.
298 APPENDICES.
cette année, puis-je oublier la mort d'une autre personne
qui lui étolt aussi très intime, qui arriva cette même année,
je veux dire M. de Sévigné, de l'une des plus nobles mai-
sons de Bretagne. Il avoit passé une grande partie de sa
vie en divers emplois considérables dans les guerres d'Al-
lemagne et d'Italie, où il avoit couru mille et mille périls
dont Dieu qui avoit sur lui des regards favorables pour
l'avenir, le tira toujours par des espèces de miracles. On
vit au milieu des emportements de la guerre quelque
semence de cette bonté qui devoit un jour éclater en lui.
S'étant trouvé à la prise d'une ville, il rencontra après le
combat une petite fille de trois à quatre ans, que ses parents
ou morts ou mis en fuite avoient abandonnée sur un fumier.
Ce triste objet frappa son cœur. Il fut touché d'un mouve-
ment de miséricorde qui étoit déjà un effet de celle de
Dieu sur lui. Il prit lui-même cet enfant dans son manteau
et résolut d'en avoir soin toute sa \ie ; ce qu'il exécuta
fidèlement, et depuis, cette fille s'étant faite religieuse, il a
toujours payé la pension à son monastère. M. de Sévigné
s'engagea ensuite dans le mariage, ayant trouvé un parti
très avantageux; je parle selon le monde, car les grands
biens dont il se vit maître lui causèrent des périls sans
comparaison plus dangereux pour l'àme que ceux dont
Dieu l'avoit sauvé dans les armes n'auroient été pour le
corps.
Étant devenu veuf. Dieu fit luire un rayon de vérité
dans son âme et comprenant tout d'un coup le néant du
monde, de ses richesses, de la noblesse et de ses emplois,
il résolut d'y renoncer et d'embrasser une vie retirée. Il
choisit Port-Roval de Paris, où il fit bâtir un logis fort
Fontaine (Cologne, 1738), t. II, p. 441 et suiv. D'autres notices
analogues ont été publiées dans divers recueils de Port-Royal
et notamment dans le Nécrologe de Port-Royal, et dans \ His-
toire de V abbaye de Port-Royal, publiée à Cologne en 1752
(2^ partie : Histoire des Messieurs, IV, 293).
APPENDICES. 299
propre, clans lequel M. de Sacy et moi avons eu un appar-
tement. Sa vie retirée et les entretiens de M. Singlin et de
la Mère Angélique le firent entrer en de grands sentiments
de pénitence, que M. de Sacy cultiva. Ensuite son repos lui
fit mieux connoître la laideur de la vie tumultueuse, et, pour
en mieux réparer les fautes, il voulut employer tout son
bien en aumônes, dont quelques-unes, et assez considérables,
ont passe par mes mains, et je puis dire que je m'en suis
quelquefois senti. Que Dieu, qui ne laisse pas un verre d'eau
sans récompense, lui en tienne compte en son paradis !
Il ne voulut point quitter son carrosse, parce qu'il le
regardoit comme étant moins à lui qu'à ses amis, au ser-
vice desquels il l'avoit entièrement sacrifié. On le voyoit
fréquemment dans la route de Port-Royal de Paris à Port-
Royal des Champs. Lorsqu'il n'y eut plus guère que M. de
Sacy qui s'en servoit, il vit que M. de Sacy avoit peur que
pour lui on fit la dépense de l'entretien d'un carrosse ; ainsi
sa charité trouva un milieu, qui fut de se défaire de ses
six chevaux et de son cocher, et de faire prix avec un homme
de lui donner deux voyages par semaine, avec un cocher
propre et deux bons chevaux, moyennant six cents livres
par an. Il avoit cependant retenu le corps du carrosse. On
ménageoit toujours ces deux jours de la semaine pour les
visites de M. de Sacy; car, pour M. de Sévigné, il sortoit
peu, à moins que ce ne fût pour mener M. de Sacy pro-
mener. Il se contentoit d'aller prendre l'air au jardin des
Capucins qui sont proches de là. Il n'y avoit qu'une incom-
modité, qui est qu'allant avec son parasol, de peur du mal
de tète, les petits enfants, qui n'étoient pas accoutumés à
voir un homme ainsi coiffé, le suivoient avec quelques cris
désagréables ; sur quoi il demanda à M. de Sacy s'il ne
feroit pas bien de se faire suivre de son valet de chambre,
pour battre régulièrement la mesure lorsque ces enfants
commenceroient leur musique et pour leur faire changer
de ton. Il est vrai que ce cas de conscience fit rire M. de
Sacy et que M. de Sévigné comprit que le meilleur seroit
300 APPENDICES.
de ne point battre si dévotement ces enfants, qui ne feroient
que s'irriter davantage par un traitement qu'ils n'atten-
doient pas.
M. de Séviofné demeura ainsi ferme dans la solitude de
Paris, ne rendant guères d'autres visites qu'au Révérend
Père Dom de Loron, chartreux. Mais, lorsqu'on fit la
transmigration des religieuses de Paris à Port-Royal des
Champs, M. de Sévigné n'hésita point. Il voulut aussitôt
les suivre. Toute sa maison qu'il s'étoit rendue avec tant de
dépenses si propre, si commode et si agréable, n'eut pas la
force de le retenir. On ne vit jamais un si grand détache-
ment de toutes les choses de ce monde, pour ne s'attacher
qu'à Dieu seul et aux personnes qui le servoient fidèlement.
Dieu le récompensa d'avoir pour lui voulu plus d'une
fois quitter sa maison. Il semble que la nouvelle solitude
de ce saint désert lui inspira de nouveaux sentiments pour
la pénitence, la voyant si bien pratiquer devant ses yeux
par toutes sortes de personnes. Il se regarda lui seul comme
un grand champ de bataille, où il entreprit de remporter
à l'avenir autant de victoires sur son ennemi qu'il en avoit
été terrassé de fois. Il l'attaqua par son plus grand défaut,
qui étoit un certain air impérieux que lui avoient donné sa
noblesse et son commandement dans les armées, et qui
depuis s'étoit nourri dans ses grands biens.
Il voulut vivre dans la dépendance, avec la soumission
d'un enfant, se faisant régler jusqu'aux moindres choses
et prescrire toutes ses obligations, qui étoient pour l'ordi-
naire de transcrire les traductions de M. de Sacy. Ayant
toujours jusque-là assez aimé la délicatesse dans son vivre,
il cultiva l'abstinence et la mortification dans le manger.
Il n'est pas croyable combien il gourmanda l'avarice,
donnant toute la vaisselle d'argent dont jusque-là il ne
s'étoit point défait.
Mais ce qu'on admira le plus fut la douceur qu'on lui
vit avoir pour ses domestiques, car il leur avoit été toujours
extrêmement dur et fâcheux. Cependant, à force de se
APPENDICES. 301
combattre, Il devint si bon envers ses domestiques que ses
infirmités l'obligèrent de garder, qu'il les servoit presque
autant lui-même qu'il en étoit servi.
xn.
Note sur la terre de Champiré.
Cette terre seigneuriale appartenait, dès le xv® siècle,
aux Baraton, noble famille d'Anjou' ; elle était possédée,
en 1519, par Olivier Baraton, baron d'Ambrières, maître
d'hôtel ordinaire du roi, dont la fille unique et seule héri-
tière. Renée, épousa cette même année, par contrat du
24 mai, signé au lieu même de Champiré, Christophe de
Sévigné, d'une maison bretonne ancienne et bien connue, sg"^
de Tréal et de Vigneux (de la branche aînée), qui fut le tri-
saïeul de Renaud de Sévigné ~. Cette branche finit avec
Jacques de Sévigné, sg"" des Rochers et autres lieux, mort
sans enfants, en 1599, dont la sœur et unique héritière,
Marie de Sévigné, femme depuis 1584 de Joachim de
Sévigné, sg"" d'OIivet (de la branche cadette), posséda après
lui la seigneurie de Champiré ; des accords de famille que
nous ignorons la firent passer d'abord à Charles de Sévi-
gné, baron d'OIivet, son fils aîné, puis à Renaud, son fils
cadet, à qui un aveu féodal est rendu par un de ses vassaux
le 17 novembre 1633 ^.
Le chevalier Renaud de Sévigné la garda jusqu'àsa mort,
1. Dictionnaire historique, géograpidque et biograpliique de
Maine-et-Loire, par M. Célestin Port (Angers, 1874-1878,
3 vol. in-8), tome I, p. 593.
2. Archives du Finistère (Fonds Le Bihan de Pennelé, E.
412), copie collationnée du contrat du 24 mai 1519.
3. Registre des titres de la châtellenie de Champiré, p. 290
(iVrchivesde Maine-et-Loire, série B).
302 APPENDICES.
en 1676; onze ans après, ses héritiers la vendirent, par acte
passé devant M® Bretin, notaire à Rennes, le 25 février
1687, à Louis de Lantivy, seigneur de l'Ile Tizon, et à
Marie Gouin, son épouse, au prix de 40.000 livres, lods et
vente compris : entre autres charges, les acquéreurs eurent
à acquitter nine rente annuelle de 130 livres créée par
jyjme jg Sévigné, née Elisabeth Péna, pour l'entretien d'un
prêtre écolàtre, et parle testament de son mari, pour celui
de la lampe de l'église de Grugé '.
M. de Lantivy mourut vers 1697 ; Louis-François, son
fils aîné abandonna, en 1698, la terre de Champiré à ses
puînés : ce fut de ceux-ci probablement que la lamille Dan-
digné ou d'Andigné l'acquit directement pour la revendre,
par acte du 19 juin 1767, à Joachim-André Aveline, comte
de Narcé dont les descendants l'ont possédée jusqu'à ces
dernières années '-.
Cette terre seigneuriale n'avait pas grande importance,
à en juger par le prix de vente obtenu en 1687 ; sise en
Grugé, elle s'étendait sur Saint-Erblon, La Chapelle-Hullin et
autres paroisses de l'évêché d'Angers et relevait féodale-
ment de la baronnie de Pouancë. Des descriptions authen-
tiques énoncent qu'elle se composait d'une maison prin-
1. Archives d'Ille-et-Vilaine, minutes du notaire Bretin,
1687. — La rente de 100 livres, pour l'entretien d'un prêtre
écolàtre à Grugé, créée par testament de M™^ de Sévigné,
née Péna, a eu son assiette définitive par un acte du 20 février
1680, passé devant les notaires du ChâteletàParis, entre les héri-
tiers de Renaud de Sévigné et le curé assisté des niarguilliers et
habitants delà paroisse de Grugé : Charles, marquis de Sévi-
gné, y figure en son nom personnel, et la marquise, sa mère,
comme procuratrice et mandataire des autres héritiers ; un
bourgeois de Paris représentait les autres parties. Cet acte est
reproduit dans un article de M. de Falloux, publié par la Revue
de l'Anjou (1852, II, p. 327).
2. Lettre adressée à M. Saulnier par M. le C* Aveline de
Narcé, le 6 avril 1878.
APPENDICES.
303
cipale avec ses dépendances, et d'un moulin au boid de
l'Araise, dont l'eau remplissait les fossés ; de terres labou-
rables, de prés, de métairies, d'un parc enclos de murs d'un
circuit de 2000 toises ; d'une chênaie de La Torpelière, le
tout avec les hommes et sujets, les vassaux, les rentes féo-
dales et la juridiction qui y était jointe.
Pour avoir une idée du lieu de l'exil de Renaud de Sévi-
gné, il faut se reporter à la déclaration passée par Olivier
Baraton à la baronnie de Pouancé, le 4 octobre 1524 :
« C'est à scavoir ma maison forte de Champiré enclose de
douves et foussés tout à l'entour, fermant et ouvrant à
pont levys à chesnes de fer, avecq ceinture de closture de
murs à tours garnves d'arbalétrières et canonnières... avec
la court et jardin enclos desdicts foussés, sises les dictes
choses sur la rivière l'Arraise, en la paroisse de Grugé '. »
Telles étaient les choses en 1524, telles Sévigné les a trou-
vées, telles elles étaient encore à la fin du xvii^ siècle. On
en a la preuve par un procès-verbal d'estimation de cette
terre dressé, en 1697, après la mort de Louis de Lantivy,
l'acquéreur de 1687. On y lit ceci : « Le gros corps de la
maison forte de Champiré enclos de douves et fossés tout
autour fermant et ouvrant à pont levis à chaisnes de fer...
garnie de canonnières et autres choses requises à château
et maison forte... la maison au fond de la cour, en tout
inhabitable et indigne de réparation, avec terres, jardins
et prés, 9000 livres "-. » L'évaluation totale dépasse de près
de 16.000 livres le prix d'acquisition, ce qui indiquerait
que les héritiers de Renaud de Sévigné, pressés de se
défaire de cette terre, l'ont donnée à bas prix.
1. Le texte complet de cette déclaration est transcrit dans le
Registre des titres de la Châtellenie de Champiré, cité ci-des-
sus.
2. Histoire généalogique de ta maison de Lantivy et de ses
alliances, par MM. Th. Courtaux et C'^ de Lantivy de Trédion
(Paris, 1899,in-4°;, p. 308.
304 APPENDICES.
Au xvin® siècle, M. d'Andigné fit disparaître les vieilles
constructions et bâtir le château actuel dans lequel une
seule des tours a été encastrée : les fossés qu'il avait con-
servés ne furent comblés qu'au xix^ siècle par M.
de Narcé dont le fils, qui nous a donné ces détails, nous a
appris en outre qu'en faisant exécuter des fouilles autour
du château moderne, il a retrouvé en partie la configu-
ration du vieux Champiré : quatre tours au sud, fossés au
sud, est et ouest, au nord la rivière l'Araise, pont-levis au
sud et au nord ' .
La tradition du pays a gardé le souvenir du séjour d'une
dame de Sévigné à Champiré, au xvii® siècle ; on y mon-
trait la chambre qu'elle avait habitée. On a voulu que ce
fût la célèbre marquise de Sévigné, née de Rabutin-Chan-
tal, qui aurait, en 1671, accepté l'hospitalité de son oncle.
Evidemment on l'a confondue avec la femme de celui-ci,
née Elisabeth Péna, qui y a tenu plusieurs fois compagnie
à son mari exilé. Quant à sa nièce, qui a traversé le Maine
en 1671, pour se rendre aux Rochers, l'itinéraire connu
de son voyage la fait passer fort en dehors et assez loin
de Champiré ~. Que serait-elle allée faire dans cette
demeure délabrée, abandonnée depuis quinze ans, où per-
sonne n'était là pour la recevoir ? Renaud de Sévigné, tout
dévoué à Port-Royal depuis son veuvage et son retour à
Paris, n'y revenait plus. Dès cette époque, la vieille mai-
son forte étais vouée à la ruine et n'avait plus d'intérêt
pour son possesseur que par les revenus qu'il tirait de sa
terre.
1. Lettre de M. le C'*= de Narcé citée ci-dessus.
2. V. La marquise de Sévigné au pays du Maine, par
M. Roger Graffin [Rame historique et archéologique du Maine,
Le Mans, année 1900, l®"" semestre, p. 159).
APPENDICES. 305
XIII.
Lettres de Vabbé cCAglié, ambassadeur de Savoie en
France, à Madame Royale.
(Archives royales de Turin.)
Paris, 15 décembre 1651.
Il cavalière di Savigny mi ha poi visitato, e gli ho falto
ogni offerta del mio servicio, come altresi gli ho signifi-
cato l'ordine quel tenevo di V. A. R. di passar seco ogni
confidenza dove occorra valersi dal suo mezzo per avan-
tagiiiare gli interessi di loro AA. RR., massime al favore
délia sua parentela col signor Coadiutore délia cui persona
e del cui merito mostrai la stima che V. A. R. ne faceva
e la speranza ch' haveva di vederlo in posto più conspicuo
et in stato di giovare a se stesso et a suoi amici.
Traduction. — Le chevalier de Savignv ' m'a visité
depuis, et je lui ai fait toutes mes offres de service, comme
aussi je lui ai communiqué l'ordre que Votre Altesse
Royale m'avait donné de traiter avec lui en toute con-
fiance, lorsque l'occasion se présenterait de se servir de
son entremise pour favoriser les intérêts de Leurs Altesses
Royales, principalement grâce à sa parenté avec M. le
Coadjuteur : je montrai le grand cas que Votre Altesse
Royale faisait de la personne et du mérite de ce dernier,
et l'espoir qu'EUe avait de le voir dans une place plus émi-
nente et en état de rendre service à lui-même et à ses
amis.
1. L'abbé d'Aglié n'a jamais écrit correctement le nom du
correspondant de Madame Royale : dans sa troisième lettre
ci-après du 15 novembre de l'année suivante, on retrouve la
même forme vicieuse, Savigny, au lieu de Sévigné ou Sévigny.
20
306 APPENDICES
Paris, 3 mai 1652.
CoU'occasione che il marchese di Savigny venne avant'
hieri a visitar mi, egli mi significô l'ordine ch' haveva di
V. A. R. per il parlicolare concernente la lorma délia scri-
vere pretesa del signor Cardinale di Retz e le risposte che
gli venivano fatteper parte di V. A. R. onde io, informato
del negotio per l'honore ch'Ella mi iece di ragguagliarmene,
évacuai alcuni dubbi che gli restavano in questa materia,
havendo raccolto in effetto dal suo discorso esser procedute
le difficoltà dalla poca pratica più che dal intentione del
predetto signor Cardinale d'esiger da V. A. R. niente più
di quello fù osservato dal signor Cardinale di Richelieu,
benchè gli paresse in qualche modo différente, il grado
in cui si trovava il re di cognato la felice memoria del duca
Vittorio-Amedeo a quello di S. A. R. régnante, disparità
da me non amessa in riguardo di V. A. R. in alhora moglie
et hora madré, quasi in pari grado di sangue ai due Re,
padre efiglio,onde credo per questo capo tolta ogni diffi-
coltà, et altra che si opponga, riserbandosi, mi disse il
detto marchese di Savigny, di saper solo se dal signor car-
dinale iNIazarino si fosse per sorte mutato stilo, di che
non se si haveva per anco informatione.
Traduction. — A l'occasion de la visite qu'il me fit
avant-hier, le marquis de Savigny me signifia l'ordre qu'il
avait de Votre Altesse Royale au sujet de la particularité
concernant la forme que M. le cardinal de Retz prétend
employer en écrivant et celle des réponses qui lui étaient
adressées de la part de Votre Altesse Royale '. C'est pour-
quoi, instruit comme je l'étais de la question par 1 honneur
qu'Elle me fit de m'en informer, je résolus quelques doutes
qui lui restaient en cette matière, ayant en effet reconnu
1. Voir sur cet incident les lettres ci-dessus de M. de Sévi-
gné à Madame Royale des 26 avril, 3 et 10 mai 1652 .
APPENDICES. 307
par son discours que les difTicultés avaient pour origine
le peu de prali({ue du Cardinal plutôt que son intention
d'exiger de Votre Altesse Royale autre chose de plus que
ce qui était observé à l'égard du cardinal de Richelieu,
bien qu'il lui parut y avoir une certaine différence entre
le degré où se trouvait le Roi du duc Victor-Amédée, son
beau-lrère, d'heureuse mémoire, et celui de Son Altesse
Royale, actuellement régnant, disparité que je n'admets pas
h l'égard de Votre Altesse Royale, alors femme et mainte-
nant mère, presque au même degré de sang, avec les deux
rois, père et fils. C'est pourquoi je crois que sur ce point
toute difficulté est levée ou toute autre qu'on pourrait sou-
lever, se réservant, me dit le même marquis de Savigny,
de savoir seulement, si, vis-à-vis du cardinal ^lazarin, on
aurait par hasard changé de style, chose sur laquelle on
n'avait encore aucune information.
15 novembre 1652.
Il marchese di Savigny s'è lasciato intender che dopo
l'ordine dato mi di non dargli la mano, come agli altri
marescialU di campo, egli non mi ha visitato per non
derogare aile qualità ch'ei prétende avère di nascità, honori
et prérogative in casa sua non communi con ogni altro
maresciallo di campo, e che aveva per honore ch'io non
lasciassi di visitare la moglie ; ma perché uno di questi
giorni, egli si trovô présente alla mia visita ove capitô il
signor cardinale di Retz, il maresciallo di Plessy e il duca
di Brissac (cosa da lui sfuggita per il passato), non
intendendo di accompagnar mi nel sortire, mi vernie per
ogni modo ad accompagnare sino alla porta di casa comè
è solito, mi fece dire che non troverei maie da indi in
poi ch'egli ne usasse famigliarmente, senza ceremonia,
poichè altretanto havrebbe havuto a caro che facessi io
d'andar come privato in casa sua, perché in termine di
visita honoraria come Ambasciatore non corrispondendovi
308 APPENDICES.
verso di lui con H trattamenti dovotugli : non stîmava ch'io
col tal rigore in pretensione dovessi visitare la moglie ;
ma gli ho fatto rispondere che, salva la riputazione del
carico, ne userô sempre seco corne piu saprà desiderare,
perché le mie visite non havevano per fine che d'attestar-
gli la stima che V. A. R. faceva délia loro amicitia, rincres-
cendomi di non potergliene dar maggiori prove. lo non li
vedo molto spesso.
Traduction. — 15 novembre 1652. — Le marquis de
Savigny m'a fait entendre qu'après l'ordre qu'on m'a intimé
de ne plus lui donner la main, non plus qu'aux autres
maréchaux de camp, il ne m'a plus visité pour rie pas por-
ter atteinte aux qualités qu'il prétend avoir de naissance,
d'honneurs et de prérogatives chez lui non communes avec
tout autre maréchal de camp, et qu'il tenait à honneur que
je ne laissasse pas que de visiter sa femme ; mais comme
un de ces jours, il se trouvait présent à ma visite, en même
temps que le cardinal de Retz, le maréchal du Plessis et le
duc de Brissac (ce qu'il évitait auparavant), n'ayant pas
l'intention de m'accompagner au dehors, il me reconduisit
jusqu'à la porte de sa maison comme d'habitude. Et comme
il me fit dire que je ne trouvasse pas mauvais qu'il en usât
familièrement et sans cérémonie, désirant que j'en usasse de
même, en venant chez lui comme homme privé, puisque
ma qualité d'Ambassadeur ne me permettait pas de le
traiter en égal dans une visite de cérémonie, et de lui
accorder les politesses qui lui sont dues : il n'estimait pas
que je dusse avoir de telles exigences dans mes visites à
sa femme. Je lui ai fait répondre que, les droits de ma
charge sauvegardés, j'en userai avec lui comme il le dési-
rerait le mieux, parce que mes visites n'avaient pour but
que de lui prouver le cas que Votre Altesse Royale faisait
de leur amitié, regrettant de ne pouvoir lui en donner
de plus grandes preuves. Je ne le vois pas souvent.
APPENDICES. 309
XIV.
CORRESPONDANCE ENTRE LE CARDINAL DE RETZ
ET LA COUR DE SAVOIE.
(Archives royales de Turin.)
1.
Le cardinal de Retz à Madame Royale.
Paris, 2 mars 1652.
Madama Reale,
Riconosco la riverenza que deve prestarsi dalla mia
hum™^ servitù a V. A. Reale, neU'oceasione délia promo-
tione seguita délia mia persona al Cardinalato, mentre
essendo in tante manière obligato d'impiegare senipre me
stesso nel suo servigio, posso sperare ora haverne mag-
giore habilita, come anche sento che il mio animo se ne è
maggiormente acceso. V. A. Reale, con la sua naturale
generosità si degni, che ne la supplice, gradire il mio osse-
quio, et come pur spero che ella la riconoscera, ripieno
di cordialissima riv^^ [rwerenza] se restarà servita che io
posso comprobarglelo con l'opère, resti servita di porger-
mene le occasioni coi suoi commandi et si persuada di
trovarmi inviolabilmente, tutta la mia vita,
A Vra Altezza Reale
Humi™° servitore.
Il cardinale di Retz .
Traduction. — Madame Royale, je sais quels respects
mon très humble service doit à Votre Altesse Royale à
l'occasion de la promotion faite de ma personne au Cardi-
nalat : comme j'ai, en tant de façons, l'obligation de m'em-
ployer toujours à son service, je puis espérer maintenant
310 APPENDICES.
de le faire avec plus d'efficacité, de même que je sens
que mon âme y est portée avec plus d'ardeur. Que Votre
Altesse Royale, avec sa générosité naturelle, daigne, ce
dont je la supplie, agréer mon obéissance, et comme elle
la reconnaîtra, je l'espère, pleine de la plus cordiale révé-
rence, elle voudra bien que je la lui prouve par mes actes;
qu'elle me fasse la grâce de m'en fournir les occasions
par ses commandements et soit convaincue qu'elle me trou-
vera inviolablement toute ma vie, de votre Altesse Royale
le très humble serviteur.
Le cardinal de Retz.
2.
Madame Royale au cardinal de Retz.
16 mars 1652.
Monsieur mon cousin,
La haute estime que j'ai toujours faite des grandes qua-
lités qui sont en vous m'ayant fait prévenir par mes sou-
haits votre promotion à la dignité de cardinal, m'a aussi
convié à concourir avec plus de joie à l'applaudissement
qu'elle reçoit de tous ceux qui s'intéressent au bien et aux
avantages de l'Eglise. Je confesse avec eux que l'éclat de
la pourpre, qui sert aujourd'hui de juste récompense à
votre éminente vertu, peut recevoir d'elle quelque nou-
veau lustre, et ainsi comme votre mérite est le motif de
cette approbation publique que chacun fait paroître de
votre élection, cela augmente la satisfaction que je reçois
en mon particulier de vous voir élevé en un degré où il
sera toujours plus connu. Il ne me reste rien à désirer
pour rendre mon contentement parfait en ce point que de
rencontrer souvent les occasions de vous témoigner la
véritable inclination avec laquelle je suis. Monsieur mon
cousin, etc..
APPENDICES. 311
3.
Le cardinal de Retz à Madame Royale.
A Paris, ce 8 avril 1652.
Madame,
Je ne pouvois pas recevoir une plus grande preuve de la
bonté de Votre Altesse Royale que celle qu'il lui a plu
me donner de sa joie sur ma promotion au cardinalat;
j'en suis si glorieux que quand elle nem'auroit produit que
cet avantage, je l'estime infiniment au-dessus de tous ceux
qui me pourroient jamais arriver. La lettre que M. le mar-
quis de Sévigné m'a rendue de la part de Votre Altesse
Royale sur ce sujet m'a touché si sensiblement que je ne
saurois répondre aux termes obligeants dont elle est con-
çue que par mon silence. Je n'ai point été surpris de voir
Votre Altesse Royale dans des sentiments si avantageux
pour moi, puisque ce sont les mêmes qu'elle a toujours eus
et que M. le marquis de Sévigné, mon cousin, que Votre
Altesse Royale honore de sa bienveillance et qui a une
extrême passion pour son service, m'a fait connoître il y
a longtemps. Après tant d'occasions si particulières que
Votre Altesse Royale s'est acquise sur moi par sa pure
générosité, jeserois bien méconnoissant si je ne meservois
de tout l'avantage de ma nouvelle dignité pour l'employer
à donner des marques effectives de mon obéissance à Votre
Altesse Royale par mes services très humbles et par mes
soumissions, en lui faisant paroîtreque je suis, avec toute
la passion et tout le respect que je dois. Madame, de
Votre Altesse Royale, le très humble et très obéissant
serviteur.
Le cardinal de Retz.
312 APPENDICES.
4.
Madame Royale au cardinal de Retz.
J^
1652.
Monsieur mon cousin,
Ceux qui ont été informés comme moi des rares qualités
qui concourent en la personne de Votre Eminence n'ont
point été surpris de sa promotion à la dignité de cardinal
qui sembloit être due à votre mérite. Aussi a-t-elle été
suivie d'une générale approbation de tous ceux qui donnent
un juste prix à la vertu. Mais je puis dire encore avec
vérité qu'il n'y en a point qui en ait appris la nouvelle avec
plus de joie que j'ai fait comme d'un événement que j'avois
et prévu et souhaité. Je remercie avec affection Votre Emi-
nence de la part qu'elle m'en a donnée et la conjure de me
continuer son amitié et de croire que, l'estimant beaucoup,
j'aurai une particulière satisfaction de me la conserver par
les marques réciproques de la mienne dont je prie Votre
Eminence de faire état en toutes les occasions qui me don-
neront lieu de paroître comme je suis, etc..
5.
Le cardinal de Retz à Madame Royale.
Paris, ce 18 juillet 1652.
Madame,
M. l'abbé Amoretti m'a rendu la lettre dont il a plu à
Votre Altesse Royale de m 'honorer, et il m'a particulière-
ment informé de l'état des choses en Piémont et du sujet
APPENDICES. 313
pour lequel Elle l'a dépêché en cette Cour. Les marques
continuelles que je reçois de la bonté de Votre Altesse
Royale sont si obligeantes que je ne saurois assez lui en
témoigner mon ressentiment. Je vous supplie très humble-
ment de croire, Madame, que j'aurois une satisfaction
toute particulière de vous pouvoir rendre mes très humbles
services dans la conjoncture présente des affaires. Si j'y
avois quelque part. Votre Altesse Royale connoîtroit avec
combien de chaleur je m'intéresse pour tout ce qui la
peut regarder et avec combien de passion et de respect, je
suis pour toujours. Madame, de Votre Altesse Royale,
le très humble et très obéissant serviteur.
Le Cardinal de Retz.
6.
Le cardinal de Retz au duc de Savoie.
A Paris, 12 décembre 1652.
Monsieur,
Je me sers de l'occasion des prochaines fêtes de Noël
pour renouveler à Votre Altesse Royale les protestations
de mon très humble service et pour lui demander la con-
tinuation de ses bonnes grâces. Comme elles me sont infi-
niment chères. Elle se peut aisément persuader que je
rechercherai toujours les moyens de les mériter.
Je supplie très humblement Votre Altesse Royale de ne
point douter, s'il lui plaît, de cette vérité et qu'Elle ait
agréable de croire que j'aurai toujours un extrême désir de
lui rendre mes très humbles services pour lui faire connoître
que personne ne l'honore plus parfaitement que moi, ni
n'est plus passionnément. Monsieur, votre très affectionné
serviteur.
Le Cardinal de Retz.
314
APPENDICES.
7.
Le cardinal de Retz à Madame Royale.
A Paris, ce 12 décembre 1652.
Madame.
Comme je reçois des marques de la bonté de Votre
Altesse Royale en toutes occasions, aussi n'en dois-je
perdre aucune de lui en donner de la reconnoissance. C'est
ce qui m oblige de profiter des prochaines lêtes de Noël
pour renouveler à Votre Altesse Royale mes commissions
et les continuations de mon très humble service. Je vous
proteste. Madame, que je ne souhaite rien avec plus d'ar-
deur comme les occasions de vous les rendre pour vous
faire connuître combien je m intéresse dans les choses qui
vous regardent. Je supplierai donc très humblement Votre
Altesse Rovale de m'honorer de ses commandements afin
que je lui puisse témoigner par ma prompte obéissance que
de tous ceux quelle honore de sa bienveillance, il n'y en a
pas un t|ui ambitionne plus passionnément la qualité de{sic\,
Madame, de Votre Altesse Rovale, votre très humble et
très obéissant serviteur.
Le Cardinal de Retz.
XV.
LETTRES ET EXTRAITS DE LETTRES DU BARON
DE CIZE DE GRÉSY, SECRÉTAIRE DE L AMBASSADE
DE SAVOIE A PARIS Archives royales de Turin .
P A Madame Rovale. — 27 septembre 1652.
...P. S. Le Roi a donné lamnistie telle que MM. les Princes
la désiroient. Dans la visite que vient de me rendre M. le
APPENDICES. 315
marquis de Sévigné ^ il m'a donné la pièce ci-joinle, ne
sachant si Votre Altesse Royale l'a encore vue, j'ai cru
devoir la lui envoyer.
2° A LA MÊME. — 4 octobre 1652.
...(Il est question que M. de Reims quitte sa profession :
la duchesse de Nemours a dit au baron de Grésy qu'elle
désirait qu'il ne la quittât pas tant pour les avantages de
^jeues jg Nemours, ses filles, que pour la réputation de sa
maison.)... M. de Reims auroit dit qu'il auroit de la peine
à prendre aucune résolution, ne pensant qu'à se consoler
de la perte qu'il a faite, et il ne quilteroit sa profession
embrassée par dévotion que pour des considérations bien
fortes : il y est encouragé pour y rester par l'abbé de Beau-
regard, son frère naturel, qui a la direction de ses prin-
cipales affaires et qui a le plus de crédit près de lui.
...J'ai visité M. le marquis de Sévigné de la part de
Votre Altesse Royale et madame sa femme, qui est fort
belle. L'un et l'autre m'ont témoigné, par des paroles
pleines de respect, les obligations qu'ils lui ont. Ledit
sieur de Sévigné m'a rendu la visite avec beaucoup d'offres
et de civilités.
3" A LA MÊME. — 14 octobre 1652.
...L'on ne met point ici en doute qu'après que les Espa-
gnols auront pris Casai, ils n'attaquent derechef les places
de Son Altesse Royale et qu'elle ne soit à la fin contrainte
de s'accommoder avec eux, ce qu'elle devroit déjà avoir
fait ; ainsi parlent ceux qui veulent témoigner avoir quelque
zèle pour les intérêts et service de Leurs Altesses Royales.
Dans ces termes m'en ont parlé M. le marquis de Sévi-
gné, etc..
1. Le baron de Grésy écrit toujours « Sévigny » au lieu de
« Sévigné », ainsi que beaucoup de ses contemporains ; celte
remarque faite, nous avons cru devoir rétablir la véritable
orthographe du nom.
316 APPENDICES.
4° A LA MÊME. — 25 octobre 1652.
...Une personne me visita hier et me dit qu'il venoit du
Louvre où il avoit ouï l'ordre que la Reine avoit donné
que l'on y préparât un appartement pour M. le cardinal
Mazarin.
(La lettre de M. de Sévigné datée du même jour, que
ce dernier a chargé le baron de Grésy de faire parvenir à
Madame Royale, était jointe à celle-ci.)
5° Au Ministre. — 25 octobre 1652.
(Le baron de Grésy l'informe que l'abbé d'Aglié,
ambassadeur de Savoie, est arrivé à Paris le samedi 19 au
soir, et que dès le lendemain il est allé lui rendre ses
devoirs. Les termes de sa lettre semblent indiquer qu'il
y avait un peu de froid entre le secrétaire d'ambassade et
son chef : celui-ci, qui entendait l'avoir sous sa main, l'a
fait loger chez lui.)
6° Au MÊME. — 8 novembre 1652.
M. le marquis de Sévigné prit la peine de me visiter
avant-hier, et, me parlant de la perte de Casai, il me dit
qu'il ne voyoit pas comment l'on pourra arrêter les pro-
grès que sont pour faire les Espagnols dans le Piémont...
Il me dit aussi que la Cour faisoit toujours tout ce qu'elle
pouvoit pour détacher Monsieur le Prince des Espagnols,
mais qu'elle n'en viendroit pas à bout, le traitement qu'on
a fait à Monsieur (qui a toujours eu une conduite fort con-
sidérée et modérée) lui sert d'exemple.
M''® de Chevreuse mourut hier à huit heures du matin
d'une fièvre pourpre, accompagnée de la petite vérole :
elle n'a été malade que deux jours.
7° A Madame Royale. — 22 novembre 1652.
...Dans la visite que j'ai fait cette semaine à Madame la
marquise de Sévigné, elle m'a invité d'assurer Votre Altesse
Royale de ses respects et services et lui fais de sa part
ArPE>DICES. 317
très humble révérence. J'eus dans cette occasion celle de
m'entretenir avec M. le marquis de Sévigné sur ce que
l'on parloit d'éloigner M. le cardinal de Retz de Paris. Il
m'a dit qu il s'ctoit déjà donné l'honneur d'en écrire à
Votre Altesse Royale, qui fera [quej ne luy répéterai ce
qu'il m'en fit savoir,
8" Au MINISTRE. — 28 novembre 1652.
Au point de trois heures, monsieur l'Ambassadeur vient
de recevoir le billet ci-joint que vient de lui écrire Mon-
sieur le marquis de Sévigné ; mais il n'a le temps (puisque
le gentilhomme veut partir) ni rien d'extraordinaire à
écrire à Madame Royale. Il m'a invité de vous écrire
deux lignes pour accompagner ce billet et vous dire que
dans peu de jours l'on espère que M. le Cardinal arrivera
ici-
Ce jeudi à midi.
[Billet de Sé{>igné.) — Si monsieur l'ambassadeur ou
monsieur le baron de Grésy veulent écrire en Piémont, il
taut qu'ils m'envoient leurs lettres précisément à quatre
heures du soir; car, à cette heure-là, et non pas plus tard,
partira un gentilhomme de mes amis qui va à Turin en
diligence. (Signé :) Sévigné.
9" Au MÊME. — 29 novembre 1652.
... L'on attend toujours le retour de JM. le cardinal
Mazarin avec des grandes impatiences, vu qu'en lui toutes
choses seront remises.
10° A Madame Royale. — 6 décembre 1652.
Monsieur le marquis de Sévigné prit hier la peine de
me visiter et me donna connoissance de ce qu'il avoit eu
l'honneur d'écrire à Votre Altesse Royale par ses dernières
lettres au sujet du voyage que fait en Italie M. le marquis
de Richelieu et sur les discours que Madame d'Aiguillon
318 APPENDICES.
et Monsieur le maréchal du Plessis lui avoient lait ces
jours passés que Votre Altesse Royale avoit de nouveau
assuré et déclaré vouloir être constante dans le service du
Roi...
M. le cardinal de Retz prêche tous les dimanches dans
l'église de Notre-Dame : sa dernière prédication a été
admirée de tous pour son éloquence, mais plusieurs ne
purent s'empêcher à la sortie d'icelle de dire qu'elle
sentoit un peu la Fronde.
il" Au MiMSTRE. — Même jour.
Je prends soin de visiter toutes les semaines M. le mar-
quis de Sévigné : il a cette courtoisie de me rendre les
visites que je lui fais. Celle qu'il me rendit hier me donnoit
occasion d'écrire à Madame Royale quelque particularité
des discours qu'il me fit savoir. Je suis le plus succinct
qu'il m'est possible et ne lui donne aucune nouvelle pour
ne donner sujet à M. le comte Philippe et à M. l'ambas-
sadeur, son frère, de se plaindre de moi. Je rends compte
à celui-ci de tout ce que je puis apprendre...
P. S. Je vous supplie que le paquet ci-joint de M. le
marquis de Sévigné soit promptement rendu à M. Poite-
vin.
12° A Madame Royale. — 13 décembre 1652.
... L'onzième du courant, je fus visiter l'ami que Votre
Altesse Royale sait, lequel, après plusieurs discours super-
flus de lui écrire, me dit qu'il n'y avoit que deux jours
qu'un ministre d'Etat affectionné à la Royale Maison de
Savoie, lui parlant confidentiellement des affaires, dit que
l'on pensoit fort peu ici à celles du Piémont...
13" Au Ministre. — Même jour.
... L'ami m'a prié de vous supplier de sa part de faire
dire à M. le marquis de Richelieu, si vous l'avez pour
agréable, qu'il vous envoie les lettres qu'il a occasion
APPENDICES. 319
d'écrire à madame d'Ai{;uiilon pendant qu'il sera à cette
Cour, lesquelles il peut adresser à l'ami el vous les ferez
mettre, s'il vous plaît, dans mon paquet.
14" A Madame Royale. — 20 décembre 1652.
La Cour voyant qu'elle n'avoit pu, avec une conduite
étudiée, disposer M. le cardinal de Retz à se réunir
d'amitié avec M. le cardinal Mazarin, ainsi que j'ai eu
l'honneur d'écrire à Votre xVltesse Royale par ma précé-
dente i, ni le disposer au voyage de Rome que l'on lui
faisoit proposer, prit hier résolution, comme il fut au
Louvre voir Leurs Majestés, de s'assurer de sa personne
par l'emprisonnement qui s'en est fait, ainsi que l'ami (que
je viens de visiter) en rend compte à Votre Altesse Royale,
qui fera [que je] ne lui répéterai toutes les circonstances
de cette détention. L'on croit maintenant que M. le car-
dinal Mazarin sera ici dans peu de jours, puisque la véri-
table cause de son retardement n'étoit que les obstacles
que lui donnoit la personne dudit cardinal de Retz, qu'il
considéroit ici comme le chef de quelque cabale qu'il
disoit se faire, lesquelles (sic) étant contre l'autorité
royale et l'avantage de son service, a cru que le meilleur
remède étoit d'en ôter le sujet. Si cette conduite produira
les effets que la Cour se promet, le temps le fera con-
noître.
Cependant, M. l'archevêque de Paris, accompagné de
quelques chanoines, ont été députés du chapitre de Notre-
Dame pour aller porter leurs humbles supplications en
faveur dudit cardinal de Retz à Leurs Majestés, desquelles
il devoit avoir audience cette après-dînée. L'Université a
résolu, cette même après-dînée, la députation qu'elle fait
demain matin au Roi pour lui demander, avec très
humbles supplications, la liberté de M. le cardinal de
Retz. M. Laplace, recteur d'icelle, est chef de cette dépu-
1. Cette dépêche antérieure n'a pas été retrouvée.
320 APPE>DICES.
tation : il a laissé entendre à un mien ami qu'il a ordre
de ne rien oublier dans sa commission. L'on dit déjà que
quelques curés se laissent entendre que si on ne met en
liberté ledit cardinal, ils l'ermeront toutes leurs églises : ce
seroit une résolution qui porteroit de grandes consé-
quences, à quoi sans doute la Cour par prévoyance por-
tera les ordres nécessaires.
Le Père de Gondy a reçu ce matin ordre du Roi de se
retirer à Aubervilliers, qui n'est qu'à deux lieues d'ici.
L'ami, n'osant écrire à Votre Altesse Royale l'avis suivant,
m'a prié de le lui porter par celle-ci, qui est qu'un gen-
tilhomme, et des plus confidents de Monsieur le Prince, le
visita hier à onze heures du soir et eut avec lui une
longue conférence dans laquelle il lui donna connoissance
comme la Cour voudroit persuader à Monsieur le Prince
que l'emprisonnement qu'elle a fait de M. le cardinal de
Retz n'est que pour lui donner plus de satisfaction et
d'avantagres s'il désire faire son traité avec la Cour, mais
que, quoi qu'elle sache dire et faire. Monsieur le Prince ne
s'v fiera point et que ces discours sont plutôt pour le
mettre en quelque défiance près des Espagnols, et pour
suspendre les bonnes résolutions de ceux qui sont affec-
tionnés aux intérêts de Monsieur le Prince qui sont dans
Paris ; que, dans ces termes, ledit gentilhomme lui en a
écrit aujourd'hui, ainsi qu'ont fait deux autres qui agissent
ici avec lui pour ses intérêts, si bien que, hors d'une paix
générale, il n'y a point d'apparence qu'il se puisse accom-
moder.
Ce sont les mêmes mots qui m'ont été confiés dont je
rends compte à Votre Altesse Royale, laquelle l'ami m'a
aussi prié de la supplier très humblement de sa part que
faisant réponse à la lettre que se donne l'honneur de lui
écrire Madame la duchesse d'Aiguillon, elle lui veuille
faire la grâce d'y glisser quelques mots par lesquels
ladite dame d'Aiguillon puisse connoître que lami avoit
écrit à Votre Altesse Royale en recommandation de M.
APPENDICES. 321
le marquis de Richelieu. C'est tout ce que j'aurai l'hon-
neur de lui faire savoir, lui faisant très humbles révé-
rences et du Ciel hii souhaite les honnes fêtes pour
longues années, accompagnées de toute santé et prospé-
rité, et à moi la grâce de me dire pour jamais, etc..
15" A LA MÊME. — 27 décembre 1652.
Je me trouve chargé, par la prière que Tami m a fait,
de rendre compte à Votre Altesse Royale, d'une proposi-
tion qu'il a cru que la conjoncture des affaires lui per-
mettoit de pouvoir faire ; mais comme il seroit bien marri
qu elle put en rien préjudicier aux intérêts de V'otre
Altesse Royale, aussi la fait-il avec cette condition, en
tant qu'elle sera à iceux avantageuse. Et comme le juge-
meJit n'en peut être fait que par elle, il la supplie du
moins de la recevoir pour une marque de son zèle et de
sa fidélité. L'emprisonnement de M. le cardinal de Uelz
donnant occasion à tous ceux qui lui sont attachés, ou pai'
degré de parentage ou par celui d'amitié, de penser aux
moyens de lui donner la liberté et de travailler à même
temps pour le repos du public et pour la paix générale, à
ces fins il a considéré que l'assistance du spirituel et du
temporel étoit requise. Pour la première, Ion se la pro-
met du Pape, auquel a été dépêché l'abbé Charrier pour
lui rendre compte de la détention du cardinal de Retz et
pour lui suggérer les moyens de lui procurer la liberté ;
pour l'autre, il a cru, sur les bruits qui courent ici d'un
traité entre Votre Altesse Royale et les Espagnols, qu il
pouvoit lui représenter que si, dans les conditions d'icelui,
ils promettent de lui recouvrer Pignerol, elle doit profiter
de l'occasion... puisqu'elle ne peut être plus belle, attendu
que toutes les apparences sont que la guerre se va
allumer de plus fort, cette campagne, dans divers endroits
de la France, ce qui favoriseroit non seulement le siège
de Pignerol, mais qui lairroit encore aux Espagnols de
faire passer un nerf considérable d Inlanterie et de cava-
21
322 APPENDICES.
lerle dans la Bresse et dans le Dauphiné ou autre province
voisine, auxquelles joignaiU les troupes de Votre Altesse
Royale, on se pourroit promettre des succès pour les fins
ci-dessus représentées. Il se promet que ce dessein sera
puissamment secondé par Monsieur le Prince et par
quelques gouverneurs de places frontières, parents du
Cardinal ou intimes amis, comme encore d'une infinité de
personnes de condition ; il supplie donc Votre Altesse
Royale de considérer que, par ce moyen, on voudroit
mettre dans ses royales mains les moyens d'avahtager ses
intérêts auprès des Espagnols, en soumettant à sa puis-
sance de nouveaux mouvements en ce royaume, dans
lesquels chacun trouveroit son compte, sans parler de la
gloire qui seroit due à Votre Altesse Royale pour le repos
qu'elle procureroit à la chrétienté... Que si les intérêts de
Votre Altesse Royale se peuvent venir à cette proposition
et qu'il faille seulement penser aux précautions qu'elle
requiert, l'ami, sur ses sentiments et commandements,
agira avec la conduite que demande une affaire de cette
importance : il est donc attendant de les apprendre et a
concerté avec moi les movens de lui faire savoir où il va.
Les commandements que Votre Altesse Royale me fait
de lui rendre compte de ce que l'ami me faisoit savoir est
la cause que je ne me suis pas excusé sur la prière qu'il
m'a fait de lui porter ses discours, m'ayant aussi dit qu il
écriroit à Votre Altesse Royale de me les avoir confiés. Je lui
en rends donc compte très fidèlement et sans y rien ajouter,
mais bien ai omis beaucoup de paroles et circonstances
superflues qui auroient rendu ma lettre importune à Votre
Altesse Royale. L'ami se promet que JMonsieur le Prince
et M. le cardinal de Retz se réuniront d'amitié. Il y a des
personnes qui travaillent puissamment pour cela. Ledit
Cardinal, avant son emprisonnement, recherchoit déjà avec
de grands soins l'amitié dudit prince. Etant tout ce qu'a
digne (sic) de lui faire savoir, de Votre Altesse Royale,
son très humble, très obéissant, etc..
APPENDICES. 323
16° A LA MÊME. — 27 décembre 1652.
Ceux qui espéroieut que l'emprisonnement de M. le
cardinal de Retz dût causer quelque émotion se sont désa-
busés par l'indifférence que le peuple a conçue pour sa
détention. La conduite artificieuse qu'il a eue dans les
derniers mouvements lui a fait perdre le crédit qu'il s'étoit
acquis auparavant : l'on le considère comme celui (pii a,
par de malicieuses inspirations, détourné les bons effets
que Paris se promettoit de l'union de Monsieur avec Mon-
sieur le Prince, de laquelle il espéroit le repos et la paix.
L'on remarque que, dans toute sa conduite, l'ambition a
été le seul but de ses desseins. S'il a, par ses soins et
intrigues, facilité le retour de la Cour à Paris, c'est dans la
croyance que Monsieur y resteroit dans le rang et le cré-
dit qui est dû à sa naissance, par le moyen duquel il se
seroit fait considérer. Et comme le succès de ce dessein
dépendoit de l'éloignement de M. le cardinal Mazarin,
aussi y apportoit-il pour cet effet autant de soin qu'il en
avoit pris pour le retour de la Cour, mais il lut plus que
surpris lorsque l'on lui rompit ses mesures par la retraite
que l'on fit faire à Monsieur. Dans ce malheur, il conser-
voit encore le désir de félicité {sic) et essaya derechef, par
les voies d'intrigue et des cabales, se rendre considérable
et obliger M. le cardinal Mazarin de concevoir de défiance
[sic) de Paris : il fut persuadé de cette croyance, lorsque
par de secrets empressements, on lui témoigna désirer
qu'il fît un voyage à Rome ou qu'il recherchât de se réu-
nir d'amitié avec ledit cardinal Mazarin. Il fit le fin sur
l'une et sur l'autre de ces recherches, se repaissant d'une
fausse autorité et se promettoit par cette conduite se porter
au degré de ministère. Il croyoit aussi que l'on n'auroit
osé rien entreprendre contre une personne pour qui le
monde avoit du respect et que la fortune révéroit. Mais
cette considération étant au-dessous des raisons que la
Cour a eu de s'en assurer, elle avoit résolu, il y a plus de
quinze jours, sa détention et l'éloignement de ceux qui
o24 APPENDICES.
pourroient marcher d'intelligence avec lui. L'on a eu celte
pensée de M. le marquis de Sévigné auquel le Roi, par ime
lettre de cachet, a commandé de se retirer à une de ses
maisons aux champs, lequel partit hier d'ici.
{E}i mavixe de la dernière poge.) La Reine envoya dire
à Madame la marquise de Sévigué qu'elle pouvoit demeu-
rer à Paris : elle fait néanmoins état, ce printemps, aller
trouver M. de Sévigné.
17" Au MiMSTRE. — 3 janvier 16.53.
...(Il prie de la part de M'"" d'Aiguillon — piière Irans-
mise par M™" la marquise de Sévigné — de laire tout ce
qui est possible pour que le marquis de Richelieu oublie
M"" de Beauvais : on désireroit que M^'® Ville la lui fît
oublier ^).
18" A Madame Royale. — ■ 3 janvier 1653.
... Je visitai hier Madame la marquise de Sévigué où je
trouvai M. de Roquelaure^ et quelques autres de ses amis.
Elle me témoigna, après le départ de ces messieurs, les
obligations que ^L-idame d'Aiguillon a à Votre Altesse
Royale pour les accueils et honneurs que ■NL le marquis de
Richelieu reçoit de Votre Altesse Royale.
19° Au MIMSTRE. — 10 janvier 1653.
L'ami, comme je vous ai écrit, s'est retiré eu une
sienne maison en Touraine"', à soixante lieues d ici. ,1 ai
1. De la lamille Villa à laquelle appartenait le marquis
« Ville » nommé dans une lettre de 31. de Sévigné à M'""
Royale du 25 août 1048.
2. Gaston-Jcun-Baplisle de Roquclaurc ;i617-i683), licuie-
nant-igénéral dans les armées du roi : c'est lui que ses bouflbn-
neries ont rendu célèbre ; on a mis son nom dans bien des
anecdotes de pure invention.
3. M. de Grésy a été mal renseigné : on sait que la terre
de Chanipiré était en Anjou.
APPENDICES. 325
remis la lettre que vous m avez adressée à sa femme (|ui
la lui fera tenir. Je la visite le plus souvent que je puis,
caries amis de l'ami confèrent avec elle. Elle a ordre de
son mari de me dire tout ce qu elle apprendra ; et moi,
quand il y aura quelque chose digne de la connoissance
de Madame Royale, je ne manquerai de lui en rendre
compte...
20" Au MÊME. — 17 janvier 1653.
J'ai remis à la ibmmc de l'ami la lettre qui étoit pour
elle, et le paquet qui étoit pour Madame la duchesse d'Ai-
guillon laquelle a témoigné à la femme de l'ami qu'elle
seroit bien aise de me voir...
21" A Madame Royale. — Même jour.
J'ai visité la femme de l'ami, laquelle a reçu de lui une
lettre pour Votre Altesse Royale laquelle elle lui envoie
par cet ordinaire. Il y a toujours chez elle grand monde :
plusieurs de ceux qui sont entièrement attachés aux inté-
rêts de -M. le cardinal Mazarin la visitent assez souvent : il
ne faut pas douter que ce ne s )it pour voir ceux qui fré-
quentent chez elle et savoir ce qui se dit, tant sur la déten-
tion de monsieur le cardinal de Retz que sur l'éloigne-
ment de l'ami. Je lui rends mes visites aux heures qu'elle
me marque et qu'elle fait dire qu'elle n'est point chez elle,
me conduisant de façon que personne n'en a connois-
sance...
22" A LA MÊME. — 30 janvier 1653.
Je fus hier rendre mes devoirs à Madame d'Aiguillon ;
mais je ne la trouvai point. Je vis Madame la marquise de
Sévigné, qui me dit qu'elle faisoit état de partir dans
quatre ou cinq jours pour aller trouver son mari duquel
bientôt je recevrai des lettres...
23" A LA MÊME. — 7 février 1653.
... L'ami est un peu malade, ce qui [a] obligé sa femme
326 APPENDICES.
de partir pour l'aller trouver ; je ne l'ai point vue à son
départ, car j'étois en voyage...
24" A LA MÊME. — 21 février 1653.
.le n'ai point eu de réponse de l'ami ; chez lui l'on m'a
dit qu'il est encore un peu malade. Dans cinq à six jours,
sa femme arrivera chez lui. J'ai accompagné la lettre que
Votre Altesse Royale lui a écrite et je l'ai remise à celui
qui a ordre de les lui faire tenir.
25° Au MiNiSTHK. — Même jour.
(Il annonce au ministre qu'il compte partir le 25 de ce
mois.)
XVI.
Lettre du chevalier de Sévigné à Madame Royale ^.
A Paris, ce 1*" x"^ 1651.
Il y a quelques jours que m*" le duc dorleans avoit
envoyé un de ses gent™*^^ nomé Verderonc en la Court
pour suplier le roy de sursseoir l'enregistrement de la
déclaration contre ^I. le prince. Cette nuit il est arrivé un
Courier du roy au M^' de 1 hospital qui lui comande d'aller
au parlement et de dire que Sa mag*^ se plaint du délai
que cette comp'" a aporté en cette affaire ; qu'il a ample-
ment informé le s'' de Verderone des raisons qu'il a pour
ne pas accorder a son oncle ce qu il lui demandoit sur ce
sujet et qu'il croit qu'il en demeurera satisfait.
Le s'" de Verderone debvoit aussi demander au roy s il
trouveroit bien que m"" de Chavigny alast trouver m"" le
1. Afin de donner un spécimen de l'orthographe du cheva-
lier de Sévigné, nous croyons devoir reproduire ici, entière-
ment conforme à l'original, cette lettre que nous avons déjà
publiée à son ordre chronologique, page 6.
APPENDICES. 327
prince pour travailler à un acommodement ; ie ne scay
point quelle réponse Ion lui aura faite : il faut attendre son
retour p"" Taprendre. Les pc^litiques de ce pais ne croient
pas que l'on l'acorde.
M"" le duc dorleans a esté ce matin au palais et a prié
la c'^ dattendre le retour du s' de Verderone avant que
délibérer. Lon a donné iusques a demain ; mais comme le
dit s' ne sera pas venu, ie me persuade que la chose sera
remise à la sepmaine prochaine. Lon m'a assuré que M"" le
duc dorleans ne lait pas toutes ses démarches par amitié
pour M. le prince, ains au contraire qu'il le hait beau-
coup, mais qu'il le craint encore plus et pardessus tout il
ne peut se résoudre de se fier à la Reyne disant qu'elle l'a
trompé plusieurs lois. V. A.R. voit que ie non suis pas de
mesme et que iay une entière confiance en sa bonté
puisque ie ne lui cache rien. Le zèle et la passion que jav
de la sci'\ir m'obligeront à en user tousiours ainsi.
Le mauvais temps a empesché que notre armée n'aie
encore pu ioindre tout à fait m"" le conte d'Arcourt. Se
sont les dernières nouvelles que j'ay eues de la Court et
que le roy ne partira pas d'où il est que l'on ne voie si
m"" le prince veut donner Bataille. On fera tous les efforts
possible pour l'y obliger : on me vient de dire qui!
marche pour secourir La Rochelle et m"" d'Arcourt pour
l'en empescher : il ne se faut pas trop aresior à tous ses
bruits. C'est trop parler de guerre. Quelq*^' gazettes de
poitiers portent qu'il y a plusieurs galanteries à la Cour ;
mais celle qui y fait plus desclat, c'est de Mad° de Beauvais
qui a un œil de verre et plus de 60 ans avec m*" de
Vardes, fils de feu Mad. la contesse de Mores et un des
plus beaux gent™®^ de son temps. La dame est première
femme de chambre de la Reyne et fort riche. Lon croit
icy qu'il y a deux princesses qui veulent épouser le duc
d'Yorc : c'est M"^ de Longueville et M"" de Chevreuse. M""
le Coad. qui en peut savoir des nouvelles m'a assuré que
la dernière n'y pensoit pas ; en effet se seroit mieux le
.'{28 APPENDICES.
lait de 1 autre qui a des biens exesils. J'ay esté plusieurs
fois chez m'" l'abbé d'Aiglié, mais il a tousiours esté
malade : i'en ay eu beaucoup de desplaisir puisque cela
m'empesclie de recevoir plus particulièrement les coman-
dements de V'"'' A. R. Il faudroit qu'ils fussent bien diffi-
ciles à exécuter si ie n'en viens pas à bout : ie suplie très
humblement V. A. R. de dire à son secret''' que les ch^""^
en france ne sont pas mariés et que je suis marié et que
ie m'apelle Sevigné au lyeu de Somûgni ; c'est qu'il y a
des persones ici qui ont ce dernier nom et ainsi il se pou-
roit faire des équivoques. Si la femme que iay espousée
avoit l'honneur destre cognue de Vot. A. R., ie croy
qu'elle auroit quelque bonté pour elle. Le récit que ie luy
av faict de vos grandes vertus lui a donné une si grande
vénération pour V. A. R. qu'elle a une passion extraord""®
de lui rendre toutes sortes de très humbles obéissances et
respects. Sil mestoit permis d'en dire du bien, ie l'assu-
rerés qu'il y a peu de femmes en france qui ayent l'esprit
meilleur ni plus solide.
[Au dos, cachets de cire noire et lacs de soie bleu-vert
clair. Les cachets portent deux faisceaux de torches
enllammées réunis par un entrelacs et un nœud, et
autour, cette légende : Vi, flamma, sic vita pcwes.]
TABLE ALPHABETIQUE
DES INOMS PROPRES
Agen (la ville d'), 99.
Aglié (l'abbé d'), M. de Sévi-
gné doit le voir, 4 ; il est
malade, 9, 17; M. de Sévigné
l'a vu, 18; il a dû envoyer à
la duchesse de Savoie le texte
des arrêts du Parlement de
Paris contre Mazarin, 19,50;
s'absente de Paris, 66; esta
Saumur, 69 ; est de retour à
Paris, 1 14 ; ses relations per-
mettront à M. de Sévigné
d'abrégpr les siennes, 123.
125; il annoncera à la du-
chesse de Savoie la mort du
duc de Xemours, 161; et le
projet de Mazarin de marier
une de ses nièces avec le duc
de Savoie. 250; cité, 77, 78.
82. 170.
Aiguillon (Marie-Madeleine de
VignerotduPle.ssis, duchesse
d'), Mazarin lui écrit. 50; elle
intervient dans les négocia-
tions pour la paix, 111, 119,
126; Mazarin ne veut plus
exécuter le traité qu'elle a
négocié, 143 ; elle croit la paix
faite, 149; prie M. de Sévi-
gné d'intervenir au sujet
du mariage du marquis de
Richelieu. 208; celui-ci était
son héritier probable. 209 ; elle
veut le décider à faire annuler
son mariage, 212, 211! : la du-
chesse de Savoie lui écrit, 2)i2.
234 ; elle s'occupe du retour de
M. de Sévigné à Pari^;.25l.
Amboise (ville d'), 81.
Amiens (ville à'], Ml.
Ancre (maréchal d'I. 161.
Angers (ville d'), 55, 68. 69.74,
76.
Angleterre, 224.
Anjou (duc d'), 115.
Anjou (province d'), 55.
Anne d'Autriche, reine de
France, inspire de la défiance
au duc d'Orléans, 7: on croit
qu'elle va rappeler Mazarin,
12 ; dé.<ire son retour. 20, 22 ;
est suppliée de ne pas y con-
sentir, 23 à 25 ; persiste à le
désirer. 26; le coadiuteur ne
peut la persuader d y renon-
cer, 30; elle reste passionnée
pour ce retour, 33 à 35; le
duc d'Orléans l'en blâme,
4 4 ; réflexion de Mathieu Mole
à ce sujet, 45; elle fera tout
ce que Mazarin voudra, 46;
sentiments des Parisiens à
ce sujet, 55 ; le coadjuteur
a traité avec elle. 58 ; Yille-
roi l'a priée de rappeler Ma-
zarin au Conseil, 63; elle est
résolue de garder Mazarin,
67. 68 ; elle n'en veut pas au
330
TABLE ALPHABETIQUE.
coadjuteur de désapprouver
le retour de Mazarin. 70; le
duc de Dam ville voudrait
lui rapporter une réponse fa-
vorable du duc d'Orléans. 73 ;
le coadjuteur la défendra
contre Condé si elle veut
éloigner Mazarin, 76 ; elle féli-
cite le coadjuteur de sa pro-
motion au cardinalat. 80 ; elle
se montre bien disposée pour
ceux qui ne voient pas Maza-
rin, 81 ; le coadjuteur ne peut
lui marquer son dévouement à
cause de Mazarin, 84; elle
traite avec Fabert, 98 ; le roi
et la reine d'Angleterre la
pressent de négocier avec les
Princes, 109; le coadjuteur
s'est brouillé avec Condé à
cause d'elle, 112; elle lui fait
savoir qu'elle ne veut pas
traiter sans lui, 113; elle
reçoit les envoyés de Condé
et du duc d'Orléans, 115, 116 ;
elle est mécontente du coad-
juteur, l'21 ; elle fait prendre
des nouvelles du duc d'Or-
léans malade. 121. 123; en
renvoyant Mazarin. elle aurait
ardernment rétabli la paix,
124; elle songe à faire couron-
ner le roi à Reims, 129 ; la
reine de Suède lui offre son
entremise pour la paix. 131 ;
elle est aveuglée par son atta-
chement pour Mazarin. 136;
trompée par le duc de Lor-
raine, 138; elle reproche au
coadjuteur ses rapports avec
ce dernier, 139; le coadjuteur
sait que c'est Mazarin et non
elle qui s'oppose à ce qu'il
prenne le bonnet de cardi-
nal, 142; elle demeure atta-
chée à Mazarin, 155. 156; le
camérier du pape lui remet
ses lettres sans voir Z\Iazarin.
156; on dit qu'elle aurait fait
donner des lettres de duc à
Mathieu Mole, 158: elle dé-
sire le retour de Mazarin,
170; elle veut tout pousser
à l'extrémité, 174, 176; elle
néglige les occasions de ren-
trer dans Paris. 177 ; elle
donne au coadjuteur le bon-
net de cardinal et confère avec
lui, 179 à 181; le prince Tho-
mas de Savoie est dans sa
confidence, 182 ; Mazarin veut
la tenir éloignée du coadju-
teur, 184; elle attend le re-
tour de Mazarin pour traiter,
186; elle négocie avec Condé,
187 : le duc de Damville lui
annonce que le traité avec le
duc d'Orléans est signé, 196;
elle désire que ce dernier se
retire à Blois, 197; elle en-
tend un sermon du coadju-
teur, 201; elle retarde à re-
gret la déclaration contre
Condé. 205; elle fait exiler
Châteauneuf comme étant
trop du parti du duc d'Or-
léans. 209; elle visite M^^ de
Chevreuse. 210 ; le prince
Thomas de Savoie l'a préve-
nue contre le marquis de
Richelieu. 213; le président
Perrault lui fait des propo-
sitions d'accommodement de
la part de Condé, 221 ; le co-
adjuteur est arrêté dans une
de ses chambres, 225; elle
est mal avec Mazarin, 249;
elle ne veut pas que le roi
aille à l'armée, 253.
Aumont (maréchal d'), 74.
Avesnes (ville d'i, 99.
B
Bar (Guv de). 38.
Barcelone (ville del. 85. 189.
206.
Bar-le-Duc (ville deK 213. 215.
223.
Bartet (Isaac), 34.
Beaufort (François de Ven-
dôme, duc de), envoie deman-
der à la Cour les prises faites
TABLE ALPHABETigUK.
331
par des chevaliers franrais,
21 ; sera liiontôt réconcilié
avec le cnadjuteur, 35; on
croit qu'il (ommanflera les
troupes du duc d'Orléans,
iO; dévoué à la duchesse de
Chevreuse. 4G à 'i8; va com-
mander les troupes du duc
d'Orléans, 57, 04; il n'arri-
vera pas à temps pour secou-
rir Angers, 74; il veut con-
duire le duc d'Orléans à
Orléans. 80 à 88; son inca-
])acité, 90; son ditférendavec
le duc de Xemours, VII ; les
Parisiens sont mécontents
de lui, 119; il est élu gouver-
neur de Paris, 140; Condé
promet à la duchesse de Ne-
mours de ne jamais le voir,
101, 102; il sortira de Paris.
193; il a accepté l'amnistie,
200.
Beaujeu (Claude-Paul de Beau-
jeu de Villif'rs, comte de),
107, 114, 12-2.
Beauvais {M^" de), 8. 31. 00.
208, 212.
Beauvais (M"--' de|, 14, 208, 212.
Belle-Isle (île de). 252 à 250.
Bérulle (cardinal de). 157.
Béthune (comte de), 157.
Bignon, avocat général au Par-
lement de Paris, 205.
Bitault (François), conseiller
au Parlement de Paris. 38.
Blois (ville de), 83. 192,190,200.
205, 217.
Boisgeffroy (Pierre Mascarel
de), 97.
Bois-le-Vicomte (ville de). 197.
Bordeaux (ville de). 55. 80. 99.
107. 119. 132. 145, 172, 188.
Bordeaux (Antoine de), 224.
Bossu (comtesse de), 193, 198.
Bouillon (ville de), 129.
Bouillon (Godefroi de), 05.
Bouillon (Frédéric-Maurice, duc
de). 42. 88, 99. 150. 103, 108.
Bouillon (duchesse de), 118.
Bourbon-l'Archambauit (ville
de), 205.
Bourges (ville de), 205.
Brégy (M. de), 122.
Hrest (ville de), 250.
Brisach (ville de). 107, 108.
Brissac (duc de), 90. 254, 256.
Broglic (comte de), 90.
Hrouage (place de), 99, 250.
Hroussel (Pierre de), 145, 140,
183.
Bruxelles (ville de), 223.
C
Caudale (Louis-Oharles-Gaston
de Nogaret de La Valette,
duc de), 170. 181. 189.
Casai (ville de), 128. 180, 189.
194, 198, 202, 203, 200, 223.
Catalogne (province de), 99.
218.
Champagne (régiment de). 84.
Champiré (terre de), 250.
Champlàtreux ( J e a n-Edouard
Mole, comte de), 40.
Charenton (ville de), 107.
Charles II. prince roval d'An-
gleterre. 13, 109.
Charles-Emmanuel II. duc de
Savoie. Voir : Savoie (duc de).
Charlevoix, 107, 108.
Charrier (l'abbé), 70, 230, 233.
Chartres (ville de). 88, 110, 200.
Châteauneuf (Charles de l'Au-
bépine, marquis de). 25. 26,
.30, 40, 50. 62. 137, 139, 209.
Châteaurenard (ville de), 97.
Château-Thierry (ville de), 169.
Ghâtillon (IsaÎ3elle- Angélique
de Montmorencv'-Bouteville,
duchesse de), 127, 154, 242.
Châtillon-sur-Loing. 97.
Chauny (ville de), loi, 150.
Chavigny (Léon Bouthillier,
comte' de), il est question de
l'envoyer vers Condé pour
traiter avec lui de la part du
duc d'Orléans, 7; il est très
lié avec celui-ci, 40; il le
presse d'aller à Orléans, 80;
il va à la Cour négocier pour
les princes, 109 à 112; est
332
TABLE ALPHABETIQUE.
re(;u par la reine et Mazarin.
H 5, 116; échoue dans ses
négociations, 119, 120; son
rôle dans ces négociations,
126, 127; Mazarin ne veut
plus exécuter le traité qu'il
a fait avec lui, 143; son ami
intime, le marquis de Morte-
mart, anégocié l'éloignement
de Mazarin, 147; il aurait
accepté d'entrer dans le Con-
seil des Princes, 158, 150;
aurait traité avec l'al^bé Fou-
quet, 184; sa mort, 190.
Christine de France, voir : Sa-
voie (duchesse de).
Christine de Suède, voir : Suède
(Christine, reine de).
Coadjuteur, voir : Retz (cardi-
nal de).
Cœuvres (marquise de), 21.
Gondé (Louis de Bourbon,
prince de), son courage au
combat de Cognac, 4; projet
de déclaration contre lui au
Parlement de Paris, 5 à 7 ;
il va secourir La Rochelle.
8; le Parlement de Paris
délibère au sujet de la décla-
ration proposée contre lui,
11, 12; il va combattre le
comte d'Harcourt, 13; ses
partisans attaquent le Pre-
mier Président, 16; on négo-
cie pour lui à la Cour. 17 ;
un de ses partisans se dispute
au Parlement avec le coad-
juteur, 19; affaiblissement
de son parti, 20; le maréchal
d'Estampes va le trouver. 21 ;
il consent au retour de Ma-
zarin 24 ; il feint d'ignorer
que M™'" de Longueville né-
gocie avec Mazarin, 25;- son
attitude entre Mazarin et le
duc d'Orléans, 34, 35; un
gentilhomme lit de sa part
une déc laration au Parlement
de Paris contre Mazarin, 36,
37 ; le Parlement accorde les
fins de sa requête, 39; le duc
d'Orléans n'a pas encore trai-
té avec lui, 42-43; bruit qu'il
a été battu, 45; Mazarin est
prêt à lui donner tout le
royaume, 46; à quelles con-
ditions il traitera, 47; il est
battu par le comte d'Harcourt,
49,50; demeure suspect au
duc d'Orléans, 51 à 53; son
traité avec lui, 54, 55; il né-
gocie avec le coadjuteur, 57,
58 ; celui-ci refuse de se ré-
concilier avec lui, 59 à 62;
rupture des négociations
entre eux, 69 ; on dit qu'il est
maître de la Guyenne, 74 ; le
coadjuteur soutiendra la Cour
contre lui, 76; le coadjuteur
voudrait détacher de lui le
duc d'Orléans, 80; il est
obligé de lever le siège de
Miradoux,81 ; il est repoussé
par le comte d'Harcourt, 84,
86; le duc de Beaufort vou-
drait hii amener les troupes
du duc de Nemours, 87 ; il
a commandé à Tavannes de
ne point quitter le duc d'Or-
léans, 88; il annonce son
arrivée à Paris, 89, 90; il ne
vient pas à Paris, 91 ; il s'em-
pare de Montargis, 92; la
répression à Paris a modifié
son attitude, 95: il bat les
troupes royales à Bléneau,
96; il vient à Paris, 97; le
duc d'Orléans promet au coad-
juteur qu'il en sortira bien-
tôt, 98 ; manœuvres de ses
partisans, 100 à 102; il va au
Parlement. 102, 103 ; il aurait
mal parlé du coadjuteur, 103;
il a refusé de rendre Stenay
au duc de Lorraine. 107 ; il a
une dispute au Parlement
avec un conseiller, 108; il va
au Parlement. 109; il voit le
roi et la reine d'Angleterre
au sujet des négociations de
paix.' 109. 110; Chavigny
négocie pour lui. 111. 112; il
fait relâcher la duchesse de
Bouillon. 118; subit les re-
TABLE ALPilARKTIQLE,
333
proches dos l'arisiens, 119;
il est irrité contre le coadju-
teur, 1-20; celui-ci, j)Our lui
l'aire échec, s'est rapproché
de Mazariu. 121; conditions
de son traité avec la Cour,
12i ; tîourville traite pour
lui à la Cour. 12G, 127; il est
amoureux de M'"" de Ghâtil-
lon, 127; il reçoit le duc de
Lorraine, 133, 134; le roi est
prêt à suivre ses conseils,
135; sou traité avec le duc
de Lorraine, 138; il est prêt
à désarmer si Mazariu s'eu
va, 130; ses conditions pour
le renvoi de Mazariu. 141;
Gaucourt a négocié son traité,
142; son combat au faubourg
Saint-Antoine, 143; il est
maître dans Paris, 143. 144;
il veut eu faire sortir le co-
adjuteur, 147; le roi lui fait
annoncer l'éloignement de
Mazariu, 149; il escorte les
députés du Parlement. 150;
il a reçu une lettre du roi
d'Espagne, 152; il veut aller
traiter de la jiaix générale,
153; le Parlement le nomme
commandant des armées,
154; attitude du duc de Lor-
raine et de l'Espagne à son
égard, 155; le duc d'Orléans
protège le coadjuteur contre
lui, 157; il promet à la du-
chesse de Nemours de ne
jamais voir le duc de Beau-
fort, 161 ; son différend avec
M. de Rieux, 162: il visite
la princesse de Guémené,
163; tout le monde l'aban-
donnera si Mazarin s'éloigne.
166; le duc d'Orléans est
lassé de ses prétentions, 168.
169; ses envoyés vont trou-
ver le roi, 170; libelle publié
contre lui, 171 ; il va chez
Mademoiselle avec le duc
d'Orléans, 173; on dit qu'il
traite avec Mazarin, 174 ; il
veut mettre fin à la publica-
tion des libelles contre le co-
adjuteur, 175; il va rejoindre
les troupes du duc de Lor-
rame, 177; il se rend à l'Hô-
tel de Ville de Paris, 177,
178; mécontent de la démo-
lition de Montrond, 178; il
ne s'est pas réconcilié avec
le coadjuteur. 179; Mazariu
veut le gagner. 18! ; a une
discussion avec le duc d'Or-
léans. 183, 184 ; ses conditions
à la Cour. 185; il est malade,
186, 187; il négocie toujours
avec la Cour, 187; le duc
d'Orléans l'y pousse. 189: il
est trop engagé avec l'Es-
pagne, 190; son départ facili-
tera l'entrée du roi dans
Paris, 191 ; il est à Fismes,
192; le traité du duc d'Or-
léans avec la Cour le forcera
de traiter à son tour. 198; il
est en mauvais termes avec
]y|me (le Longueville et le
prmce do Couti, 201 ; ses
opérations militaires, 204 ; le
Parlement doit le déclarer
criminel de lèse-majesté, 204 ;
ou dit qu'il négocie encore
avec la Cour, 205; Saint-
Aimais s'est déclaré pour lui,
206; il est aux environs de
Bar-le-Duc, 213 ; il n'y a pas
eu de traité de la Cour avec
lui, 214; on dit qu'il a pris
Bar-le-Duc et Toul, 215;
l'armée du roi va agir contre
lui, 216 ; son traité avec Saint-
Aunais, 217: Mazarin va lui
livrer bataille, 218; il va com-
mander l'armée espagnole,
219; Mazarin veut prendre
quelques-unes de ses places,
220; il est au delà de la Mo-
selle, 221 ;audelàdelaMeuse,
223: la prison du coadjuteur ne
facilitera jioint son accommo-
dement, 226; on dit que Mi""
de Châtillon négocie pour lui,
242 ; Mazarin va le faire com-
bat tre, 245; cité, 106,131,160.
334
TABLE ALPHABETIQUE.
Gondé (Glaire-Clémence de
Maillé -Brézé, princesse de).
114, 132, 178, 188.
Gonti (Armand de Bourbon,
prince de), 99, 124, 132, 188,
200, 201.
Chevreuse (Madame de), 30,
46, 47, 60, 136, 244, 245.
Chevreuse (Mademoiselle dei,
9, 210.
Choisy (Jean de), 17.
Choisy (Madame dei, 17.
Christine, reine de Suède. Voir:
Suède (reine de).
Clerc, agent du duc de Savoie
à Lyon, 78, 82.
Comniercy (ville de), 223.
Cognac (combat de), 4.
Corbeil (ville de). 132.
Corbie (abbaye de), 63.
Gromwell, 2l6.
Crouv, 25(J.
D
Dammartin (ville dei, 131.
Damville (Fraugois-Christophe
de Lévis-Ventadour. duc de),
21, 26, 6G à 68. 73, 120. 173,
196. 197.
Damvillers (ville de), 12, 20.
Digbv (comte), 77.
Dijon (ville de), 20.
Du Plessis-Praslin (uiaréchaij,
88, 99, 110.
Du Daugnon (conitet. 20. l-2\.
185.
E
Elbeuf (Charles II de Lorraine,
duc d'). 74. 151.
Elbeuf (ville d'), 156.
Epernon (duc d'), 243.
Espagne (Philippe IV. roi di,
128, 152, 217. 218.
Estampes (maréchal d'), 21, 25,
20, 170, 185.
Este (duc d'), 109.
Estrées (maréchal d'), 21.
Etampes (ville d'), 110, 122, 125,
130, 135, 136, 138.
Fabert (Abraham), 98.
Ferdinand II, grand-duc de
Toscane. Voir : Toscane
(grand-duc de).
Fleurv-Machault, conseiller au
Parlement de Paris, 19.
Foucquet (abbé), 184, 190.
Foucquet (Nicolas), 205.
Fuensaldagne (Alphonse ,
comte de), 162. 217.
G
(xardon, 117.
Gaucourt (comte de), 43, 142.
Geniers du Goudray (Jacques),
conseiller au Parlement, 38.
Genlis (François Brùlarî. mar-
quis de), 130, 132.
Gien (ville de), 92.
G n d V ( Philippe-Emma nuel
de), 227.
Goulas, 110,115, 116, 170, 197.
Gourville (Jean Hérauld, sei-
gneur de). 126, 127.
Grancey (maréchal de), 68. 69.
Grandprey (Charles-François
de Joyeuse, comte de), 130.
Gravelines (ville de), 107.
Grésy (baron de), 107, 186, 201,
209, 222, 226, 228, 229. 231.
23l 235, 236, 242.
Grumello (ville de), 1.
Guébriant (maréchal de), 107.
Guémené (prince de), 13'i.
Guémené (princesse de), 163.
Guise (ville de), 99.
Guise (Henri II de Lorraine.
(duc de), 152, iS8, 193, 198.
Guise (duchesse douairière de),
188.
Guise (Honorée de Glimes,
comtesse de Bossu, duchesse
TABLE ALPHABETIQUE-
33^
de). Voir : Bossu (comtessu
de).
Guise (clipvalior de), 73.
H
Ham (ville de), 63, 74.
Harcourt (comte d'), 4, 8, 13,
81, 84, 86, 99, 108.
Henriette de France, reine
d'Angleterre, 13, 109, Hl,
•224.
llocquincourt (maréchal d'),
38, 63, 68, 96.
Innocent X. pape, 71. 79, 156,
;Î50. ?51.
Jars (chevalier dei. 73.
Jars (commandeur de). 63, 210.
Joigny (ville de), 103, 256.
Joveuse (Robert de), 135, 187.
L
La Chevrette (hameau de;. 141.
La Fère (ville de). 239.
La Ferté (maréchal de). 141.
142, 177.
La Flèche (ville de), 55.
La Force (Armand-Nompar dp
Caumont, duc de), 170.
Lajiuy (ville dei, 162.
Laigues (Geolfrov. marquis de).
34, 210.
La Londe (marquis dei. 133.
La Meilleravp (maréchal dci,
250, 252, 253.
La Mothe (maréchal de), 85.
213.
Languedoc (province de), 55,
57.
La Rivière (abbé de), 219.
La Rochefoucauld (Frani;ois,
duc de), 53, 60, 126.
La Rochelle (ville de), 13, 107,
185.
La TrémoïUe (famille de), 148.
La Vergne (Mademoiselle de),
117.
La Vieuville (duc de), 116, 133.
La Vieuville (clievalierde), 130,
133.
Léopold (archiduc), 144, 151,
168.
Le Tellier (Michel), 23, 40.
Leucate (ville de), 218.
L'Hospital (maréchal de), 6, 7,
23, 143, 192.
Ligne (prince de), 74.
Ligny, 223.
Limours (ville de), 196.
Lionne (Hugues de), 255, 256.
Longueville (Henri, duc de),
42, 51.55,56, 66, 108.
Longueville (Anne-Geneviève
de Bourbon, duchesse de),
14, 25, 53, 66, 132, 188, 200,
201.
Longueville (Mademoiselle de),
9, 219.
Lorraine (duc de), il est appelé
par le duc d'Orléans et le co-
adjuteur, 92; ses troupes
marchent vers Guise, 99:
vient pour le parti de la Cour,
107; on prépare un apparte-
ment pour lui au Luxem-
bourg, 114; il est à Sainte-
Menehould, 122 ; sa prochaine
arrivée, son incertitude, 13 i ;
il est arrivé à Paris, 134: le
duc d'Orléans doit aller voir
son armée, 135; la Cour
(M'oyait qu'il serait pour elle.
i36; sa vie à Paris, 136, 137;
il trompe tout le monde, son
traité avec Condé et le duc
d'Orléans, 138; les Parisiens
demandent son éloignement.
139; mouvements de son ar-
mée, 155; les Espagnols lui
ontlaissé 6.000 hommes, 166;
on dit qu'il a traité avec la
Cour, 166; a une entrevue
:]:k;
TABLE ALPIIABETIQIK.
avec Mazarin, 169; est à Vil-
leneuve-Saint-Georges, 177;
dine au Luxembourg, 179 ;
le duc d'Orléans l'assure de
la paix, 182; son départ déci-
dera le duc d'Orléans à se
soumettre, 185; il est à l'ar-
mée, 186; il presse son dé-
part. 188, 189.
Lorraine (régiment de). 84.
Louis XIII, roi de France, 157.
Louis XIV, roi de France, son
voyage retardé, 6, 8 ; il est
en colère contre son frère,
14; il évoque à lui les dilTc-
rends du Parlement et des
Etats de Bretagne, 21; Châ-
teau neuf et le maréchal de
Villeroi lui conseillent de ne
pas rappeler Mazarin, 25, 26;
son entourage est désolé du
retour de Mazarin, 31 ; M. de
Ruvigny est envoyé de sa
part vers le duc d'Orléans.
4;!, 44; il rassure les dé])utés
du Parlement sur le retour
de Mazarin, 45; il est prêt à
faire tout ce que la reine vou-
dra, 4(); Mazarin veut lui
faire épouser une des tilles
du duc d'Orléans, 46; Chavi-
gny est mandé près de lui,
51; ses meilleuis ]iartisans
sont indignés du retour de
Mazarin, 55; le Parlement
de Rouen lui demande l'éloi-
gnement de Mazarin, 65; il a
intérêt au départ de ce dernier,
68 : il est à Saumur, 69 ; on dit
([u'il est maître delà Guyenne,
74: il envoie une lettre de
cachet au Parlement, 77 ; il
félicite le coadjuteur de sa
]iromotion au cardinalat, 79,
80; il est à Amboise, 81; à
Blois, 8o: le coadjuteur, à
cause de Mazarin, ne peut
lui marquer son dévouement,
81; il échange Sedan avec le
duc de Bouillon, 88; il est à
Sully. 92: il a intérêt à s'at-
tacher le coadjuteur. 95. 96:
sa réponse au Parlement de
Paris, 97; celui-ci demande
à lui présenter de nouvelles
remontrances, 98 ; va à Saint-
Germain, 98; il a reçu à
Cléry le duc de Vendôme.
99; le Parlement propose à
nouveau de lui faire des
remontrances, 102, lOo; il
est à Joigny, 103; à CorbeiL
106: son armée cherche à
combattre celle des Princes,
107; le duc de Longueville
s'est déclaré pour lui, 108;
le roi et la reine d'Angleterre
le pressent de négocier avec
les princes. 109; il est à
Ghilly, 110; le coadjuteur est
attaché à son service, 112,
113; il est près de la reine
quand elle confère avec les
envoyés du coadjuteur et du
duc d'Orléans, 115, 116; le
peuple de Paris demande son
retour, 118, 119: le coadju-
teur ne fera rien contre son
service, 121 ; son armée est à
Palaiseau, 122 ; il fait prendre
des nouvelles du duc d'Or-
léans malade, 123: on attend
ses passeports pour les trou-
pes de Condé, 124, 125; la
reine veut le faire sacrer à
Reims, 129: est devant Etam-
pes, 130; sentiments à son
sujet, 131: il va coucher à
Corbeil, 132; sa réponse au
Parlement, 135; on ignore
les résolutions de son conseil
sur l'arrivée du duc de Lor-
raine, 136: le Parlement lui
envoie de nouveaux députés,
139; son armée se grossit «le
troupes demandées par Ma-
zarin, 140; il est au Ghemin,
141 ; le coadjuteur lui de-
mande de lui donner le bon-
net de cardinal, 141, 142;
combat de ses troupes au
faubourgSaint-Antoine, 143 ;
il mande le coadjuteur à la
Cour, 14 'i : il permet à ^laza-
TABLK ALPHABETIQUE.
337
nii de sp rotircr, li7; il
pleurp sur rrloignomont de
Mazarin, 148: il promet cet
éloignement au Parlement.
149; il doit aller à Mantes.
153; le camérier du pape lui
remet ses lettres sans voir
Mazarin, 156; il ne veut pas
que le coadjuteur prenne le
bonnet de cardinal d'une
autre main que la sienne,
157; il est à f^ontoise, 103;
il réunit un Parlement à Pon-
toise, 164. '165, 167: les en-
voyés du duc d'Orléans et de
Gondé vont le trouver, 170;
il écrit au duc d'Orléans, 173,
174; l'Hôtel de Ville et le
clergé de Paris veulent lui
envoyer des députés. 178 ; on
prépare son retour à Paris,
180 : Mazarin ne veut pas
([u'il y rentre en ce moment,
181 : il doit aller à Sain-Ger-
main, 182; les marchands de
Paris lui envoient des dépu-
tés, 183; conditions de sa
rentrée à Paris, 187; il va à
Saint-Germain, 190; Condé
étant parti, ihpeut rentrer à
Paris. 191, 192; il est rentré,
195; son autorité exige que le
duc d'Orléans aille à Blois,
196, 197; tant qu'il sera dans
Paris, le retour de Mazarin
ne produira point de barri-
cades, 201 ; il entend un ser-
mon du coadjuteur. il retarde
sa visite au Parlement, 205 ;
Saint- Aunais gouverneur de
Leucaîe en son nom, 218;
Mazarin sera près de lui dans
peu de jours, 220 ; son armée
est près de Toul, 221 ; il traite
avec l'Angleterre, 224 ; sa
réponse au clergé de Paris
sur la liberté du coadjuteur,
228; il fait commander à M.
de Sévigné de sortir de Paris,
229 ; on ne veut pas du duc
d'Orléans près de lui, 239 ;
Mazarin conseille aux évêques
de lui envoyer des députés
sur la liberté du coadjuteur,
245 ; Mazarin surveille ses
plaisirs. 249 ; le coadjuteur
lui écrit, 252; il demande à
aller à l'armée, 253; il per-
met à M. de Sévigné de se
retirer à Champiré, 257, 258.
Louison, 239.
Lu mil a, 245.
Lude (comte du), 163.
Lunebourg (duc de), 23.
M
Malinnue (roi de), 129.
Manci'ni (Paul), 130, 148, 151.
Manicamp (Achille de Longue-
val, comte de), 151, 156.
Mantes (ville de), 74, 77, 81,
99 153.
Mantoue (duc de), 190, 194, 199.
Marcin (comte de), 124, 185.
Mardick (ville de), 107.
Marey (comte de), 96.
Mazarin (cardinal), bruit de son
retour, 5: le Parlement va
continuer son procès, 12;
arrêt contre lui, 19; bruit de
son retour, 20; a écrit à la
reine, 22, 23; opposition à
son retour, 23 à 29 ; la reine
le désire. 33 à 35; le Parle-
ment ordonne la vente de sa
bibliothèque, 36; il fait sa
rentrée en France, 37 à 39 ;
troupes qui l'accompagnent,
40; ses troupes poursuivent
le duc de Nemours, 44; le roi
rassure les députés du Parle-
ment sur son retour, 45 ; il
aurait ofiert à Chavigny le
secrétariat de la Guerre, 46 ;
concessions qu'il est prêt à
faire au duc d'Orléans et à
Condé, 46; le Parlement
donne un arrêt contre lui,
50; il a écrit à la duchesse
d'Aiguillon, 50; traité du duc
d'Orléans et de Condé pour
le chasser du royaume, 51,
22
T.VULt: ALPHABETIQUE.
5? ; son retour justilie la puis-
sance des ennemis delà Cour,
55; il est à Poitiers, 5G; les
partisans de Condé veulent
([uele coadjuteur se prononce
contre lui, 57, 58; le coadju-
teur est opposé à son main-
lien, mais refuse de prendre
des engagements contre lui,
(JO, 61 ; il l'ait décider le ren-
voi de Châteauneuf de la
(Jour, 62 ; Villeroi a demandé
qu'il rentre au Conseil, 63:
il comble de faveurs ses par-
tisans, 63; il envoie au Par-
lement un arrêt du Conseil
suspendant le paiement des
rentes sur l'Hôtel de Ville.
64; le Parlement de Rouen
demande son éloignement,
65; il raille le marquis de
Tardes sur sa passion pour
madame de Beauvais, 66; la
reine veut son maintien, le
duc d'Orléans son renvoi, 67,
68; la duchesse de Savoie
demande des nouvelles de
plusieurs de ses partisans,
r>9 ; le coadjuteur n'approuve
pas son retour, non plus que
le duc d'Orléans, 70, 73; il
est mécontent de plusieurs
personnages de la Cour, 73,
74; le coadjuteur est toujours
disposé à le chasser, 76; il
continue le siège d'Angers,
77; le coadjuteur ne le hait
plus, 80; ceux qui ne le voient
point sont néanmoins bien
vus du roi et de la reine, 81 ;
la ville d'Orléans refuse de
lui ouvrir ses portes. 83; sa
présence empêche le coadju-
teur de se dévouer à la Cour,
84 ; on dit que l'évêque de
Metz se démettrait en sa fa-
veur, 84, 85; cris poussés
contre lui à Paris, 93; il est
rentré en France sur les
ordres du roi, 97; il traite
avec Fabert. 98; Condé est
disposé à négocier avec lui.
102, -103; le roi est supplié de
l'éloigner, 106; il traite avec
les envoyés de Condé et du
duc d'Orléans. 112, 113, 116;
il recherche le coadjuteur.
120, 121; il s'en ira, mais
pour peu de temps, 123, 124;
son départ est résolu, 125;
il irait à Munster pour traiter
de la paix générale, 126 ; rup-
ture apparente des négocia-
tions avec lui, 127; il doit
aller à Bouillon, 129; ses
mauvais procédés à 1 égard
de la Cour de Savoie, 129.
130: les députés du Parle-
ment demandent son éloigne-
ment, 132 ; il est plus fier que
jamais, 135, 136: le maréchal
du Plcssis lui conseille de se
retirer, 136; la reine, pour le
conserver, se laisse tromper
par le duc de Lorraine, 138;
le Parlement envoie de nou-
veaux députés demander son
éloignement, 139; il retarde
son départ, 140; le coadju-
teur l'accuse de lui faire refu-
ser le bonnet de cardinal,
142; il ne veut plus quitter
la Cour, 142, 143; son départ
est décidé, 147; le roi pleure
sur son éloignement, 148: le
roi promet son éloignement
aux nouveaux députés du
Parlement, 149,150; celui-ci
n'y croit pas, 151 ; Condé ne
veut pas qu'il aille traiter de
la paix générale, 153; le Par-
lement ordonne la levée d'une
taxe pour le tuer, 155; la
reine lui reste attachée, 156;
il avait songé à l'évêché et
au gouvernement de Metz,
157, 163; le roi déclare qu'il
l'éloigné sans condition, on
croit qu'il reviendra, 166,
167; son prochain départ,
168; il a traité pour l'évêché
de Metz, 169; faveurs qu'il
prodigue avant son retour,
170;irn'est pas brouillé avec
TAKl.K ALPHABETIQUE.
339
ComU'. a dessein d'embrasser
les ordres, 171 ; en échange
de son éloignement, le roi
demande la soumission du
due d'Orléans, 173; on dit
qu'il traite avec Gondé, 174;
la reine veut prouver que sa
présence n'était pas la cause
des troubles, 176; ses émis-
saires traitent avec le coad-
juteur et les princes, 180; il
est plus puissant que jamais
à la Cour, 181 ; le princi»
Thomas di' Savoie est son
ami, \S2; il combat le coad-
jutour auprès de la reine,
184; la reine attend sou re-
tour pour traiter. 180; il né-
gocie avec Condé, 187; il est
a Bouillon, 189; il conseille
la paix, 190; il est à Sedan.
197; la Cour fait passer son
retour avant toutes choses,
199;ilrentreraaYant la Saint-
Martin. 201; son retour est
retardé, 204; il ne peut avoir
que de bons rapports avec le
coadjuteur, 205; il est cause
de tous les malheurs de la
France, 206; il est sur le
jjoint de rentrer, 209 ; on n'a
pas de ses nouvelles, 214; il
n'est pas arrivé, 215; raisons
de ce retard, 216; il est à
l'armée du roi, 218; ses mau-
vais procédés à l'égard du
cardinal de Retz, 219; il est
a Saint-Dizier, 220; son re-
lour retardé. 223; il est l'au-
teur de l'arrestation du co-
adjuteur, 226; il fait hiverner
une armée en Piémont, 241 ;
opposé aux intérêts de la
Savoie, 242; M. de Sévigné
l'appelle « la Sicile », 244; il
aurait conseillé aux évoques
de demander la liberté du
coadjuteur, 245; ennuis qu'il
cause à la duchesse de Sa-
voie, 246 ; le coadjuteur, à sa
l)lace. aurait mieux ménagé
les intérêts de la Savoie, il
est mal avec la reine, il sur-
veille les plaisirs du roi, 249;
il répand le bruit (jue le duc
de Savoie épouserait une de
ses nièces, 250.
Mecklembourg (duc de), 23.
Mercœur (Louis, duc de), 30.
Metz (évéché de), 84, 85, 159,
163.
Metz (gouvernement de). 163.
Miolans (Henri Mitte, comte
de), 31.
Miossens (César-Phébus d'Al-
bret, comte de), 170.
Mole (Mathieu), 5, 16, 23. 25.
39, 40, 45, 46, 88, 98, 116,
158, 160, 228, 244, 245, 250,
252.
Monchy (Jacques de|, 68.
Monsieur, voir : Orléans (duc d" ) .
Monsieur (le petit), voir : Anjou
(ducd').
Montaigu (milord), 115, 116,
126, 154.
Montargis (ville de), 91, 92.
Montbazon (Marie de Bretagne,
duchesse de), 4, 46, 193, 200.
Mont-Olympe (forteresse de),
Montpensier (Mademoiselle
de), bruit de son mariage
avec le prince royal d'An-
gleterre, 13 ; la reine de Suède
lui écrit, 17 ; elle joue à, colin-
maillard avec le prince royal
d'Angleterre, 48 ; sa dispute
avec M™^ de PouquesoUes,
48, 49 ; la duchesse de Sa-
voie lui trouve lieaucoup
d'esprit, 59 ; le duc d'Orléans
conduit le coadjuteur à lui
bal chez elle, 59 ; elle a l'ail,
une grande débauche aviM-
le duc d'Orléans, 71 ; celui-
ci l'autorise à aller à Or-
léans, 88 ; elle y réconcilie
les ducs de Beaufort et de
Nemours, 91 ; le duc de Lor-
raine va à un bal chez elle,
137 ; le duc d'Orléans et
Coudé ont une entrevue
chez elle, 173; elle ne sort
340
TAÎÎLK ALPHABETIQUE.
plus qu'escortée. 179 ; elle
est à Bois-le- Vicomte. 197 ;
elle veut réconcilier le duc
de G-uise avec la comtesse de
Bossu. 198 ; le duc d'Or-
léans défend à ses officiers
de se laisser débaucher par
elle, 200 ; elle n'est pas à
l'armée de Condé, 205 ; elle
est à Saint-Fargeau. 206 ;
elle prend auprès d'elle le
fils de Louison, 239. 240.
Montpezat (marquis de), 128.
Montrond (château de), 57,
171, 178.
Moret (Jacqueline de Bueil.
comtesse cie), 8.
Mortemart (Gabriel de Roche-
chouart, marquis de), 147.
Munster (Congrès de), 126.
IS
Nantes (ville de), 77, 248, 250,
251.
Nanteuil (ville de), 162.
IVantouillet (marquis de), 15,
16.
Navailles (Philippe de Mon-
tault, duc de), 38, 40.
Nemours (duc de), amoureux
de M™« de Longue ville, 14 ;
il vient voir le duc d'Orléans
à Paris, 4i, 45 ; il arrive de
Flandre et forme un corps
d'armée, 57; il amène 5.000
hommes de troupes, 64 ; sa
liaison avec M™^^ de Longue-
ville, 66 ; est à Ribemont.
70 ; à Saint-Quentin, 74 ;
auprès de Mantes, 77 ; le duc
de Beaufort voudrait faire
passer ses troupes à Condé.
87 ; son incapacité, 90 : son
dilférend avec le duc de Beau-
fort, 91 ; il est blessé, 97 ;
Condé demande pour lui h'
gouvernement d'Auvergne,
124 ; il est amoureux de M™"
de Châtillon, 127: sa mort,
161, 162 ; sonnet sur sa mort.
167.
Nemours (duchesse de), 161.
Noirmoutier (Louis de La Tré-
moïlle. duc de). 239.
O
Orléans (Gaston, duc d'), com-
bat au Parlemenc la déclara-
tion contre Condé, 4 à 7,11:
le coadiuteur le disposera en
faveur de Mazarin, 12 : il est
opposé au mariage de M''«
de Montpensier avec le
prince royal d'Angleterre,
13 : il envoie le maréchal
d'Estampes vers Condé, 21 :
il est trahi par celui-ci, 25 ;
le maréchal d'Estampes lui
annonce qu'il n'a pu empê-
cher le retour de Mazarin, 26 ;
pouvoirs que lui donne le
Parlement pour s'opposer à
ce retour. 28 ; M. de Sévigné
est prêt à servir sa cause, ôI ;
Laigues nommé capitaine de
ses gardes, 34 ; il veut récon-
cilier Condé avec le coadju-
teur, 35 ; se plaint au Parle-
ment qu'on ait publié une
lettre que Mazarin lui aurait
adressée, 36 ; le duc de Beau-
fort et le maréchal d'Estam-
pes commandent ses troupes,
40 ; le duc de Longueville
s'est offert à lui, 42 ; il n'a
pas traité avec Condé, 42,
43 ; le roi lui envoie Ruvi-
gny pour lui annoncer le
retour de Mazarin, 43, 44 ; il
reçoit le duc de Nemours.
44, 45 ; on dit que Chavigny
supplantera le coadjuteur
auprès de hii, 40 ; il n'accep-
tera pas les avances de
Mazarin, 47 ; Mazarin ne
veut pas qu'il connaisse la
lettre qu'il a écrite à M'»*'
d'Aiguillon, 50 ; il traite avec
Condé, mais se méfie de lui,
TABLE A 1. 1 ' II V n K T I Q L' ]•: .
341
51 à 53 ;tlt''tails sur son traité
avoc Gondé, 54, 55 ; il parle
contre le retour de Mazarin.
55 ; il s'efforce de réconcilie)'
le coadjuteur avec Condé,
57 à 02 ; le duc de Beaufort
va rassembler ses troupes.
64 ; le duc de Lorraine
croyait qu'il était d'accord
avec Mazarin. 05; il est op-
posé au maintien de celui-
ci, (')7. 68 : il se résigne à la
rupture des négociations
entre Condé et le coadjuteur.
69 ; il garde sa confiance à
celui-ci, 69, 70; il rappelle
de Rome l'abbé Charrier.
70 ; il a fait une grande dé-
bauche avec Mil" de Mont-
pensier, 71 ; opposé au main-
tien de Mazarin, 73; il est
heureux de la promotion du
coadjuteur au cardinalat,
76 ; celui-ci ne l'abandon-
nera jamais, 80 ; son armée
est aux environs de Mantes,
81 ; à Patay, 83 ; le coadju-
teur lui reste dévoué, 84 ; il
envoie M'i" de Montpensier
à l'armée. 86 à 88 ; Condé le
prévient de sa prochaine
arrivée à Paris, 89 ; il ras-
sure à ce sujet le coadjuteur,
89, 90 ; il fait venir le duc de
Lorraine, 92 ; ses reproches
au coadjuteur sur les troubles
de Paris, 93 ; son armée
jointe à celle de Condé, 96 ;
il reçoit Condé à Paris, 97 ;
rassure le coadjuteur, 98 ; a
fait rompre les ponts de
Charenton et de Saint-Maur,
107 ; son secrétaire Goulas
traite avec Mazarin, 112,
113 ; un de ses premiers va-
lets de chambre annonce la .
Erochaine arrivée du duc de
lOrraine, 114 ; le coadjuteur
ne le voit plus si souvent,
120. 121 ; il est malade.
122, 123 ; disposé à traiter
aveclaCour, 123. 126:Con-
dé, pour ne pas l'alarmer,
envoie Gourville à la Cour
sous des motifs supposés.
127 ; il craint qu'on ne dis-
perse son armée, 128 ; il an-
nonce au coadjuteur l'arrivée
du duc de Lorraine, 131 :
il reçoit celui-ci, 133, 134 ; il
est convoqué au Parlement,
le roi est prêt à suivre ses
conseils, 135 ; son traité avec
le duc de Lorraine. 138; les
Parisiens lui demandent l'é-
loignement du duc de Lor-
raine. 139 ; Turenne se pro-
pose d'envelopper son armée.
I il ; il protège le coadjuteur
contre Condé. 147; le roi lui
fait annoncer l'éloignement
de Mazarin, 149 ; il escorte les
députés du Parlement. 150 ;
le Parlement propose de le
nommer régent, 151 ; Condé
n'a pas pu le décider à trai-
ter 153; le Parlement le
nomme lieutenant-général.
154 ; protège le coadjuteur
contre Condé, 157 ; Ma-
thieu Mole se rapproche de
lui, 158 ; il n'a pas traité avec
l'Espagne, 160 ; un arrêt du
Conseil d'Etat casse l'arrêt
du Parlement le nommant
lieutenant- général, 161 ; il
est affligé de la mort du duc
de Valois, 167 ; conditions
de sa paix avec la Cour.
167, 168 ; ses envoyés vont
trouver le roi. 170 ; il se rend
au Parlement, a reçu la ré-
ponse du roi, 172 à 174; les
Parisiens protestent auprès
de lui contre le passage de
l'armée des Princes, 175 ;
ses troupes vont rejoindre
celles du duc de Lorraine,
177 ; il va à l'Hôtel de ville,
177, 178; prié de donner au
clergé des passeports pour
la Cour, 178 ; il croit à la paix
générale, 182 ; donne des pas-
seports aux députés des
ri
TABJ.E ALPHABETJOUK,
marchands de l'aris. 183 ;
a une discussion avec Condé,
183, 184 ; prêt à se soumettre
et à abandonner Condé, 185 ;
il traite avec les agents se-
crets de la reine, 18G ; il con-
sulte le Parlement sur la
paix. 187 ; veut faire proro-
ger la trêve, 189; ses négo-
ciations avec la Cour sont
très avancées, 102 ; d'autres
traités se font en même
temps que le sien, 193; con-
ditions de son traité, 19G,
197; il a signé sa paix avec
la Cour, 200; n'a pas donné
son consentement au retour
de Mazarin, 201 ; ses troupes
vont en Italie, 202 ; est à
Orléans, 203 ; Châteauneuf
est exilé pour être trop de
son parti, 209 ; il n'est pas
trop bien réconcilié avec la
Cour, 210; est ravi d'être à
Blois, 217 ; mécontent de la
Cour et de M'i<= de Montpeu-
sier, 239, 240.
Orléans (Marguerite de Lor-
raine, duchesse d"). (lô, 87,
lli, 198, 217.
Orléans (ville d"l. 83. 87. 91.
205.
Ormée (le parti de 1'). i'i5.
Orval (comte d'), 88.
Palaiseau (ville de), 122.
Palatin (le prince), 22.
I>alluau (M. de). J71.
Parabère (Henri de Beaudéan,
chevalier de), 133.
Paris (ville de). 55, 89 à 92,
93, 95, 105, 106, 118, 119,
131, 132, 143, 176, 177. 183,
184, 187,200,214 à 216.226
à 228, 234, 235, 246.
Parlement de Bordeaux. 145.
Parlement de Paris, il délibère
sur la déclaration contre
Condé, 5, 7. H. 12: donne
un arrêt contre Mazarin,
19 ; s'opposera à son retour,
23; nouvelles délibérations
contre Mazarin. 27, 28 ; il
s'occupe de la vente des
livres du Cardinal, 35. 36 ;
reçoit un envoyé de Condé,
37 ; on lui annonce que deux
conseillers ont été fait pri-
sonniers par les troupes du
roi, 37 à 39 ; rend un arrêt
contre Mazarin. 50 : arrêt
sur le paiement des rentes de
l'Hôtel de Ville, 64, 65, 72,
73 ; il confirme ses arrêts
contre Mazarin, 83, 84; est
hostile à l'entrée de Condé
dans Paris. 90 ; Condé s'y
rend, 97 ; il décide de faire
de nouvelles remontrances
au roi, 97, 98. 102, 103 ; il
s'y produit une dispute enti'e
Condé et un conseiller, 108 :
(^ondé lui fait part des pro-
positions pour la paix, 109 ;
on lui cache les négociations
de Condé et du duc d'Orléans
avec la Cour, 112 ; le coad-
juteur compte sur son appui.
113 ; il est mis en avant dans
le projet de paix avec la
Cour, 123; ses députés doi-
vent aller trouver le roi, 129,
132; il convoque le duc
d'Orléans, 134, 135 ; ses dé-
putés à la Cour, 139; son
attitude, 141 ; ses députés
doivent avoir audience. 144:
réponse du roi à ceux-ci.
149 : se réunit au sujet de
l'éloignement de Mazarin.
150, 151 ; nomme le duc
d'Orléans lieutenanl-général.
154 ; ordonne la levée d'uni-
taxe pour tuer le cardinal
Mazarin. 155 ; ses derniers
arrêts cassés par le Conseil
d'en haut, 160. 161 ; il casse
l'arrêt du Conseil. 163 ; sa
lutte avec le Parlement de
Pontoiôe. 16'(. 165: le duc
T\BLK ALl'HAnp:TIQUJ:.
:Vù\
d'Orléans vout (ju'il inter-
vienne dans la paix avec la
Cour, 1G8 ; Gondé et le duc
d'Orléans y l'ont une décla-
ration, 17(); le duc d'Orléans
s'y rend, 173 ; la reine veut
qu'il se joigne à celui de
Pontoise. IG-i ; son dernier
arrêt, 177; on y convoque
le duc d'Orléans, 182 ; les
députés des marchands de
Paris demandent qu'il soit
réuni à celui de Pontoise,
183 ; le duc d'Orléans le con-
sulte sur la paix, 187 ; ce
que le roi fera à son sujet,
192; le duc d'Orléans avait
promis de no pas l'abandon-
ner, 19G ; on parle de le réu-
nir pour déclarer Condé cri-
minel de lèse-majesté, 204,
205 ; il voudrait se .réunir,
217; il doit s'assembler,
220; il est en rumeur, 221 ;
ses remontrances sont re-
poussées, 227, 228; cité, 53,
57.
Parlement de Pontoise, 164,
165, 167, 174, 183.
Parlement de Rouen, 65.
Péna (Elisabeth), voir Sévigné
(M^^e de).
Péronne (ville de), 63.
Perpignan (ville de), 206.
Perrault (président). 221.
Philippe IV, roi d'Espagne,
voir : Espagne (roi d').
Philipsbourg (ville de), 107, 108.
Poitiers (vilïe de), 56.
Pons (Suzanne de), 186, 193.
Pont-sur-Seiue (ville de), 103.
Ponts-de-Gé (Les), 55.
Pontoise (ville de), 150, 163 à
165, 167.
Portail (Paul), 35.
Précieuses (les). 246.
Priolo (Benjamin), 42, 56.
Q
Quincp (Joachim de), 38.
R
lié (île de), 107, 185.
i{eims (ville de), 129.
Hénel (marquis de), 131, 133.
Uothel (ville de). 92, 99.
Retz (Paul de Gondi, coadju-
tueur de l'archevêque do
Paris, cardinal de) ; il ne
croit])asaupiochain mariage
de M"« de Ghevrcuse, 9; op-
posé au retour de Mazarin,
12 ; dévoué aux intérêts de
la maison de Savoie, 18, 19 ;
a une dispule au Parlement
avec un conseiller part;isan
de Gondé, 19 ; écrit à la reine
contre le retour de Mazarin,
24; dévoué au duc d'Orléans,
25 ; opposé au retour de Ma-
zarin, 28. 29; se plaint de
M"^« et de M"« de Ghevreuse,
29 ; il n'est pas brouillé avec
la reine, 34 : sollicité par le
duc d'Orléans de se réconci-
lier aA'ec Gondé, 35 ; menacé
d'être supplanté par Ghavi-
gny auprès du duc d'Orléans,
4(); assez hien avec la Gour,
mal avec Gondé, 46, 47 ; il
n'a pas fait rappeler Ghavi-
gny auprès du roi, 51 ; reste
dévoué au duc d'Orléans,
52 ; M™" de Longvieville em-
pêche son union avec Gondé,
53 ; négociations avec ce der-
nier, 57, 58 ; il refuse de se
réconcilier avec lui, 59 à 62 ;
rupture de ses négociations
avec Gondé, 69 ; la reine ne
lui en veut jjas de désapprou-
ver le retour de Mazarin, 70;
le pape est disposé à le faire
cardinal, 71 ; il est opposé
au maintien de Mazarin, 73 ;
il est nommé cardinal, ses
projets, 75, 76 ; sa joie de sa
promotion, 78 ; en informe
le duc et la duchesse de Sa-
voie, 79 ; reçoit les compli-
ments de la Gour, 79, 80;
la duchesse de Savoie le fait
344
T A BLE ALP H A B E T T Q U E ,
complimenter, 83 ; son em-
barras entre la Cour et le
duc d'Orléans, 84 ; il a reçu
la lettre de la duchesse de
Savoie, 82, 86 ; va chez le
duc d'Orléans, 87 ; son atti-
tude en apprenant la pro-
chaine arrivée de Gondé ii
Paris. 89. 90 : il fait venir ]<•
duc de Lorraine, 92 ; il est
prêt à lutter dans Paris contre
Condé, 93 ; la duchesse de
Savoie croit qu'il rétablira
la paix, 94 ; il se rend chez
le âuc d'Orléans, 98 ; son dé-
vouement pour la duchesse
de Savoie. 100 ; il veut res-
ter étranger aux intrigues,
101, 102 ; ne croit pas que
Gondé ait mal parlé de lui.
103; ses difficultés avec la
Cour de Savoie sur des ques-
tions d'étiquette, 104, 105 : il
est consulté par la Gour,
106 : la duchesse de Savoie
a reçu sa lettre, 111 ; se désin-
téresse des négociations de
Gondé et du duc d'Orléans
avec la Gour, 112. 113 : il ne
prendra point de liaison avec
le duc de Lorraine. 114 ; écrit
au duc de Savoie, 114, 115 ;
son rôle dans les négociations
avec la Gour, 117; donne à
l'abbé Tinti sa lettre pour le
duc de Savoie, 117, 118; est
mal avec Gondé, 120 et avec
la Gour, 121, 122 ; la duchesse
de Savoie parle de lui en
termes obhgeants, 129 ; il
admire la conduite de celle-
ci à l'égard de la France.
130 ; recherché de la Gour.
reçoit une lettre de la reine
de Suède, 131 ; il voit le duc
de Lorraine, 134 ; on le croit
engagé avec lui, 135 ; il serait
plus dévoué que Mazarin aux
intérêts de la Savoie, s'il
était ministre, 136 ; reproches
que lui fait la reine. 139 ; il
demande au roi de lui don-
ner le bonnet de cardinal,
141, 142 ; il est mandé à la
Gour, publie des libelles,
144 ; Gondé veut l'obliger à
sortir de Paris, 147 ; il se tient
sur ses gardes, 152, 157; ne
se mêle plus d'alfaires, 163 ;
il avait négocié avec le duc
de Bouillon, 168 ; libelles
[lour et contre lui, 171 ; li-
belles écrits par lui, 175 ; il
attend pour aller à la Gour,
175, 176 ; il a ses passeports
pour y aller, 178 ; n'est pas
réconcilié avec Gondé, 179 :
va à la Gour. a une confé-
rence avec la reine, 179. 180 ;
ses projets, 180. 181 ; il est
dévoué à la duchesse de Sa-
voie, 182 ; la Gour prétend se
passer de lui, 183 ; Mazarin
le combat auprès de la reine,
184; il prêche devant le roi
et la reine, 201 ; son accom-
modement avec la Gour est
prochain, 205 : Mazarin ne
peut vivi'e à Paris qu'à la
condition de se réconcilier
avec lui. 216 : Mazarin ne
]teut le souffrir, 219, 220 ;
son arrestation, 225, 226 ; son
père est exilé à Yillepreux,
227 ; le clergé de Paris le
réclame au roi, 228 ; vio-
lences qu'on lui fait. 230 ; la
duchesse de Savoie s'inquiète
de son sort. 231 à 233 ; les
astrologues prédisent sa li-
berté prochaine, 234 ; on le
dit prêt à traiter avec la Gour,
239 ; il renoncerait à sa coad-
jutorerie, 241 ; ce ne peut
être qu'un expédient, 242 : il
veut rester archevêque de
Paris, 244 ; il négocie avec la
duchesse de Ghevreuse et
Mathieu Mole, 244, 245 ; a sa
liberté. 247 : conduit àXanles,
se justifie auprès de M. de
Sévigné, 248 ; la Gour de-
mande à Rome sa démission,
249 ; le maréchal de La Mail-
T.Vni.K M.PKAHKTIOLE.
15
leraye a ordre de le surveil-
ler de plus près, 250 ; il s'est
évadé du château de Nantes.
251 ; est à Belle-Isle, 252 ; il
a écrit au roi. 252, 253 ; est
parti de Belle-Isle, 254 ; on
négocie avec lui, 255 ; est
allé à Rome, 256.
Retz (duc de) 254, 256.
Richelieu (cardinal de), 114.
209, 212.
Richelieu (duc de), 212.
Richelieu (marquis de), 207,
209 à 214,232, 234.
Rieux (François de Lorraine,
comte de), 162.
Rivoli (ville de). 215.
Rohan (duc de), 55, 68, Hfl.
110, 115, 116, 193, 200.
Rome (ville de). 226, 230, 232,
248, 255 à 257,
Roquelaure (chevalier de), 73.
Roses (ville de), 206.
Rouen (ville de), 56.
Roussillon (province de), 218,
224.
Ruèil' (ville de), 207.
Ruvigny (Henri Massue, sieur
de), 43 à 45. 50.
Sahlé (M™e de), 14.
Saint-André (marquis de), 16.
Saint-Aunais (Henri Bourcier
du Barry, seigneur de), 2()(),
213, 217, 218, -.'23.
Saint-Cloud (ville de), 160.
Saint-Dizier (ville de), 220.
Saint-Fargeau (seigneurie de),
200.
Saint-Gerraain-en-Laye (ville
de), 98, 107, 115, 118, 110,
124, 178, 182, 190, 192.
Saint-Germain-Beaupré (Henry
Foucault, marquis de).
Saint-Luc (François d'Espinay,
marquis de), 81.
Saint-Maur (pont de), 107.
Saint-Maigrin (marquis de).
148).
Saintes (ville de), 84.
Sale (M. de), 36, 37.
Saumur (ville de), 64, 69.
Savoie (Charles-Emmanuel IL
duc de), difficultés d'éti-
quette dans sa correspon-
dance avec le coadjuteur.
105, 114, 117, 118: ses pré-
tentions à la couronne d Es-
pagne, 128 ; sa mère le dis-
pose en faveur de la France,
130 : intéressé à la défense
de Casai, 191 ; ruine ses
Etats pour la France, 195 ;
prohabilités d'une guerre
avec le duc de Mantoue, 199 :
il a fait tout ce qu'il a pu
pour la France, 200 ; a retar-
dé autant qu'il a pu la red-
dition de Casai. 203 ; le ba-
ron de Grésy dévoué à ses
intérêts, 222 ; le marquis de
Richelieu lui plaît, 232 : on
dit qu'il aurait manqué d'é-
gards à sa mère, 238 ; qu'il
doit épouser M"'' de Montpon-
sier, 239 ; bruit de son ma-
riage avec une nièce de Ma-
zarm, 250.
Savoie (Christine de France,
duchesse de), M. de Sévigné
lui otl're ses condoléances sur
la mort du marquis Villa, 1 ;
elle n'est plus malade, 2 :
s'intéresse à M. de Sévigné,
4 ; celui-ci lui recommande
sa femme, 10 ; proteste de
son dévouement pour elle,
18, 19; M"»" de Sévigné lui
a écrit, 30 ; elle demande a
M. de Sévigné son sentiment
sur la situation, 33 ; elle
écrit à M'^'= de Sévigné, 41 ;
M. de Sévigné loue son es-
prit, 49 ; elle admire le mé-
moire de M"« de Montpen-
sier, 59 ; M™'' de Sévigné est
enchantée de lui écrire, 74,
75 ; difficultés d'étiquette
dans sa correspondance avec
le coadjuteur. 104, 105 ; a
reçu la lettre de celui-ci.
340
TABLE ALPHABETIQUE.
111 : rabl)é d'Aglié lui
mandera les nouvelles pu-
bliques, 114 ; elle parle du
coadjuteur en termes obli-
geanls, 129 ; celui-ci admire
sa conduite à l'éçard de la
France. 130; s'il était ministre
il serait dévoué à ses inté-
rêts. VàO ; elle se plaint des
procédés de la Cour de
France. 140 ; M. de Sévisné
admire son attachement a la
France, 140 ; elle ne doit
rien en espérer, 157, 158 ; a
raison de se plaindre de
^lazai'in, 159, 160 ; les évé-
nements de France pourront
faciliter ses atfaires, 166 :
dévouement du coadjuteur à
son égard, 182 ; le traité du
duc de Mantoue avec l'Es-
pagne lui portera préjudice.
190 ; elle soutient les inté-
rêts de la France, 191 ; ses
inquiétudes sur le siège de
Casai, 194, 195 ; M. de Sévi-
gné parle en sa faveur, 198.
199 ; le marquis de Richelieu
a l'intention de se réfugier à
sa Cour, 211 à 214 : le baron
de Crésy dévoué à ses inté-
rêts, 222 ; M. de Sévigné lui
fait faire des propositions
d'intervention en faveur du
coadjuteur, 230 : elle s'inté-
resse à l'arrestation de celui-
ci, 231 à 233 ; elle écrit à
M'"<= de Sévigné, 234; elle
Murait dû suivre les conseils
de M. de Sévigné, 242; en-
nuis que lui cause Mazarin,
246 ; le coadjuteur la verra en
allant à Rome. 248. 249 ; elle
donne des nouvelles de ce
dernier à M™'^ de Sévigné.
254 ; elle demande des nou-
velles de M. de Sévigné, 256,
257.
Savoie (Henri de), archevêque
de Reims, 219.
Savoie (prince Thomas de), 31.
182. 213.
Savoie (Victor-Amédéel^'", duc
de), 114.
Schonberg (maréchal de), 131,
159 163.
Sedan (ville de), 88, 129.
Sénantes (François de Ilavart,
marquis de). 2.
vSénas (Charles de Gérente,
marquis de), 16.
Sens (ville de), 103.
Sévigné (Henri, marquis de),
186.
Sévigné (René-Renauld de),
ses condoléances à la du-
chesse de Savoie sur la mort
du marquis Villa. 1 ; il s'oc-
cupe de conserver la cavale-
rie de Savoie, 2 ; proteste de
son dévouement à la duchesse
de Savoie, 4 ; déclare qu'il
s'appelle Sévigné et non Sou-
riijni, 9 ; recommande sa
femme à la duchesse de Sa-
voie, 10 : est heureux que
celle-ci ait agréé les offres de
service de M™<^ de Sévigné.
30 ; la duchesse de Savoie lui
demande ses sentiments sur
la situation, 33 ; achète des
livres de la bibliothèque de
Mazarin, 36 : se rend chez le
coadjuteur, 89, 90 ; est à la
Cour avec celui-ci, 179; la
duchesse de Savoie lui con-
fie ses inquiétudes au su-
jet de Casai, 194, 195 ; il
parle en sa faveur. 198, 199 ;
il travaille à décider le mar-
ri uis de Richelieu à demander
la nullité de son mariage
avec Mlle de Beauvais, 208 ;
sa parenté avec le mar-
quis, 211 ; a ordre de sortir
de Paris, 229 ; la duchesse
de Savoie déplore son éloi-
gnement, 234 à 236 ; il lui est
entièrement dévoué. 238,
242 ; blâme la conduite du
coadjuteiu-, 247 : ajtprouve
sa justification, 248 ; l'accom-
pagne à Belle-Isle. 253,254 ;
on ne peut obtenir son retour
TMM.K M l'Il M!K IKtlK,
'1/
à Parus, î."»."), 25G ; il va se
retirer à Ghampiré, 25C à
258.
Sévigné (Elisabeth Péna, clame
de), M. de Sévigné la recom-
mande à la duchesse de Sa-
voie, 10 ; elle écrit à celle-ci
30 ; elle en reçoit des letlrps,
32, 41 ; la duchesse de S;i-
voie demande qu'elle lui
écrive, 59 ; elle est très fièrn
de pouvoir faire quelque
chose pour la duchesse dp.
Savoie, 74, 75 ; la duchesse
de Savoie lui écrit, 233 a
236; citée, 115, 117.
Soissons (ville de), 155, 177.
Souvré (chevalier de), 73.
Souvré (commandeur de), 63,
137.
Stenay (ville de), 107, 124, 125.
Suède (Christine, reine de), 5.
0,17,131,246.
Sully (ville de), 92.
Sully (Maximilien de Béthune.
duc de), 77.
Suresnes (ville de), 160, 176.
Taillebourg (ville de), 34.
Tavannes (maréchal de). 86 à
88.
Thomas de Savoie, voir : Sa-
voie (prince Thomas de).
Tinti (abbé), 104, 117. 118.
Toscane (Ferdinand II. grand-
duc de), 76.
Toul (ville de). 221.
Trino (ville de), 128, 129.
Turenne (maréchal de), va à
la Cour, 57 ; décide Mazarin
à continuer le siège d'An-
gers, 77 ; pousse le roi à
combattre, 92 ; repousse Cou-
dé à Bléneau, 96 ; veut enve-
lopper l'armée du duc d'Or-
léans, 141 ; tient tête aux
Espagnols, 155 ; sa fourbe-
rie, il est en bonnes relations
avec Condé, 156 ; obligé de
se retirer devant Fiinusalda-
gne. 162 ; Mazarin lui promet
le bâton de maréchal pour le
t\uc de La Force, 170 ; il s'oj)-
pose aux troupes du duc ûo
Lorraine, 177 ; se retire. 170:
est victorieux, 192.
Tupignv. 15. 16.
Turin (ville de), 105, 215. 221,
230.
Valois (duc de), 167.
Vardes (François-René du Bec-
Crespin. marquis de), 8. 31,
66. 130, 132. 133.
Varin, 15.
Vassé (marquise de), 186, 189.
Vendôme (duc de). 88, 99.
Verderonne (Charles de l'Au-
bépine, seigneur de), 6, 7.
Victor-Amédée P"", duc de Sa-
voie, voir : Savoie (Victor-
Amédée I*""", duc de).
Villejuif(ville de). 97.
Villepreux (seigneurie de), 227.
Villa (marquis Guido), 1.
Villa (marquis), 203.
Villeneuve-Saint-Georges (ville
de), 177.
Villeroi (maréchal de), 25. 56,
62, 63. 209.
Vincennes (bois [de), 226.
Viole (président), 141.
Yorck (duc à'). 9.
•V
^1
TABLE DES APPENDICES
Pages.
I. Tableau généalogique 261
II. Acte de baptême du chevalier de Sévigné i20
septembre 1607) 262
III. Acte de démission par le chevalier de Sévigné de
sa charge de capitaine au régiment de Norman-
die (12 avril 1645) 2G3
IV. Lettres du chevalier de Sévigné à Le Tellicr 263
V. Brevet de maréchal de camp pour le marijuis de
Sévigné (8 juillet 1650; 268
VI. Contrat de mariage du chevalier de Sévigné et
d'Elisabeth Péna (20 décembre 1650; 269
VII. Acte d'inhumation de M'"^ de Sévigné (3 février
1656) 274
VIII. Lettres de la mère Agnès Arnauld au chevalier de
Sévigné 275
IX. Testament du chevalier de Sévigné (1" mars 1674). 293
X. Relations de la mort et de l'inhumation du che-
valier de Sévigné à Port-Royal (mars 1676) .... 295
XL Xotice sur le chevalier de Sévigné, par M. Fon-
taine 297
XII. Note sur la tei're de Champiré 301
XIII. Lettres de l'abbé d'Aglié, ambassadeur de Savoie
en France, à Madame Rovale 305
350 T\BLK 1)1':S APPENDICES.
XIV. Correspondance entre le cardinal de Relz et la
Cour de Savoie 309
X\'. Lettres et extraits de lettres du baron de Cize de
Grés\ , secrétaire de 1 ambassade de Savoie à
Paris 314
XVI. Lettre du chevalier de Sévigné à Madame Royale
(reproduction figurée) 326
ERRATA
P. 180, note 1, ligne 4. — Supprimer : dont Sévigné fait
léloge.
P. 268. — Appendice V, première ligne, au lieu de : pour
le c/ievalier de Séi'ir^né, lii'e : pour le marquis de Sci'ignc.
MACOX, l'HOTAT rREr.L's, IMl'in.MElltS.
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